Ce matin, un étudiant m'envoie un message plein de fautes d'orthographe. Cela fait un peu débraillé, mais la question n'est pas de juger, d'évaluer, mais, surtout, de trouver un moyen de l'aider. Au fond, une faute d'orthographe, c'est pour l'écriture en langage naturel comme une faute de français pour la communication orale, ou comme une faute de calcul pour le calcul. Et il y a de l'espoir : en travaillant, on peut sans doute venir à bout des trois maladies. Comment ?
Pour les fautes d'orthographe, il existe des logiciels qui font la correction, ce qui est exact. Pour les fautes de français ? Là, il faut trouver une méthode différente, parce que l'on est exposé directement au jugement de nos interlocuteurs.
Pour le calcul ? Les types de fautes sont nombreux, mais pour les plus simples, des logiciels de calcul formel tels que Maple font le travail... sans faute.
Mais l'évocation de Maple de pousse à une réflexion supplémentaire : de même que, au 21e siècle, on n'extrait plus des racines carrées à la main et on ne calcule plus des pH avec les méthodes laborieuses qui m'ont été enseignées il y a plusieurs décennies (on utilise Maple pour faire la chose sans douleur, voir le document correspondant), de même faut-il se préoccuper d'orthographe si des logiciels nous font le travail ? Disons que si c'est le résultat qui compte, peu importe que l'on ait fait soi-même la chose ou qu'on l'ait confiée à un logiciel : l'interlocuteur ne voit que le résultat.
Restera donc la question de la langue orale, qui impose de connaître les mots (vive le Trésor de la langue française informatisée !), de connaître la grammaire (le Grévisse ?), de connaître la rhétorique (le Gradus, mille fois le Gradus)... et de parler assez lentement pour avoir le temps d'y mettre cette étincelle d'intelligence qui pourra faire sourire nos amis.
Vos conseils, à propos de tout cela ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mercredi 18 avril 2018
dimanche 15 avril 2018
Un accent ou pas ?
Il y a une recette célèbre de pieds de porc à la Sainte-Ménehould, où, au moins dans une version, on cuit les pieds de porc pendant soixante-douze heures dans un bouillon, puis on pane et on rôtit.
Evidemment, la ville de Sainte-Méhenould se glorifie d'être l'épicentre de la recette, et l'on y raconte même que Louis XVI aurait été arrêté dans sa fuite parce qu'il se serait arrêté dans cette ville pour y déguster la spécialité devenue célèbre.
Pourquoi pas... mais savez-vous que l'on ne dit pas "sainte ménéoulde", mais "sintemenou" ?
Je suis heureux de partager avec vous une trouvaille de ce matin :
GARDONS L’ACCENT…
… à sa place ou comment orthographier correctement le nom de la capitale de l’Argonne.
dimanche 26 octobre 2003, par François Duboisy
Etant encore Principal du collège de Sainte-Ménehould, j’ai, il y a quelques années, reçu un étudiant berlinois qui m’a rendu rouge de confusion. Ce jeune allemand observateur, perspicace et certainement homme de rigueur, me dit sa perplexité devant les différentes orthographes de notre ville. Journaux, panneaux indicateurs, papiers officiels, documents divers coiffent le nom de la cité d’accents dont le nombre varie de zéro à deux. Pour être plus précis, on peut trouver quatre orthographes différentes qu’il nous faut citer :
Sainte-Menehould Sainte-Ménéhould Sainte-Menéhould Sainte-Ménehould
Pour moi, la réponse était et reste sans équivoque : c’est la dernière qui est correcte.
Aussi, je rédigeais un article que je voulais percutant et convainquant dans le supplément du bulletin municipal, croyant ainsi clore la question et surtout amener chacun à être plus attentif et scrupuleux lorsqu’il aurait à écrire le nom de la ville. Vanité… Vanité !
Que de Ménéhildiens ont encore fauté ces dernières années ! Alors reprenons l’histoire de ce nom qui intrigue.
Combien de fois devons nous l’épeler lorsque nous quittons l’abri de nos futaies argonnaises, devant des interlocuteurs ébahis, recopiant le mot lettre par lettre !
