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jeudi 21 novembre 2024

Enseigner, c'est plus facile quand...

 Je reviens sur des questions d'enseignement parce que, cette année, tout a été beaucoup plus simple que les années précédentes : les groupes d'étudiants pour qui j'organisais des modules d'enseignement étaient plus homogènes, et il n'y avait pas d'étudiant plus faible que les autres. De ce fait, il n'y avait pas à pallier des insuffisances particulières et complètement déplacées : nous avons pu nous consacrer aux matières qui était au programme, à partir d'un document de cadrage parfaitement rigoureux et explicite. 

Je ne dis pas que j'ai bien fait, mais je dis que j'ai mieux fait que par les années précédentes et notamment parce qu'il y avait un auditoire commun. 

Je vois que j'aurais pu encore mieux faire :  l'analyse nous avons esquissé avec les étudiants a bien montré les défauts qu'il fallait corriger. Par exemple le regroupement des documents d'études en un site unique. 

Mais,  au-delà de ce ces aménagements qui seront faits  l'an prochain, je n'ai besoin de personne pour m'apercevoir que, de temps en temps, je suis un peu implicite, notamment sur des calculs que je fais trop vite pour les autres. Il y a lieu de mieux apprendre à me faire comprendre de ce point de vue. 

Cela me rappelle, quand un de mes fils était au lycée, que, dans les devoirs sur table, il balançait des équations sans explication : je lui ai expliqué que cela ne se faisait pas et qu'il fallait dire le raisonnement, lequel était en réalité aussi important que le résultat lui-même. 

Je retrouve ce défaut dans un cours que je suis en train d'écrire et que des collègues co-signataires me signalent implicitement en me demandant une figure, indication du fait qu'ils n'ont pas compris comment j'obtiens le résultat. 

D'ailleurs, faire un calcul trop vite, c'est aussi s'exposer à le faire faux. 

Décidément, pour les autres comme pour soi-même, il y a lieu de calculer très lentement et très sûrement. Très explicitement aussi puisque c'est là la clé du succès

mercredi 11 septembre 2024

Science pure versus technologie

Il y a périodiquement des personnes qui viennent dire que la séparation entre la science pure et la "science appliquée" est périmée, que ce sont des idées d'un autre temps... mais rien qu'une telle déclaration montre à la fois une volonté idéologique et une mauvaise perception de la science, sans compter un usage médiocre de la langue, ce qui a des conséquences sur la pensée. 

 

J'invite donc ces personnes à lire ou à relire la biographie de Max Planck intitulée "Planck, une conscience déchirée",  par John Heilbron (Editions Belin) : elle y verront des discussions entre Planck et Starck,  alors que l'industrie allemande, très lié à certains milieux technologiques, poussait pour que l'Académie des sciences accueille en son sein une division de "sciences appliquées". Ce sont là les mots de Heilbron,  mais je ne suis pas sûr que Planck aurait adhéré à cette description, et notamment  parce que il n'existe pas plus de "science pure" que de "sciences appliquées" :  la science, c'est la science, à savoir une activité de recherche des mécanismes des phénomènes, et les applications de la science sont... des applications de la science. L'expression "science appliquée" est fautive, parce que si une science était appliquée, ce serait de la technologie, et non plus de la science.

Cette question de regrouper des activités technologiques avec des activités scientifiques est récurrente. Elle s'est donc posée dans les années 1920 en Allemagne, mais elle s'est également posée en France, vers la Seconde Guerre mondiale, puis à nouveau il y a quelques petites décennies à l'Académie des sciences en France : Guy Ourisson, qui était alors président de l'Académie, fut un artisan de la création de l'Académie des technologies à partir de ce qui se nommait naguère le CADAS,  le comité des applications de l'Académie des sciences. 

 

J'insiste un peu parce que j'ai encore rencontré des amis qui auraient voulu que j'admette que la science moderne avait bien changé qu'elle était nécessairement liée à l'industrie ou à l'armée ;  que les idéaux de Planck  ou d'autres, à propos de la science, étaient devenus périmés, etc. 

En réalité, je m'étonne que de telles personnes se croient, dans la discussion, à la hauteur de Planck ou même d'Albert Einstein, dont le texte de discours pour l'anniversaire des 70 ans de Planck montrait combien il adhérait à ces idées que d'aucuns prétendent périmés. 

 Oui, il y a la science, qui est merveilleuse, et les applications des sciences qui sont merveilleuses quand elles sont faites pour le bien de l'humanité. 

Et rien n'y fera  : une recherche d'application est une recherche d'application et une recherche de mécanismes est une recherche de mécanismes. Certes, certains individus balancer entre les deux  ; ils peuvent à un moment chercher des applications, et chercher des mécanismes à un autres, mais  pour autant, ces deux activités ne se confondent pas. Il y a la science, d'une part, et les applications des sciences d'autre part.

mardi 10 septembre 2024

Le sel dans les carottes que l'on cuit

Je m'aperçois que je n'ai jamais vraiment bien présenté les résultats de nos études sur le sodium dans les carottes que l'on cuit. 

 

La question découle du fait que, quand on cuit, on ajoute du sel dans l'eau et certains cuisiniers disent même que l'on ne parvient pas à saler correctement des carottes si l'on ajoute le sel ensuite. Est-ce vrai ? 

D'autre part, les agences sanitaires se préoccupent de la consommation excessive de sel par les individus. 


Pour avoir des idées sur la consommation de sel réelle, nous avons cuit des carottes soit dans de l'eau pure soit dans l'eau salée. Je vous épargne des détails mais faites-nous confiance : l'article a été publié après une évaluation soigneuse, qui a vérifié que les expériences avaient été très rigoureuses. Par exemple il ne s'agissait évidemment pas d'eau du robinet mais l'union parfaitement pure, sans ions, et ainsi de suite. 


