vendredi 13 octobre 2023

Cuisons des cannelés

 
Les cannelés ? Rien de plus simple, et il serait d'ailleurs erroné de croire que ces produits sont l'apanage du Bordelais, car ils existent en Angleterre sous le nom Durham popover. 

Ils s'apparentent aux soufflés, puisque c'est une préparation qui gonfle, mais, contrairement aux soufflés, ils restent gonflés après la cuisson, de sorte qu'ils s'apparentent également aux gâteaux... dont certains gonflent également. 

 

Ils gonflent ? Oui, ils gonflent, car ils contiennent beaucoup d'eau, et que les conditions de cuisson font évaporer une partie de cette dernière, ce qui engendre un grand volume de vapeur. 

 

Mais commençons par une recette, puisque c'est tout simple. Dans un cul de poule, plaçons du lait (c'est de l'eau qui est du goût, description qui conduit immédiatement à imaginer des dérivés de la préparation, si l'on remplace le lait par du jus de fruits, du thé, du café, etc.) avec de la farine et de l'oeuf. La farine apporte des grains d'amidon, qui empèseront durant la cuisson et feront une architecture molle, qui stabilisera la préparation. L'oeuf apporte également de l'eau, et aussi des protéines qui coaguleront, rigidifiant la préparation. On mélange les trois ingrédients afin d'obtenir une pâte mollette, puis on dépose quelques dizaines de grammes de cette préparation dans un moule, et l'on cuit à une température supérieure à 100 degrés. 

Ainsi le moule, surtout s'il est de métal et conduit bien la chaleur, provoque l'évaporation de l'eau, si bien que la préparation gonfle jusqu'à ce que les protéines coagulent et figent le volume. Finalement on récupère une préparation molle, coagulée, alvéolée, avec un bon goût d’œuf, et de tous les ingrédients que l'on utilisés, tels la vanilline, le sucre, le rhum, etc. 

Si la cuisson s'est bien passée (elle dure jusqu'à une heure), le produit a une légère croûte croustillante, et si la préparation était sucrée, alors, mieux, le cannelé est légèrement caramélisé, donc coloré et de haut goût. Dans cette préparation, l'important est sans doute le rapport de la partie de croûte et de la partie moelleuse du cœur. Je vous invite, si vous n'avez pas déjà fait, à visionner le film où l'on voit le cuisinier français Michel Bras régler au millimètre la taille du noyau de chocolat de ses célèbres coulants. Ils ont été souvent copiés, mais le savoir-faire du grand artiste dépasse largement l'idée de mettre un noyau qui fond dans un biscuit au chocolat : il y a d'abord la question du goût, et, aussi, le soin infini que le grand artiste a mis dans tous les détails, à commencer par celui de la taille exacte des diverses parties de son gâteau. Pour les cannelés, et pour bien des préparations analogues, la question de la taille, la question du rapport croûte-coeur, la question du moelleux, fixé à la fois par la quantité d'eau et par la cuisson, la question du goût... Tout compte !

jeudi 12 octobre 2023

Pourquoi je ne veux plus mesurer de volumes

 
Il y a environ 15 ans, j'ai voulu un jour faire l'expérience de ma vie, une expérience parfaitement réalisée en vue d'obtenir des résultats aussi précis que possible, en l'occurrence pour des analyses par spectrofluorimétrie, méthode merveilleuse parce qu'elle permet de doser de très petites quantités de composés fluorescents. Pour mes expériences, je devais préparer des solutions dans l'éthanol, et j'avais donc tout planifié pour une expérience qui devait durer environ une journée. 

A l'époque, j'étais, comme le sont la majorité des étudiants, influencé par l'emploi de ce paramètre qu'est la concentration des solutions : la concentration est le plus souvent une quantité qui s'exprime en moles par litre. De ce fait, j'avais le sentiment qu'il me fallait des masses de soluté bien connues, ce qui s'obtient avec une balance de précision, et des volumes de solution aussi précisément connus que possible. J'avais donc pris une fiole jaugée, dont j'avais contrôlé le certificat, et j'avais placé de l'éthanol dans la fiole avec un soin tout particulier. La solution étant préparée, il me restait maintenant à l'analyser par fluorimétrie, de sorte que je quittais la pièce de préparation des échantillons pour gagner la pièce où était installée le fluorimètre. 

