mercredi 10 juillet 2019

Des pratiques industrielles honteuses : une société me fait un affront !



Une très grosse société industrielle m'invite à faire un exposé sur leur site à mille kilomètres de Paris. Elle propose de prendre en charge mon voyage et de m'inviter à dîner au restaurant la veille.
Ai-je bien compris ? Mon temps, ma compétence, mon énergie vaudraient pour rien ?

Je considère que cette proposition est un affront, d'autant que le contrat de confidentialité que la société propose fait sienne la  propriété de tout ce que je leur dirais lors de ma présentation. Je suppose qu'un tel contrat est léonin, mais je ne vais pas prendre le temps de vérifier. Ce que je sais, c'est qu'une telle proposition de contrat est honteuse.

Analysons mieux les raisons de ma colère : quand j'achète des produits industriels, on me le donne pas gratuitement, et, dans ce monde, les choses ont la valeur qu'on les paye. Autrement dit, si on ne me paye pas (cet argent irait évidemment au laboratoire), alors cela signifie que ce que je pourrais présenter ne vaut rien !  Quoi je ne vaut rien, malgré tous mes efforts, malgré tout mon travail ? D'ailleurs, cette société est non seulement malhonnête et honteuse, mais inconséquente : pourquoi inviter quelqu'un qui ne vaut rien ? 
Derrière le cas particulier, derrière ces pratiques honteuses, il y a la question des relations entre la recherche scientifique et l'industrie. La recherche scientifique est faite par des agents de l'Etat, et ses résultats appartiennent à tous les contribuables, raison pour laquelle ils sont publiés, donc publics. Deux jours de travail d'un fonctionnaire d'un laboratoire de recherches scientifiques ont une valeur d'autant plus élevée que ce chercheur est bon, et une société qui voudrait en bénéficier devrait le payer (je le répète : l'argent irait au laboratoire). J'ajoute que je ne dis pas que je suis bon, mais je juge d'après l'intérêt que cette société a à m'inviter (bon, OK, elle n'a aucun intérêt puisqu'elle propose de ne rien payer, mais quand même : elle mobiliserait toute une équipe de sa recherche technologique pendant presque une journée). 

Passons rapidement : j'ai mieux à faire.

Rendre accessible des supports de cours

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dans ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.



Dans des discussions avec des jeunes collègues, à propos de la formation qu'ils ont décidé de suivre, je lis cette phrase :

De plus, rendre accessible c'est support de cours à tous les étudiants même ceux n'ayant pas suivi le cours en question permettrait à chacun d'avoir une base connaissance rédigé de manière pédagogique à disposition ce qui pourrait se révéler forte utile.


Pour ce qui me concerne, je ne vois aucune difficulté à rendre accessible à tous les documents powerpoint  ou pdf des conférences ou des cours que je fais... et je ne vois même pas la difficulté ! Quant aux cours rédigés, j'essaye d'aller jusqu'au plus élémentaire détail des calculs, au point que l'on me reproche  parfois d'être verbeux.... et ils sont en ligne, publics et gratuits, car je pense en particulier à tous eux et celles que je n'aurai pas le plaisir de rencontrer, et à qui j'aimerais faire partager l'enthousiasme de mes découvertes, de mes études, de mes apprentissages...

Mais ici je veux m'arrêter sur le mot "pédagogique" qui fait partie de cette liste que je veux absolument éviter d'utiliser : enseignement, pédagogie, enseignant...
Dans "pédagogique",  il y a la racine qui signifie "enfant", et elle me gêne : quand je m'adresse à des jeunes collègues, qui sont majeurs et ont  le droit de vote, je me refuse à les considérer comme des enfants. Cela a pour eux des avantages, mais aussi un inconvénient essentiel, à savoir que je leur attribue toute la responsabilité de leurs études, que je refuse absolument de prendre cette responsabilité à leur place. Pour moi, je veux bien m'évertuer à partager de l'enthousiasme, à les aider à étudier, en balisant les sujets, en cartographiant les matières, en conseillant des calculs, des méthodes... Mais c'est à eux d'étudier.
D'ailleurs, je ne suis pas enseignant, mais scientifique et je ne consent à professer - et non pas enseigner-  que parce qu'on me le demande.
Je le fais, et je ne manque pas de réfléchir à la façon dont je le fais, ce qui conduit à produire des idées qui viennent heurter parfois frontalement celle des jeunes collègues ou des collègues plus âgées, ou même des institutions chargé de la formation.
Mais ne devons-nous pas toujours tout changer pour le meilleur ?

Les physiciens sont insensés de vouloir des lois générales, et les chimistes manquent d'ambition, à ne pas en chercher.