Chacun sait que la cité porte le nom de la dernière fille d’un Comte du Perthois du nom de SIGNARUS. Ses grandes sœurs s’appelaient Yma, Hoyldis, Lutrudis, Prusinna, Francula. On peut imaginer que si la grâce divine était tombée sur l’une d’elles, la ville aurait eu un nom tout aussi original. Mais c’est MANECHILDIS ou MANEHILDIS qui sera, au Vème siècle, associé à la bourgade. Très vite, l’orthographe se codifie en MANEHOULD et il en sera ainsi jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
Au début, c’est Sainte Manehould
Puis le « a » se transforme en « é »
C’est à la Révolution que progressivement le « a » qui donnait au nom une consonance quelque peu gutturale, rappelant ses origines germaniques, va se transformer en « é ».
Ainsi, on trouve encore l’ancienne orthographe dans le contrat de mariage de Jean-Baptiste DROUET, le 17 janvier 1789 et sur le cahier de doléances du baillage de Sainte-Ménehould, le 14 mars 1789.
Par contre, le fameux extrait du registre municipal relatant le passage du roi, daté du 25 juin 1791, porte la nouvelle orthographe. Il en est de même pour le courrier qu’envoie DROUET en tant que Sous-Préfet.
La nouvelle orthographe s’impose
Dans tous les documents du XIXème siècle que nous avons pu consulter, cette nouvelle orthographe est quasiment adoptée par tous.
BUIRETTE, dans son Histoire de la ville de Sainte-Ménehould et de ses environs, en 1837, la rend en quelque sorte officielle, tant il est clair que son ouvrage est une référence.
Pourtant, on peut trouver déjà quelques variantes. Ainsi, de sa main, en 1831, le Maire, Claude-Apollon ROBINET, assisté de M. FLORION, dans l’acte de nomination de Louis BOURNIZET au grade de Brigadier, met de sa main un accent sur chaque « e ».
Au XIXème siècle, tous les papiers officiels portaient la même orthographe.
- ouverture du collège - 1805
- ouverture de l’école secondaire (même date, 1805)
- papier à entête de la ville en 1817
Au XXème siècle, tout se complique
Tout d’abord, en 1905, dans son histoire de la ville, Louis BROUILLON affirme que la forme actuelle « se prononce Menou et ne comporte pas d’accent aigu ».
Puis, vient l’époque de la vulgarisation des dictionnaires et particulièrement du Petit Larousse, qui opte pour le nom sans accent et nomme les habitants Ménéhouldiens, alors que chacun sait que l’on a toujours dit Ménéhildiens. Trop souvent le lecteur fait une confiance aveugle aux dictionnaires et aux encyclopédies et il a bien tort. Larousse fait de DROUET le fils du maître de poste et Encarta place l’Argonne entre la vallée de l’Aire et de la Meuse ! Les historiens résistent à cette version quasi officielle.
L’abbé LALLEMENT, ancien curé de Moiremont, auteur de divers livres de grande qualité sur les mœurs et coutumes de l’Argonne publiés au début du siècle, Jean LAURENT dans la thèse parue en 1951 « L’Argonne et ses bordures » et dans toutes ses publications qui suivront, Eugène BAILLON dans son histoire « Sainte-Ménehould et ses environs » parue en 1957 restent fidèles à l’orthographe que je considère comme correcte.
Par contre, à la fin de ce siècle, Jacques HUSSENET adopte tant dans « Argonne 1630-1980 » que dans tous ses écrits l’orthographe « Larousse ».
Un grand désordre va s’instaurer à la fin de ce siècle et l’on voit tant dans les publications, les panneaux au bord des routes, les journaux, l’accentuation simple, le petit attribut flottant soit se déplacer, soit se dédoubler, soit s’évaporer. On peut avancer des explications à cette diversité :
Pour les généreux qui doublent l’accent, on peut penser qu’ils s’inspirent du nom des habitants qui s’écrit bien Ménéhildiens.
Pour les avares, ils peuvent être influencés par le diminutif de la ville, « Menou » ou par la fâcheuse habitude qui s’est instaurée depuis quelques décennies d’écrire le nom des villes en majuscule, alors qu’une majuscule à la première lettre suffirait. Et comme en France, contrairement aux Slaves, on ne sait pas mettre d’accent sur les majuscules, s’imprime dans nos têtes un nom sans accent.
L’euphonie a dû aussi jouer son rôle, tant il est vrai qu’il est peut-être plus facile de prononcer Méné que les autres formes.
Que faire maintenant ?
Je doute que cet article puisse, à lui seul, éradiquer les mauvaises pratiques, rares il est vrai, qui dérobent un accent contribuant tant au charme de la ville.