Là, il y eut un appel téléphonique, de sortes que je laissai ma fiole sur la paillasse. Il n'y avait pas de risque : elle était convenablement fermé. Le coup de téléphone terminé, je me retournai donc pour prendre la fiole et... le niveau de liquide était descendu d'environ 1 centimètre ! La solution s'était elle évaporée ? Je vérifiais l'étanchéité, mais, surtout, je décidais de recommencer la solution, clé de mon expérience. Je repartais donc pour la pièce de préparation de ma solution, et réunissais à nouveau les ingrédients nécessaires. Coup de chance : le téléphone se remit à sonner. Je répondis, et, quand je me retournais, avant que j'ai touché à ma solution initiale en aucune manière, le niveau était revenu à la valeur correcte ! Cette fois, il n'était pas difficile de comprendre ces phénomènes : j'avais fait la préparation de la solution à température ambiante (on était en été), tandis que la fluorimétrie se faisait dans une pièce thermostatée, à 18° C. Ce que j'avais observé, c'était la dilatation du verre et du solvant. Un centimètre de différence dans le col de la fiole ! 

Manifestement la mesure d'un volume était une mauvaise pratique ! Quelle solution trouver à ce problème ? Il y en a plusieurs, à commencer par préparer les solutions à la même température que les mesures, mais puisque la masse volumique dépend de la température, ces solutions sont alors imprécisément connues, qu'elles soient ou non les mêmes entre le moment de la préparation et le moment de la mesure. Faire les préparations dans une pièce dont on mesure la température, et faire ensuite des corrections ? C'est possible, mais il faut alors se reposer sur des données expérimentales (pour les corrections) dont on n'a pas la certitude absolue qu'elles soient très bonnes. 

Allons, il vaut mieux éviter de mesurer des volumes, et utiliser des balances, qui de toute façon, nous donneront des précisions bien supérieures à celle des fioles jaugées. A titre indicatif, j'ai calculé la précision dans les deux cas : tout peser, contre peser le soluté et mesurer le volume du solvant. La précision de la méthode qui pèse tout est dix fois supérieure à la précision de la méthode qui utilise des volumes. Et encore, mon calcul est charitable !

L'oeuf parfait, l'oeuf à 65, l'oeuf moléculaire ?



On parle beaucoup, aujourd'hui, d'oeuf moléculaire et d'oeuf parfait, et on trouve très de plus en plus fréquemment cet oeuf dans les restaurants du monde entier. De quoi s'agit-il ?

C'est une invention que j'ai faite dans les années 90, alors que je cherchais à comprendre pourquoi les œufs cuisent.
À l'époque, les physiciens prétendaient que les blancs d'oeufs cuits étaient des gel chimiques mais les chimistes disaient qu'il s'agissait de gels physiques. Finalement qu'en était-il ? C'est pour comprendre que, considérant la flèche des énergies, qui montre bien la différence entre les gels physiques (pas de liaisons covalentes entre les molécules dont l'assemblage fait un réseau qui piège le liquide) ou chimiques (des liaisons covalentes entre les éléments constitutifs du réseau), j'ai conclu que la coagulation de l'œuf était due essentiellement à des "ponts sulfure", qui lient chimiquement les protéines chauffées quand elles contiennent des groupes "thiol" ;  et j'en ai apporté la preuve expérimentale en décuisant un œuf, en faisant revenir cru un œuf cuit.

