lundi 7 août 2017

Bonnes pratiques : ne pas généraliser hâtivement


Vite, d'une frappe sur les doigts, faisons un élan vers le bonheur ! Dans ce Responsible Science, que j'ai déjà cité, je lis, comme répréhensible  :

Using inappropriate statistical or other methods of measurement to enhance the significance of research findings;

En français "utiliser des méthodes statistiques ou des méthodes de mesures inappropriées pour donner à des découvertes de recherche plus d'importance qu'elles n'en ont". En réalité, la traduction du passage américain est difficile, parce que ce texte est lui-même un peu inexact : il dit "augmenter l'importance" ; or on ne peut pas augmenter l'importance d'une découverte, mais seulement faire croire que le résultat a plus d'importance qu'il n'en a en réalité. D'autre part, il y a une amphibologie au mot "significance", parce que, en statistiques, on parle de significativité, partant du bon principe que toute mesure est incertaine, et que, d'autre part, les théories sont toutes approximatives, même si leur précision va croissante.
Ce qui est clair, c'est que se pose ici la question du scientifique vis à vis de lui-même, et vis à vis de sa communauté. Si la juste ambition des scientifiques est de faire des découvertes, alors on comprend mal pourquoi on irait utiliser des méthodes fautives pour se tromper soi-même : au fond de soi, on sait bien quand on a observé un effet ou pas. A contrario, on sait qu'il y a hélas des individus qui vivent en représentation, et pour qui l'estime qu'on leur porte est plus importe que la justesse des idées qu'ils tendent à la communauté, en vue de s'en faire estimer. Et c'est à eux que s'adresse en réalité la phrase de l'Académie américaine des sciences.
Oublions-les, car ils ne méritent pas de cette considération qu'ils quêtent au prix de leur malhonnêteté. Et, vite, prenons positivement l'idée initiale : oui, ayant des résultats, pour nous assurer de leur justesse, nous avons souvent besoin de méthodes statistiques. Dans un autre billet, j'ai assez dit que nos mesures sont toujours imprécises à des degrés divers, de sorte que nos résultats expérimentaux ne concordent qu'imparfaitement à nos "théories", nos équations d'ajustement. C'est pour cette raison que nous avons besoin de savoir avec quelle probabilité il y a ou non concordance. Il nous faut des méthodes de mesure toujours plus précises, et il nous faut valider, afin de savoir ce qu'il en est de nos résultats.


Leur "importance" ? C'est là une autre question, bien difficile, et je propose de transposer cette phrase "la vertu est sa propre récompense" à nos études scientifiques : au lieu d'en chercher l'importance, utilisons bien notre temps à savoir si les résultats que nous produisons sont dignes d'être affichés, publiés. Validons, validons, et validons encore !

mercredi 2 août 2017

Qui peut signer les articles scientifiques ?

 Je me souviens d'un billet que j'ai fait, à propos des signataires des articles scientifiques : qui peut signer ? qui ne doit pas signer. Mais la lecture du {Responsible Science} de l'Académie américaine des sciences me fait tomber sur une idées un peu différente, que je livre d'abord sans commentaires :

{Conferring or requesting authorship on the basis of a specialized service or contribution that is not significantly related to the research reported in the paper. }

 Il ne faut  donc pas faire signer, ou demander de faire signer des collègues sur la base d'un service ou d'une contribution qui n'est pas significativement reliée au travail rapporté dans l'article. Dans cet énoncé, il manque donc cet "accepter de faire signer" que j'avais discuté précédemment. Mais, surtout, tout tient dans le "significativement" : c'est là que s'introduit le diable.

Résultat de recherche d'images pour "diable bruegel"


