dimanche 20 décembre 2009

Rire, pleurer, être en colère...

Un paradoxe : alors que n'importe quel drame fait sortir des salles entières de cinéma en larmes, alors que les salles d'opéré sont pleines de mélomanes chavirés, nos salles de cours, dans les établissements d'enseignement, laissent les étudiants de marbre.

Pourtant, il est largement admis que les professeurs doivent se donner, autant que des acteurs, pour faire passer les matières ; il est largement admis qu'il faut faire vivre la classe pour que les prétendus apprenants apprennent!

Et si l'on avait tout faux? Et s'il fallait d'abord faire rire, pleurer, mettre en colère... les élèves? Rires, c'est facile : le moindre calembour proféré au milieu d'une démonstration mathématique a le cocasse nécessaire (interrogeons-nous d'ailleurs sur ce cocasse). Pleurer? Quel enseignant a déjà réussi ce tour de force? Je veux dire évidemment : pleurer d'émotion, pas d'humiliation ni de coups!

Et les autres sentiments : quel enseignant a réussi à les faire naître au milieu de son cours de chimie, de physique? Comment? Pourquoi?

Ne devrions-nous pas commencer la nouvelle année par un enseignement enfin renouvelé?

jeudi 17 décembre 2009

La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle?

Je sais qu'il y a des questions qu'il ne faut pas poser (par exemple, celle qui sera examinée le 8 février : "faut-il vraiment du bon pour faire du très bon?"), mais je ne cesse de recevoir la suivante :

La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle ?

Puisque ce n'est pas moi qui la pose, je peux essayer d'y répondre.

D'une part, oui, on sait ce qu'est la cuisine moléculaire : c'est une cuisine qui fait usage de nouveaux ustensiles, de nouveaux ingrédients, de nouvelles méthodes.
En revanche, on ne sait pas bien ce qu'est la cuisine traditionnelle : la tradition des Provençaux n'est pas celle des Bretons, et la tradition des Normands n'est pas celle des Alsaciens.
Même entre deux régions voisines, les traditions diffèrent : pensons à la Lorraine et à l'Alsace.

Pis encore, les traditions changent selon les familles d'une même région, voire entre les individus d'une même famille. Par exemple, je célèbre Saint Nicolas, et pas mon frère.

Bref, je ne sais pas ce qu'est la cuisine traditionnelle, et je crois même qu'elle n'existe pas.

Et si l'on changeait maintenant la question pour :

La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine classique ?

Cette fois, le classique peut être considéré comme ce qu'il y a dans les livres. C'est mieux défini.
La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine classique?

Prenons une comparaison : le jazz peut-il améliorer la musique classique? La peinture abstraite peut-elle améliorer la peinture classique?
La question est intéressante, parce qu'elle est en réalité sans sens. Si la cuisine moléculaire n'est pas la cuisine classique, mais séparée d'elle, comment pourrait-elle l'améliorer?

Ce que l'on peut dire, c'est que le répertoire musical s'est enrichi, embelli, quand le jazz, la musique sérielle, etc. se sont ajoutés à la musique classique. Jean-Sébastien Bach toute la journée, c'est bien mais lassant. Avec en plus Mozart, c'est mieux. Avec en plus Debussy, c'est encore mieux. Avec en plus Messiaen, Saint-Saens, Isoir, etc., le bonheur ne cesse d'augmenter.

En cuisine, n'est ce pas pareil : ne devons nous pas être heureux d'avoir aujourd'hui toutes les cuisines, de toutes les époques, et, en plus, la cuisine moléculaire?

D'un point de vue technique, d'autre part, il est certain que cuisiner avec des pots de terre qui cassent, c'est pénible. Si l'on ajoute des casseroles en inox (qui ne rouillent pas, qui ne cassent pas!), c'est bien mieux. Et si l'on ajoute des matériels modernes, c'est comme si l'on s'éclairait à l'électricité au lieu de s'éclairer à la bougie!

Donc oui, résolument, la cuisine moléculaire est un bel ajout à la cuisine. Non pas à la cuisine classique, mais tout simplement à la cuisine.