Cela était  donc établi,  mais il y avait d'autres questions et par exemple de savoir pourquoi les œufs cuits plus de 10 minutes deviennent caoutchouteux. L'expérience qui établit le phénomène est facile à faire, et on le  fait chaque fois que l'on cuit  mal un œuf dur.
Or, dans la théorie que j'avais élaborée, pour décrire la coagulation des œufs, je ne voyais pas les 10 minutes. Et je ne les voyais pas parce qu'elles n'y étaient pas : ce qui apparaissait, c'était seulement la coagulation des protéines.

A l'analyse, il m'est apparu qu'il n'y a pas une seule protéine (je parle d'une catégorie de molécules, et non pas de molécules) dans le blanc d'oeuf, mais plusieurs (environ 300 pour le blancs) et que chacune a une température de dénaturation particulière.

De sorte que j'arrivais à cette prévision : si l'on cuit un œuf à 61 degrés pendant plusieurs heures il restera liquide. Mais dès que l'on dépassera  62 degrés,  alors des transformations peuvent survenir et une première coagulation doit s'observer ; puis si on chauffe davantage, par exemple à 70 degrés, alors une deuxième coagulation sera visible et un changement apparaîtra, et ainsi de suite.

C'est la raison pour laquelle j'ai alors mis des œufs dans des fours à 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, etc. Et effectivement l'œuf à 65 degrés était tout à fait extraordinaire parce que le blanc était pris, laiteux, très tendre, tandis que le jaune restait liquide avec son goût remarquable de jaune d'œuf cru.

C'est cet oeuf à 65 degrés que j'ai nommé "oeuf parfait".

Les oeufs produits  aux autres températures n'ont pas démérité, et ils sont intéressants dans différents contextes culinaires, mais ce ne sont pas des "œufs parfaits".

D'ailleurs, le mot parfait est très contestable puisque personnellement je préfère plutôt l'œuf à 66 ou 67 degrés et que, de surcroît, nos goûts peuvent changer selon les minutes de sorte que l'oeuf qui serait pour nous parfait un jour pourrait ne pas l'être le lendemain.

Mais qu'importe, le nom d'oeuf parfait a été donné à l'œuf à 65 degrés, et pas aux autres. Et je m'amuse d'ailleurs de le voir aujourd'hui surnommé œuf moléculaire.

Pourquoi pas, puisque cet œuf est effectivement advenu grâce à des matériels culinaires perfectionnés, venu du laboratoire, tels les thermo-circulateurs, et que la cuisine moléculaire correspond très justement à cette technique culinaire qui se fait avec des matériels venus des laboratoires.

En tout cas, ce n'est pas difficile à faire : on prend un œuf, on le met dans un four et l'on chauffe à 65 degrés pendant un temps qui dépend de la taille de l'oeuf, mais que l'on choisira d'une heure ou plus.
Bon appétit

mercredi 11 octobre 2023

Cette fois, c'est pour les étudiants qui ont du mal à calculer


 

L'expérience de très nombreux stages au laboratoire m'a montré que beaucoup de nos jeunes amis ont du mal à calculer. Pas tous bien sur, mais beaucoup, de sorte qu'il faut les aider. Il n'est pas nécessaire de les traîner dans la boue, et il vaut mieux être efficace, et leur donner des conseils faciles à mettre en œuvre. 

Ici je m'aperçois que notre groupe de gastronomie moléculaire a déjà publié (sur les Cours en ligne d'AgroParisTech) un document intitulé « Comment calculer », mais il rentre dans les détails, et je propose d'abord quelques règles simples, faciles à appliquer. 

Ces règles sont les suivantes : avec des schémas, décrire les étapes de l'expérimentation que l'on veut décrire par le calcul puis, ces schémas étant faits, on produira une structure de calcul, ce qui est particulièrement facile avec un logiciel de comme Maple (comment des enseignants de science peuvent-ils laisser les étudiants utiliser des logiciels aussi minables qu'Excel, ou ses versions libres ?) à ce stade, on introduit des symboles pour désigner les quantités qui doivent figurer dans le calcul souvent, ces symboles seront indicés, mais sans complication exagérée, et de façon systématique enfin, on calculera en langue naturelle, ce qui veut dire que l'on ne calculera pas, mais on décrira les opérations en langue naturelle, et c'est seulement en fin de travail que l'on traduira les phrases en équations enfin, on ne mélangera jamais quantités littérales et quantités numériques ! C'est seulement en fin de calcul que l'on fera une application numérique et une seule. 

