En 1994, quand j'ai eu l'idée de la cuisine de synthèse, je m'étais dit que j'étais fou. Et j'en ai eu confirmation quand a été publié l'article où je présentais cela, internationalement, dans l'ensemble des éditions de la revue Scientific American.
Puis, en 1999, voyant les craintes du public face au possible Bug de l'An 2000, j'ai cessé de présenter cette idée, jusqu'en 2006, quand je me suis dit que ce n'était pas au public de décider ce qui est juste. Mais, pour ne pas brusquer, j'ai surnommé cela "cuisine note à note", avec une référence artistique à la musique.
Et c'est sous ce nom qu'a été publié mon livre où je présente la cuisine de synthèse, sous ce nom que Pierre Gagnaire a servi (à Hong Kong) un plat que je l'avais aidé à composer, sous ce nom que cette cuisine s'est développée depuis.
Les mentalités ayant changé, on peut avancer, aujourd'hui.
Et c'est ainsi que je vois maintenant la distinction :
- par "cuisine de synthèse", on désigne cette technique qui consiste à produire des plats à partir d'ingrédients qui ne sont plus les ingrédients classiques (fruits, légumes, viandes, poissons, etc.) mais plutôt des composés : eau, cellulose, pectines, sucres, protéines, lipides, etc.)
- par "cuisine note à note", on désigne le courant artistique qui consiste à utiliser cette technique.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 11 septembre 2023
Changement de nom pour la cuisine note à note
dimanche 10 septembre 2023
La cuisson du poisson
Mon goût quasi immodéré pour le poisson aurait dû depuis longtemps me faire aborder ce sujet. Pourtant, je ne sais pas vraiment pourquoi, je tourne toujours autour de la question des œufs, des légumes et des viandes, comme prototype d'explication de la cuisson.
Du point de vue de la pédagogie, de l'explication, il est bon de situer l'étendue des variations entre le blanc d'oeuf et la viande. Le blanc d'oeuf, c'est le système le plus simple, puisqu'il est composé de 90 pour cent d'eau, de 10 pour cent de protéines, avec une structure réduite au minimum.
A l'opposé, la viande la plus dure est faite de fibres, à l'intérieur desquelles se trouve une matière analogue au blanc d'oeuf (pour l'explication, tout du moins), fibres dont l'enveloppe est un tissu collagénique, et qui sont réunies en faisceaux par du tissu collagénique.
Autrement dit, dans la viande, il y a deux composantes : du blanc d'oeuf et du tissu collagénique.
Le poisson est intermédiaire, car c'est du tissu musculaire, comme la viande, mais la quantité de tissu collagénique est faible. Autrement dit, il y a une structure qui s'apparente à du blanc d'oeuf fibreux, ou, plus exactement, du blanc d'oeuf intégré dans des fibres. Lors de la cuisson du poisson, il y a donc la coagulation de l'intérieur des fibres, et la séparation de ces dernières, séparation facile puisque le tissu collagénique est en faible quantité.
En conséquence, la cuisson durcira le poisson, plutôt qu'elle ne l'attendrira dans le cas des viandes dures. Le durcissement sera dû à la coagulation de l'intérieur des fbires, et l'on comprend qu'on n'aura guère intérêt à beaucoup prolonger la cuisson... à cela près que les voies artistiques sont impénétrables.
Contrairement aux viandes, la chair du poisson n'est pas bien rouge, mais il demeure vrai que la chair peut perdre sa transparence par le même type de mécanismes que dans la viande. La cuisson basse température pour le poisson ? Si l'on entend par « cuisson basse température » une cuisson à basse température de longue durée, généralement appliquée aux viandes en vue de dissoudre le collagène, ce procédé n'a guère d'intérêt. En revanche, si l'on entend la maîtrise de la température de cuisson appliquée à l'ensemble de la pièce en vue de commander une consistance particulière, alors les mêmes remarques que pour l'oeuf s'appliquent, et c'est ainsi que l'on envisagera des cuissons à 6X degrés, abréviation qui signifie 61, 62, 63, 64, etc.
J'ai donc eu tort de négliger la cuisson du poisson, car, comme pour les œufs, une grande variété de résultats est accessible. Comme quoi il n'est pas bon de confondre communication et contenu. j''ai souvent utilisé l'oeuf comme support de communication, afin d'expliquer les transformations moléculaires qui survenaient lors du chauffage d'un mélange d'eau et de protéines, mais le contenu, c' est autre chose : il s'agit d'obtenir des résultats particuliers.
Mea culpa, cet exemple me montre que je dois maintenant examiner plus en détail de nombreux sujets que j'ai négligés par le passé, et y mettre un peu d'intelligence, afin de partager avec mes amis des contenus qui en valent la peine.