Les résultats sont intéressants.

 

Par exemple, nous avons vu qu'il y a une très grande diversité de carottes :  avant cuisson, il y a certaines carottes qui contiennent beaucoup plus de sodium que d'autres et cela dans différentes parties : en haut, en bas, sur la partie externe, dans le cœur. 

 

D'autre part, quand on cuit une carotte dans l'eau pure, on voit son sel s'en échapper et plutôt par les bouts que par les parties latérales. 

 

Inversement, quand on cuit une carotte dans l'eau salée alors on voit le sel entrer en abondance dans les carottes par la parties supérieure ou par la partie inférieure, plutôt que par les flancs. Finalement, dans les extrémités, la concentration en sel   est presque celle de l'eau de cuisson après 30 minutes de cuisson. 

 Pour une carotte de plusieurs centimètres de long, alors on a une concentration un peu inférieure au milieu de la carotte mais pour des carottes plus petites, la concentration fait quasiment celle du bouillon partout. 

 

Bref, nos carottes cuites classiquement dans l'eau salée sont chargés de sel en proportion de la quantité de sel que l'on a mise   dans le bouillon. 

Pour en revenir à la question des cuisiniers, de savoir si l'on peut saler correctement des carottes en ajoutant un sel "discrétionnaire", c'est-à-dire à la fin de la cuisson, la réponse et que les carottes seront différemment salées puisque le sel restera à l'extérieur de la carotte qu'on mangera et non pas à l'intérieur de la carotte comme quand on cuit les carottes dans l'eau salée. 

mardi 16 juillet 2024

Le bleu du ciel


Il y a ce moine chinois du 18e siècle, Shitao (ce qui signifie citrouille amère) qui produisit un extraordinaire traité de peinture intitulé L'unique trait de pinceau. Le livre est merveilleux et l'un de ses arguments est que l'on ne peut peindre correctement que si l'on est capable de faire du premier coup un trait qui ne sera pas corrigé, l'unique trait de pinceau.
L'auteur prétend qu'il n'y a pas de correction possible et il dit en également que, pour arriver à cette maîtrise, il est nécessaire de méditer beaucoup et de se débarrasser de ce qu'il nomme la poussière du monde. 


Évidemment, tout ce qui n'est est écrit dans les livres n'est pas nécessairement juste, et, d'autre part, il n'est pas suffisant de dire des choses pour les faire exister : on pensera au Père Noël ou au carré rond, par exemple. 


Bien sûr, on connaît cette certaine catégorie de discours qui nous abaissent, nous salissent : certaines personnes sécrètent la poussière du monde... mais je me reprends car faut-il conserver l'expression "poussière du monde" ou bien simplement poussière ? Poussière du monde ne se soutiendrait que si le monde avait une acception comme le "grand monde", par exemple. 

Mais on me connaît et je n'aime pas avoir le nez vers la boue ; je suis de ceux qui proposent de montrer le bleu du ciel. 

 

Certes, je ne dis pas que le ciel est toujours entièrement bleu mais je propose d'apprendre à voir le bleu qui est dans le ciel, je propose d'apprendre à faire bleuir le ciel, je propose d'apprendre à voir le bleu derrière d'éventuels nuages, je propose d'apprendre à chasser les nuages pour voir le bleu.


J'ignore si la considération du bleu permettra effectivement de faire de meilleurs traits de pinceau mais je sais que l'observation du bleu du ciel nous met dans un état d'esprit plein d'entrain qui nous permet de nous mettre en chemin. Une fois en route, nous cheminons, nous nous préoccupons du chemin et nous oublions l'état d'esprit initial (le bleu du ciel) pour nous concentrer sur le chemin, ses aspérités, et cetera. 

Mais au moins nous serons en route au lieu de craindre la poussière. Décidément, je préfère voir le bleu du ciel

lundi 6 mai 2024

Un gâteau aux fraises ? Construisons-le



Nous sommes bien d'accord que la cuisine, c'est d'abord de l'amour (ou du lien social), ensuite de l'art et, enfin seulement, de la technique. Mais cette technique est la base sur laquelle s'érigent l'expression artistique et les qualités sociales.

Cela dit, j'ai du mal à comprendre pourquoi la technique serait difficile, et je veux prendre pour exemple un gâteau aux fraises dont la recette était donnée par des cuisiniers étoilés.

Dans cette recette, comme souvent, il y a d'abord une liste d'ingrédients puis une série d'opérations effectuées dans un ordre donné par les auteurs.
Dans les bons cas, cet ordre est approprié, mais parfois, on s'aperçoit en cours de route qu'on aurait dû s'y prendre plus tôt pour certaines opérations.

Je crois donc bien préférable de chercher à savoir ce qui est visé par la recette, de la comprendre avant de l'exécuter.

En l'occurrence, il s'agissait de préparer une crème anglaise, d'y ajouter de la gélatine et de la crème fouettée, afin d'obtenir une préparation que l'on versait, dans un moule, sur un empilement de fraises et de  biscuits à la cuillère.

Ayant cette description générale, on peut maintenant se préoccuper du détail, à savoir réaliser une crème anglaise, puis la mettre en position de gélifier, et réaliser une crème fouettée.