Dans le document détaillé, on trouvera bien d'autres précisions, mais ce sont des précisions, et je propose ici une première approche. 

 

Considérons un exemple pour fixer les idées : la préparation d'une solution fille à partir de deux solutions mères, faites d'un soluté particulier dans chaque cas, et d'un solvant. Commençons donc par la mise en œuvre de la première règle : faire un schéma. 

Ce schémas étant fait, nous voyons qu'il est maintenant facile de structurer le calcul : il y aura d'abord les calculs relatifs aux solutions mères, puis le prélèvement à partir de ces solutions, et le mélange de ces quantités pour faire la solution fille. 

Avec le logiciel Maple, il s'agit d'utiliser des « sections » pour structurer le calcul. Toutefois, on voit vite que dans les sections, il faut diviser, on doit utiliser des sous-sections, puisqu'il y a deux solutions filles. 

Et c'est ainsi que se structure le calcul, très simplement. 

Cela fait on reprend le schéma et l'on introduit des symboles, pour désigner des quantités avec lesquelles ont veut calculer : masses de solutés, masses de solvant... Là, puisqu'il s'agit de masses, la lettre M s'impose, ou m. 

Mais puisqu'il y a plusieurs étapes, numérotons-les : 1, 2, 3... A chaque étape, il y a plusieurs solutions possibles que nous pouvons numéroter, et pour chaque solution, on pourrait continuer les numérotations. Il faut absolument éviter de faire des indices d'indices, et encore plus des indices d'indices d'indices. Il faut penser en termes d'algèbre linéaire, car il sera facile alors de calculer à l'aide de cette algèbre... que des logiciels comme Maple manipulent très bien. 

Soyons donc systématiques et simples. 

Quand ces quantités auront été élaborées, décrivons les opérations en langue naturelle, en français si l'on est français, et en anglais si l'on est anglais. 

Là, tout est simple, puisque l'on parle, et qu'on ne calcule pas. Le risque de se tromper est faible. C'est seulement quand tout aura été écrit que l'on transcrira en équations... qui seront justes. 

Ensuite, le calcul sera presque fait, et une fois que l'on aura obtenu l'équation finale, on passera à une dernière étape, dans une section séparée, qui sera l'application numérique. 

 

On voit donc là quelque chose de très simple et je connais bien peu de collègues qui utilisent une autre méthode. 

 

Il est donc indispensable de la donner aux étudiants. Explicitement. 

 

 

Post-scriptum : comment faire un schéma  ? Dans ce qui précède, j'ai conseillé de faire des schémas, pour aboutir à des calculs qui soient justes, mais la question s'est posée : comment faire un schéma ? Ici, je propose une méthode qui consiste à faire le gros d'abord, et le détail ensuite. Prenons un exemple, à savoir la description de la préparation d'une solution. Il suffit de décrire les opérations en langue naturelle : « on prend un bécher, on ajoute un solvant, on ajoute un soluté ». On pourrait décrire les étapes successives de cette opération, mais on résume tout cela en seule une image, avec un rectangle pour le bécher, un trait à mi hauteur pour limiter le solvant, et de petites croix dans le rectangle ainsi délimité pour représenter le soluté. Comment dessiner, finalement ? Il suffit de parler assez lentement et de se focaliser sur chaque mot qui a été dit pour faire la représentation. La méthode fonctionne très bien pour des descriptions macroscopiques, mais tout va bien, aussi, pour des descriptions microscopiques, telle la confection d'une mousse. Dans une mousse, on disperse des bulles de gaz dans un liquide. Pour le schéma, on représentera les bulles par de petits cercles, puisque ces dernières peuvent être réduites à un rayon. Pas de couleurs inutiles, bien sûr, sauf si le logiciel de dessin le propose : ne perdons pas de temps à cela, et focalisons nous sur les choses essentielles, le véritable contenu.

mardi 10 octobre 2023

Quand le vert des feuilles change presque de jour en jour...