A noter que la bonne cuisine moléculaire est bonne, et la mauvaise cuisine moléculaire est mauvaise, mais que la bonne cuisine classique est bonne, et la mauvaise cuisine classique est mauvaise.

Ne devons-nous pas questionner les questions?

Enfin, n'oublions pas de lutter contre les questions idiotes : préfères-tu les pommes ou les poires? Je préfère les framboises!

vendredi 11 décembre 2009

Des mots

Terrible impression de m'être fait piégé : je me suis retrouvé publiquement, aujourd'hui, à la même table que des "scientifiques" qui évoquaient des vibrations des molécules lesquelles auraient rejailli sur la santé, de grandes "résonances", etc.

Du discours, de la poésie, de l'aveuglement ou de la fraude?

Evidemment, on m'a argumenté que Galilée et Einstein avaient révolutionné la science en réfutant la science ancienne... mais est-ce un vrai argument?
Evidemment, on m'a argumenté des publications dans des revues... mais je rappelle que tous les rapporteurs ne font pas bien leur travail, et qu'il est passé des tas de publications foireuses : l'eau superlourde, les rayons N, et bien d'autres.

Pardon, chers amis, de faire état de ces états d'âme, mais la question est posée : comment expliquer à un public exposé à de l'incompréhensible sans doute faux qu'il s'agit d'élucubrations insensées?

A ce stade, j'entends ma correspondante qui me reprochait de dire du mal de la théorie non scientifique (je le maintiens) du "food pairing", et qui était déçue que je sois moins positif que d'habitude. Ici, je vois que je viens de perdre à nouveaux des amis : tous ceux qui soutiennent des théories "farfelues", et qui considère que la "science officielle" est dogmatique, parce qu'elle n'accepte pas leurs élucubrations (évidemment, il y a alors le syndrome de l'incompris, voire du persécuté, qui pointe son nez aussitôt).

Désolé, mais je ne suis pas prêt à accepter que l'on promeuve devant nos enfants n'importe quelle théorie idiote : "N'est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les autres n'en aient pas?", disait justement Voltaire?

Pourfendons les théories fausses! Ne laissons pas s'installer les confusions... qui profitent toujours aux malhonnêtes.

Luttons pour de la belle connaissance!

samedi 28 novembre 2009

Une question de projet

Au cours d'une discussion avec mon ami Pierre (Gagnaire), il m'invite à m'expliquer sur le projet de la gastronomie moléculaire, parce que je répondais à un tiers présent que la science m'intéresse plus que la cuisine.

En réalité, la question est plus une question personnelle qu'une question de projet scientifique, parce que la gastronomie moléculaire, en tant que discipline, n'a pas à aimer ou non la cuisine : elle se contente d'être la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires... et dans son exercice, elle est de la science, où la cuisine est loin.
Pour preuve : nous n'avons pas de casseroles au laboratoire, et nous ne mangeons pas.

Je sais, tout cela manque de gourmandise, mais après tout, est-ce étonnant : les concepts ne sont ni gourmands ni austères ; ce sont des concepts.


D'autre part, la question du projet personnel ne devrait pas être abordée : le "moi" est haïssable, n'est-ce pas?
Toutefois, si Pierre juge intéressant que je donne ma vision des choses, c'est sans doute qu'il en ressent le besoin.
Gourmand? Certainement.
Cuisinier? Je cuisine chaque jour... mais, comme un peintre du dimanche face à Rembrandt, comment dire que l'on est cuisinier?
En réalité, la cuisine n'est quasiment pour rien dans le travail lui-même, qui est un travail de science, et se détache entièrement de la cuisine.

Oui, j'adore les équations aux dérivées partielles, les mécanismes de chimie organique, la physico-chimie, en bref. J'adore à la fois l'aspect expérimental, qui doit être parfaitement maîtrisé sous peine que les calculs ne vaillent rien, et le versant théorique, de modélisation, qui est en constante interaction avec la pratique expérimentale.
Oui, la science est une activité complète, merveilleuse.

