jeudi 11 juillet 2019

Peut-on tout dire à tout le monde ?


Peut-on tout dire à tout le monde ? Je ne sais pas, évidemment, mais je peux faire état de deux expériences universitaires intéressantes. Un jour, devant un amphithéâtre, pour les besoins de l'exposition, j'ai expliqué que Dieu ne pouvait pas être omnipuissant, puisqu'il ou elle ne pourrait pas construire une montagne qu'il ne  pourrait pas gravir lui-même. Au  cours suivant, de nombreux étudiants ne sont pas venus, car ils avaient été brusqués. Puis, l'année d'après, dans le même environnement universitaire, j'ai annoncé que les théologiens, dès le Moyen-Age, discutaient cette question théologique, qui était de savoir si Dieu était omnipuissant, sachant qu'il y avait cette question de construire une montagne qu'il (je n'ai alors pas dit "il ou elle") ne pourrait pas gravir lui-même. Cette fois, tout le monde est resté.
Sur les réseaux sociaux, je m'aperçois également que certaines de mes affirmations, surtout quand elles sont exprimées en moins de deux cent signes, sont souvent mal interprétées : il manque le sourire, par exemple. Et, d'ailleurs, ne voit-on pas régulièrement des interlocuteurs ne pas comprendre quand on fait de l'humour ? Socrate a fini empoisonné par un peuple qui ne supportait pas que l'on se moque de lui, en quelque sorte.
Bref, il est patent que l'on ne peut pas dire  tout à tout le monde.

Mais à des amis ? L'un des miens m'a fait observer que l'on devait la plus grande des franchises à nos vrais amis. Je vous laisse y penser.

mercredi 10 juillet 2019

La question des amphithéâtres

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.

Des jeunes collègues se plaignent des "amphis" : ce sont ces cours magistraux, qui, pour certains, s'apparentent à des entonnoirs que l'on met dans la bouche des oies que l'on veut gaver. Evidemment, je ne cesserai jamais de critiquer s cette méthode inutile, inefficace, imbécile en un mot. Aristophane déjà disait qu'enseigner, ce n'est pas emplir des cruches mais allumer des brasier. Si un cours magistral vise à allumer des brasiers, alors, au contraire, il me semble essentiel. Et, en tout cas, je ne crois pas -c'est dit plusieurs fois par ailleurs- que ces séances de formation particulière aient pour but les études : cela relève seulement du cadrage des études, d'une volonté de donner du sens.
Et les jeunes collègues ont ensuite la responsabilité d'obtenir le savoir qu'ils désirent, d'approfondir leurs connaissances et leurs compétences en distinguant bien les deux


Mais je veux me détacher ici  de la critique faite plus haut pour discuter la question générale des cours en amphithéâtre.
Comme toujours, je commence par poser la question  : quel est l'objectif ?
Un amphithéâtre est un vaste espace où les sièges des auditeurs ont été organisés de telle façon que chacun puisse écoute et voir ce qui se passe sur la scène, c'est ainsi, en tout cas, l'idée qui a présidé à la construction de l'amphithéâtre de la Royal Institution à Londres, par Michael Faraday.
Que met-on sur la scène ? Soit une personne, soit plusieurs personnes, soit rien si l'on projette sur un écran, par exemple. J'analyse que projeter, c'est un peu comme mettre un professeur puisqu'il y a une personne qui parle. Bien sûr, c'est plus moderne et plus souple, amélioré, car la projection peut faire apparaître plusieurs personnes d'un coup, mais, surtout pour un visionnage, il y a l'avantage que l'on n'est pas obligé de visionner au moment exact de l'enregistrement et que l'on  peut se réserver cela pour des moments qui nous seront personnellement plus appropriés.
Mais pour ce qui concerne les études, j'ai  vis à vis des visionnage ou des cours ex cathedra cette réticence que le rythme n'est pas toujours le mien  : parfois, c'est trop rapide, et parfois c'est trop long. On me dira que pour un livre aussi, il peut y avoir des passages trop lents et d'autres trop rapides, mais je répondrai alors que je peux changer de livre, mais que c'est faire un affront terrible à un intervenant qui parle, si je quitte la salle.

