On m'interroge à propos d'une "mousse tomate datte". Comment produire un tel plat ?
En réalité, il y a d'innombrables façons d'y arriver, la première étant, par exemple, de cuire des tomates avec des dattes, de broyer le tout, d'ajouter des protéines (par exemple de la poudre de blancs d'œufs) et de fouetter : on obtient une mousse.
Une autre technique consisterait à commencer par broyer les tomates avec les dates, éventuellement en cuisant, de filtrer pour récupérer un liquide, d'ajouter des protéines d'œufs ou bien un œuf entier, de mettre le liquide dans un siphon et de produire la mousse... car par parenthèse je rappelle que les siphons produisent des mousses et non pas des émulsions.
Il y a aussi la possibilité de faire une mousse, de blanc d'oeuf, de meringue italienne, de crème fouettée, par exemple, et d'ajouter ensuite les tomates et les dates.
Bien sûr, dans cet ordre de choses, on peut aussi bien faire un sabayon par exemple : bref il y a vraiment de très nombreuses façons de faire.
Car dans l'intitulé du plat, il y a seulement trois contraintes : avoir des tomates, qui en réalité sont constitués essentiellement d'eau, des dattes, qui sont un peu analogues, et des bulles de gaz, à savoir soit de l'air, soit du protoxyde d'azote (pour la majorité des cartouches de siphon)... soit du dioxyde de carbone (une autre cartouche d'un type particulier) auquel cas on peut avoir un petit pétillant agréable.
Dans tous les cas, il y a lieu d'utiliser des molécules qui vont stabiliser les bulles : les protéines de l'œuf par exemple, mais pourquoi pas des protéines extraites de la viande, ou de végétaux, ou du lait ? Et puis il y a aussi d'autres agents foisonnants de la famille des additifs.
Bref il y a d'innombrables façons d'obtenir une "mousse tomate datte".
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mercredi 6 septembre 2023
Une "mousse tomate dattes" ?
Des "perles aux herbes" ?
On me demande comment réaliser des perles aux herbes. Je ne sais pas ce à quoi pense la personne qui m'interroge, mais il y a de nombreuses façons d'obtenir des "perles aux herbes", la première étant d'utiliser des perles du Japon que l'on fait cuire dans une sauce avec des herbes : là, c'est le goût des herbes qui migrera dans les perles, qui prendront sans doute une légère couleur.
Mais quand on prononce devant moi le mot "perle", je pense évidemment à ces "perles d'alginate avec un cœur liquide" que j'avais introduite dans les années 1980 et que j'ai nommées des "degennes". Là, l'idée est de d'encapsuler le liquide qui contient les herbes éventuellement broyées dans des espèces de petites sphères analogues à des oeufs de saumon.
A cette fin, il faut utiliser de l'alginate de sodium et des ions calcium, car la réunion des deux produits engendre une gélification qui peut faire la peau des perles.
Il y a deux façons de faire, la façon directe ou la façon inverse. C'est-à-dire que l'on met soit le calcium dans une grande bassine d'eau et l'on met de l'alginate de sodium dans la sauce aux herbes, auquel cas on obtient des perles à coeur liquide qui risquent d'évoluer en billes gélifiées. Ou bien on dissout l'alginate de sodium dans l'eau, et l'on y ajoute des gouttes du liquide aux herbes additionné d'ions calcium. Et là, la structure est plus durable.
Bref tout ce n'est pas difficile, tout cela est bien classique, et la recette se trouve en ligne partout mais aussi dans le Handbook of Molecular Gastronomy, ainsi que sur mon site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/.
Avons-nous vraiment changé ?
Récemment, j'ai lu l'annonce d'une réunion merveilleuse : des enseignants s'interrogeaient pour savoir pourquoi les étudiants font leurs travaux au dernier moment.
Chacun sait que c'est une mauvaise méthode, qui conduit l'individu a manquer de temps, à faire l'impasse sur les matières pourtant importantes... Comment donc aider les étudiants à ne pas se retrouver à faire les travaux au dernier moment ?
Il y a évidemment plusieurs façons de répondre à cette question, mais il faut surtout se demander comment l'enseignement est organisé. Faut-il vraiment accumuler les heures de cours, afin de remplir les emplois du temps ? J'ai expliqué ailleurs pourquoi je crois que cette méthode est mauvaise, et pourquoi il vaut mieux des objectifs (compétences) bien identifiés, et je n'y reviens pas ici.
Toutefois, pardonnez-moi cette question impertinente : pourquoi les enseignants chercheurs eux-mêmes rendent-ils le plus souvent leurs travaux bien tardivement ? Pourquoi sont-ils « débordés » ?
