mardi 10 septembre 2019

À propos de cuisson

Lors de discussions, notamment à propos de la cuisson des financiers, l'un de mes interlocuteurs a évoqué  sa pratique personnelle qui consiste à faire une double cuisson. Pourquoi pas, mais pourquoi  ?

En réalité, cela me rappelle un très ancien souvenir, quand, au cours de mes premiers travaux, dans les années 1980, j'avais exploré la cuisson des frites, et l'intérêt éventuel de bains successifs.
 J'avais commencé par mesurer la température dans les frites au cours d'un ou de plusieurs  bains et j'avais obtenu des courbes correspondant aux échauffements dans ces divers cas, sans voir (hélas) de véritable phénomène nouveau, surprenant : je n'observais que ce que la théorie classique de la chaleur pouvait prédire.
Toutefois la fréquentation des milieux culinaire m'avait fait connaître alors la pratique, réelle ou prétendue, d'un chef réputé, qui cuisait - disait-on- dans 6 bains successifs  et qui aurait reconnu la parfaite cuisson des frites à l'oreille. Pourquoi pas,  mais en tout cas, la mesure des températures ne me montra alors aucun phénomène  particulier. J'ajoute que plus tard, j'ai fini par comprendre que plus on sort les frites de fois de l'huile, plus on les charge d'huile. Si c'est l'objectif que d'emplir  les frites, autant y aller à la seringue, cela sera plus facile.
Car en réalité, une frite est un objet assez simple avec un cœur de pommes de terre en purée, si l'on peut dire, à l'intérieur d'une croûte qui donne le croustillant.  Evidemment, plus la durée de cuisson est longue, plus le croustillant et épais. Et j'ajoute immédiatement qu'il n'y a pas de cuisson idéale puisque le meilleur, c'est ce que j'aime hic et nunc, ici et maintenant ; ce meilleur n'existe qu'à l'instant, car il changera probablement  d'un jour à l'autre, d'une heure à l'autre, et je ne suis pas prêt à entendre que le meilleur d'autrui doive être le mien. J'ai mon meilleur, qui change tout le temps et je me le garde.
Oui, le "bon", le meilleur" sont des questions artistiques, de goût, et non des questions  technique. J'ajoute cette remarque, car la confusion a souvent fait bien du mal aux débats culinaires, avec des notions néfastes comme le point de succulence par exemple.

Mais finalement, cette question des cuissons me fait comprendre  qu'il y a lieu de bien expliquer la théorie de la chaleur, extrêmement classique, car elle permet de mieux se comporter techniquement en cuisine. Une fois l'objectif choisi, on saura alors décider du barème de température que l'on voudra appliquer, en utilisant la classique théorie de la chaleur, née notamment avec le physicien français Jean-Baptiste Fourier. Cette théorie, valide dans les cas culinaires habituels,  permet de comprendre pourquoi des notions comme le choc thermique sont parfois complètement hors sujet et pourquoi les entailles faites dans l'épaisseur de certains produits que l'on cuit ne permet certainement pas de faire entrer à la chaleur plus vite.

Bref, une fois de plus, j'observe qu'il y a lieu de comprendre ce que l'on fait,  et, en cuisine, cette compréhension passe part de la chimie, de la physique, de la biologie.  Finalement, si vous nous voulons être bon cuisinier, ouvrons les oreilles au collège pendant que les cours nous  sont dispensés, sans quoi nous devons nous y recoller plus tard. Et j'ajoute que "s'y recoller" est une expression un peu péjorative,  personnellement, je vois plutôt cela comme du bonheur. Le bonheur d'apprendre, le bonheur de comprendre !

lundi 9 septembre 2019

Une question d'envie


Dans une discussion avec un professeur,  je m'aperçois que nous ne sommes pas sur la même planète : alors qu'il agite devant moi des questions d'évaluation, je ne pense qu'aux moyens de donner envie d'étudier aux jeunes collègues. 

Ne pourrions-nous pas évoquer la beauté des sujets ? En mathématiques, il est vrai qu'il y a quelques démonstrations superbes de subtilité, d'intelligence. En physique, des méthodes comme les variations, ou les calculs ab initio sont vraiment merveilleux, mais la thermodynamique statistique, aussi, est extraordinaire. En chimie ? Il y a des synthèse qui sont d'extraordinaires chemins dans une sorte d'espace de la synthèse organique. En analyse ? La spectroscopie de résonance magnétique est extraordinaire : elle montre les atomes !