Dans le travail scientifique, il y a en effet :
- l'identification des phénomènes que l'on explore  : évidemment, c'est une étape essentielle, puisque en découle tout le reste, et c'est donc "significatif". Bien sûr, il y a le cas où un phénomène est mal identifié, et l'on peut imaginer que quelqu'un vienne ensuite pour finir l'identification, et mettre le phénomène dans toute la lumière qui permet l'étude : là encore, j'ai l'impression que c'est significatif
- puis vient la caractérisation quantitative du phénomène, et il y a là un travail technique, qui se divise en
    - préparation de l'expérience
    - préparation des échantillons
    - analyse des échantillons
    - analyse des résultats
 Sans toutes  ces étapes, rien n'existe, de sorte que tout semble "significatif"... à cela près que, pour chaque étape, il peut y avoir une exécution complète, ou une partie d'exécution. Par exemple, pour la préparation des échantillons, il faudra avoir lavé la verrerie afin de faire des mesures "propres" : un simple travail de "plonge" est-il significatif ? Bien sûr, il est indispensable, car il détermine la qualité des résultats ; mais significatif ? Par exemple, la sauvegarde des fichiers de données est essentielle à l'activité du laboratoire, mais l'informaticien qui organise ces sauvegardes doit-il figurer parmi les auteurs ? Et le personnel administratif, sans lequel rien ne pourrait avoir lieu ?
A l'inverse, si l'on considère que la science est une activité intellectuelle, de création, on pourrait arguer que seuls les concepteurs de l'expérience, les créateurs de théorie, méritent de figurer parmi les auteurs... mais on tombe alors dans un excès inverse.
Décidément, les Grecs antiques avaient raison de prôner la modération en toute chose, et, dans ce débat des signataires d'un article, rien ne remplacera un peut de jugeotte... et d'honnêteté.

- le phénomène étant caractérisé quantitativement, il faut réunir les données en lois synthétiques : là, il est plus clair que le travail mérite signature

- puis peut s'élaborer une théorie, à partir des équations identifiées : c'est là que vient l'étape d'induction, parfaitement scientifique

- de la théorie, on déduit une conclusion testable : encore un travail sans ambiguïté

- puis on teste expérimentalement la prévision théorique : et là, on retrouve que ce que nous avons dit à propos de la caractérisation quantitative du phénomène.

On le voit : la question est grave. Et on ne la résout qu'au prix de beaucoup de réflexion, d'intelligence, d'honnêteté.

lundi 31 juillet 2017

Jour après jour, le sous blog "bonnes pratiques scientifiques" se constitue, sur le blog que je tiens dans le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra.
L'adresse du Centre ? C'est http://www.agroparistech.fr/Nouvelles-annonces.html

L'adresse du blog ? http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-connaissance-.html

L'adresse du sous-blog ? http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html

Aujourd'hui, le billet concerne la recherche de théories, à partir des lois. Et c'est ici : http://www.agroparistech.fr/Abstraire-et-generaliser.html

samedi 29 juillet 2017

Bonne pratique : la conservation des données

J'ai déjà évoqué la question de la conservation des données, mais j'y reviens, parce que trouve le livre Responsible Science (vol 1, 1992), de l'Académie américaine des sciences. Voici ce que j'y lis (je traduis) : 

De nombreux laboratoires gardent habituellement les données primaires pendant une période déterminée (3 à 5 ans) après qu'elles ont été obtenues. Les données qui sont à l'appui des publications sont généralement conservées pendant une période plus longue que celles qui ont déjà fait l'objet  de résultats rapportés. Certains laboratoires de recherche considèrent qu'ils sont propriétaires des données et des cahiers de laboratoires. D'autres considèrent que c'est la responsabilité des individus qui ont obtenu les résultats d'en assurer la conservation, qu'ils soient ou non dans le laboratoire où ils ont obtenu les données.

Cette idée est générale, et pas propre à la science faite aux Etats-Unis : c'est une bonne pratique de conserver les résultats de recherche (échantillons, spectres, cahiers de laboratoire) pendant une période "raisonnable", tout comme c'est une bonne pratique de bien conserver des traces de tous les travaux effectués, surtout pour les résultats publiés ou qui sont la base d'autres travaux.
Evidemment, il faut exercer son jugement : il n'est pas utile de conserver des échantillons qui se dégradent, par exemple, et ce n'est pas le peine se conserver des produits qui seront jetés par nos successeurs ! Inversement, je peux témoigner d'avoir eu en main des échantillons de composés préparés par Louis Pasteur ou son élève Jungfleisch, et ils étaient très intéressants... car un siècle après, on a pu voir des témoins historiques. Certes, c'est un peu du fétichisme, mais ne conserve-t-on pas les cathédrales, ou la Tour Eiffel ? Ou des incunables ?