Je n'arrive pas à penser que la question des étudiants soit entièrement déconnectée de celle des enseignants chercheurs, de sorte que, finalement, ce qui semblait être une bonne initiative paraît plutôt, à l'analyse, une façon de voir la paille dans l'oeil du voisin.
Chers collègues, pardonnez mon impertinence : j'ai du mal à oublier que les enseignants ont été des étudiants, d'autant que le chimiste Michel Eugène Chevreul, le père de la chimie des lipides, déclarait à l'âge de 100 ans qu'il était le doyen des étudiants de France !
mardi 5 septembre 2023
On m'interroge à propos d'une "émulsion vanille"
On m'interroge à propos d'une émulsion vanille : de quoi s'agirait-il ?
Je suis bien en peine de répondre... parce que je peux confectionner des milliards d'émulsions différentes, à la vanille.
Commençons simplement... pour lever une ambiguïté, ou, plus exactement, une confusion qui traîne dans beaucoup trop de cuisine : une émulsion, c'est une émulsion, et pas une mousse !
Oui, car une mousse, c'est la dispersion de bulles de gaz dans un liquide, tandis qu'une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans une solution aqueuse également liquide ; ou l'inverse, à savoir une dispersion de gouttelettes d'une solution aqueuse dans une matière grasse liquide.
Pour faire cette dispersion, dans tous les cas, il faut des composer dits tensioactifs, qui vont entourer les gouttelettes dispersées.
Un exemple ? Partons de blanc d'oeuf, qui est fait de molécules d'eau parmi lesquels sont dispersées des protéines du blanc d'oeuf. Ces protéines sont comme des pelotes et, quand les fouettes, elles se déroulent et elles font des fils.
Si l'on ajoute de l'huile tandis que l'on fouette du blanc d'oeuf, alors il y a certainement des bulles d'air qui s'introduisent dans le liquide, lequel mousse, foisonne, mais l'huile est simultanément émulsionnée, dispersée sous forme de gouttelettes dans le blanc d'oeuf, de sorte que l'on obtient un double système émulsion et mousse.
Si l'on ajoute beaucoup d'huile, la mousse va disparaître et il ne restera que l'émulsion, comme une crème, comme une mayonnaise, avec des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau. La préparation est très lisse, elle est blanche, elle n'a aucun goût... et c'est donc la possibilité de lui en donner !
Par exemple, si vous partez d'huile neutre, sans goût, que vous dans du blanc d'oeuf en fouettant, que vous obtenez donc cette émulsion que j'ai nommé un "geoffroy", vous pourrez ensuite ajouter du sucre, qui ira se dissoudre dans l'eau du blanc d'oeuf, et de la vanille qui ira parfumer le résultat : on aura donc fait ici un Geoffroy sucré à la vanille.
J'en profite pour dire que si vous passez ce produit au four à micro-ondes, les protéines du blanc d'oeuf vont assurer la coagulation et vous récupérez une sorte de flan sucré, avec un goût de vanille : c'est ce que j'ai nommé un gibbs, quand je l'ai inventé il y a fort longtemps.
On peut donc faire des geoffroy, on peut faire des gibbs, on peut faire ce que l'on veut à condition de comprendre ce que l'on fait.
Comment se comporter devant un examinateur ?
En ces temps de d'examens, aidons les candidats.
Je propose deux cas : celui où le candidat sait répondre à la question posée, et le cas où il ne sait pas.
S'il sait répondre, son cas est assez facilement réglé, mais attention à ne pas laisser une perle dans le fumier. C'est parce que l'on sait répondre que l'on prendra le plus grand soin à bien mettre en valeur la réponse. Par oral, on ira droit au but, sans hésitations. Par écrit, on ne manquera pas de soigner l'écriture, la mise en page, l'orthographe...
Si le candidat ne sait pas répondre, tout n'est pas perdu, car il y a toujours cette merveilleuse métaphore du taureau qui fonce quand on agit devant lui un torchon rouge. L'examinateur étant un enseignant, son but est de voir l'apprenant réussir à apprendre. Autrement dit, il faut lui montrer que l'on a appris, même si l'on n'a pas spécifiquement appris le point qu'il nous demande et que l'on ignore.
