jeudi 8 novembre 2012

Une autre belle nouvelle

Voici ce que je reçois ce matin :

Today we (the M.SC class) made our first note-by-note dish by re-creating one of the recipes you developed with Pierre Gagnaire. It was sago pearls made from whey, alginate and flavouring, a crisp made from caramelised glucose and granite also made from glucose and flavouring. We were pleased with the results. The students will in the next few weeks focus on producing their own dishes.

Champagne (note à note !)

mercredi 7 novembre 2012

Innovation, créativité

Alors que l'industrie (alimentaire) ne cesse de réclamer de l'innovation, je vois deux écueils majeurs, les Charybde et Scylla de l'innovation industrielle :

1. Charybde : c'est quand on donne un nouveau nom à une activité ou à un produit ancien. Evidemment, c'est déloyal, malhonnête, et donc répréhensible en vertu de la loi de 1905 sur le commerce

2. Scylla : c'est quand on conserve le nom d'un produit ancien pour le donner à un produit nouveau. Là encore, il est malhonnête de vendre des tournevis pour des marteaux.
A noter que des variations existent : par exemple, est-il honnête de faire des "crèmes anglaises" avec 6 jaunes d'oeufs par litre de lait, alors que les crèmes anglaises du Guide culinaire en comportent 16 ? La sauce moderne n'a rien à voir avec la sauce digne de ce nom.

Soyons maintenant positif : puisque l'industrie veut absolument de l'innovation, et qu'il est facile d'en faire (une journée sera organisée pour les PME le 14 février 2013 à AgroParisTech, sur ce thème), pourquoi ne pas donner de nouveaux noms à de nouveaux produits ?

Vive l'innovation honnête, intelligente, fruit de propositions des services de recherche et mise au point de sociétés dont les services commerciaux et marketing feront leur travail, de vente des nouveaux produits !

mardi 6 novembre 2012

Un message passionnant

Il y a quelques jours, je recevais un message passionnant. Je l'ai divisé en "petites bouchées" que j'ai introduites dans la colonne de gauche d'un tableau, et j'ai mis mes réponses dans la colonne de droite.
Puis, avant d'envoyer ce tableau à mon correspondant (que je ne connaissais pas), j'ai ajouté une réponse (en fin de billet).


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 Hier, j'ai reçu un courriel si passionnant que je n'ai pas perdu une seconde : une réponse détaillée s'imposait. 
Mon correspondant (que je ne connais pas) a accepté que je publie son texte, qui figure dans la colonne de gauche. Ma réponse est dans la colonne de droite. Et, comme en cuisine, on se sépare difficilement des amis (et ce n'est pas une rhétorique convenue), j'ai ajouté un petit message, qui donne des indications supplémentaires, qui auraient trouvé leur place dans la réponse. Il y a de la redondance, une perte de structure, mais tant pis : le formalisme est mortifère, comme l'observait Nietzsche. 
Et l'art, au contraire, est plein de vie... tout comme la science, qu'on ne confondra pas avec ses applications. 
Ici, il n'est donc en aucune façon question de gastronomie moléculaire (de la science), mais seulement de cuisine note à note