Et puis pensons à toutes ces jeunes filles ou dames qui portent ce joli prénom et qu’on laisse dans l’expectative lorsqu’elles se doivent de l’écrire. Et John JUSSY, Président de l’Office de Tourisme, qui s’efforce de les recenser, en découvre périodiquement.
Je propose au Conseil Municipal de prendre une délibération fixant définitivement l’orthographe de la ville et le nom de ses habitants qui serait dans un second temps envoyé à tous les éditeurs de dictionnaires et d’encyclopédies, à toutes les administrations. Quant à la prononciation, il ne sert à rien de légiférer ; tout le monde continuera à faire comme bon lui semble.
Lorsque j’entendais, lors du passage de la grande boucle en Argonne, le commentateur lisant sa fiche, affirmant qu’il faut prononcer Sainte-Menou, j’ai un peu sursauté. Je crois qu’il y a là une confusion avec le diminutif de la ville « Menou ». A ma connaissance, le citoyen de la cité, s’il dit bien qu’il habite à Menou lorsqu’il est sur ses terres, prononce par contre le nom comme il l’écrit lorsqu’il est loin de son domicile ou quand il s’adresse à une administration.
Et peut-être pense-t-il que ce n’est pas de tout repos d’habiter une ville au nom si singulier !
Evidemment, la ville de Sainte-Méhenould se glorifie d'être l'épicentre de la recette, et l'on y raconte même que Louis XVI aurait été arrêté dans sa fuite parce qu'il se serait arrêté dans cette ville pour y déguster la spécialité devenue célèbre.
Pourquoi pas... mais savez-vous que l'on ne dit pas "sainte ménéoulde", mais "sintemenou" ?
Je suis heureux de partager avec vous une trouvaille de ce matin :
GARDONS L’ACCENT…
… à sa place ou comment orthographier correctement le nom de la capitale de l’Argonne.
dimanche 26 octobre 2003, par François Duboisy
Etant encore Principal du collège de Sainte-Ménehould, j’ai, il y a quelques années, reçu un étudiant berlinois qui m’a rendu rouge de confusion. Ce jeune allemand observateur, perspicace et certainement homme de rigueur, me dit sa perplexité devant les différentes orthographes de notre ville. Journaux, panneaux indicateurs, papiers officiels, documents divers coiffent le nom de la cité d’accents dont le nombre varie de zéro à deux. Pour être plus précis, on peut trouver quatre orthographes différentes qu’il nous faut citer :
Sainte-Menehould Sainte-Ménéhould Sainte-Menéhould Sainte-Ménehould
Pour moi, la réponse était et reste sans équivoque : c’est la dernière qui est correcte.
Aussi, je rédigeais un article que je voulais percutant et convainquant dans le supplément du bulletin municipal, croyant ainsi clore la question et surtout amener chacun à être plus attentif et scrupuleux lorsqu’il aurait à écrire le nom de la ville. Vanité… Vanité !
Que de Ménéhildiens ont encore fauté ces dernières années ! Alors reprenons l’histoire de ce nom qui intrigue.
Combien de fois devons nous l’épeler lorsque nous quittons l’abri de nos futaies argonnaises, devant des interlocuteurs ébahis, recopiant le mot lettre par lettre !
Chacun sait que la cité porte le nom de la dernière fille d’un Comte du Perthois du nom de SIGNARUS. Ses grandes sœurs s’appelaient Yma, Hoyldis, Lutrudis, Prusinna, Francula. On peut imaginer que si la grâce divine était tombée sur l’une d’elles, la ville aurait eu un nom tout aussi original. Mais c’est MANECHILDIS ou MANEHILDIS qui sera, au Vème siècle, associé à la bourgade. Très vite, l’orthographe se codifie en MANEHOULD et il en sera ainsi jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.
Au début, c’est Sainte Manehould
Puis le « a » se transforme en « é »
C’est à la Révolution que progressivement le « a » qui donnait au nom une consonance quelque peu gutturale, rappelant ses origines germaniques, va se transformer en « é ».
Ainsi, on trouve encore l’ancienne orthographe dans le contrat de mariage de Jean-Baptiste DROUET, le 17 janvier 1789 et sur le cahier de doléances du baillage de Sainte-Ménehould, le 14 mars 1789.
Par contre, le fameux extrait du registre municipal relatant le passage du roi, daté du 25 juin 1791, porte la nouvelle orthographe. Il en est de même pour le courrier qu’envoie DROUET en tant que Sous-Préfet.