Pour la crème anglaise, on commence par fouetter des jaunes d'œufs avec du sucre (tant pour tant, par exemple.
Comment faire ? Il s'agit d'obtenir ce que l'on nomme le ruban,  à savoir une préparation blanchie, qui a pris de la consistance, du volume, à mesure que les grains de sucre se dissolvaient. Pour cela, il faut battre énergiquement, longtemps en cherchant à introduire des bulles d'air et effectivement, la préparation finale est foisonnée  : à l'oeil nu, on voit la granularité du sucre disparaître, et des bulles apparaître, stabilisées par la consistance épaissie.

À cette préparation, nous pouvons maintenant ajouter de la vanille et du lait. Et là,  il y a différentes façons de s'y prendre : on peut notamment des gousses de vanille fendue en deux dans le lait, à couvert afin d'éviter la perte des composés odorants, et quand le lait est chaud, le verser sur la préparation précédente au ruban et terminer la cuisson.
Mais on comprend que l'ordre n'est pas celui-là : il faut commencer par préparer le fait, puis faire le ruban, et enfin seulement mélanger les deux et finir la cuisson.
J'ajoute que les auteurs de la recette proposaient de cuire lentement, mais cela n'a aucun intérêt car il s'agit simplement de produire un épaississement de la crème  : en raclant bien le fond de la casserole pendant la cuisson, on évite que la crème n'attache.

Puis il faut ajouter les feuilles de gélatine préalablement trempées dans l'eau froide... mais, là encore, on voit  que le trempage dans l'eau froide aurait dû être proposé avant la préparation du ruban et de la crème anglaise.
D'ailleurs, il y a des précautions à prendre, notamment en été, car le trempage peut conduire à la dissolution de la gélatine dans l'eau. En hiver, pas de problème, mais, en été, il faudra peut-être faire le trempage au réfrigérateur.
Bref, quand les feuilles seront amollies, on pourra les déposer dans la crème chaude où elle se dissoudront sans difficulté à l'issue de quelques coups de fouet.

À cette préparation, il faut maintenant ajouter de la crème fouettée... et, là encore, cela nous conduit à dire qu'il aurait fallu, en tout début de préparation, mettre au réfrigérateur ou au congélateur  la crème, le fouet et le récipient dans lequel on va fouetter la crème. En effet, une crème bien froide monte en chantilly beaucoup plus rapidement qu'une crème non refroidie.
Il faut également expliquer comment fouetter la crème : il s'agit d'introduire autant d'air que possible et de poursuivre le battage jusqu'à ce que l'on voie une consistance qui ne change plus derrière le passage des fils du fouet. Cela peut prendre entre 20 secondes pour une bonne crème alsacienne bien froide et  5 minutes pour une crème tout venant un peu tiède.

À la spatule, on ajoute maintenant la crème Chantilly à la crème anglaise collée, et mais il faut prendre garde que cette dernière ne soit pas chaude  :  soit on attend longtemps, soit on  place la casserole dans de l'eau froide en agitant régulièrement la crème pour qu'elle vienne au contact des parois métalliques.

Quand le mélange des deux crème est fait, il ne reste plus qu'à monter le biscuit : on aura lavé les fraises, on les aura coupé en deux, et on montera dans le moule des couches de fraises et de biscuits à la cuillère alternées ; puis on coulera l'appareil crémé avant de mettre l'ensemble au réfrigérateur (quelques heures).


Toute la partie technique étant réglée, il faut revenir en arrière, et considérer la question artistique et la question sociale.

Je n'ai pas encore mentionné quelque chose d'essentiel, à savoir que les auteurs de la recette proposent de griller des amandes et de les placer au contact des fraises en plusieurs couches. Il est spectaculaire d'apprécier l'effet de ce simple ajout, non seulement en terme de consistance, mais aussi en termes de goût.
D'expérience,  je recommande que la torréfaction des amandes ne soit pas trop poussée,   sans quoi leur goût l'emporte sur l'ensemble des autres ingrédients, fraises et crème.

De même -cela n'est pas écrit dans la recette initiale- j'ajouterais volontiers une pincée de sel, dans la crème, car le sel rehausse le sucré et affaiblit les amertumes, mais, surtout, il conduit à la libération accrue des composés odorants, c'est-à-dire finalement au goût total de l'aliment.
Cela relève de la technique, mais l'intention est artistique.

Je préconise aussi de chemiser le moule avec un film transparent, afin que le démoulage du gâteau lui laisse  une belle apparence, bien lisse. Bien sûr, pour des préparations gélifiées, on peut toujours passer le moule dans l'eau chaude pendant quelques secondes afin de fondre la couche au contact du moule, mais on aura alors pas le même rendu.

Inversement, j'ai passé sous silence le fait que les auteurs de la recette ont proposé de préparer un coulis de groseilles gélifié pour vernir le dessus du gâteau : il est vrai que cela conduit à donner une belle apparence, tout comme un vernis sur un tableau donne un fini apprécié.
Pour préparer ce "vernis", il faudra chauffer doucement une gelée de groseille, et, à nouveau, y dissoudre de la gélatine préalablement trempée. Bien sûr, il faudra ensuite laisser refroidir la gelée gélifiée jusqu'à la limite de la prise, avant de la déposer au pinceau sur le dessus du gâteau démoulé.

Et, tant qu'on y est à soigner l'apparence, à montrer aux convives qu'on prend soit d'eau, il aura fallu réserver quelques fraises pour décorer la surface du gâteau, soit avec des demi fraises, soit avec des lamelles de fraises, bien disposées.

Faut-il ajouter un coulis ? Un coulis gélifié ? Une autre crème anglaise plus liquide autour du gâteau ? Une petite liqueur ?