J'ai découvert vos travaux en 2001, alors que par provocation et curiosité je proposais en sujet de TIPE pour les concours d'entrée aux grandes écoles, sur le thème "Composition et décomposition" le sujet de la sauce salade.
Curiosité : merveilleux.
Provocation : j'en connais qui ont du mal à s'empêcher d'en faire... mais pour ce qui me concerne, la cuisine note à note n'en est pas.
Ce fut une année enrichie par la découverte de l'extraordinaire complexité des émulsions, par de franches rigolades en laboratoire avec simplement des ingrédients de la cuisine de tous les jours, mais également par l'excellent sujet des Mines 2000 sur le soufflé dont vous étiez si mes souvenirs sont bons co-auteur.
Oui, il y a eu une épreuve de physique, au Concours des Mines, consacrée aux transferts thermiques dans les soufflés. Je n'y étais pour rien... d'autant que la question, intéressante en elle-même, n'avait pas de pertinence culinaire. Personnellement, j'aurais fait calculer autre chose, mais peu importe : je remercie les collègues auteurs de ce sujet d'avoir popularisé la question.
Avance rapide à cette année ou un ami aussi mordu de cuisine que moi me parle de votre conférence sur la cuisine note à note publiée par AgroParisTech sur DailyMotion.
Je ne crois pas qu'il y ait eu une « conférence », mais il y a eu des Cours de gastronomie moléculaire consacrés à la cuisine note à note en 2012 : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/706a3/Cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
Et me voila immédiatement malgré moi en train de vouloir brandir "Soylent Green" (Soleil Vert) vis à vis de vos propos comme d'autres ont pu par le passé brandir "Brave new world" vis à vis du clonage humain.
Je n'ai pas vu Soleil Vert, mais j'ai compris qu'il était question de « nourriture de synthèse » (produite à partir de cadavres humains) produite par une multinationale Soylent, et de résistance. La « nourriture naturelle », dans cette histoire, est réservée aux nantis.
Oui, on m'a signalé plusieurs fois ce film... mais la proposition de la cuisine note à note n'a pas vocation d'aboutir à cette chose terrible !
Si vous me lisez bien, je propose d'abord de penser que la méthode la plus efficace de produire des nutriments est de cultiver des végétaux : d'une part, l'énergie solaire, l'humidité de l'atmosphère, le CO2, les sols... sont disponibles ; d'autre part, il a fallu des centaines de chimistes-ans pour synthétiser rien que la vitamine B12 !
C'est pourquoi je préconise fractionnement et craquage des produits végétaux : n'oublions pas le « magasin du bon dieu » qu'évoquait mon défunt ami Pierre Potier.
D'autre part, dans le livre La cuisine note à note, j'explique que le projet politique de cette cuisine est d'enrichir les agriculteurs.
En revanche, je discute aussi les mots « naturels » et « de synthèse », ou « artificiels ».
J'invite tous ceux qui ne l'ont pas fait à lire « De la nature », par John Stuart Mills... par ces temps de sentiments pro-nature souvent insuffisamment raisonnés.
Suis-je donc bien reactionnaire, me dis-je en mon fors intérieur.
Une réaction à la cuisine note à note ? Si l'on oublie la question de Soleil vert, et le fantasme qui est né de ce film, il demeure que j'ai été moi-même hésitant à penser l'idée. Mais mon livre explique que la cuisine note à note est une « évidence a posteriori », concept amusant, quand on y pense !
En vérité, je dois l'avouer, si cette conférence m'ulcère de prime abord, l'individu de pure raison qui cohabite tant bien que mal avec le concupiscent ne peut que gamberger tout azimut sur la portée et l'intelligence de vos propos.
Oui, nous tenons « viscéralement » à nos coqs au vin, poulets rôtis, choucroute...
Et c'est sans doute du conditionnement d'enfance : pour des raisons biologiques profondes, nous ne mangeons que ce que nous connaissons (néophobie alimentaire).
Et oui, je souhaite surtout susciter des réflexions : c'est la raison pour laquelle la Séance publique de l'Académie d'agriculture de France, le 19 décembre, sera une séance de questionnement !
Car oui, j'ose souvent défendre des propos proches du malthusianisme, souvent plus par envie de susciter la reflexion que par réelle conviction, et peut être ai-je décelé (à tort ?) une démarche similaire dans la part de votre conférence qui traite de la conservation de l'énergie et de l'entretien de notre environnement.
Je vous rejoins : avons-nous d'une démographie galopante, un peu bestiale, ou devons-nous apprendre la raison nataliste ?
Pour ce qui concerne l'énergie, je n'ai pas d'états d'âme, parce que je serai sans doute mort en 2050, quand le pétrole sera épuisé. Mais une crise s'annonce.
Pour l'environnement, la sensibilisation n'est plus à faire !
J'admire dans votre discours également le pragmatisme stratégique, fondé sur une expérience historique probante, et dont vous avez su faire l'eclatante démonstration de réussite à travers la gastronomie moléculaire.
Comptez sur moi : j'ai 365 jours par an, et 24 heures par jour. L'histoire de la cuisine note à note commence seulement !