La nouvelle orthographe s’impose
Dans tous les documents du XIXème siècle que nous avons pu consulter, cette nouvelle orthographe est quasiment adoptée par tous.
BUIRETTE, dans son Histoire de la ville de Sainte-Ménehould et de ses environs, en 1837, la rend en quelque sorte officielle, tant il est clair que son ouvrage est une référence.
Pourtant, on peut trouver déjà quelques variantes. Ainsi, de sa main, en 1831, le Maire, Claude-Apollon ROBINET, assisté de M. FLORION, dans l’acte de nomination de Louis BOURNIZET au grade de Brigadier, met de sa main un accent sur chaque « e ».
Au XIXème siècle, tous les papiers officiels portaient la même orthographe.
- ouverture du collège - 1805
- ouverture de l’école secondaire (même date, 1805)
- papier à entête de la ville en 1817
Au XXème siècle, tout se complique
Tout d’abord, en 1905, dans son histoire de la ville, Louis BROUILLON affirme que la forme actuelle « se prononce Menou et ne comporte pas d’accent aigu ».
Puis, vient l’époque de la vulgarisation des dictionnaires et particulièrement du Petit Larousse, qui opte pour le nom sans accent et nomme les habitants Ménéhouldiens, alors que chacun sait que l’on a toujours dit Ménéhildiens. Trop souvent le lecteur fait une confiance aveugle aux dictionnaires et aux encyclopédies et il a bien tort. Larousse fait de DROUET le fils du maître de poste et Encarta place l’Argonne entre la vallée de l’Aire et de la Meuse ! Les historiens résistent à cette version quasi officielle.
L’abbé LALLEMENT, ancien curé de Moiremont, auteur de divers livres de grande qualité sur les mœurs et coutumes de l’Argonne publiés au début du siècle, Jean LAURENT dans la thèse parue en 1951 « L’Argonne et ses bordures » et dans toutes ses publications qui suivront, Eugène BAILLON dans son histoire « Sainte-Ménehould et ses environs » parue en 1957 restent fidèles à l’orthographe que je considère comme correcte.
Par contre, à la fin de ce siècle, Jacques HUSSENET adopte tant dans « Argonne 1630-1980 » que dans tous ses écrits l’orthographe « Larousse ».
Un grand désordre va s’instaurer à la fin de ce siècle et l’on voit tant dans les publications, les panneaux au bord des routes, les journaux, l’accentuation simple, le petit attribut flottant soit se déplacer, soit se dédoubler, soit s’évaporer. On peut avancer des explications à cette diversité :
Pour les généreux qui doublent l’accent, on peut penser qu’ils s’inspirent du nom des habitants qui s’écrit bien Ménéhildiens.
Pour les avares, ils peuvent être influencés par le diminutif de la ville, « Menou » ou par la fâcheuse habitude qui s’est instaurée depuis quelques décennies d’écrire le nom des villes en majuscule, alors qu’une majuscule à la première lettre suffirait. Et comme en France, contrairement aux Slaves, on ne sait pas mettre d’accent sur les majuscules, s’imprime dans nos têtes un nom sans accent.
L’euphonie a dû aussi jouer son rôle, tant il est vrai qu’il est peut-être plus facile de prononcer Méné que les autres formes.
Que faire maintenant ?
Je doute que cet article puisse, à lui seul, éradiquer les mauvaises pratiques, rares il est vrai, qui dérobent un accent contribuant tant au charme de la ville.
Et puis pensons à toutes ces jeunes filles ou dames qui portent ce joli prénom et qu’on laisse dans l’expectative lorsqu’elles se doivent de l’écrire. Et John JUSSY, Président de l’Office de Tourisme, qui s’efforce de les recenser, en découvre périodiquement.
Je propose au Conseil Municipal de prendre une délibération fixant définitivement l’orthographe de la ville et le nom de ses habitants qui serait dans un second temps envoyé à tous les éditeurs de dictionnaires et d’encyclopédies, à toutes les administrations. Quant à la prononciation, il ne sert à rien de légiférer ; tout le monde continuera à faire comme bon lui semble.
Lorsque j’entendais, lors du passage de la grande boucle en Argonne, le commentateur lisant sa fiche, affirmant qu’il faut prononcer Sainte-Menou, j’ai un peu sursauté. Je crois qu’il y a là une confusion avec le diminutif de la ville « Menou ». A ma connaissance, le citoyen de la cité, s’il dit bien qu’il habite à Menou lorsqu’il est sur ses terres, prononce par contre le nom comme il l’écrit lorsqu’il est loin de son domicile ou quand il s’adresse à une administration.