Mais qu'importe ce détail, et je reviens au cas précis que nos jeunes collègues discutaient, à savoir des professeurs parlant, de l'estrade, à des groupes d'étudiants. Cette pratique est-elle utile ? Intéressante ? Efficace au vu des objectifs de la formation ?
Quand on me met personnellement face un interlocuteur qui m'ennuie, soit je quitte la salle, soit  je ferme les écoutilles et je travaille derrière l'écran de mon ordinateur portable (j'ai appris que certains professeurs veulent interdire les portables pour éviter cela !)... On le voit la question de l'amphithéâtre mérite d'être mieux analysée, en relation avec celle de la qualité des cours dispensés.

Mais assez traîné dans la boue : cherchons de la Lumière, levons le nez et considérons aussi le cas où l'on est captivé par l'intelligence de celui ou  de celle que nous écoutons. Quel privilège qu'un bouquet d'intelligence ! Combien reconnaissant sommes-nous alors !
Voilà la leçon pour nos institutions de formation : nous ne devons imposer à nos jeunes collègues que la crème de la crème, sans quoi c'est une punition, et même pire, cela décrédibilise l'ensemble du dispositif que nous cherchons mettre en œuvre en vue d'études  efficaces !

Des pratiques industrielles honteuses : une société me fait un affront !



Une très grosse société industrielle m'invite à faire un exposé sur leur site à mille kilomètres de Paris. Elle propose de prendre en charge mon voyage et de m'inviter à dîner au restaurant la veille.
Ai-je bien compris ? Mon temps, ma compétence, mon énergie vaudraient pour rien ?

Je considère que cette proposition est un affront, d'autant que le contrat de confidentialité que la société propose fait sienne la  propriété de tout ce que je leur dirais lors de ma présentation. Je suppose qu'un tel contrat est léonin, mais je ne vais pas prendre le temps de vérifier. Ce que je sais, c'est qu'une telle proposition de contrat est honteuse.

Analysons mieux les raisons de ma colère : quand j'achète des produits industriels, on me le donne pas gratuitement, et, dans ce monde, les choses ont la valeur qu'on les paye. Autrement dit, si on ne me paye pas (cet argent irait évidemment au laboratoire), alors cela signifie que ce que je pourrais présenter ne vaut rien !  Quoi je ne vaut rien, malgré tous mes efforts, malgré tout mon travail ? D'ailleurs, cette société est non seulement malhonnête et honteuse, mais inconséquente : pourquoi inviter quelqu'un qui ne vaut rien ? 
Derrière le cas particulier, derrière ces pratiques honteuses, il y a la question des relations entre la recherche scientifique et l'industrie. La recherche scientifique est faite par des agents de l'Etat, et ses résultats appartiennent à tous les contribuables, raison pour laquelle ils sont publiés, donc publics. Deux jours de travail d'un fonctionnaire d'un laboratoire de recherches scientifiques ont une valeur d'autant plus élevée que ce chercheur est bon, et une société qui voudrait en bénéficier devrait le payer (je le répète : l'argent irait au laboratoire). J'ajoute que je ne dis pas que je suis bon, mais je juge d'après l'intérêt que cette société a à m'inviter (bon, OK, elle n'a aucun intérêt puisqu'elle propose de ne rien payer, mais quand même : elle mobiliserait toute une équipe de sa recherche technologique pendant presque une journée). 

Passons rapidement : j'ai mieux à faire.

Rendre accessible des supports de cours

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.



Dans des discussions avec des jeunes collègues, à propos de la formation qu'ils ont décidé de suivre, je lis cette phrase :

De plus, rendre accessible c'est support de cours à tous les étudiants même ceux n'ayant pas suivi le cours en question permettrait à chacun d'avoir une base connaissance rédigé de manière pédagogique à disposition ce qui pourrait se révéler forte utile.


Pour ce qui me concerne, je ne vois aucune difficulté à rendre accessible à tous les documents powerpoint  ou pdf des conférences ou des cours que je fais... et je ne vois même pas la difficulté ! Quant aux cours rédigés, j'essaye d'aller jusqu'au plus élémentaire détail des calculs, au point que l'on me reproche  parfois d'être verbeux.... et ils sont en ligne, publics et gratuits, car je pense en particulier à tous eux et celles que je n'aurai pas le plaisir de rencontrer, et à qui j'aimerais faire partager l'enthousiasme de mes découvertes, de mes études, de mes apprentissages...