Je me prends à rêver du jour où votre serviteur, bedonnant car incapable de maintenir son poids même en mangeant de la soupe et du jambon, cuisinant en fuyant la graisse (sauf quand il faut faire plaisir, auquel cas tous les moyens sont bons), pourra via un pianocktail se composer un repas savoureux, sain et équilibré. De la haute diététique gastronomique sur mesure, n'est-ce pas un rêve ?
Le pianocktail existe, mais je crois que la question est « un repas savoureux, sain, équilibré ».
A ce jour, il semble que la seule diététique qui tienne soit de manger de tout en quantités modérées, et en faisant de l'exercice.
Ce qui est passionnant, notamment, dans la cuisine note à note, c'est qu'elle pose des questions nutritionnelles auxquelles on ne sait pas répondre. Comment se nourrir note à note au quotidien ? Voilà la question posée à nos nutritionnistes et diététiciens. A noter qu'elle s'apparente à « comment nourrir des hommes et des femmes qui iraient faire des voyages au long cours dans l'espace » (à noter que je ne suis pas certain de l'utilité de tels voyages... mais si cela amuse certains).
Quant à la haute cuisine note à note, c'est ce qui se fera en premier, puisque la stratégie de développement de cette cuisine vise à l'introduire d'abord chez les chefs étoilés.
J'ai un vertige en imaginant le nombre de possibilités culinaires envisageables avec ce genre de techniques.
Oui, c'est infini. Et c'est donc merveilleux, car il va falloir trouver des critères de choix, autre que la paresseuse stratégie qui consiste à faire ce que l'on a toujours fait (steak ou poulet grillé, pâtes ou frites...)
Et puis vient la première question profondément humaine. Ai-je envie ?
En tant que gourmand, je réponds « oui » sans aucune hésitation.
En tant que citoyen qui voit les 45 % de gaspillage alimentaire, entre le champ et l'assiette, je réponds également que transporter « de l'eau qui pourrit », c'est honteux... de sorte qu'il faut fractionner à la ferme, et ne transporter que des fractions dont les cuisiniers (domestiques : ce sont surtout eux que je vise, disons que j'espère) feront une « cuisine note à note pratique », à défaut d'être une « cuisine note à note pure » (n'utilisant que des composés)
La cuisine est envie pour moi. L'imagination me vient lorsque j'ai un beau produit sous les yeux, sous la main, sur les papilles.
Cette réaction résulte d'une méconnaissance des composés et des fractions proposés.
Je me souviens de mon ami Pierre Gagnaire, à qui j'avais soumis de la poudre de betteraves (une jolie poudre d'un rose framboise, avec un goût superbe), qui en a fait un remarquable plat, présenté lors d'une conférence commune à l'Académie culinaire de France.
Et pour ce qui me concerne, j'adore les sotolons, 1-octène-3-ol, citral, etc.
Mais évidemment, le rêve ne peut s'élaborer que sur la connaissance !
Lorsque je passe devant les produits de cuisine moléculaire grand public dans leurs emballages aseptisés, je ne vois que l'ennui, pas le merveilleux champ de pommes de terres de Parmentier gardé contre les faméliques.
Merveilleux champ de pommes de terre ? Bof... J'ai peur qu'il y ait du fantasme !
Hier, par exemple, je pataugeais dans la boue d'un champ... de pommes de terre. Désolé, mais ça manquait de charme.
Quant aux pommes de terre, pourquoi pas de temps en temps, mais ce n'est pas ce qui me fait le plus rêver.
Ai-je envie que ma cuisine, avec ses épices, ses bons produits riches en textures et en saveurs, qui me font saliver, qui me font rêver, soit demain remplie de boites de plastique blanches et hermétiques ?
Les épices font saliver ? Amusant : nombre de composés note à note s'apparentent absolument à des épices.
Et puis, pourquoi n'aurions-nous pas de jolis flacons, au lieu de boites plastiques blanches et hermétiques ? Personne ne vous empêche de mettre de la gélatine dans un petit pot de grès alsacien, par exemple.
Je vous pose la question : est-ce le scientifique en vous qui s'émerveille de cette cuisine, ou bien est-ce le créateur du canard à la Brillat Savarin ?
Là, c'est très clair : de même qu'un amateur de musique veut découvrir des tas de nouvelles et belles musiques, de même qu'un amateur de peinture veut découvrir Zao Wu Ki, quand il en est resté à Rembrandt, moi, Gourmand, je veux absolument découvrir de nouveaux goûts, de nouvelles consistances, de nouvelles saveurs, des piquants et des frais originaux, des couleurs jamais mangées.
Et vient ensuite la question de la richesse. Je vais prendre le parallèle avec d'autres arts, si vous le voulez bien. On sait aujourd'hui produire de la peinture avec des composés de pigmentation et de stabilisation, des claviers electroniques et logiciels qui imitent formidablement de vrais instruments.
Malgré tout... Retrouve-t-on le charme des pigments anciens, même si ceux ci peuvent passer avec le temps ou contenir des poisons comme l'arsenic ?
Retrouve-t-on le charme des pigments anciens ? Laissons aux anciens les pigments anciens, et essayons de voir les couleurs encore jamais vues.