Et peut-être pense-t-il que ce n’est pas de tout repos d’habiter une ville au nom si singulier !
mercredi 11 avril 2018
Je viens de retrouver cette citation admirable...
Le seul moyen de prévenir ces écarts, consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu'il est possible, le raisonnement qui est de nous, & qui peut seul nous égarer, à le mettre continuellement à l'epreuve de l'experience ; à ne conserver que les faits qui sont des verités données parla nature, & qui ne peuvent nous tromper ; à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement des expériences & des observations, sur-tout dans l'ordre dans lequel elles sont présentées, de la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d'un problème par le simple arrangement des données, & en réduisant le raisonnement à des opérations si simples, à des jugemens si courts, qu'ils ne perdent jamais de vue l'évidence qui leur sert de guide.
Méthode de Nomenclature chimique,
A. L. LAVOISIER, 1787.
Méthode de Nomenclature chimique,
A. L. LAVOISIER, 1787.
mardi 10 avril 2018
Quand on mangeons un aliment, nous percevons son « goût »
En
science des aliments, c'est le plus grand désordre terminologique,
et il faut que cela cesse, parce
que cela nuit à la qualité des travaux.
Certains
collègues
parlent
de « goût » pour parler de « saveur » ;
d'autres parlent d'arômes pour évoquer l'odeur rétronasale, alors
que le dictionnaire dit bien qu'un arôme est l'odeur d'une plante
aromatique ;
d'autres encore voient, avec ce
même mot « arôme »,
la somme de la saveur et de l'odeur rétronasale ; d'autres y
ajoutent les sensations trigéminales ; il y a ceux qui
utilisent le mot « flaveur », ceux qui ne l'utilisent
pas…
Comment
imaginer des progrès scientifiques
quand
règne tant d'incohérence ?
Le
père de la chimie moderne, Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis
en avant une idée importante dans l’introduction de son Traité
élémentaire de chimiei :
«L'impossibilité
d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la
nomenclature, tient à ce que toute science physique est
nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui
constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui
les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées,
et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner
les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le
langage. »
La
« chimie des aliments et du goût » doit donc assainir sa
terminologie pour progresser.
Pour
la langue internationale des échanges scientifiques, la question est
réglée : le mot anglais flavour
désigne la sensation synthétique que l'on a quand on mange un
aliment, et qui inclut toutes les autres. D'autre
part, les Anglo-Saxons parlent maintenant très généralement
d' odorant
pour désigner des composés qui stimulent des récepteurs olfactifs,
que ce soit para la voie orthonasale ou par la voie rétronasale. Ils
parlent de taste
pour la saveur, et de taste
buds
pour les papilles qui détectent ces saveurs. Mieux encore, l'anglais
fait bien la différence entre la flavour, le goût, et les
flavourings, ces préparations de l'industrie des parfums pour donner
du goût aux aliments, ce que la France a très déloyalement nommé
des « arômes », confondant l'acception véritable du mot
classique avec une seconde acception qui n'a rien à voir : rien
que cela est une contradiction avec la loi de 1905 sur le commerce
des denrées alimentaires.
Pour
en revenir aux termes de physiolgie, faut-il
donc parler de « flaveur », comme cela a été
proposéii ?
Une norme ISO définit la
« flaveur » comme
« l’ensemble complexe des sensations olfactives, gustatives
et trigéminales perçues au cours de la dégustation »… mais
on observe donc que cette définition ne correspond pas au mot
flavour
anglais, qui, lui, correspond au mot « goût », incluant
la perception de la consistance, de la température, etc.
Oui,
quand nous mangeons une pomme, nous avons un goût de pomme. Le
goût, c'est ce que nous percevons, la sensation synthétique qui se
fonde sur l'ensemble des perceptions et des sensations.
D'ailleurs,
nous aurions intérêt à ne pas faire une totale confiance aux
normes ISO, car, par exemple, elles définissent la « couleur »
comme « la sensation produite par la stimulation de la rétine
par des ondes lumineuses de longueur d’onde variables » ?
