vendredi 25 juillet 2025

Mon invention nommée "priestley"

Depuis quelques jours, la culinosphère bruit d'un terme mystérieux "priestley", depuis que mon ami Pierre Gagnaire en a parlé sur Top Chef. 

De quoi s'agit-il : qu'est-ce qu'un priestley ? C'est une de mes inventions, qui date d'avant 2008.

Tout d'abord, expliquons le nom : Joseph Priestley (1733 - 1804) était un chimiste et théologien anglais qui isola de nombreux gaz, tel l’oxygène. Il fut ainsi un des pionniers de la « chimie pneumatique », et fut élu à la Royal Society en 1772, l'année où il publia ses Observations sur différentes espèces d'air. Au moyen d'une cuve à mercure, Priestley isola des gaz, comme l'ammoniac, l'oxyde d'azote, le dioxyde de soufre et le monoxyde de carbone. C'est en 1774 qu'il produisit pour la première fois de l'oxygène et comprit également son rôle dans la combustion, ainsi que dans la respiration des végétaux (1775). Cependant, partisan de la théorie erronée du phlogistique, il nomma ce nouveau gaz l'air déphlogistiqué et ne comprit l'importance de sa découverte. 

Pourquoi avoir donné ce nom ? Parce que j'avais inventé une sorte de généralisation des crèmes anglaise : or Priestley était anglais.

Pour comprendre ce qu'est un priestley, partons de la crème anglaise. C'est une sauce un peu épaisse que l'on obtient classiquement en battant du jaune d’œuf avec du sucre, jusqu’à ce que la préparation prenne une consistance lisse, plus blanche : on dit que la préparation doit « faire le ruban ». Puis on ajoute du lait et toutes sortes de produits qui contribuent au goût de la préparation, et l’on cuit, en faisant des huit au fond de la casserole jusqu’à ce que la crème épaississe. 

Longtemps, la crème anglaise a été fautivement décrite comme une émulsion chaude… alors qu’il s’agit d’une « suspension ». Suspension ? C’est le nom que les physico-chimistes donnent à des systèmes physiques faits d’une phase liquide, où sont dispersés des solides de très petites tailles, ce que l’on nommait naguère des dispersions « colloïdales » (de kolla, la colle). Bref, ce sont nombre de pâtes, par exemple, mais aussi des systèmes plus fluides, comme la classique crème anglaise. Parce que l’œuf coagule quand on le chauffe : la raison pour laquelle la crème « prend », c’est précisément que l’œuf coagule, et l’on voit d’ailleurs, au microscope, une myriade de petits agrégats solides, dans le liquide. Autrement dit, une crème anglaise réussie est pleine de grumeaux microscopiques. Le grumeau n’est dérangeant que lorsqu’il est perceptible.

De la crème anglaise aux priestleys

Que faire de cette connaissance ? De nouveaux mets, bien sûr. Pour faire une crème anglaise, il faut de l’œuf (le sucre est là pour donner une consistance sucrée, mais guère plus) et du liquide (le lait, classiquement, mais tout autre liquide convient. Des protéines ? Les viandes en sont plein ! Les poissons aussi. Apprenons à broyer finement ces tissus musculaires, et nous récupérerons des protéines en solution. Plus exactement, la quantité de protéines récupérables dans un tissu musculaire broyé sera six à huit fois plus concentrée que dans un blanc ou que dans un jaune d’œuf. A cette chair broyée, ajoutons un liquide : celui que l'on veut convient, en salé ou en sucré. Puis un peu de matière grasse que l'on émulsionne pour retrouver celle de la crème anglaise, qu’elle soit apportée par l’œuf ou par le lait. Puis chauffons, doucement : les protéines coaguleront et la crème prendra. C'est cela, mon invention que j'ai nommée "priestley", et que Pierre Gagnaire a été le premier à servir en cuisine, puisque je lui donne mes inventions en priorité.

jeudi 24 juillet 2025

Cessons de parler des "laits végétaux" et arrêtons de prétendre qu'ils seraient "naturels"

Je ne cesse de m'étonner du conservatisme de mon entourage. Quand je dis "entourage", cela signifie jusqu'à mes collègues scientifiques, et j'en vois encore un exemple ce matin alors que je suis en train éditer un texte pour le prochain Handbook of molecular gastronomy

 Le manuscrit de mon collègue discute la question des systèmes émulsionnés (qu'il confond avec des émulsions, preuve qu'il est imprécis), et il en cite des exemples : la mayonnaise, qui est bien une dispersion d'huile dans l'eau du jaune d' œuf et du vinaigre, ou encore le lait, qui contient effectivement des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau. 

Puis mon collègue évoque ces liquides blancs, qui ressemblent à du lait et sont extraits des végétaux et qui, comme le lait, contiennent des matières grasses émulsionnées. Il les nomme des "laits végétaux", mais je lui fais remarquer que cette dénomination est contestable, car le lait est le lait, et le lait n'est pas végétal ; ces émulsions ne sont pas du lait, et je lui fais valoir que nous aurions intérêt, collectivement, à leur refuser le nom de lait, car des végétariens le confondent avec du lait au point de mettre de jeunes enfants en danger de mort. 