Par exemple, en faïence, Théodore Deck avait « tiré le bleu du ciel ». Plus près de nous, Klein a réitéré, et il y a de quoi s'émerveiller. Pourquoi n'y aurait-il pas une suite à cette image ? Et puis, pourquoi avoir le charme de l'ancien et le merveilleux du nouveau SANS l'arsenic ? Pardonnez moi, mais je préfère une vie longue pleine d'art, que la même vie écourtée par les poisons, avec le seul art des siècles passés.
Une remarque : en matière d'art, le nouveau s'ajoute à l'ancien, et ne le remplace pas. Imaginez le calvaire d'écouter du Bach toute la journée, ou de regarder du Durer, et seulement du Durer
Peut-on reproduire sur un synthétiseur Yamaha la richesse du son d'une flute traversière en ébène du même fabriquant, née du sacrifice d'arbres de plus en plus rares ?
Je suis flutiste, précisément... et j'ai une flute Yamaha... laquelle a fait hurler les puristes il y a 30 ans : amusant, donc, que vous preniez cet exemple.
Oui, on peut reproduire sur un synthétiseur Yamaha, ou même sur n'importe quel ordinateur la richesse du son d'une flute en ébène (d'ailleurs, désolé de vous dire qu'une flute Yamaha, c'est quand même bien mieux que de l'ébène ! Et puis, abattre des essences rares ?
... Combien d'efforts et de composés pour arriver à la richesse gustative équivalente (sans pour autant imiter) d'un pata negra ou d'une tomate de petite ferme ?
En réalité, pas beaucoup d'efforts. D'abord, évacuons le fantasme de « pata negra », ou de tomate de petite ferme. Oui, il y a parfois des produits remarquables... mais parfois seulement !
D'ailleurs, nous avons eu un débat passionnant, à AgroParisTech, à propos des « beaux produits » (je crois que c'est filmé, en podcast). En gros, la conclusion, c'est qu'un beau produit est un produit adapté à l'usage culinaire que l'on veut en faire. Une viande à braiser ne vaut rien pour une grillade, mais s'impose largement devant le plus beau des filets quand il s'agit de braisage.
Ensuite, les acousticiens ont montré que, au delà de sept harmoniques, on ne les entend plus. Et nos sens sont bien imparfaits. D'ailleurs... le cinéma, malgré les images successives, ne paraît pas saccadé. Et ainsi de suite : les pixels ne gagnent rien à être trop petits.
Regardez les recettes servies par les chefs des Toques blanches le 20 septembre 2012, lors de la conférence de presse pour la sortie du livre La cuisine note à note. Ce n'est pas difficile... et c'était très intéressant. En tout cas, bien supérieur au buffet minable d'un très grand traiteur du 6e arrondissement.
Plus généralement, il y aura d'extraordinaires oeuvres note à note comme il y a eu d'extraordinaires mets classiques. J'ai confiance... dans les artistes, puisque c'est une question artistique !
Peut-on seulement ?
Peut-on ? Oui. L'histoire des techniques est pleine de questions, à propos du plus lourd que l'air, à propos des sous-marins, à propos du gaz à tous les étages, à propos de l'électricité dans les rues, à propos...
La vraie question, c'est Prométhée ! Et là, utilisez vous par exemple un ordinateur ? Avec quelle bonne confiance ? Et l'électricité ?
Décidément, je suis bien content d'apprendre un minimum de clairvoyance en préparant mon livre sur la mauvaise foi. Non que je vous en accuse personnellement, mais je NOUS en accuse tous. Le partage humain/animal qui fait de nous des êtres humains me semble être une des causes de la chose.
De tels aliments ne valent-ils pas qu'on s'empoisonne un peu pour un moment de merveille ?
Pas sûr. S'il y a d'autres merveilles, pourquoi voudrais je celles qui empoisonnent ? Carricaturons : imaginons un champignon toxique au goût délicieux, mais qui ne nous laisserait que 10 ans à vivre. Le prendriez vous ?
D'ailleurs, ce fut le cas avec les sels de plomb dont les Romains édulcoraient leurs vins. L'Empire est tombé.
Donc, non, l'alternative n'est pas alimentation triste et note à note contre merveilles empoisonnées. Depuis que mes enfants m'y ont poussé, je réponds toujours que je préfère les framboises quand on me donne le choix entre des fraises et des pommes.
Je vous rassure, la question est ouverte, je suis dans le flou moi même, mais votre éclairage là dessus m'intéresserait. D'autant que je ne suis sans doute pas le premier à aborder le sujet avec vous :)
Et moi, je suis de moins en moins dans le flou, mais il est vrai que je m'interroge, car je me souviens de cette phrase : « Comment serais je insensé à croire à mes propres certitudes ? ».
Oui, vous n'êtes pas le premier, mais je vous remercie très vivement de ce baptème du feu, car il est amical, contrairement à ce que j'attends de certains journalistes réacs, qui attaqueront bientôt avec virulence (notamment pour que je réponde, et qu'ils soient mis en lumière).
Tant d'autres questions :
- Ethique : je ne reviens pas sur le problème Soylent Green
Moi non plus. Pas de fantasme
- Pédagogique : vous parlez "d'imposer" le note à note pour les moins de 20 ans histoire de régler le problème sur cette génération,
Là, vous avez entièrement raison : j'ai tort de vouloir imposer la cuisine note à note. Disons que j'y crois tant, d'un point de vue citoyen, que j'ai une grande envie de voir la cuisine note à note se développer rapidement.