Quoi, des longueurs d’onde variables ? Ce serait une belle
découverte, si la lumière, en se propageant, pouvait changer de
longueur d’onde ! D’ailleurs, les incohérences abondent,
dans cette norme, puisque, par exemple, les « saveurs
élémentaires » seraient des saveurs « reconnues »,
ou que l’on nommerait « renforçateur de flaveur » (ou
de goût) les substances intensifiant la flaveur de certains produits
sans posséder cette flaveur ». Ici, les deux mots « flaveur »
et « goût » sont confondus ! Achevons avec la
définition de « transparent », qui évoque, comme il y a
plusieurs siècles, des « rayons lumineux » !
Faut-il
vraiment supporter ces définitions médiocres ? Et devons-nous
admettre le terme de « flaveur » ? Je crois que non,
et voici les raisons.
D’une
part, le mot flavour
existe en langue anglaise, où, selon le British
Standard Dictionary,
cité d'ailleurs par nos collègues sensorialistes, il désigne… la
sensation synthétique… qu’est le goûtiii.
Pas besoin d’invoquer la flaveur (mot que personne ne comprend,
comme
on l'a déjà observé),
par conséquent, pour désigner ce qui a déjà un nom en langue
française.
Faut-il
réserver le nom de « flaveur » à l’ensemble des
« sensations olfactives, gustatives et trigéminales » ?
Il faut savoir que cet ensemble de sensations n’est d’abord pas
perceptible, puisque l’on ne saurait les séparer des sensations de
consistance ou de chaleur. D’autre part, cette « flaveur »
ne serait pas mesurable, puisqu’elle serait la résultante de
stimulations de récepteurs différents.
Je
propose de penser que quelque chose qui n’est ni mesurable ni
perceptible n’existe pas !
Il faut donc abattre le mot « flaveur », le bannir de
notre vocabulaire technique ou courant.
Évidemment,
en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent imposer
les motsiv,
et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science est à faire.
Depuis
longtemps, on sait que le nez comporte des récepteurs olfactifsv,
qui peuvent se lier, directement ou indirectement, à certaines
molécules présentes dans l’air qui
atteint la muqueuse nasale.
Directement, par un mécanisme clé-serrure, ou indirectement,
puisque l’on a découvert des olfactory
binding proteins,
auxquelles des molécules se lient avant de se lier aux récepteursvi.
Ces
composés particuliers qui stimulent les récepteurs olfactifs sont
donc « odorants »… même s'ils ne se résument pas à
ce qualificatif : par exemple, l'éthanol a une odeur, mais
aussi une saveur.
Quel
que soit le détail de la stimulation des récepteurs et
quelles que soient les autres actions,
la
perception
d'une
« odeur » justifie que les composés qui suscitent une
odeur soient dits « odorants ». Pas « aromatiques »,
toutefois, puisque l’arôme est l’odeur d’une plante
aromatique, dite encore aromate. Et,
de surcroît, il y a la confusion avec les « composés
aromatiques », qui, en chimie, sont ceux qui satisfont à la
règle de Hückel.
Ajoutons
que, très logiquement, on aura raison de ne pas parler de « composés
d'arômes », sauf pour évoquer les composés qui se trouvent
dans des arômes, c'est-à-dire des odeurs de plantes aromatiques.
De
ce fait, il faut sans doute corriger nos pratiques… et nos
législations, puisqu’elles nomment très abusivement « arômes »
des choses qui n’en sont pas, que l’on parle des odeurs ou bien
des produits obtenus soit par assemblage de composés (synthétisés
ou extraits de matières végétales ou animales).
Insistons,
d’ailleurs, pour refuser à tous ces produits de l'industrie des
parfums, qu’ils contiennent ou non des composés de synthèse, le
qualificatif de « naturel » : n’est naturel que ce
qui n’a pas fait l’objet de transformation par l’être humain.
Ces « compositions odoriférantes », ou ces « extraits
odoriférants » ne sont certainement pas naturels, et c’est
tromper le consommateur que de le lui laisser croire. Experts,
n’oublions pas que la base d’un commerce sain, ce sont des
produits « loyaux, marchands et francs » !
La
saveur, les sensations trigéminales
La
question de la saveur semble plus simple, à cela près que règne
une grande confusion, à propos du nombre de saveurs. Les études de
neurophysiologie (marquage par fluorescence calcique, notamment)
montrent bien que deux récepteurs voisins sont sensibles à des
composés différents, et il est montré depuis des décennies que le
nombre de molécules « sapides » (mot justement retenu
pour désigner des composés qui stimulent les récepteurs des
papilles) est sans doute infini, avec un nombre de dimensions qui
dépasse certainement les 4 qui datent de plus d'un siècle, voire
des 5 ou des 6. Par exemple, l'acide glycyrrhizique n'est ni salé,
ni sucré, ni acide, ni amer, et le monoglutamate de sodium n'est
aucune des saveurs précédentes ; l'éthanol, également, a une
saveur originale, et ainsi de suite.