Mais ici je veux m'arrêter sur le mot "pédagogique" qui fait partie de cette liste que je veux absolument éviter d'utiliser : enseignement, pédagogie, enseignant...
Dans "pédagogique",  il y a la racine qui signifie "enfant", et elle me gêne : quand je m'adresse à des jeunes collègues, qui sont majeurs et ont  le droit de vote, je me refuse à les considérer comme des enfants. Cela a pour eux des avantages, mais aussi un inconvénient essentiel, à savoir que je leur attribue toute la responsabilité de leurs études, que je refuse absolument de prendre cette responsabilité à leur place. Pour moi, je veux bien m'évertuer à partager de l'enthousiasme, à les aider à étudier, en balisant les sujets, en cartographiant les matières, en conseillant des calculs, des méthodes... Mais c'est à eux d'étudier.
D'ailleurs, je ne suis pas enseignant, mais scientifique et je ne consent à professer - et non pas enseigner-  que parce qu'on me le demande.
Je le fais, et je ne manque pas de réfléchir à la façon dont je le fais, ce qui conduit à produire des idées qui viennent heurter parfois frontalement celle des jeunes collègues ou des collègues plus âgées, ou même des institutions chargé de la formation.
Mais ne devons-nous pas toujours tout changer pour le meilleur ?

Les physiciens sont insensés de vouloir des lois générales, et les chimistes manquent d'ambition, à ne pas en chercher.


Il y a cette opposition classique des physiciens et des chimistes : les uns sauraient calculer, et ils manipuleraient des équations, et les autres seraient plus "pratiques", lancés dans des synthèses. Évidemment, cette description est fausse, mais elle s'assortit de critiques d'un groupe vers l'autre, ce qui s'exprime notamment dans cette boutade : les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, alors que les chimistes font des expériences très sales avec des matériaux très propres (et l'on ajoute alors : imaginez les physico-chimistes !).
Les arguments pleuvent : les chimistes, incapables de calculer, feraient à l'infini des synthèses insensées, ce que l'on résume dans "méthyle, éthyle, propyle, butyle, futile": cela pour exprimer que l'ajout d'un groupe chimique sur une molécule conduit à envisager systématiquement des ajouts de plus en plus gros (avec un atome de carbone, on a le groupe "méthyle", puis les groupes éthyle, propyle et butyle avec respectivement deux, trois ou quatre atomes de carbone). Et puis ces explorations manqueraient de plan d'ensemble, resteraient "classiques", en retard sur la physique, laquelle est passée de la mécanique classique à la mécanique quantique... Enfin, le pire des reproches est celui de la nature de la chimie qui serait une technologie ou une technique plutôt qu'une science.
Les chimistes, bien sûr, se rebiffent, signalant que l'équation de Schrödinger, qui est à la base de la mécanique quantique, ne fera jamais une molécule de benzène à partir de six atomes de carbone et de six atomes d'hydrogène dans une boite infinie. Ils indiquent que leur usage de la physique quantique est constant, avec les méthodes spectroscopiques, mais aussi avec la modélisation numérique, qui guide les synthèses, lesquelles sont en réalité des tests de la physique quantique. Surtout, ils observent que cela ne sert à rien de faire des théories à partir d'objets qui n'existent pas, rétorquent que les matières des physiciens sont fantasmées, et qu'à force d'approximations, on en vient à dire n'importe quoi.
Car les physiciens seraient en réalité des albatros collés au sol des navires, avec la volonté de faire de grandes théories, mais des théories inapplicables, car la matière est complexe, et les théories ne valent que pour des échantillons parfaitement purs.Et puis, n'a-t-on pas démontré qu'au delà de trois corps en interaction gravitationnelle, l'évolution du système est impossible à prévoir ? Sans compter que Stephen Wolfram a montré qu'il existe des automates dont la prévision ne peut se faire que si l'on exécute l'automate entièrement.