Mais je dis aussi, souvent, que mes efforts ne sont que peu utiles. J'attends la prochaine crise de l'énergie, car elle imposera la cuisine note à note, tout comme la crise de la vache folle a imposé les gélifiants autres que la gélatine, que je proposais depuis 1980 en vain, les cuisiniers me rétorquant que j'allais empoisonner tout le monde : en 15 jours, ils ont tourné leur veste !
Donc j'attends avec patience et dynamisme, je fais de la pédagogie, je prépare le terrain, je suscite des réflexions dans des cercles variés : agronomiques, culinaires, etc.
mais ce genre d'éducation "forcée" en gastronomie a déjà mené à une pseudo-catastrophe aujourd'hui, une dégénérescence du gout vers une culture fast food, loin du réel plaisir gustatif. N'est-ce pas risqué ?
Je me méfie des « dégénérescences du goût » : après la Seconde Guerre mondiale, quand le jazz est arrivé, les classiques (les « Anciens ») en disaient que ce n'était pas de la musique. Puis, dans les années 1980, les amateurs de jazz ont dit que le hard rock n'était pas de la musique... Et cette querelle des Anciens et des Modernes dure depuis toujours. Et les Modernes gagnent toujours, par disparition des Anciens.
Et puis, quelle dégénérescence du goût ? Et qui sommes nous pour critiquer le goût des autres ?
La catastrophe dont vous parlez me semble double : 1) pandémie d'obésité (due à l'inactivité, principalement) ; 2) le vrai scandale alimentaire actuel, ce sont les « marchands de peur », ceux qui font croire que des résidus de pesticides (à peine dosables) sont un complot de la grande industrie/capital, et j'en passe et des OGM.
C'est là l'immense scandale du XXI e siècle ! Avec un « ilchimisme » qui livre à leur griffes un public trop naïf (et je me mets dans le public, sans supériorité, sachant trop combien je suis ignorant dans les domaines techniques qui ne sont pas les miens)
- Ne suis-je pas prêt à vivre moins longtemps en m'empoisonnant à petit feu pour vivre plus intensément ? (peut-on rire de cette question ?)
Déjà discuté, je n'y reviens pas
- et j'en passe.
Dommage (franchement) : cela m'aurait donné la possibilité d'exposer des réponses.
Plus généralement, je déclare sur l'honneur que je n'ai aucun intérêt financier au développement de la cuisine note à note. Je n'y ai même pas d'intérêt d'égo, et je crois seulement pouvoir m'attendre à des ennuis. N'ai je pas déjà reçu des menaces de mort lorsque j'avais proposé de supprimer les notions fausses de « cuisson par concentration » et de « cuisson par expansion », il y a une vingtaine d'années ? Cette fois, cela risque d'être pire !
Est-ce que je me trompe en imaginant que vous n'agissez pas en moteur universel sur ce sujet ? Outre l'engouement de chefs à expérimenter vos propositions, j'imagine que vous avez tout un entourage intellectuel modérateur n'est-ce pas ? Gastronomes traditionnalistes, diététiciens, sociologues, psychologues, philosophes ?
Je n'ai personne, mais je m'active pour avoir beaucoup de monde. C'est notamment le but de la séance du 19 décembre 2012 à l'Académie d'agriculture de France. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai publié mon manifeste+manuel : en espérant qu'un très vaste dialogue se créera. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai fait le Cours 2012, podcasté de surcroît : il s'agissait de poser des questions. C'est le but de mes conférences actuelles : créer un débat collectif, qui fasse intervenir des compétences variées... mais il est vrai aussi que je ne crois pas que les questions soient vraiment difficiles, en général.
Vraiment j'aimerais connaitre la nature du groupe de réflexion sur ce sujet.
Il n'y en a pas de constitué, mais vous me donnez une idée !
Et savoir d'ailleurs s'il existe des espaces d'échange publics en réalité, pour suivre et participer à la reflexion dans la mesure de mes maigres moyens (que n'ai-je pas pris cette décision de suivre un cursus dans cette voie...)
Cette fois, oui : il y a mon blog, où chaque internaute peut répondre à mes provocations, et aussi un Forum Note à Note sur le site d'AgroParisTech.
Hélas, peu d'interventions à part les miennes, pour l'instant.
Dans l'immédiat, je pense que je vais prendre la position d'un curieux.
Cela ne m'étonne pas de vous, que je ne connais pas mais que je découvre en vous lisant.
Il y a matière à ce que je travaille a partir de composés, et pourquoi pas que je conçoive quelques plats à l'occasion.
N'hésitez pas à me donner vos recettes, que je publierai immédiatement, en vous les attribuant bien sûr.
N'oubliez pas que le glucose et le gras font toujours recette !
Que je goute aussi ce que d'autres plus talentueux ont fait (d'ailleurs, travaillant à deux pas du renaissance de la défense, savez vous s'ils ont mis des plats à la carte ?).
C'est fait depuis une semaine
Mais sur le propos global, le temps me le dira.
Oui.
Je vous remercie si vous avez pris le temps de lire ma diatribe jusque ici. Et je vous serai encore plus reconnaissant si vous prenez le temps de me répondre ne serait-ce que pour m'indiquer des publications ou des endroits où je pourrais trouver des réponses à ces nombreuses questions.
C'est moi qui vous remercie, à nouveau
Et pour des discussions :