Surtout, puisque nous en sommes à parler de goût, il manque à l'analyse précédente un point essentiel : nous n'aurons véritablement le goût des fraises que si nous leur en avons donné. Car le goût est quelque chose qui se construit !
En l'occurrence, il aura peut-être fallu tremper les fraises de l'intérieur du gâteau dans du jus de citron et de l'eau de fleur d'oranger avant de les disposer. Et, pour faire ressortir les fraises, peut-être aura-t-il fallu ajouter quelques zestes de citron, du Grand Marnier, mais, pourquoi pas aussi de la menthe, du gingembre, du poivre, du safran...  

De surcroît, j'ai précédemment mentionné que la crème était d'un jaune un peu pâle : pourquoi ne renforcerions-nous pas sa couleur ?  Après tout, une fraise doit être bien rouge, n'est-ce pas ?

Soignons davantage l'aspect social : pour peu que la quantité de sucre utilisé soit suffisante, l'être humain sera content d'avoir de la matière grasse venue de la crème, et du sucre venu du sucre et éventuellement des fraises.
Mais cela ne doit pas nous empêcher de présenter le gâteau bien démoulé dans un très joli plat, décoré comme on l'a dit, entouré comme on a dit. Si nos amis aiment la crème fouettée en Chantilly, on en aura certainement ajouté en abondance. D'ailleurs, pourquoi ne pas déposer quelques éclats d'amandes grillées sur le dessus de la Chantilly pour ne pas laisser une surface blanche un peu monotone ?

Et je pourrais continuer ainsi à l'infini parce qu'en réalité je démontrerais mon insuffisance artistique :  je ne dis pas que les propositions précédentes soient insensées, mais je suis bien incapable de faire ce que ferait mon ami Pierre Gagnaire, à savoir composer le goût, à trouver un sens parfait à toutes les décisions prises pour  servir ce gâteau.

samedi 6 avril 2024

Les actualités de la semaine :

 Hervé This, La recette des soufflés qui tiennent bien, Pour la Science, avril 2024, N°558, p. 96.

Hervé This, La cuisson amollit les légumes… sauf quand elle les durcit, fiche 08.01.Q23 de l’Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, avril 2024. https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/la_cuisson_amollit_ou_durcit_les_legumes.pdf

Hervé This, Qu’est-ce qu’un biscuit ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/quest-ce-quun-biscuit/, 2 avril 2024.

Hervé This, Mousseline, étamine : quelle différence ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/mousseline-etamine-quelle-difference/, 4 avril 2024.

Hervé This, La cuisson des œufs, classiques ou modernes, https://www.youtube.com/watch?v=V5uZ9rFx2F8, 4 avril 2024.

Hervé This, Le chocolat, une délicieuse matière qu’il faut savoir maîtriser, Charcuterie & Gastronomie, N° 494, 42-44.

mercredi 20 mars 2024

Un séminaire dans quelques instants

Ce n'est pas la première fois que nous allons étudier les génoises au cours d'un séminaire de gastronomie moléculaire :  nous avions déjà testé l'idée selon laquelle il faudrait chauffer l'appareil à 55 degrés ou à 60 degrés pour obtenir des génoises bien faites. 

Cela avait été fait par des professionnels, en public, dans des conditions rigoureuses, et nous avions expérimentalement observé qu'il n'y a pas de différence entre un appareil à génoise chauffé ou non.
Pourtant, les deux génoises (ou plus exactement les deux paires de génoises) avaient été  faites à partir d'une même préparation divisée,  travaillée par un professionnel de pâtisserie et, mieux, par l'un des meilleurs enseignants d'une des meilleures écoles culinaires françaises. 

 

Je répète qu'il y a lieu de se méfier de ce que l'on nous dit quand cela n'a pas été testé expérimentalement de façon rigoureuse, quand on a pas de référence précise sur ce qui est proposé. 

 

Aujourd'hui, dans le séminaire qui commence bientôt, la question est différente : il s'agit de savoir si des génoises avec farine et maïzena sont ou non différentes de génoises avec farine seule. 

Dans d'autres circonstances, nous avons eu l'occasion de voir que l'usage de farine de type 45 ou 55 avait peu d'influence (pas sur la confection du pain en revanche !). 

Contrairement aux marchands de maïzena, je n'ai pas d'action dans cette affaire et l'expérimentation sera donc parfaitement impartiale : la seule chose qui compte pour moi c'est l'avancement de la cuisine, avec l'idée que des techniques saines peuvent être la base assurée de travaux artistiques,  alors que, au contraire, de mauvaises techniques ne permettront pas aux artistes de s'exprimer pleinement. 

Personnellement, donc, une seule chose compte, à savoir le résultat de la comparaison que nous allons faire, entre une génoise qui ne contiendra que de la farine (en plus des œufs, du beurre et du sucre bien sûr), une génoise qui sera faite d'un mélange de farine et de maïzena, ou génoise qui ne contiendra que de la maïzena. 

Il faudra produire plusieurs échantillons de chaque lot pour avoir une idée de la variabilité, car en sciences, on sait bien qu'une comparaison n'est possible qu'avec cette indication. 

Je m'explique à ce propos  :  supposons que l'on observe une différence entre deux échantillons de deux lots différents. Peut-on conclure qu'il existe une différence entre les lots ? Non, on peut seulement conclure qu'il existe une différence entre les échantillons.
En revanche, si l'on voit que la variabilité dans un lot est plus faible que l'écart entre deux échantillons de lots différents, alors il est probable que la différence entre les lots existe. Et cela se calcule.
En revanche, imaginons que la variabilité soit grande et la différence observée petite, alors on comprend bien que la différence observée pour un groupe  d'échantillons  peut très bien relever simplement de la variabilité naturelle.

