samedi 7 octobre 2023

Les sciences quantitatives peuvent-elles ne pas être quantitatives ?

 
Lors d'une discussion avec des membres du comité éditorial d'une revue, à propos d'une proposition d'article où je discutais l'importance des équations en vulgarisation, afin d'éviter que la science ne verse dans le dogme, je me suis attiré cette question : « Tout cela est très bien, mais ne peut on imaginer des sciences où le calcul soit absent ? » 

La réponse est simple : il y a des sciences de plusieurs sortes, si l'on nomme sciences des savoirs, mais les sciences quantitatives, les sciences dites « de la nature », celles qui sont fondées sur le calcul, se distinguent des sciences non quantitatives, celles qui ne sont pas fondées sur le calcul. 

C'est une sorte d'évidence absolue, de principe, à laquelle aucune discussion ne permettra d'échapper. 

Et les sciences quantitatives sont ... quantitatives, bien sûr ! 

La physique est-elle une science quantitative ? La réponse est évidemment oui. La chimie ? Ailleurs, j'ai discuté de la question de la nature de l'activité nommée « chimie », et j'ai montré que la chimie est une science, qui ne se confond pas avec ses applications. Elle est parfaitement quantitative. 

Passons à la biologie. Là, les choses sont plus difficiles, notamment parce que le poids de l’histoire est bien présent encore, et notamment cette opposition entre une biologie de classement, de taxonomie, et une biologie dite « moléculaire », ce qui a fait dire que la biologie moderne est la plus belle OPA de la chimie.
Oui, quand on considère les gènes et leurs produits, on considère des objets moléculaires, et l'analyse de ces objets ou de leurs relations est une activité de chimie physique. Bien sûr, on peut se limiter à chercher des corrélations entre des effets observés dans certaines expériences et la présence de bio-composés, tout comme cela s'est fait longtemps en chimie organique, quand cette dernière manquait des outils conceptuels et devait se réfugier dans la mise en œuvre de réactions, ce qui l'a fait critiquer par cette expression : « méthyle, éthyle, butyle... futile ». 

Expliquons : on critiquait les chimistes organiciens, parce que, ne mettant pas de calculs en oeuvre, ils mettaient en oeuvre toutes les réactions imaginables, éventuellement systématiquement, en partant de groupes très simples comme le groupe méthyle, avec un atome de carbone et trois atomes d'hydrogène, puis le groupe éthyle, avec deux atomes de carbone et cinq atomes d'hydrogène, puis avec le groupe butyle, etc.
Aujourd'hui la chimie organique a considérablement évolué, en mettant en oeuvre des méthodes les plus modernes du calcul, et il n'est pas anodin que le chimiste américano-strasbourgeois Martin Karplus ait été récemment couronné du prix Nobel pour ses méthodes informatiques de description et de prévision des réactions intermoléculaires ! 

Pour être honnête, la biologie la plus moderne fait également usage de tels outils, et l'on ne saurait omettre de signaler, à ceux qui craignent naïvement les pesticides, que certains laboratoires disposent de modèles informatiques des cellules, avec lesquels ils cherchent à prévoir, sans les fabriquer, les effets de principes actifs nouveaux, afin de traiter les plantes, de façon plus efficace et plus spécifique qu'avec le purin d'ortie;-). 

Modèle ? Il s'agit de programmes d'ordinateur où les différents composés de la cellule sont décrits, ainsi que leurs relations. Imaginons une sorte d'immense réseau, une sorte de filet de pécheur, avec des noeuds et des brins entre les nœuds. Les nœuds représentent les composés, et les fils leurs relations. Ces réseaux sont « quantitatifs », et il existe de tels mod

èles qui prennent en compte des dizaines de milliers d'objets. Quantitativement ! Bref, la biologie moderne est quantitative, et elle met en œuvre du calcul. 

 

Reste la question qui fâche : celle de la médecine, que mes interlocuteurs m'ont invité à considérer. Là, prudent, je renvoie vers Claude Bernard, qui a énoncé que la médecine était une technique, dont la technologie était la recherche clinique et dont la science était la physiologie. Selon Claude Bernard, la médecine n'est donc pas une science quantitative, puisque, comme la chimie, ce n'est pas une science, mais une technique.

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