Ne pourrait-on pas parler d'émulsions végétales ? 

De surcroît, je critique énergiquement son emploi du mot "naturel", à propos de ces produits : ces produits ne sont pas naturels, puisque ils ont été extraits ; or la définition du naturel, c'est ce qui n'a pas fait l'objet d'interventions par un être humain.

 Mon collègue répond que la dénomination lait végétal est "acceptée", et que, comme ces produits se trouvent les graines, ils sont bien naturels. 

Soit il n'a rien compris à mon argumentation, soit il s'enferme dans une erreur nuisible, car susceptible de créer des confusions. 

Le mot "naturel" tout d'abord, est à l'origine de nombre d'interminables débats publics, et ces débats naissent de l'utilisation du mot dans une acception gauchie, donc erronée, parfois fautive. 

D'autre part, des accidents, dans les familles végétariennes, seraient évités si l'expression "lait végétal était interdite (ma proposition). 

Mais, surtout, je ne vois pas ce que mon collègue perdrait en changeant ses habitudes de langage. Pourquoi reste-t-il collé à des idées anciennes : la paresse, des intérêts idéologiques ou commerciaux, de l'incompréhension ? 

 

Pourrez-vous m'aider à comprendre sa position et les avantages qu'elle aurait ? 

Pour moi, je termine en rappelant cette utile citation d'Antoine Laurent de Lavoisier : "C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».

Et celle de Condillac : « Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »

mercredi 23 juillet 2025

Il nous faut des revues scientifiques éclairées !

Je viens de publier aux Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France un article qui dit en substance que nous aurions raison de faire des publications scientifiques libres et gratuites, avec une analyse critique (plutôt qu'une "évaluation") en double anonymat, afin que nous évitions les rejets d'articles, car cette pratique des refus est un gâchis pour l'ensemble de notre collectivité : les auteurs se désespèrent de voir leurs textes rejetés alors que ces derniers contiennent des données utiles à l'ensemble de la communauté. 

C'est un fait, toutefois, qu'il y a de bons et de mauvais scientifiques. C'est un fait que les revues sont encombrées d'articles sans nouveauté, ou bien dont les résultats sont mal établis, dont les expériences sont mal conçues ou mal conduites... 

Mais, au lieu de rejeter les articles, ne ferions-nous pas mieux de bien analyser les manuscrits, en vue d'aider les auteurs à progresser, soit dans leur pratique scientifique, soit dans leur rédaction d'articles scientifiques ? 

Ma proposition est la suivante : ne rejetons pas les manuscrits, mais expliquons aux auteurs (et aux "rapporteurs") que les textes seront publiés dès que la qualité nécessaire sera atteinte, grâce aux échanges (anonymes, toujours anonymes) entre auteurs et rapporteurs, alors le texte sera publié. 

Bien sûr, la question de la nouveauté demeure, mais il est important que des collègues qui produisent un résultat déjà obtenu s'en aperçoivent, et qu'ils puissent corriger les pratiques erronées qui les ont conduit à cette reproduction sans doute involontaire. 

Bref, des collègues qui ont reproduit par mégarde un résultat déjà publié ne doivent pas voir leur manuscrit rejeté, mais doivent le retirer eux-mêmes, afin que cesse cette réputation de revues qui rejettent les textes. 

J'insiste un peu sur la question de la formation des scientifiques : tous les collègues n'ont pas eu la chance d'être formés dans de bons laboratoires, ou d'avoir su se former eux-mêmes, et les publications scientifiques (terminologie à préférer à "revue", pour des raisons expliquées dans mon article) ont donc un rôle de formation essentiel : les rapporteurs doivent pouvoir donner des conseils aux auteurs, afin que finalement, si ces conseils sont suivis bien évidemment, les manuscrits soumis soient acceptés. 

J'insiste aussi, dans mon article, pour observer que ni les auteurs ni les lecteurs ne doivent payer, dans toute cette affaire. 

Les lecteurs, d'une part, sont des contribuables, dont les contributions ont permis les travaux et les publications. 

Pour les auteurs, d'autre part, il y aurait un conflit d'intérêt à payer pour être publier, et c'est la brèche dans laquelle des "revues prédatrices" se sont engagées. 

Bref, c'est aujourd'hui le rôle des académies, des institutions de recherche, des universités, de prendre en charge les publications scientifiques, au lieu de les confier à des éditeurs privé, comme cela se faisait par le passé. Jadis et naguère, il y avait certainement le papier à payer, l'impression, la mise en page... Mais aujourd'hui, avec le numérique, tout a changé : plus de papier, plus d'impression ,une mise en page qui se fait quasi automatiquement, notamment quand les auteurs mettent en forme conformément à des modèles, des relecture qui sont faites par les rapporteurs, lesquels sont des collègues déjà rémunérés par ailleurs... 