 

L'expérience tranchera ! 




samedi 10 juin 2023

Les protéines ? Les acides aminés ?



Protéines, acides aminés :  de quoi s'agit-il ?  Commençons par des protéines. Je propose d'en voir, soit en regardant un tas de gélatine en poudre, soit en regardant une feuille de gélatine, soit en considérant de la poudre de blanc d'oeuf, soit en faisant sécher du blanc d'oeuf.
Dans tous ces cas, il y a un solide, souvent vitreux, qui peut être divisé en grains, lesquels apparaissent blancs parce que la lumière blanche se réfléchit sur leurs faces.
Nous aurions pu en voir de vertes, pour des protéines extraites du chanvre... mais la couleur n'aurait pas été celles des protéines, mais d'impuretés dans la matière extraite du végétal.

D'ailleurs, dans quelles matières trouve-t-on des protéines ? Dans tous les tissus végétaux ou animaux... mais il est vrai que les muscles des animaux en contiennent beaucoup. Et, pour les plantes, c'est du côté des légumineuses que l'on ira chercher : pois, lentilles, soja...

Reste que l'extraction la plus simple est à partir du blanc d'oeuf, puisque celui-ci est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Quand on laisse sécher un blanc d'oeuf à l'air, l'eau s'évapore et l'on récupère un solide jaune vert, comme une résine : il est fait quasi exclusivement de molécules de protéines.

Des molécules de protéine ? Si nous regardons le blanc d'oeuf avec un supermicroscope supergrossissant, on voit de petits objets qui bougent rapidement en tous sens : ce sont les molécules d'eau ; et, parmi elles, il y a des sortes de pelotes, qui sont les molécules de protéines.  Dans les deux cas, il s'agit de  molécules mais ces molécules ne sont pas les mêmes. D'ailleurs dans le blanc d'oeuf, les pelotes sont de plusieurs sortes : en chimie, on dit qu'il y a plusieurs sortes de molécules de protéines, ou plusieurs protéines différentes

mercredi 31 mai 2023

Ah, la santé ! Cette fameuse santé...


C'est incessant ! Presque 30 fois par jour, samedi et dimanche compris, je reçois des emails tels que (celui qui suit est sans modification, fautes d'orthographe comprises... mais il y en a plutôt moins que dans de nombreux autres messages ;-) ) : 

Bonjour, Monsieur !
Nous sommes trois jeunes filles de 1ère S, et, intéressées par la cuisine moléculaire, nous avons décidé d'en faire notre TPE. Notre porblématique est : " Peut-on dilinuer les risques de santé avec la cuisine moléculaire ?"
Nous avons donc cherché un peu partout, et vu que vous étiez "l'inventeur" de la cuisine moléculaire et que, sur votre site, vous nous encouragiez à vous envoyer un mail pour vous poser des questions.
Nous osons donc vous écrire pour vous poser cette question :
Auriez-vous l'amabilité de nous donner une idée de recette de cuisine traditionnelle qui pourrait être remplacée par la cuisine moléculaire, afin de diminuer les risques de santé ?
Merci encore, et excusez-nous de notre hardiesse !!</em> <em>Isabelle,Marine,  Chloé...

 

Merveilleux message : des jeunes filles intéressées par la cuisine moléculaire, c'est-à-dire cette cuisine qui fait usage d'ustensiles modernes, au lieu d'utiliser encore les casseroles minables du Moyen Age. D'accord, ce groupe de TPE (travaux personnels encadrés) n'est pas encore arrivé à la "cuisine note à note" (une cuisine qui fait usage de composés purs, au lieu d'ingrédients culinaires classiques tels que viandes ou légumes), mais c'est déjà bien. 

Moi, l'inventeur de la cuisine moléculaire ? Disons le co-inventeur, avec mon vieil ami Nicholas Kurti (1908-1998), mais en tout cas celui  qui a donné le nom et la définition (le dictionnaire Robert a publié il y a quelques années une définition fautive, mais l'Encyclopedia Britannica a publié quelque chose de correct). 

J'incite à poser des questions ? C'est pour mieux en poser moi-même, mon enfant. Une recette de cuisine traditionnelle qui pourrait être remplacée par la cuisine moléculaires ? Il y en a mille, et j'ai ainsi décrit le mois dernier comment le "chocolat Chantilly" (ce n'est pas du chocolat avec de la crème chantilly, mais bien plutôt une façon de faire foisonner une émulsion de chocolat) remplace avantageusement les recettes classiques de mousse au chocolat. 

En revanche, la phase se poursuit : "une idée de recette de cuisine traditionnelle qui pourrait être remplacée par la cuisine moléculaire, afin de diminuer les risques de santé ?"Là, il y a les mots "risques" et "santé". Il faut que je m'y arrête. Première observation : cet email est très bien, parce que, pour une fois, je n'ai pas la question "la cuisine moléculaire est-elle dangereuse pour la santé ?", question qui a été instillée dans l'esprit des jeunes par quelques journalistes malhonnêtes intellectuellement. Donc tout va bien : preuve qu'il faut faire confiance aux jeunes contre les vieux ringards. 

D'autre part, il y a le mot "risque" : merci à mes trois interlocutrices de me donner l'occasion de bien redire la différence entre le danger et le risque. Un couteau ouvert est quelque chose de dangereux (on peut tuer avec un couteau). En revanche, le couteau replié dans un tiroir fermé à clé ne présente plus de risque. La vie étant pleine de dangers, il faut apprendre "le maniement du monde" afin d'éviter les risques, de les minimiser. 