Ces discussions sont interminables, et sans intérêt.  Elles montrent combien on aurait intérêt à bien avoir sous les yeux le schéma qui décrit la démarche générale des sciences, et que voici :




Un phénomène étant identifié, on le caractérise quantitativement, puis on réunit les données en "lois", c'est-à-dire en équations, avant d'introduire des concepts pour faire des théorie quantitativement compatibles avec toutes les lois, ce qui permet de tirer des conclusions théoriques que l'on teste expérimentalement. 
La chimie de synthèse ? Connaissant les réactivités et les molécules que nous connaissons, il s'agit de repérer des catégories, des structures, pour imaginer des objets de types nouveaux que l'on cherche à réaliser. Peut-on faire une molécule dont les atomes de carbone sont aux coins d'un carré, par exemple ? Peut-on reproduire la chimie organique en remplaçant le carbone par le silicium ? Comment des molécules peuvent-elles s'organiser spontanément ? Et ainsi de suite.
Pour l'analyse chimique, la question est aujourd'hui celle d'analyser des systèmes complexes, des mélanges, par exemple.
La physique ? On la voit faisant un pont entre la physique des particules et la cosmologie, notamment, mais on la voit aussi explorer des phénomènes nouveaux, à propos de "matière molle", ou bien s'intéresser à des systèmes matériels où les interactions entre structures sont de types nouveaux, ce qui conduit à des propriétés inenvisagées.

Surtout, on voit bien une convergence de ces deux sciences, quand il s'agit de matière à des échelles qui vont du  macroscopique, à notre échelle, jusqu'à l'échelle atomique. C'est en réalité le royaume de la physico-chimie... qui expérimente, calcule...

mardi 9 juillet 2019

Je ne vais faire que ce que j'aime !

J'espère que l'on me comprends bien : publiquement, je dis assez largement que j'ai décidé de ne faire que ce qu'il me plaît. Un fonctionnaire, au service des contribuables, peut-il dire cela ?

En toute généralité non, mais il faut quand même que j'ajoute que l'Etat m'a confié une mission... qui est ce que je préfère à toute autre activité !
Plus exactement, en 2000, j'ai décidé de faire à plein temps de la recherche scientifique, à savoir ce qui me passionne depuis l'âge de 6 ans et que je réservais  précédemment à mes loisirs. En 2000, mes loisirs sont devenus mon métier, et je suis donc exactement à ma place, de sorte que quand je  dis que je vais faire que ce que je veux, je ne dis rien de nouveau,  en réalité. Rien... sauf que j'ai mille questions scientifiques passionnantes à examiner, et ma décision récentes est de me focaliser sur celle qui me plaisent le plus.
Le contribuable a tout à gagner de ma décision, car  si je fais ce qui me plaît le plus, alors on peut être assuré que je ferai mon travail avec fièvre, avec passion, avec un enthousiasme communicatif où tout le monde trouve  son compte.

Donc oui, j'ai le droit, et peut-être le devoir puisque je m'exprime en public, de faire état du bonheur que  j'ai à faire mon métier.



lundi 8 juillet 2019

On démontre que...

J'ai toujours été très ennuyé par les cours qui comporte des "on démontre que",  et j'étais ennuyé parce que finalement, avec cette pratique, on  arrive empiler  une série d'informations auquel il faut croire,  ce qui contredit mon envie de vouloir comprendre.

Le "on démontre que",  c'est au fond une mauvaise habitude que les professeurs donnent aux jeunes collègues, puisqu'elle les habitue à  accepter des choses sans les comprendre,  alors que précisément on voudrait le contraire, à savoir des esprits précis, rigoureux, analytiques.
Je comprends évidemment qu'il faut faire le gros avant le détail, et que l'on a parfois intérêt à savoir à conduire une voiture avant d'en vouloir démonter le moteur. Je comprends que l'on a pas intérêt à se perdre dans les détails si l'on veut parcourir un peu de chemin, et je comprends que les cours professés doivent donner une perspective rapide,  survoler en quelque sorte avant que  le chemin ne soit parcouru plus en détail. Je comprends donc les "on démontre que",  à condition que l'on m'invite ensuite à y revenir. Et surtout, j'accepte le "on démontre que" si l'on m'a averti dans quel état d'esprit je devais être vis-à-vis de ce que je reçois. Si l'on m'a dit que l'on va découvrir généralement un sujet, alors j'admets de ne pas me perdre les détails avant d'avoir regardé la généralité, mais il faut que le jeu soit clair, et au fond, j'observe que nos jeunes collègues ont raison de se plaindre que trop souvent, le jeu ne soit pas clair. On se lance en quelque sorte sans réfléchir.

Oui, nos jeunes collègues ont bien raison de demander que les études qu'on leur propose de faire soient précédées de contextualisation, de cadrage, de mise en perspective... Utilisez les mots que vous voudrez : la demande est claire.