D'ailleurs, il y avait écrit sur mon mur cette phrase prise sur la poutre du Musée du compagnonnage de Tours "La tête guide la main"... mais je l'ai barrée, parce que je viens de comprendre qu'elle n'est pas juste : ce n'est pas la tête qui guide la main, ou la main qui donne les sensations à la tête... parce que la tête et la main ne sont pas dissociables. Au centre du projet, il y a l'individu tout entier, qui pense et agit, pensant parce qu'il agit et agissant parce qu'il pense...


Mais voilà des matières bien sérieuses pour quelqu'un qui prône un peu de jovialité. Laissons nous donc aller à la gourmandise!

samedi 21 novembre 2009

On ne convainc jamais, hélas

Un correspondant, donc un "ami", me signale que si mes livres sont positifs, le billet récent consacré au prétendu "food pairing" est méprisant, négatif...

Il a raison : j'ai tort de vouloir convaincre!
Mais c'est vrai aussi que je supporte mal que mes amis se fourvoient, alors que l'on peut démontrer qu'ils se fourvoient.

Oui, laissons nos amis faire leur propre chemin, et contentons nous d'admirer ce qui est admirable, en laissant de côté ce qui n'est pas inintéressant, ou faux, ou malhonnête. Focalisons les regards sur des choses merveilleuses.

Tien, aujourd'hui, laissez moi vous entretenir de la beauté d'une loi de physico-chimie découverte par Louis Joseph Gay-Lussac : le volume d'une "mole" de gaz, dans les conditions ordinaires de pression et de température, est de 22,4 litres.

C'est quelque chose d'extraordinaire, parce que c'est vrai -de façon approchée- pour tous les gaz. Quelle beauté!

Et en cuisine? En cuisine, il faut penser que la vapeur d'eau n'est pas à 20°C, à la pression ambiante, sans quoi les molécules d'eau se recondensent, et le gaz n'est plus un gaz, mais de l'eau liquide.

D'où la question : comment calculer le volume d'une mole d'eau à 100 °C?


Ce type de questions "élémentaires" (pour un physico-chimiste) sont ce que je nomme des "questions du jour", au laboratoire : des incitations à penser, des invitations à calculer.

N'est pas ainsi que la physico-chimie est belle?

La question de la précision en cuisine!

La "cuisine note à note" pose mille questions passionnantes, et un ami lecteur de ce blog a souligné qu'elle pose une question environnementale.

La séparation des ingrédients des tissus végétaux ou animaux conduirait à un coût environnemental plus grand que la cuisine classique ?

C'est très discutable : en effet, un cuisinier qui réduit un fonds utilise une quantité considérable d'énergie, et il n'est pas certain qu'un procédé d'extraction bien pensé consomme plus d'énergie que ces procédés artisanaux qui n'ont jamais été réfléchis dans ces termes. D'ailleurs je ne donne donc pas ici de réponse péremptoire, mais je pose la question à la communauté : le commentaire laissé par notre ami est-il exact ? Et j'attends une réponse en termes quantitatifs, le seul type de réponses qui me satisfasse vraiment... En faisant remarquer que les bilans carbone sont parfois bien difficiles à calculer.

Aujourd'hui, toutefois, ce n'est pas la question de l'environnement qui me préoccupe, mais la question de la précision en cuisine. Avant d'être négatif, soyons positifs. Avant d'avoir peur, avançons.

La cuisine note à note est beaucoup plus précise que la cuisine classique. En effet, dans la cuisine classique, le cuisinier est tributaire d'ingrédients dont il ne connaît pas la composition. Si la carotte est très sucrée, le plat sera plus sucré que si la carotte est moins sucrée.
Bien sûr, le cuisinier peut ajouter du sucre en quantité bien déterminée, mais quand on cuisine avec des composés, c'est chaque composé qui est ajouté dans la quantité exactement voulue.
De la sorte, tout est parfaitement contrôlé : les saveurs bien sûr, mais aussi les odeurs, les consistances...