Enfin, il y a la "santé". Là, comment résisterais je à la tentation de redire que le tabac, l'alcool, l'environnement professionnel, les agents infectieux, le surpoids et l'obésité, l'exposition aux rayonnements ultraviolets, l'insuffisance de l'exercice physique... sont responsables de plus de 99 pour cent des cancers !

Pourquoi, alors, se préoccuper de santé, en matière alimentaire ? Pourquoi s'en préoccuper, alors que nous faisons des barbecues, qui déposent 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est admis dans les produits fumés de l'industrie alimentaire ? Pourquoi s'en préoccuper quand tout le monde mange du chocolat, qui n'est que matière grasse et sucre ? Pourquoi... pourquoi... 

Notre monde alimentaire est un festin de mauvaise foi. Alors, que répondre aux trois jeunes filles ? D'autant que, cuisine traditionnelle ou cuisine moléculaire, on peut très bien y mettre tous les composés toxiques que l'on veut : ce n'est pas la technique qui déterminera cela, mais le choix des ingrédients. Et voici pourquoi la cuisine note à note est merveilleuse... mais c'est là une autre histoire pour une autre fois.

jeudi 4 mai 2023

Une question à propos du concours international de cuisine de synthèse ("note à note") :

Je reçois un email d'un cuisinier qui veut s'inscrire à l'International Contest for Note by Note Cooking, et je lui réponds en l'invitant à soumettre des recettes quand il sera prêt.

Et, évidemment, il m'interroge, car il est vrai que ma réponse était trop succincte :

Merci de votre réponse rapide. Avant de valider mon inscription, serait-il possible d'obtenir plus d'informations concernant le déroulé du concours, car je n'ai pu en obtenir que via un article sur le site des Nouvelles gastronomiques. J'ai vu que le concours aurait lieu en septembre, mais quel est le calendrier d'ici là ? En quoi consiste l'épreuve exactement ? (durée de l'épreuve, panier imposé ou non, pour combien de couverts, comment est composé le jury, certaines préparation comme des fermentations peuvent-elles être réalisées en avance, etc.) ?  Et qu'entendez vous par "recettes de cuisine de synthèse" celà n'était pas mentionné dans l'article que j'ai lu.

 

En réalité, j'aurais dû diriger notre ami vers  le site où les conditions de participations sont présentées :
- en anglais   : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-icmpg/note-by-note-cooking/note-by-note, et plus spécifiquement ici : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-icmpg/note-by-note-cooking/int-contests/cnan11
- en français : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/cuisine-note-a-note, et encore plus précisément ici : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/cuisine-note-a-note/cnan-11-fr


Mais tout cela peut appeler des commentaires plus développés, que voici.

Commençons par la cuisine de synthèse, que j'ai introduite en 1994 et que j'ai rapidement surnommée "cuisine note à note".
Comme pour la musique de synthèse, où l'on n'utilise ni violon, ni flûte, ni trompette et cetera, la cuisine de synthèse n'utilise ni carotte, ni oignons, ni viandes, ni poisson, et cetera.
En revanche, il s'agit d'utiliser les composés présents dans ces ingrédients alimentaires pour construire des plats.
Cela est notamment expliqué dans les pages du site du Centre international de gastronomie moléculaire, mais aussi dans de nombreuses pages internet et dans mon livre intitulé La cuisine note à note en 12 questions souriantes




À partir de composés, donc (eau, lipides, sucres, protéines, etc.), on construit la consistance, la couleur, la saveur, l'odeur, et cetera.
Pour le concours lui-même, il n'est pas obligatoire de faire des plats 100 % note à note, mais il faut quand même savoir que l'on est noté sur la proximité avec l'idée de cuisine de la note parfaitement pure, sans aucun ingrédient complexe.
Et je dois ajouter que les étudiants ont beaucoup progressé grâce notamment à nos enseignements  : ils sont aujourd'hui capables de faire des choses absolument remarquables comme on le verra par exemple en considérant les résultats du concours note à  note de l'année dernière, ou comme on le verra dans des masterclass que j'ai faites à l'Institut Cordon bleu :   https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
https://www.youtube.com/channel/UCbYp0JiKFB74NELb2d3KIYw


À propos du déroulé, c'est tout simple : il suffit de se mettre à chercher des recettes qui satisfont au thème de l'année, le gaspillage et les pertes. Je dois d'ailleurs ajouter que ce thème est un peu humoristique,  puisque, avec la cuisine de synthèse, il n'y a aucun gaspillage et aucune perte ! Il va donc falloir trouver une idée pour mettre en œuvre ce thème. Après, c'est tout simple :  on réalise la recette, on la photographie et on envoie ces documents à icmg@agroparistech.fr.
Il y a une présélection, fin août, et nous retenons des finalistes qui présentent leurs recettes lors de la finale. Il n'y a pas d'obligation de la réaliser lors de la finale, d'autant que certaines participants sont à l'autre bout du monde.  
Le jury est composé de personnalités qui sont soit des cuisiniers, soit des technologues, soit des scientifiques, soit des enseignants comme on le verra en regardant le jury de l'an passé.
L'épreuve donc consiste simplement en la présentation la recette, son explication avec un powerpoint ou un film. Cela dit, par le passé, certains cuisiniers ont exécuté la recette et l'on fait goûter au jury.
Pour le panier, il est libre et chacun se fournit là où il veut, des ingrédients qu'il veut, mais évidemment tout cela doit être spécifié dans la recette qui est proposée. Et de ce fait, il n'y a aucun problème à effectuer une fermentation par exemple.

Je reste à la disposition de tous les concurrents pour répondre à leurs questions : icmg@agroparistech.fr

lundi 24 avril 2023

Bon pour la santé...