Cher Monsieur
Voici ma réponse. Je suis désolé d'être si peu hésitant, parce que je me souviens encore quand j'ai pensé la cuisine note à note pour la première fois, et cela me faisait drôle, indépendamment de toute provocation, puisque c'était dans le silence de mon cabinet, comme on dit.
Et plus le temps passe, moins j'ai de doutes et d'hésitations.
Surtout, avec le temps, je vois de mieux en mieux l'incohérence de nos comportements alimentaires, souvent au nom de la "tradition". Mais, la tradition n'est-elle pas, aussi, l'esclavage, la circoncision des petits garçons et l'excision des petites filles, et tant d'autres comportements que nous devrions rapidement éradiquer ? A propos d'empoisonnement, serions-nous prêts à manger des pissala traditionnelles, avec jusqu'à 15 g de cinabre par kilo de sel et par kilo d'anchois ? serions-nous prêts à boire des vins édulcorés aux sels de plomb ? La carricature a cela de bien qu'elle montre mieux le principe des choses.

Très cordialement, avec des remerciements appuyés pour votre message.







lundi 5 novembre 2012

Prochain séminaire : le 19 novembre

Chers Amis

Pour ceux qui veulent+peuvent, rendez vous pour le prochain séminaire, à l'ESCF, 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006, le lundi 19 novembre, de 16 à 18 heures.
Nous y examinerons des techniques "infaillibles" pour rattraper les sauces hollandaises tournées.

A bientôt

dimanche 4 novembre 2012

Chimie citoyenne, pas participative

La "science participative" : une bonne idée qui se heurte aux faits.
Oui, nous aimerions tous, et cela depuis le début des universités populaires au moins, que l'ensemble des citoyens puisse "être en science", notamment afin d'éviter des rejets viscéraux (souvent on confond le rejet de la science et celui de ses applications).
Toutefois, la science étant expérience et calcul, et le calcul étant la pierre d'achoppement, la vulgarisation s'est souvent cantonnée à un "récit", qui, en réalité, ne montre jamais la science ! Comme le disait si bien Alain Robbe-Grillet dans son Pour un nouveau roman, il n'y a pas le fond d'un côté et la forme de l'autre (La tentation de Saint Antoine de Flaubert amalgame l'un et l'autre, de façon indissoluble). Souvent, c'est le calcul qui est la science.