Ainsi,
il y a sans doute lieu d'éviter des termes « marketing »
comme umami,
en observant de surcroît que nombre de publications sur ce thème
sont sponsorisées par des sociétés qui vendent du monoglutamate de
sodium !
Le
tableau se complique également, du fait que l'on a découvert,
en plus des récepteurs des papilles, auxquelles se lient des
molécules qui peuvent se dissoudre dans la salive, des récepteurs
qui captent les acides gras insaturés à longue chaînevii.
La découverte est remarquable, parce qu’elle s’accompagne de la
mise en évidence de toute une chaîne physiologique qui pourrait
faire conclure qu’il existe une saveur particulière des acides
gras insaturés à longue chaîne. Cette découverte impose-t-elle
l’introduction d’un terme nouveau, sachant que, contrairement aux
autres molécules sapides que nous reconnaissons plus classiquement,
il n’y a pas de saveur reconnaissable comme les autres ?
Enfin,
comment nommer le sens correspondant à la perception des saveurs ?
On parle encore parfois de « gustation », mais la
gustation devrait être la perception du goût… or nous parlons ici
de saveurs. Doit-on plutôt parler de « sapiction », par
exempleviii ?
Et de papilles sapictives ? C'est ma proposition.
Enfin,
il y des composés dont les
récepteurs ne sont ni olfactifs, ni sapictifs,
mais associés à une voie nerveuse spécifique, le nerf trijumeau.
C’est ainsi que nous percevons le piquantix,
le fraisx…
D’ailleurs, il faut indiquer que les molécules peuvent stimuler
les récepteurs de plusieurs façons. Par exemple, le (-)-menthol
sent la menthe, certes, mais il suscite aussi la sensation de
fraîcheur. L’éthanol a une odeur, mais pas seulement, etc.
D’ailleurs,
nous avons omis d’évoquer l’astringence, qui a fautivement été
considérée comme une saveur, pendant longtemps, et qui correspond à
une sensation d’assèchement de la bouche, notamment quand des
protéines salivaires se lient à des composés phénoliques, tels
ceux qui sont présents dans certains vins et qui sont souvent,
abusivement, nommés taninsxi.
Et
les sensations thermiques, associées aux sensations trigéminales,
la perception des consistances (qui se distinguent de la texture,
laquelle est perçue), etc.
C'est
un sain emploi des mots qui évitera la cacophonie et permettra le
progrès scientifique !
ii
A. Pierson and J. Le Magnen, Etude quantitative du
processus de régulation des réponses alimentaires chez l'homme,
Physiology & Behavior, Volume 4, Issue 1, January 1969, Pages
61-67.
iii
Julie A Mennella, Gary K Beauchamp, Early flavor
experiences : when do they start ? Nutrition Today, vol
29, N°5, Sept/oct 1994, 25-31.
iv
A. Uziel, J. G.
Smadja, A. Faurion, Physiologie
du goût, Encycl.
Med. Chir. (Paris, France), Otorhino-laryngologie, 2-1987, 20490
C10.
v
K. Raming, J. Krieger, J. Strotmann, I. Boekhoff,
S. Kubick, C. Baumstark, H. Breer, Cloning
and expression of odorant receptors,
Nature, 28 janvier 1993, 361, 353-356.
vi
.
Briand, Loiec; Eloit, Corinne;
Nespoulous, Claude; Bezirard, Valerie; Huet, Jean-Claude; Henry,
Celine; Blon, Florence; Trotier, Didier; Pernollet, Jean-Claude ,
Evidence of an odorant binding protein in the human olfactory
mucus : location, structural characterization, and
odorant-binding properties, Biochimie et Structure des Proteines
Unite de Recherches INRA 477, Jouy-en-Josas, Fr. Biochemistry
(2002), 41(23), 7241-7252. CODEN: BICHAW
ISSN: 0006-2960. Journal written in English. CAN 137:105377
AN 2002:360381 CAPLUS
Isabelle
Niot, Jean-Pierre Montmayeur, Philippe Besnard, CD36,
un sérieux jalon
sur la piste du goût du gras, M/S n°
4, vol. 22, avril 2006.