 Le printemps est le moment où l'on s'aperçoit que le vert change, le moment où nous prêtons attention à ces changement, parce que le vert apparaît sur des branches jusque là dénudées. 

Puis l'été est le moment où l'on voit que le vert des feuilles change, parce que le chaud alterne avec l'humide. 

Et l'automne est le moment où l'on s'intéresse à la couleur des feuilles, parce que le vert cède la place à d'autres teintes. 

 

En réalité, le vert des feuilles change sans cesse, comme l'analyse suivante permet de le comprendre. Le vert des feuilles, c'est leur contenu en pigments que sont les chlorophylles et les caroténoïdes, notamment. Pour certains feuillages, il peut y avoir aussi des composés phénoliques, mais le raisonnement serait le même que celui que nous allons faire. 

 

Chlorophylles et caroténoïdes, donc. Dans les feuillages, les chlorophylles sont les chlorophylles a, a', b, b', et les caroténoïdes ont pour nom carotène, lutéine, violaxanthine... Chacun de ces composés a un spectre d'absorption particulier, ce qui signifie qu'il absorbe des rayonnements particuliers du spectre de la lumière visible. La lumière du jour arrive donc sur la feuille ; une partie est absorbée et le reste est réfléchi. Plus les pigments sont nombreux, et plus leurs absorptions sont différentes, plus la feuille paraît sombre. 

Imaginons que les feuilles ne contiennent que la chlorophylle a : on aurait une certaine couleur. Puis imaginons que les feuilles contiennent de la chlorophylle a et du carotène bêta : la couleur serait différente. Or les feuilles qui croissent synthétisent les pigments, mais elles ne les synthétisent pas tous à la même vitesse, parce que les voies métaboliques sont différentes pour les divers pigments. La proportion de chlorophylle a, par exemple, change avec le temps, de sorte que la couleur change, puisque tout est affaire de proportion. 

Et voilà pourquoi il n'est pas étonnant que la couleur des feuilles change avec les jours qui passent, du premier jour où elles apparaissent, jusqu'au jour où elles tomberont. J'ai dit « il n'est pas étonnant », mais je me reprends, car une telle expression banalise le phénomène, qui est bien mystérieux et merveilleux pour qui n'est pas chimiste. Au contraire, ces changements de couleur sont très étonnants ! La preuve : il a fallu que les sciences viennent donner l'analyse précédente pour que l'on y voie plus clair. Sans les éclaircissements des sciences, les mystères tels que les verts changeants des feuillages sont de ceux qui ont conduit l'humanité à imaginer des dieux, des elfes, des lutins, des feux follets. 

Naguère, ce type de phénomène appelait des puissances imaginaires, et chacun pouvait ajouter sa voix à la grande cacophonie publique des mythes, des légendes. Aujourd'hui la chimie physique a-t-elle mis fin à cet « enchantement » ? Je ne crois pas, car la théorie scientifique, bien plus fiable que l'imagination, est toujours « insuffisante » par principe (faut-il dire « incomplète » ?), de sorte que, jour après jour, notre compréhension du monde s'embellit. Ce serait une erreur de croire que la chimie physique de la couleur des feuilles ait dit son dernier mot, au contraire. La science n'a pas de fin parce qu'elle perfectionne à l'infini ses théories, ses explications, qu'elle améliore ses mécanismes, en vue de produire un discours toujours plus approprié. Il est là, l'enchantement du monde. Et puis, il faut quand même s'étonner de ces synthèses différentielles des chlorophylles et des caroténoïdes. Il y a de quoi s'émerveiller de la constitution moléculaire des molécules de ces composés qui absorbent la lumière visible. 