Comment rendre la science aux citoyens qui la financent ? Bien sûr, on peut proposer que ce soit pas ses applications, mais le jeu est un peu dangereux, car les applications portent en elles leur "responsabilité", et l'on risque, à ce jeu, de critiquer la science pour ses applications les plus contestables (ce qui, en réalité, est le lot quotidien).
Alors ?

Et si l'on apprenait une "science citoyenne" aux citoyens ?

Pour la chimie, par exemple, je me souviens d'un ami physicien venu diner à la maison, qui avait tourné un peu vite, en voiture, et dont une batterie qu'il avait dans son coffre avait relâché de l'acide (sulfurique).
Il avait lavé à grande eau...
Erreur ! Ainsi il diluait l'acide, et le dispersait partout dans sa voiture !
Alors ? Alors la "chimie citoyenne", domestiquée, lui aurait enseigné de disperser un peu de bicarbonate de sodium (il avait certainement cela dans sa cuisine), afin de neutraliser l'acide. Combien de bicarbonate ? Jusqu'à arrêt de l'effervescence.

Voilà ce que je propose : que la chimie soit "au quotidien", et, d'autre part, dans des laboratoires publics où l'on s'intéressera à la développer (les laboratoires publics doivent-ils vraiment trouver des applications ? autre discussion pour une autre fois).

Vive la chimie, en général, et la science en particulier ;-)

mardi 30 octobre 2012

Une merveilleuse nouvelle !

Ce matin, au courrier, ce message :


Bonsoir M This,

je suis professeur de cuisine à xxx et j’anime avec une professeur de physique-chimie un atelier sur la cuisine et les sciences. De plus, je commence à aborder la cuisine note à note avec mes élèves et même si au début je trouvais cela un peu prématuré d’aborder cela avec des jeunes étudiants, je me suis ravisé et j’ai décidé de voir cela avec eux. Je cherche des fournisseurs vers lesquels m’adresser pour obtenir certains composants.

Je vous remercie d’avance pour les renseignements que vous pourrez me fournir, mais également pour l’ensemble de vos travaux qui éclairent grandement notre travail et de cuisinier et d’enseignant


Si on enseigne la cuisine note à note, mon combat pour son développement est gagné ! 

lundi 29 octobre 2012

En science, quelle expertise ?

Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

Une boutade, d'abord : un scientifique est bon s'il est bien noté par les commissions de spécialistes.

Plus sérieusement, il est souvent bon de distinguer l'obligation de résultats, et l'obligation de moyens.
Un scientifique qui fait une belle découverte est un bon scientifique. S'il fait plusieurs belles découvertes, il est encore plus remarquable.

Cela dit, dans un billet plus ancien, j'ai montré que la découverte (qui sourit aux esprits préparés) ne se trouve pas sous le pied d'un cheval. Nous n'avons que des stratégies très hasardeuses.
Alors, obligation de moyens ? Il y a d'abord le soin expérimental, la précision des expériences, leur répétition un nombre suffisant de fois pour que l'on soit en état de publier raisonnablement les résultats, fussent-ils d'importance secondaire. Nous devons penser que nos publications servent de socle à d'autres travaux, et notre responsabilité est ainsi engagée.

D'où le mot essentiel : validation !

Oui, il faut valider les expériences, les reproduire, croiser les résultats d'une analyse par les résultats d'autres analyses, ne pas seulement refaire les calculs mais les valider, c'est-à-dire produire d'autres calculs, différents, pour arriver au même résultat.

Tout cela est excessivement lent... mais c'est la clé d'une... expertise ? Le mot est lâché (voir plusieurs des billets précédents).
Décidément, pas de science participative possible. A bas la démagogie, vive l'éloge de l'expertise méritée ! Vive l'expertise méritée ! Tout ne se vaut pas : le dessin d'enfant et l'oeuvre de l'artiste qui, au terme d'une vie, est capable de faire "un unique trait de pinceau" (voir soit le livre éponyme du Moine Citrouille Amère, soit mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", aux éditions O. Jacob).

Vive la connaissance (bien) produite et (bien) partagée !