Dépassons les sentiments, et considérons surtout l'avancée des sciences. Nous devons pouvoir justifier que les résultats que nous pensons avoir obtenus (je parle aussi bien des résultats que des interprétations) sont tels que nous le disons. A qui présenter cette justification ? A nous-mêmes, tout d'abord, puis à des rapporteurs, d'article, de thèse, par exemple, Non pas que l'on nous croie pas, mais surtout parce qu'il peut y avoir des interprétations différentes d'un même résultat. Et c'est ce qui peut pousser à reprendre des échantillons pour les réanalyser.
D'ailleurs, il arrive que nous ayons envie de ré-analyser des échantillons que nous avons conservés, parce que nous pouvons y voir ultérieurement autre chose que ce que nous avions vu initialement, à l'aide d'idées théoriques préliminaires.

Bref, il ne faut pas être trop rapides dans les "rangements", et c'est un "postulat, pour notre groupe de recherche, que de garder tous les échantillons. Tous !

vendredi 28 juillet 2017

Un autre enseignant remarquable des Hautes Etudes du Goût

Voila quelques mois, j'avais commencé à vous vanter les mérites des enseignants de l'Institut des Hautes Etudes du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table ().
Semaine après semaine, je vous ai présenté quelques uns de mes merveilleux collègues, et puis, le temps a passé...

Mais nous sommes loin d'avoir fait le tour de nos enseignants, et, aujourd'hui, je suis heureux de vous signaler que mon confrère Jean-Christophe Augustin, à l'Académie d'agriculture de France, a accepté de participer à nos enseignements :





Jean-Christophe Augustin est professeur à l'Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, dans l'Unité Pédagogique d’hygiène, qualité et sécurité des aliments.


Il est responsable du module « microbiologie des aliments » du Certificat d’Etudes Approfondies Vétérinaires, Spécialité « Gestion de la sécurité et de la qualité des denrées alimentaires » et du diplôme d’école « Maîtrise de la sécurité sanitaire des aliments ».


Il est expert à l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation).


Il est l'auteur de nombreuses publications d'enseignement et de communications scientifiques.

mercredi 26 juillet 2017

prix de l'information de l'Académie d'agriculture de France

L'Académie d'agriculture de France vient de créer un  Prix de l'information, qui sera décerné chaque année à compter de 2018.
Il pourra concerner la presse écrite, les émissions de radio ou de télévision, les sites Internet ou les blogs, sur des supports classiques ou numériques.
Avec ce Prix, l'Académie d'agriculture de France souhaite mettre à l'honneur, dans ses champs de compétence, des travaux journalistiques remarquables et encourager les journalistes à prendre en compte les enjeux du développement de demain.

Elle souhaite ainsi récompenser l'esprit critique et la rationalité plus que jamais nécessaires au débat public.

Vous trouverez plus d’informations sur ce Prix en cliquant sur l’un des deux liens suivants :


A vos candidatures  !

Les bonnes pratiques en science : l'accès aux données

Il est amusant de voir comment la même idée peut facilement verser du côté sombre ou du côté clair. Et l'évocation de ces deux côtés doit faire  immanquablement penser à l'opposition  éternelle que décrivait déjà François Rabelais, entre la jovialité et le pisse vinaigre, ou encore Jorge Luis Borges, entre l'envie blanche (qui construit) et l'envie noire (qui détruit ce que l'on n'a pas). On devine  évidemment de quel côté je me range !

Ces réflexions me viennent alors que je relis {Responsible Science}, vol 1, 1992, publié par l'académie américaine des sciences. Le texte est tout lassant de moralisation : il faut faire de la science raisonnable, il ne faut pas, il ne faut pas, il ne faut pas...
Ces gens croient-ils que l'on suscite ainsi beaucoup d'enthousiasme ? beaucoup d'envie de bien faire ?
Par exemple,  je lis :   

Refusing to give peers reasonable access to unique research materials or data that support published papers;

Il s'agit là de dénoncer une mauvaise pratique. Dénoncer, mauvaise... Si l'on proposait plutôt de faire de la science merveilleuse, cela ne serait-il pas plus attrayant ? Je maintiens que l'on fera alors mieux. Pourquoi ne transformons-nous pas aussitôt le paragraphe précédent en :

C'est une bonne pratique que de proposer à tous (notamment les pairs) un accès très large aux échantillons ou aux données qui soutiennent les articles publiés : n'ayant rien à cacher, puisque nous œuvrons avec honnêteté et passion, nous qui avons été aidés par nos prédécesseurs pouvons contribuer à l'avancement des sciences en proposant à nos amis de prolonger nos propres travaux.

Cela n'est-il pas plus "lumineux" ? Michael Faraday était un être merveilleux, comme le prouve son "la science rend aimable". Suivons Faraday !