Les chlorophylles ? Des molécules qui sont construites autour d'un noyau « tétrapyrrolique », avec des atomes qui forment une sorte de « plaquette », et un atome de magnésium au centre, des électrons étant répartis (on dit « délocalisés ») sur tout le plan du noyau. 

Les caroténoïdes ? Des molécules également remarquables, mais différemment : elles ont un long squelette fait d'atomes de carbone, avec des liaisons simples et des liaisons doubles qui alternent, ce qui permet, à nouveau, la délocalisation des électrons, laquelle permet l'absorption de la lumière visible. 

Dans les deux cas, il y a un mécanisme analogue, et très remarquable. Ordinairement, quand il n'y a pas de délocalisation des électrons, les molécules n'absorbent que des rayonnements très énergétiques, ultraviolets par exemple. En revanche, quand les électrons de doubles liaisons sont ainsi délocalisés, ils sont moins « tenus » par le squelette moléculaire, et interagissent plus facilement avec les rayonnements, de sorte qu'ils peuvent absorber ces derniers, avant de revenir à l'état initial, souvent par réémission de rayonnement invisible, infrarouge par exemple. 

Je m'arrête là : j'avais juste esquissé la suite du récit afin de montrer qu'il y a lieu de s'étonner chaque seconde... de la couleur changeante du vert des feuilles.

samedi 7 octobre 2023

Les sciences quantitatives peuvent-elles ne pas être quantitatives ?

 
Lors d'une discussion avec des membres du comité éditorial d'une revue, à propos d'une proposition d'article où je discutais l'importance des équations en vulgarisation, afin d'éviter que la science ne verse dans le dogme, je me suis attiré cette question : « Tout cela est très bien, mais ne peut on imaginer des sciences où le calcul soit absent ? » 

La réponse est simple : il y a des sciences de plusieurs sortes, si l'on nomme sciences des savoirs, mais les sciences quantitatives, les sciences dites « de la nature », celles qui sont fondées sur le calcul, se distinguent des sciences non quantitatives, celles qui ne sont pas fondées sur le calcul. 

C'est une sorte d'évidence absolue, de principe, à laquelle aucune discussion ne permettra d'échapper. 

Et les sciences quantitatives sont ... quantitatives, bien sûr ! 

La physique est-elle une science quantitative ? La réponse est évidemment oui. La chimie ? Ailleurs, j'ai discuté de la question de la nature de l'activité nommée « chimie », et j'ai montré que la chimie est une science, qui ne se confond pas avec ses applications. Elle est parfaitement quantitative. 

Passons à la biologie. Là, les choses sont plus difficiles, notamment parce que le poids de l’histoire est bien présent encore, et notamment cette opposition entre une biologie de classement, de taxonomie, et une biologie dite « moléculaire », ce qui a fait dire que la biologie moderne est la plus belle OPA de la chimie.
Oui, quand on considère les gènes et leurs produits, on considère des objets moléculaires, et l'analyse de ces objets ou de leurs relations est une activité de chimie physique. Bien sûr, on peut se limiter à chercher des corrélations entre des effets observés dans certaines expériences et la présence de bio-composés, tout comme cela s'est fait longtemps en chimie organique, quand cette dernière manquait des outils conceptuels et devait se réfugier dans la mise en œuvre de réactions, ce qui l'a fait critiquer par cette expression : « méthyle, éthyle, butyle... futile ». 

Expliquons : on critiquait les chimistes organiciens, parce que, ne mettant pas de calculs en oeuvre, ils mettaient en oeuvre toutes les réactions imaginables, éventuellement systématiquement, en partant de groupes très simples comme le groupe méthyle, avec un atome de carbone et trois atomes d'hydrogène, puis le groupe éthyle, avec deux atomes de carbone et cinq atomes d'hydrogène, puis avec le groupe butyle, etc.
Aujourd'hui la chimie organique a considérablement évolué, en mettant en oeuvre des méthodes les plus modernes du calcul, et il n'est pas anodin que le chimiste américano-strasbourgeois Martin Karplus ait été récemment couronné du prix Nobel pour ses méthodes informatiques de description et de prévision des réactions intermoléculaires ! 