Participer aux Séminaires de gastronomie moléculaire
A la question suivante :
Je donne la réponse :
Bonjour et merci de votre message
Les séminaires se tiennent au Lycée Guillaume Tirel, à Paris, avec parfois la possibilité de les suivre en visio (quand je parviens à établir la connexion).
Le planning est donné en fin de comptes rendus :
20 septembre
19 octobre
16 novembre
20 décembre
17 janvier
28 février
20 mars
17 avril
15 mai
19 juin
Et le thème du prochain sera "les fumets de poisson".
Les thèmes sont choisis par les participants d'une fois sur l'autre.
L'inscription est faite, et vous pourrez vous désabonner vous-même à tout moment si vous le souhaitez.
Pour le site où tout est réuni, c'est celui du Centre International de gastronomie moléculaire et physique INRAE-AgroParisTech : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais
Et plus spécifiquement pour les séminaires : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/seminaires
Bon dimanche
samedi 9 septembre 2023
Analysons nos bonheurs collectif, sociaux.
Cela fait plusieurs années que je m'étonne que, si l'on pose un disque rouge dans le ciel, mes congénères et moi-même nous exclamons : « Oh, c'est beau ! ».
Manifestement, puisqu'un disque rouge n'est qu'un disque rouge (pourquoi n'en afficherais-je pas sur l'écran de mon ordinateur ?), nous devons interpréter ce phénomène - social ou biologique- et nous demander pourquoi nous avons tous cette réaction.
Je propose de ne pas oublier que nous sommes codés par la longue évolution qui a forgé l'espèce humaine. Si « c'est beau », c'est sans doute qu'il y a là un indice important, en relation avec les proies, les prédateurs, le développement de l'organisme, la reproduction, la socialité...
Il y a quelques décennies, la sociobiologie, qui voulait interpréter les faits sociaux en termes biologiques, a été largement attaquée par des individus qui récusaient que l'humain soit réduit à des instincts animaux. Oui, nous n'aimons pas être de simples animaux... mais n'avons-nous pas comme eux, bestialement donc, faim, soif, envie d'uriner, ne respirons-nous pas de façon automatique, et notre marche n'est-elle pas automatique, sans compter notre cœur qui bat parce qu'une synchronisation électrique se fait bien ? Pour notre fonctionnement physique, pas de miracle nécessaire, mais la question se pose surtout pour notre fonctionnement intellectuel, moral...
La biologie de l'évolution s'oppose ainsi puissamment aux idées religieuses quand elles sont trop littérales, et il n'est pas étonnant que les religions combattent la théorie de l'évolution.
Quittons donc ce terrain terrible, et réfugions-nous très vite dans l'examen du monde : quels autres phénomènes relèvent-ils du même type de mécanismes que notre jugement de la beauté d'un simple disque rouge ?
Tout d'abord, nos congénères se regroupent dans des villes. Ce fait est étonnant, puisque tous déclarent aimer la nature. Il y a donc dans cette attirance des villes un puissant aimant, qui ne peut être que biologique ! La sociabilité est un comportement, sélectionné, qui conduit notre organisme à nous faire sentir que nous sommes bien en société. Aucun argument de mauvaise foi n'est nécessaire. En réalité, l'instinct grégaire est fondé sur hormones, neuromédiateurs, tout aussi biologiques que la faim, la soif...
On l'a trop peu dit : nous sommes une espèce sociale, et cette socialité, qui a été sélectionnée par l'évolution, qui a fait le succès évolutif de notre espèce, ne cesse de nous influencer par des mécanismes biologiques. Pas d''étincelle venue du ciel, là encore.
Le goût pour la nature ? Il est fréquent chez nos congénères (les Japonais ont même le concept de « bain de forêt », qui fait le pendant des bains de soleil), et il est amusant de voir qu'il s'oppose à cet attrait pour les villes qui ne laisse quel quelques pour cent de notre société à la campagne. Mettre les villes à la campagne : voilà une merveilleuse contradiction de l’espèce humaine, qui est équipée de mécanismes favorisant la sociabilité, mais, en même temps, est équipée d'un goût pour la nature, ce qui s'interprète sans doute en termes de proies, prédateurs, reproduction, etc.
Dans notre alimentation, aussi, nous sommes tiraillés entre le désir biologiquement inconscient de ne manger que ce que nous connaissons, et donc de manger toujours la même chose, et cette omnivorité, qui a sans doute contribué au succès de notre espèce, parce qu'elle nous permet de manger de tout, et donc d'éviter de mourir en cas de pénurie de l'aliment unique dont nous nourririons. Là encore, l'évolution a fait la biologie qui nous tiraille.