« Bon pour la santé » ? C'est soit de l'ignorance, soit de la malhonnêteté, soit de la mauvaise foi. 

L'ignorance est évidemment... la chose la mieux partagée du monde, et, pour anticiper certains des commentaires qui me sont adressés et que je publie pas quand ils sont outrés ou inutilement désobligeants (j'accepte les critiques polies, toutefois), je dirais volontiers que,  personnellement, je suis dans le lot commun, hélas. J'essaie de me soigner, mais c'est un travail de chaque instant. Bref, on est souvent ignorant, quand on dit « bon pour la santé », parce que rien n'est parfaitement bon pour la santé. Parmentier contribua à sauver la France de la famine avec les pommes de terre, mais celles-ci contiennent des glycoalcaloïdes toxiques. Tous les composés sont toxiques, à des doses variées certes, mais ils sont « toxiques ». 

Pis, on a découvert, avec les SERM, médicaments introduits ces dernières décennies contre le cancer du sein, que les composés bio-actifs pouvaient avoir une action bénéfique sur un tissu, et maléfique sur un autre, car les récepteurs sont variés, et les réactions qu'ils déclenchent n'ont aucune raison d'être toutes souhaitables ; la « panacée » est une vielle lubie. Même l'eau est toxique : que l'on pense au supplice de l'eau, ou aux chocs osmotiques auxquels sont exposés ceux qui boivent de la neige fondue. 

 

Derrière l'ignorance, il y a parfois la malhonnêteté : c'est celle d'un certain commerce prêt à tout pour nous refiler ses produits (qui, selon les cas, sont bons ou non). Et, par les temps qui courent, je vois hélas bien trop de « bon pour la santé » sur les conditionnements alimentaires ! Luttons, luttons sans relâche contre les prétentions fausses. 

 

Enfin, il y a la mauvaise foi. Dans ce cas, il y a un sourire, parfois, de l'humour. Et la mauvaise foi est bien trop complexe pour que je puisse en juger de façon fiable. Certes, il y a la mauvaise foi qui consiste  à dire froidement quelque chose de faux en sachant que c'est faux, mais la mauvaise foi est compliquée, parce que l'on peut être de mauvaise foi en disant quelque chose de juste et en sachant que c'est juste. Pensons à une réunion où l'on doit choisir des candidats : si l'on met le doigt sur une caractéristique éliminatoire d'un des candidats, c'est quelque chose de juste qui est dit... et, pourtant, c'est très hypocrite, de mauvaise foi que l'on dit cela.

samedi 4 mars 2023

À propos de bonnes pratiques dans la vie scientifique

 À propos de bonnes pratiques dans la vie scientifique

Je me souviens d'une époque pas si  ancienne où, dans les laboratoires de chimie, le directeur (le "patron") signait toutes les publications scientifiques, et même celles qui décrivaient des travaux auxquel il n'avait pas participé.

Après la Révolution de mai 1968, le remarquable chimiste Guy Ourrisson fut l'un de ceux qui renversèrent la tendance, notamment à propos de la signature des publications scientifiques.

Aujourd'hui, les bonnes pratiques ont considérablement évolué à ce propos, et l'on en est même à s'interroger pour savoir si les membres du comité de thèse d'un doctorant, voire le directeur de thèse, doivent ou non consigner les publications des doctorants qu'ils "encadrent".

Certes, je discute ici par anticipation d'un point qui sera disputé plus loin, mais il me sert surtout à évoquer la question de la conduite des individus dans les laboratoires.

De même que le sexisme est bien plus condamné que par le passé (heureusement !), de même que les patrons peuvent être condamnés pour du harcèlement, sexuel ou moral (heureusement !), il y a lieu de considérer les bonnes pratiques en termes de comportement dans les laboratoires.

Les écoles doctorales ont eu pour bénéfice de mettre un peu d'ordre dans l'affaire, et cela n'est pas terminé,  mais c'est en bonne voie, au moins pour les thèses des sciences de la nature, où les doctorants, qui ne sont plus des étudiants puisqu'ils ont dépassé le stade de la deuxième année de master, doivent être payés, par le laboratoire, ou par le ministère, ou par un industriel.

Il y a donc une évolution considérable depuis 1968. D'ailleurs les directeurs de laboratoire n'ont plus droit qu'à deux mandats successifs, à la suite de quoi ils doivent retourner à la paillasse ou bien  où aller vers d'autres tâches.

Mais surtout, il y a lieu maintenant de considérer le comportement des individus dans les laboratoires, comportements individuels ou comportements en société, et toujours à mettre en regard des lettres de mission qui sont confiées et du Code national de la recherche.

De plus en plus, les activités scientifiques sont codifiées, et c'est ainsi que se sont ajoutées des lois qui protègent notamment les plus jeunes.

Par exemple, tout stage de plus de 8 semaines doit donner lieu à une indemnité.  Cela concerne essentiellement les étudiants en deuxième année de master.

Pour les doctorants, je milite pour qu'on ne les confonde plus avec des étudiants, ce qu'ils ne sont pas en vertu d'un accord européen, mais qu'on les considère plutôt comme des jeunes scientifiques qu'ils sont. Certes ils ont une carte d'étudiant qui leur donne des avantages associés à leur salaire limité, mais en réalité, ce sont des jeunes scientifiques qui doivent maintenant progresser dans la carrière scientifique ou technologique.

Pour les étudiants en stage, le travail est codifié à savoir que la réglementation nationale indique bien que les stages sont des séquences d'études, donc sous la responsabilité de leurs institutions qui les envoient en stage.
Et la réglementation nationale veut que les stages permettent aux étudiants de transformer des connaissances en compétences.