Bien sûr, pour d'autres, plus pragmatiques parce que clairement destinés à une carrière d'ingénieur, il y a une question essentielle d'utilité, d'efficacité. Je suis moins bon pour vous en donner des exemples, mais cela court les matières, de même.

Quoi d'autres ? L'actualité est clairement un moteur important, pour une partie de nos collègues. Cela tombe bien, car c'est une partie de notre mission que de montrer des théories modernes. Et là, c'est l'abondance, puisque chaque article récemment publié donne un exemple supplémentaire.

D'autres possibilités ?

dimanche 8 septembre 2019

Un projet professionnel est un projet personnel ; comment se déterminer ?


J'ai l'impression que nous aurions tout intérêt à aider les étudiants à se déterminer quand leur projet professionnel n'est pas fixé. D'ailleurs, je dis "projet professionnel", mais je ferais mieux de dire "projet personnel", car je ne vois pas les possibilités durables de mener une vie professionnelle si elle n'est pas intimement et harmonieusement intégrée à la vie personnelle.
En conséquence, nous aurions intérêt à bien suivre cette question au cours des études : au début, au milieu, plusieurs fois, en fin de parcours. Comment aider nos amis ?  Je crois que nous aurions intérêt à rappeler l'exemple de Francis Crick, qui, physicien, s'aperçut un jour qu'il parlait de biologie à ses amis. Il décida donc de changer de discipline... et c'est ainsi qu'il reçu le prix Nobel quelques années plus tard pour la découverte de la  structure en double hélice de l'ADN. Chercher de quoi l'on parle avec le plus d'intérêt (à ses amis) : c'est ce qu'il a nommé le test du bavardage.
On aura aussi intérêt à donner des outils pour comparer les différentes activités, et notamment les critères d'intérêt intrinsèque, à savoir combien le métier nous intéresse, d'intérêt extrinsèque, à savoir combien on gagne, et d' intérêt concomitant, qui regroupe des tas d'intérêts, comme celui de la place dans la société, par exemple. Pour chaque activité, chaque personne en particulier peut faire une estimation particulière, ce qui conduit à un bilan, surtout si l'on assortit c'est évaluation d'un tableau où il l'on fait apparaître les avantages et les inconvénients que l'on pressent : c'est un tel tableau que l'on peut alors discuter de façon plus raisonnée.
Tout cela étant dit, et sans que mon exemple ne soit exemplaire, je propose de raconter ici que, quand je me suis retrouvée inscrit en faculté de lettres, j'avais des tas de matière qui ne m'intéressaient pas a priori.  C'était là un état d'esprit d'enfant, car les études de ces matières, notamment avec des professeurs aussi merveilleux que Danielle Régnier-Bohler et Claude Gaignebet, m'ont montré que mes a priori étaient complètement idiots. Puis, quand j'ai été embauché par la revue Pour la science, je l'ai été, faute de place,  pour le secteur de la médecine, que, pour des raisons familiales, j'avais toujours voulu éviter. Je ne sais pas comment cela s'est  fait (si, je le sais, comme on le verra plus tard), mais ce secteur est vite devenu passionnant,  au point car qu'un collègue que nous avions embauché peu après a voulu me le reprendre. Il en a été de même pour la rubrique de Critique de livres, que personne ne voulait : je l'ai reprise et transformée, au point que c'est devenu une des rubriques les plus lues du journal.
Ces deux derniers exemples montrent que c'est nous qui éventuellement créons la poussière du monde où, au contraire, qui rendons les choses passionnantes. Dire "j'aime" ou "je n'aime pas" est sans doute une attitude d'enfant, et nos jeunes amis doivent savoir tout cela en tête quand ils discuteront de façon intime ou explicite des possibilités qui s'ouvre à eux.