Pour être honnête, la biologie la plus moderne fait également usage de tels outils, et l'on ne saurait omettre de signaler, à ceux qui craignent naïvement les pesticides, que certains laboratoires disposent de modèles informatiques des cellules, avec lesquels ils cherchent à prévoir, sans les fabriquer, les effets de principes actifs nouveaux, afin de traiter les plantes, de façon plus efficace et plus spécifique qu'avec le purin d'ortie;-). 

Modèle ? Il s'agit de programmes d'ordinateur où les différents composés de la cellule sont décrits, ainsi que leurs relations. Imaginons une sorte d'immense réseau, une sorte de filet de pécheur, avec des noeuds et des brins entre les nœuds. Les nœuds représentent les composés, et les fils leurs relations. Ces réseaux sont « quantitatifs », et il existe de tels mod

èles qui prennent en compte des dizaines de milliers d'objets. Quantitativement ! Bref, la biologie moderne est quantitative, et elle met en œuvre du calcul. 

 

Reste la question qui fâche : celle de la médecine, que mes interlocuteurs m'ont invité à considérer. Là, prudent, je renvoie vers Claude Bernard, qui a énoncé que la médecine était une technique, dont la technologie était la recherche clinique et dont la science était la physiologie. Selon Claude Bernard, la médecine n'est donc pas une science quantitative, puisque, comme la chimie, ce n'est pas une science, mais une technique.

vendredi 6 octobre 2023

Pourquoi il n'y a pas d'acides gras dans l'huile, pourquoi il n'y a pas d'acide aminé dans les protéines

 Pourquoi il n'y a pas d'acides gras dans l'huile ? pourquoi il n'y a pas d'acide aminé dans les protéines ?
Le monde des médias, comme celui de la publicité, ne cesse de nous parler d'acides gras, pour les huiles. Il y aurait des acides gras saturés, des acides gras insaturés, des « oméga trois », des « oméga six », certains seraient mauvais pour la santé, et d'autres bons... de sorte qu'il faudrait évidemment acheter ces derniers, et ceux-là seulement. 

 

Pourtant, il n'y a pas d'acides gras dans l'huile ! 

 

Expliquons calmement, en partant de quelque chose de simple : la synthèse de molécules d'eau, à partir de molécules de dioxygène et de dihydrogène. A l'aide d'une étincelle ou d'un catalyseur, on obtient le réarrangement des atomes ces molécules, et la formation de molécules d'eau, qui comportent chacune un atome d'oxygène lié à deux atomes d'hydrogènes. Regardons bien : dans les molécules d'eau, il n'y a plus de molécules de dioxygène, ni de molécules de dihydrogène.  Ainsi, lors d'une réaction, tous les atomes initiaux sont réorganisés, de sorte que les composés initiaux n'existent plus. 

Passons aux « triglycérides », qui sont les composés présents dans les matières grasses alimentaires, et en tout dans les huiles. Ces triglycérides ont une structure  faite de trois tentacules souples attaché à un "corps".  Un chimiste qui observe la molécule retrouve, certes, des groupes d'atomes qui font presque des acides gras, mais des atomes sont absents. Et c'est la raison pour laquelle on parle -on doit parler- de "résidus d'acides gras". 

Pourquoi ? Parce que si l'on synthétisait ces molécules de triglycérides à  partir d'acides gras et de glycérol,  des atomes d'hydrogène et d'oxygène seraient perdus, et ils formeraient des molécules d'eau, de sorte que le glycérol et les acides gras ne seraient plus présents, mais sous la forme de "résidus". 

D'ailleurs, on peut aussi procéder d'innombrables façons différentes. Quant à dégrader la molécules, cela peut, également, se faire de tas de façons différentes. Bref, il n'y a pas de glycérol et d'acides gras dans l'huile, mais seulement des triglycérides.