viii
Hervé This, Casseroles et éprouvettes, Pour la Science, Paris,
2003.
ix
Pourquoi le piment brûle, Bernard Calvino, Marie Conrat. Pour la
Science, N0366, avril 2008, pp. 54-61
xi
Binding
of selected phenolic compound to proteins, Harshadari M Rawel,
Karina Meidtner, Jürgen Kroll, J. Agric. Food Chem., 14 april 2005,
DOI 10.1021/jf0480290 5021-8561 (04)08029-X
vendredi 6 avril 2018
Au premier ordre, Condillac
Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré" ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :
http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/
Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :
"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite. [...] L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage".
Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également : http://www.projet-voltaire.fr/blog/
J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.
Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.
http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/
Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant.
Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine Laurent de Lavoisier, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que "NaOH + HCl →NaCl + H2O".
Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire des terminologies alchimiques qui manquaient de ce systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains.
Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit :
"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite. [...] L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage".
Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire !
Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens
Avec http://atilf.atilf.fr/, on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français.
Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également : http://www.projet-voltaire.fr/blog/
J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri, bien sûr ; le mathématicien. Par Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistomologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté.
Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire.
Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est "mortifère", et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique.
J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer.
Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite.
Il faut le dire avec force :
ayons de bons mots pour bien penser !
Comment faire un bon texte d'enseignement ?
Comment faire de
bons documents qui expliquent aux étudiants des points
scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de
commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais
documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons
absolument éviter. Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours,
de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les
mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de
constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement
de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura
été faite.
Ainsi j'ai sous les
yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le
passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop
difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement,
j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais !
Dans les 20
premières pages, je trouve toute une série de définitions :
je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la
position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les
comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que
le livre ne signale de changement de régime, une série de formules
qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés
comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune
mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient
parfaitement évidents, au même niveau que des définition.
Pourtant, je viens
de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de
plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour
chacun ! Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite
des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de
documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de
l'auteur du livre !
Le livre est donc
ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune
explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau
« élémentaire », de sorte que je sais bien que les
étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf
exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils
faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils
auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est
juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir
qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les
démonstrations qui ne sont pas données.
Je trouve qu'il y a
malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple
squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il
n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des
phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par
ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un
autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni
explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement.
Un collègue qui
faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les
étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les
démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le
jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais
quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ?
Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se
contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de
donner les résultats et leur démonstration ?
Plus positivement,
je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la
suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des
options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les
démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou
dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du
chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants.
Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position.
Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position.
Sourions un peu avec
cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de
résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment
passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur
répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. »
L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends
pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement
le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui,
c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il
quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe
devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est
évident… »
Je n'arrive pas à
croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues
de bons arguments avant que j'imagine son utilisation.
Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été
extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et
la peine de mettre toute leur intelligence au service des
explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait
du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une
vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge
sale. J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou
prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle
absolue pour la préparation des textes d’enseignements des
sciences de la nature, résumée dans cette formule de François
Arago :
« La clarté est la politesse de ceux qui
s'expriment en public ».
jeudi 5 avril 2018
Les sciences de la nature ? Il n'y a qu'une méthode !
Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science. La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?).
Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature.
Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature.
Quel est leur objet, leur unique objet ?
Et qu'est-ce que cette méthode ?
Elle tient en six points :
1. identifier un phénomène
2. le quantifier (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon)
3. réunir les données de mesure en équations nommées "lois"
4. produire des "théories" en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2
5. recherche de conséquences logiques, testables, des théories
6. tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
7. et ainsi de suite à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique).
Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisiers, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle.
D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou l'ingéniérie, ni avec la technique.
La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc.
La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer.
C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond".
Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui.
Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !
Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature.
Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature.
Quel est leur objet, leur unique objet ?
Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique".
Et qu'est-ce que cette méthode ?
Elle tient en six points :
1. identifier un phénomène
2. le quantifier (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon)
3. réunir les données de mesure en équations nommées "lois"
4. produire des "théories" en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2
5. recherche de conséquences logiques, testables, des théories
6. tests expérimentaux de ces prévisions théoriques
7. et ainsi de suite à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique).
Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisiers, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle.
D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou l'ingéniérie, ni avec la technique.
La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc.
La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer.
C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond".
Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui.
Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !
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