Un exemple ? Soit la question « Combien de cheveux sur ma tête ? ». Une mauvaise réponse est un « je ne sais pas », qui n'a que le mérite de l'honnêteté (2/20 ?). Une autre mauvaise réponse est « dix millions », parce que c'est du bluff idiot. Le mieux, c'est quand on analyse la question, qu'on la remâche. Des cheveux sur la tête ? Disons que les cheveux sont espacés de un millimètre, ce qui en fait 100 par centimètres carré. A raison d'une tête de 20 centimètres par 20 centimètres, cela fait 400 centimètres carrés, et l'on triplera pour considérer la nuque et les côtés, soit 1200 centimètres carrés, soit finalement 120000 cheveux. Là, l'ordre de grandeur est bon, et il faudrait être malintentionné pour récuser une telle réponse, surtout si elle est énoncée aimablement (autant être poli : cela ne coûte rien). D'accord, c'est un cas où l'on pouvait s'en tirer facilement.
Un autre ? Je donne ici la question que je pose en Master 2 de chimie analytique, pour le cours de spectroscopie de résonance magnétique nucléaire que je fais : soit un spectre de résonance magnétique nucléaire, avec une résonance de hauteur égale à 10 (unités arbitraires). Le bruit a une intensité de 1. Quelle partie de la résonance est perdue dans le bruit ?
Dans un tel cas, il faut « remâcher la question », c'est-à-dire la faire sienne, notamment par un schéma.
On voit ici une résonance et du bruit : une partie de la résonance se trouve effectivement dans le bruit. Toutefois un tel schéma mérite mieux : les examinateurs ont le réflexe de demander d'indiquer ce que sont les abscisses et les ordonnées. Alors autant commencer par mettre les axes, puis des libellés pour les deux axes. Souvent, alors, le problème est bien posé... et l'analyse conduit automatiquement à sa résolution. On commencera, par exemple, par considérer que c'est un problème général, qui se résout donc par des équations générales. La résonance ? Si l'on sait que les résonances de RMN sont des lorentziennes, de forme A/(B+x2), c'est tant mieux. Sinon, on écrira que la résonance est de la forme i=f(d), où i est l'intensité, et d le déplacement. Pour le bruit, on pourra considérer qu'il correspond à une bande entre i = 0 et i = e. Et l'on trouvera les intersection de la résonance en résolvant f(d)=e, ce qui conduira à deux valeurs d1 et d2. Enfin, on considérera des valeurs du signal avec les intégrales entre -∞ et d1, entre d1 et d2, puis entre d2 et +∞. Là, on le voit, il manque seulement les parties les plus mécaniques du calcul, mais l'idée y est.
Pourquoi l'examinateur ne s'en satisferait-il pas ? Après tout, on a cherché à vraiment résoudre la question, sans le prendre pour un imbécile comme si l'on avait énoncé des choses sues sans rapport avec la question. Bref, il y a une stratégie des réponses, et autant la considérer avec autant d'attention que les matières elles-mêmes, n'est-ce pas ?
L'eau étant l'ingrédient principal des aliments, il est naturel que la cuisson s'accompagne de son évaporation et cela a des conséquences.
Commençons par observer que l'eau fait l'essentiel des aliments : une laitue, c'est 99 % d'eau, une tomate c'est 95 %, une pomme ou une carotte c'est environ 80 %, une viande ou un poisson, c'est 70 %...
Bref les aliments sont surtout faits d'eau, et nous-même, également, étant faits de chair et d'os, comme la viande, sommes essentiellement faits d'eau : environ 70 %, avec 20 % de protéines et 10 % de matière grasse.
Voilà pourquoi, pour entretenir notre organisme, nous avons besoin d'eau, de protéines, de matière grasse et du reste.
Mais revenons à la cuisine. Quand on chauffe un corps, il n'est pas difficile de comprendre que ce corps s'échauffe, pour des raisons que nous ne considérons pas aujourd'hui.
Pensons simplement à une casserole : la température de l'eau est initialement à 20 degrés et nous la chauffons. Nous voyons la température augmenter régulièrement, avec une légère évaporation visible à une fumée légère. Quand la température de l'eau atteint 100 degrés, l'eau se met à bouillir.
Le passage de l'eau liquide à la vapeur d'eau à de quoi étonner : un gramme d'eau liquide se transforme en environ un litre et demi de vapeur !
Et voici pourquoi nos cakes, dans des moules rectangulaires, se fendent à la cuisson, avec une fissure dans le sens de la longueur du moule : l'eau qui s'évapore doit sortir du cake et elle fissure la croûte qui s'est formé.
La croûte ?
C'est de l'eau qui s'est évaporée. Considérons une pâte avec de l'eau et de la farine : si l'eau s'évapore, il ne reste donc que la farine et c'est cela qui fait une croûte.
Ce même phénomène s'observe à la surface des frites : l'eau de la surface est évaporé par la chaleur communiquée par l'huile très chaude, de sorte que l'extérieur de la pomme de terre se met à croûter. Vous faites cuire du boudin, de l'andouillette ? Si vous le mettez à four très chaud, l'eau de la peau va s'évaporer et il restera donc un résidu solide, c'est-à-dire une croûte, croustillante.