Nous sommes donc dans un nouveau paradigme, et il est temps que l'on fasse disparaisse l'expression de "évaluation par des pairs" au profit de "analyse critique et conseils donnés aux auteurs". Vous lirez tout cela, et bien davantage dans : Hervé This, L'analyse critique des manuscrits et les conseils donnés aux auteurs. A propos des publications : Klebel et al., 2020, Stern and O'Shea, 2019; Sarabipour et al., 2019; Inrae, 2016. Notes Académiques de l'Académie d'agriculture, 2020, 2, 1-14.

Ce que vous trouverez ici : <a href="https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes">https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes</a>

Une nouvelle invention

 Très heureux :


J'ai fait hier une merveilleuse invention (une gourmandise absolue), que je viens d'expliquer à mon ami Pierre Gagnaire. Le nom donné est "crème à la Lehn", en l'honneur de mon autre ami Jean-Marie Lehn.
La recette à venir dans les prochaines semaines.

mardi 22 juillet 2025

On n'a pas assez dit...

On n'a pas assez dit qu'un flan ou une crème anglaise sont... la même chose. 

En effet, dans les deux préparations, il y a un liquide (du lait) et de l'œuf que l'on chauffe. Dans les deux préparations, les proportions ne diffèrent pas : il y a 16 jaunes d'oeuf par litre d elait dans les crèmes anglaises,  ou  8 pour les crèmes anglaises allégées que l'on voit parfois aujourd'hui. Et, pour faire prendre un flan, tout est également possible à partir de 0,7 litre de liquide pour un œuf entier ; et plus on met d'oeufs, plus le flanc est pris fermement.

Mais alors pourquoi la différence entre les deux préparations ? 

Tout tient dans les conditions de la gélification. Pour un flan, on veut une gélification continue, avec un réseau de protéines qui se forme du haut en bas de la préparation, de gauche à droite, d'avant en arrière. En revanche, pour la crème anglaise, on ne veut que des grumeaux microscopiques, et plus ils seront petits, plus la consistance sera souple.
D'ailleurs, certains pâtissiers vont même jusqu'à passer la crème anglaise à travers un chinois : sans le savoir, ils divisent les micro(grumeaux en grumeaux encore plus petits. 

Il  y a là un phénomène que l'on transfère facilement aux yaourts et aux fromages :  quand on s'y prend bien, la coagulation laitière se fait de manière continue, et la consistance est régulière, lisse, prise ;  mais on peut vouloir aussi récupérer des agrégats très petits une consistance très souple.

Tout cela sera présenté en détail dans mon prochain livre à paraître en septembre aux éditions Odile Jacob : Invention culinaires/ gastronomie moléculaire

Ne cédons pas à la mauvaise rhétorique

Préparant un guide de la rédaction d'articles scientifiques, je fais (évidemment) ma bibliographie, et je trouve ce conseil : "Citer des publications du journal où vous publiez". Ne suivons surtout ce conseil scandaleux de malhonnêteté. C'est de la basse stratégie de communication, qui déroge aux bonnes pratiques de la citation. On ne doit pas citer des auteurs au hasard, mais bien plutôt parce qu'ils sont à l'origine des travaux ! 

Ceux qui ont donné ce pernicieux conseil ignorent-ils donc tout des règles de la profession de scientifique ? Ignorent-ils tout des consensus tels qu'énoncés par l'Association européenne pour les sciences chimiques et moléculaires (The European Association for Chemical and Molecular Sciences), qui a émis un “Ethical Guidelines for Publication in Journals and Reviews” (voir http://www.euchems.eu/publications.html), ou encore des règles (identiques) données par l'American Chemical Society, avec ses Ethical Guidelines to Publication of Chemical Research (http://pubs.acs.org/page/policy/ethics/index.html). 

Mais c'est de “On Being a Scientist: Responsible Conduct in Research”* que je tire ce conseil plus juste : "Researchers have a responsibility to search the literature thoroughly and to cite prior work accurately. Implied in this responsibility is that authors should strive to cite (and read) the original paper rather than (or in addition to) a more recent paper or review article that relies on the earlier article.“ *Committee on Science Engineering, and Public Policy; Institute of Medicine; Policy and Global Affairs; National Academy of Sciences; National Academy of Engineering. “On Being a Scientist: A Guide to Responsible Conduct in Research”: 3rd ed., Washington, DC, 2009.

Attention au curcuma !

 Depuis le temps que j'invite mes amis à faire attention : 


Des effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires contenant du curcuma

Utilisé comme épice, le curcuma est une plante également présente dans de nombreux compléments alimentaires faisant valoir ses potentielles propriétés digestives, antioxydantes et anti-inflammatoires. A la suite de plusieurs signalements d’hépatites en Italie et en France, l’Anses alerte sur les risques d’effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires contenant du curcuma.

 

Et plus ici : https://www.anses.fr/fr/content/des-effets-ind%C3%A9sirables-li%C3%A9s-%C3%A0-la-consommation-de-compl%C3%A9ments-alimentaires-contenant-du