Quels autres mécanismes observez-vous, de ce type ?
Faisons grandir la cuisine française... en travaillant, et pas en nous plaignant
Des auteurs d'un livre consacré au déclin présumé de la "gastronomie française" disent à un journaliste qu'il aurait publié des commentaires désobligeants de ma part... mais c'est troublant : le journaliste en question vient de me dire au téléphone qu'il n'a pas
connaissance d'un interview à propos de leur livre, un livre que je ne
connais pas, que je n'ai pas lu.
The results of the 11th International Contest for Note by Note Cooking
2e Shivani Abensour (HEC), The ugly apple
3. Léa Bellot, Clémentine Hong, Angèle Guéguen, La vie en rose
Thanks to the Jury (Chef Jean-Pierre Lepeltier, Chef Patrick Terrien, Chef Philippe Clergue) and the Partners (Sandrine Kault-Perrin from Louis François SA, and Dao Nguyen and Pasquale Altomonte, both from Kitchen Laboratory)
vendredi 8 septembre 2023
Pour nos confitures, attention à la qualité de l'eau
Attention à la qualité de l'eau : par « qualité », je ne veux pas indiquer que l'eau serait ou non pleine de composés toxiques, parce que je crois, au contraire, que jamais notre eau n'a été si bonne (pour rien au monde, je n'aurais voulu vivre à une époque - ce prétendu âge d'or qui n'a jamais existé- où les tanneurs polluaient les cours d'eau, sans parler d'une qualité microbiologique redoutable, qui tue encore aujourd'hui dans des pays d'Afrique).
Non, je voulais seulement discuter le contenu en « ions » des eaux, car c'est un fait que les eaux ont du goût, et que ce goût est dû aux ions : sodium, potassium, calcium, chlorures, sulfates, nitrates...
Mieux encore, des eaux très peu minéralisées, c'est-à-dire contenant peu d'ions, ont un goût un peu désagréable, savonneux. Donc les eaux contiennent des ions.
Et cela a des conséquences en cuisine, comme on s'en aperçoit si l'on fait un nappage de gâteau. Soit donc un gâteau dont on veut rendre la couche supérieure brillante et lisse, à l'aide d'une confiture que l'on détend avec de l'eau. La confiture ayant été chauffée, le gel se sera défait, et il faudra que, au refroidissement, le gel se reforme, sur le dessus du gâteau, mais en faisant une couche plus délicate qu'une confiture, d'où l'ajout d'eau. J'ai déjà rencontré un cas où l'ajout d'une eau très pure, très peu minéralisée, a eu pour conséquence que le gel ne reprenait pas, restait liquide.
A l'analyse, ce n'était pas une question de concentration en pectines, ces composés qui sont extraits des fruits lors de la cuisson des fruits avec du sucre, et forment l'échafaudage du gel. La question n’était pas non plus une concentration insuffisante en sucre, ce qui aurait pu être le cas, car le sucre favorise l'association des pectines, et la formation de l'échafaudage.
Non, la vraie raison était l'absence d'ions calcium, présents dans beaucoup d'eaux et qui contribuent également à lier entre elles des molécules de pectines. Le choix d'utiliser une eau très peu, très peu minéralisée, avec très peu d'ions calcium, était responsable de l'absence de prise en gel. Avec la même confiture de base, la même quantité de sucre, le remplacement de cette eau par une eau plus calcaire a résolu la question.
A ce stade, un schéma général s'impose. Commençons par imaginer que l'on mette des fruits et du sucre dans une casserole, et que l'on chauffe. L'échauffement dégrade les fruits, ce qui signifie que les « sacs » jointifs qui constituent les fruits (ces "sacs" sont les cellules) se détachent les uns des autres, crèvent, libérant leur contenu (le bon jus) dans la casserole. Cette séparation des cellules résulte en réalité de la dégradation du « ciment » qui tient les cellules jointives : ce ciment est fait de « piliers » de cellulose et de « cordages » qui lient les piliers. Ces cordages ne sont pas de la corde, mais des molécules de pectines. Quand on chauffe les fruits dans le sucre, les molécules de pectine se désentortillent des piliers de cellulose et elles vont se répartir dans le liquide : les molécules de pectines restent séparées. Toutefois, quand la confiture refroidit, les molécules de pectine se réassocient, formant un réseau qui piège l'eau : c'est un gel. Les ions calcium contribuent à relier les molécules de pectine, et donc à raffermir le gel, et, parfois, le gel ne prend pas quand les ions calcium sont en quantités insuffisantes...
Mais à ce stade, le billet devient long, et je propose trois suites, pour examiner les trois facteurs : l'influence de l'acidité, l'influence des ions, l'influence du sucre.