Il y a cette opposition classique des physiciens et des chimistes : les uns sauraient calculer, et ils manipuleraient des équations, et les autres seraient plus "pratiques", lancés dans des synthèses. Évidemment, cette description est fausse, mais elle s'assortit de critiques d'un groupe vers l'autre, ce qui s'exprime notamment dans cette boutade : les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, alors que les chimistes font des expériences très sales avec des matériaux très propres (et l'on ajoute alors : imaginez les physico-chimistes !).
Les arguments pleuvent : les chimistes, incapables de calculer, feraient à l'infini des synthèses insensées, ce que l'on résume dans "méthyle, éthyle, propyle, butyle, futile": cela pour exprimer que l'ajout d'un groupe chimique sur une molécule conduit à envisager systématiquement des ajouts de plus en plus gros (avec un atome de carbone, on a le groupe "méthyle", puis les groupes éthyle, propyle et butyle avec respectivement deux, trois ou quatre atomes de carbone). Et puis ces explorations manqueraient de plan d'ensemble, resteraient "classiques", en retard sur la physique, laquelle est passée de la mécanique classique à la mécanique quantique... Enfin, le pire des reproches est celui de la nature de la chimie qui serait une technologie ou une technique plutôt qu'une science.
Les chimistes, bien sûr, se rebiffent, signalant que l'équation de Schrödinger, qui est à la base de la mécanique quantique, ne fera jamais une molécule de benzène à partir de six atomes de carbone et de six atomes d'hydrogène dans une boite infinie. Ils indiquent que leur usage de la physique quantique est constant, avec les méthodes spectroscopiques, mais aussi avec la modélisation numérique, qui guide les synthèses, lesquelles sont en réalité des tests de la physique quantique. Surtout, ils observent que cela ne sert à rien de faire des théories à partir d'objets qui n'existent pas, rétorquent que les matières des physiciens sont fantasmées, et qu'à force d'approximations, on en vient à dire n'importe quoi.
Car les physiciens seraient en réalité des albatros collés au sol des navires, avec la volonté de faire de grandes théories, mais des théories inapplicables, car la matière est complexe, et les théories ne valent que pour des échantillons parfaitement purs.Et puis, n'a-t-on pas démontré qu'au delà de trois corps en interaction gravitationnelle, l'évolution du système est impossible à prévoir ? Sans compter que Stephen Wolfram a montré qu'il existe des automates dont la prévision ne peut se faire que si l'on exécute l'automate entièrement.

Ces discussions sont interminables, et sans intérêt.  Elles montrent combien on aurait intérêt à bien avoir sous les yeux le schéma qui décrit la démarche générale des sciences, et que voici :




Un phénomène étant identifié, on le caractérise quantitativement, puis on réunit les données en "lois", c'est-à-dire en équations, avant d'introduire des concepts pour faire des théorie quantitativement compatibles avec toutes les lois, ce qui permet de tirer des conclusions théoriques que l'on teste expérimentalement. 
La chimie de synthèse ? Connaissant les réactivités et les molécules que nous connaissons, il s'agit de repérer des catégories, des structures, pour imaginer des objets de types nouveaux que l'on cherche à réaliser. Peut-on faire une molécule dont les atomes de carbone sont aux coins d'un carré, par exemple ? Peut-on reproduire la chimie organique en remplaçant le carbone par le silicium ? Comment des molécules peuvent-elles s'organiser spontanément ? Et ainsi de suite.
Pour l'analyse chimique, la question est aujourd'hui celle d'analyser des systèmes complexes, des mélanges, par exemple.
La physique ? On la voit faisant un pont entre la physique des particules et la cosmologie, notamment, mais on la voit aussi explorer des phénomènes nouveaux, à propos de "matière molle", ou bien s'intéresser à des systèmes matériels où les interactions entre structures sont de types nouveaux, ce qui conduit à des propriétés inenvisagées.

Surtout, on voit bien une convergence de ces deux sciences, quand il s'agit de matière à des échelles qui vont du  macroscopique, à notre échelle, jusqu'à l'échelle atomique. C'est en réalité le royaume de la physico-chimie... qui expérimente, calcule...

mardi 9 juillet 2019

Je ne vais faire que ce que j'aime !

J'espère que l'on me comprends bien : publiquement, je dis assez largement que j'ai décidé de ne faire que ce qu'il me plaît. Un fonctionnaire, au service des contribuables, peut-il dire cela ?

En toute généralité non, mais il faut quand même que j'ajoute que l'Etat m'a confié une mission... qui est ce que je préfère à toute autre activité !
Plus exactement, en 2000, j'ai décidé de faire à plein temps de la recherche scientifique, à savoir ce qui me passionne depuis l'âge de 6 ans et que je réservais  précédemment à mes loisirs. En 2000, mes loisirs sont devenus mon métier, et je suis donc exactement à ma place, de sorte que quand je  dis que je vais faire que ce que je veux, je ne dis rien de nouveau,  en réalité. Rien... sauf que j'ai mille questions scientifiques passionnantes à examiner, et ma décision récentes est de me focaliser sur celle qui me plaisent le plus.
Le contribuable a tout à gagner de ma décision, car  si je fais ce qui me plaît le plus, alors on peut être assuré que je ferai mon travail avec fièvre, avec passion, avec un enthousiasme communicatif où tout le monde trouve  son compte.

Donc oui, j'ai le droit, et peut-être le devoir puisque je m'exprime en public, de faire état du bonheur que  j'ai à faire mon métier.