Et pour la pâte feuilletée : le croustillant résulte de l'évaporation de l'eau par tous les feuillets.
D'autres cas où l'eau se manifeste ? Le soufflé, par exemple, qui gonfle parce que l'eau qui est présente dans la préparation s'évapore ; et quand elle s'évapore par le fond qui est chauffé, alors la vapeur qui prend beaucoup de volume pousse les couches vers le haut.
Ou encore, quand nous cuisons des crêpes, après que la pâte ce soit solidifier, l'eau évaporée au contact de la poêle ou du bilic pousse la crêpe vers le haut quand elle s'évapore, d'où ses cloques... et une irrégularité de la cuisson, visible à des zones circulaires moins brunes que d'autres.
Quand on fait un poêlage (dans un poêlon), un ragoût, un pot au feu, là, le phénomène est différent : c'est la perte d'odeur par ce que les chimistes nomment entraînement à la vapeur d'eau. Les molécules odorantes sont ainsi évacuées par la vapeur, phénomène par lequel les industriels de la parfumerie extraient des composés odorants des plantes.
Reprenons maintenant l'ensemble des procédés culinaires.
Il y a les cuissons par contact avec un solide tel les sautés, et là l'eau qui s'évapore au contact de l'instrument de cuisson, le solide, forme une croûte.
Il y a la cuisson par contact avec un liquide chaud qui peut donc être de l'huile ou de l'eau. Pour l'huile, il y a notamment les friture, qui forme les croûtes. Pour l'eau, nous en avons parlé aussi : il y l'entraînement à la vapeur d'eau... si l'on n'a pas mis de couvercle.
Par contact avec un gaz chaud, c'est notamment le rôtissage, et, cette fois, encore c'est l'eau de la surface qui est évaporé e la chaleur communiquée par le gaz chaud.
Il y a cuisson par des rayonnements infrarouges et c'est par exemple le rôtissage des rôtisseurs : l'aliment est chauffé par des rayonnements infrarouges et non pas par les gaz (pensons aux poulets qui rôtissent sur ces rôtissoire verticales des charcutiers dans la rue). Là encore, c'est du croûtage de surface quand l'eau s'évapore.
Enfin il y a les micro-ondes qui sont un peu différentes et cette fois la masse de l'aliment peut coaguler sans que l'eau s'évapore d'autant plus que le procédé est très rapide. Là il y a un phénomène donc différent et les micro-ondes sont notoirement connu pour ne pas former de croûte.
Et voilà l'essentiel des procédés de cuisson : n'oublions pas les transformations de l'eau.
lundi 4 septembre 2023
La durée dite de Robuchon a été produite bien avant lui
La purée que l'on dit être celle de Joël Robuchon a été produite bien auparavant : je l'ai trouvée dans des livres de cuisine du début du 20e siècle.
Surtout, elle est très blanche et cela doit nous intéresser car il s'agit d'un phénomène.
Commençons de par donner la recette : on cuit des pommes de terre, puis on les écrase dans un peu de lait jusqu'à faire une purée un peu épaisse.
Notons bien qu'il vaut mieux les écraser plutôt que les mixer car on a les résultats très différents : les purées qui ont été mixées sont "cordées", c'est-à-dire élastiques en quelque sorte. Pourquoi ? Parce qu'écraser des pommes de terre conduit à la séparation des cellules qui les composent, tandis que mixer produit plutôt la séparation de ces cellules et leur rupture, ce qui libère leur contenu : des grains d'amidon empesés.
Cela fait toute la différence et voilà pourquoi, quand on fait une purée et qu'on y ajoute du beurre, il faut travailler au fouet et non pas au mixeur.
Dans les purées anciennes dont j'ai trouvé la recette, on met autant de beurre que de pommes de terre et c'est cela que j'ai fait hier avec pour résultat que l'on voit la purée blanchir.
Pourquoi ?
Rappelons-nous que le blanchissement résulte souvent de l'introduction dans une phase liquide de bulles d'air ou de gouttelettes d'huile. Par exemple, si l'on mixe des tomates, on obtient une préparation de couleur assez rouge, mais si l'on y disperse de l'huile, alors le rouge vire rose. De même, une ganache fortement travaillée blanchit. Tout comme une mayonnaise, jaune, qui blanchit quand on la mixe, parce que les gouttes d'huile dispersées sont bien plus nombreuses. La lumière blanche se réfléchit sur les structures dispersées.
Et c'est ainsi que la purée peut blanchir.