Et je terminerais en conseillant de rechercher ce qui nous passionnait quand nous étions enfants ou adolescents, car le passé nous rattrape souvent, et nous aurions intérêt à ne pas perdre de temps dans des secteurs qui ne sont pas ceux que nous aimons vraiment. Pour moi, sans que je regrette rien, je dois quand même avouer que mon bonheur est parfait depuis que je suis dans mon laboratoire de recherche scientifique, après ce passage pendant 20 ans dans l'édition scientifique, activité qui me forçait à faire ma recherche scientifique dans mon laboratoire personnel et seulement pendant les vacances.
Aujourd'hui, le poulain est lâché dans le pré... et l'herbe est plus verte dans mon propre pré que dans celui du voisin. C'est ce que je souhaite à tous !


samedi 7 septembre 2019

Pas d'acides gras dans l'huile, mais des triglycérides


Vraiment, je m'étonne : alors que je venais de twitter que l'huile ne contient pas d'acides gras, mais des triglycérides, un collègue m'interroge, parce qu'il ne comprend pas. Certes, ce n'est pas un chimiste... mais qu'importe : je vois surtout qu'il y a lieu d'expliquer (merci de me dire ensuite si j'ai été clair).

Partons donc d'une bouteille d'huile : dans le récipient en verre ou en plastique, on voit un liquide jaune, un peu visqueux, transparent.
Si nous l'observons à l'aide d'une loupe, nous continuons de voir la même chose. Et également avec un microscope classique.
En revanche, si nous regardons avec un microscope bien plus puissant, nous voyons l'huile faite d'objets analogues à des  peignes à trois dents souples. Plein, qui grouillent... Ce sont des molécules, et ces molécules sont toutes comme des peignes à trois dents souples, de la catégorie que les chimistes nomment des triglycérides.
Dans les organismes vivants qui en synthétisent, ces composés sont obtenus par assemblage d'un composé nommé glycérol-3-phosphate et d'acide gras. Mais une fois que les atomes sont assemblés en molécules de triglycérides, il n'y a plus de glycérol ni d'acides gras.

Bien sûr, on sait aussi décomposer les triglycérides, afin de former, à partir d'eux, du glycérol et des acides gras, mais on sait aussi décomposer les molécules de triglycérides de mille autres manières. Et une huile décomposée, parce qu'elle a été exposée à la chaleur, ou à la lumière, ou à l'oxygène, est assez malsaine, rance, et la présence d'acides gras en abondance ne serait vraiment pas bon signe !

Donc voilà : pour ceux qui en avaient besoin, pas d'acides gras dans l'huile !




PS. A propos de ce billet, je reçois un remerciement d'un correspondant, qui me dit "Et concernant les oméga 3 (et autres AGPI) ce sont aussi des triglycérides ?". 
Ici, la question est l'usage généralisé d'un terme galvaudé par les réclames. "Oméga 3" est  une abréviation d'acide gras oméga 3. Et, en vertu de ce que j'ai expliqué plus haut, il n'y a donc pas d'acides gras oméga 3 dans les huiles, puisque les huiles ne sont faites que de triglycérides.
Mais certains triglycérides, surtout dans l'huile d'olive ou dans des graisses de poissons, ont des résidus d'acides gras (j'insiste, comme dit plus haut, sur l'expression résidus d'acides gras) qui sont des résidus d'acides gras oméga 3.

Mais, à ce stade, il faut considérer les résidus d'acides gras plus en détail. On trouvera, dans le Grand livre de notre alimentation, un chapitre bien détaillé sur ce point,  mais disons ici, simplement, que les résidus d'acides gras sont des enchaînements d'atomes de carbone, avec des atomes d'hydrogènes attachés à ces atomes de carbone.
A l'exception de l'atome de carbone de l'extrémité libre de la chaîne (l'autre extrémité est liée à un résidu de glycérol, le manche du peigne), chaque atome de carbone est lié à deux atomes d'hydrogène, dans les résidus d'acides gras saturés. En revanche, pour les résidus d'acides gras insaturés, deux atomes de carbone voisins ne sont liés chacun qu'à un seul atome d'hydrogène, tandis que ces deux atomes de carbone sont doublement liés : c'est ce que l'on nomme une "insaturation", car on peut chimiquement ajouter de l'hydrogène, auquel cas le résidu d'acide gras, d'insaturé, devient saturé.

Finalement, on aura raison de dire : il existe des triglycérides dont un ou plusieurs résidus d'acides gras sont insaturés, et, notamment, avec une insaturation de type oméga 3 (je n'explique pas plus en détail, voir le livre cité plus haut)