De sorte qu'il est anormal que certains étudiants en stage soient réduits à faire des photocopies ou à observer les actions du personnel qu'ils suivent.

D'ailleurs, à propos de ces stages, je propose d'être honnête quand on est encadrant, ce qui signifie d'une part que l'on doit permettre aux stagiaires de transformer leurs connaissances en compétences, sans quoi on ne doit pas accepter l'étudiant en stage.

Ce qui signifie aussi que l'on s'engage à évaluer ce travail de transformation des connaissances en compétences, ce que ne pourra pas faire le professeur responsable vu qu'il n'est peut-être pas compétent dans l'activité que l'étudiant va découvrir.

Ce qui a pour corollaire que s'il y a un rapport (écrit, donc) et une présentation orale, cela relève d'un exercice qui est donné à l'étudiant par son institution, par ses professeurs, et qu'il est tout à fait anormal que la structure d'accueil du stagiaire révise le document écrit, ou fasse la présentation orale.

Il y a lieu de dire cela explicitement, car je vois beaucoup trop souvent des encadrants de stage qui réécrivent les rapports des stagiaires, de sorte que ce ne sont pas les stagiaires qui sont notés mais les encadrants.

Je vois aussi les encadrants invité aux soutenances, mais je ne crois pas bon qu'ils y soient présents, car l'évaluation d'une présentation orale relève de la compétence de l'institution d'enseignement, et pas de l'entreprise où le stage a été fait. C'est l'exercice oral qui est  (doit être) jugé, et pas le travail scientifique, dont l'évaluation revient à l'encadrant.

Personnellement, je signale explicitement aux professeurs des stagiaires qui me rejoignent que je ne participe en aucune manière au rapport... sans que cela m'empêche de conseiller beaucoup mes jeunes amis à ce propos.
Oui, je donne de nombreux documents très détaillés sur la façon de faire, mais  je laisse à l'étudiant la responsabilité de son travail. Je ne refuse évidemment pas de donner des conseils, mais, vu la précision des documents de cadrage que je donne aux étudiants à propos de communication orale et de communication écrite, les étudiants n'ont qu'à faire le travail qui n'est pas difficile.

Par exemple, quand je dis que, dans un texte, il faut faire la chasse aux adjectifs et aux adverbes pour  les remplacer par la réponse à la question "Combien ?", je vois mal ce que je peux dire de plus, sauf renvoyer l'étudiant à son travail dès que je vois un adjectif ou un adverbe :  un étudiant qui ne supprime pas les adjectifs et les affaires alors que je le lui ai conseillé ne mérite pas que je perde du temps à le lui redire.

D'ailleurs, j'ajoute qu'il est très important que les professeurs et les encadrants des stagiaires ne mettent pas ces derniers en porte-à-faux.
Imaginons que j'insiste pour que l'on écrive "en revanche" plutôt que "par contre" ; un professeur qui corrigerait cet "en revanche" non seulement serait fautif, mais, en plus, ne serait pas éthique.

Evidemment le cas du "en revanche" peut sembler sans intérêt, mais on pourrait en prendre d'autres : par exemple, très peu de mes collègues savent qu'il n'y a pas de virgule après un complément circonstanciel réduit à un mot en tout début de phrase, avant le sujet. Un correcteur de rapport qui ajouterait cette virgule, serait à la fois ignorant et fautif.

Ce que je dis de la forme vaut aussi pour le contenu. Je me souviens d'un étudiant au laboratoire qui avait décidé d'exprimer les incertitudes en indiquant la valeur minimum et la valeur maximum des dosages qui avaient été faits :   cela est parfaitement légitime... à condition d'avoir expliqué ce qu'on fait et pourquoi on le fait comme ça.
Bien sûr, le minimum est maximum ne disent rien de la distribution des mesures, mais si l'on donne la myenne, pourquoi pas une méthode plutôt qu'une autre.

Bref, nous ne devons pas mettre nos amis en porte-à-faux, et nous ferons bien de nous surveiller nous-mêmes avant de critiquer autrui, qu'il s'agisse d'un étudiant ou d'un collègue.

samedi 25 février 2023

Deux recettes alsaciennes :

 Là, sur l'exemple d'une merveilleuse préparation que j'avais faite à l'Hôtel Renaissance de la Défense, pour mon ami Jean-Pierre Lepeltier, je propose un dessert alsacien :


1. macérer des épices de vin chaud dans de l'huile
2. dans un blanc d'oeuf, battre en ajoutant l'huile, de sorte que l'on obtienne une émulsion blanche (comme une crème, donc)
3. mettre deux centimètres dans un verre, et passer au four à micro ondes une vingtaine de secondes (jusqu'à gonflement).
4. ajouter du marc de gewurtztraminer
5. terminer par une mousse au siphon : blanc d'oeuf et gewurtztraminer, par exemple
6. napper de noix grillées.

 
Et j'imagine une sauce poisson, qui pourrait être du type de mon invention que j'ai nommée un priestley :
1. mixer très finement de la chair de truites de Guidat (Orbey)
2. ajouter du lait, ou un autre liquide (par exemple du riesling chauffé afin que l'éthanol soit évaporé)
3. cuire comme une crème anglaise jusqu'au nappage

jeudi 16 février 2023

Il faut justifier ses dires, ou être capable de le faire.


Je fais ce billet parce que cela fait quelques plusieurs fois en quelques jours que des correspondants me soumettent des "récits", des "thèses", sans justification et que, cela venant de personnes qui sont extérieures à la production de connaissance, je vois délivrer des informations douteuses et sans référence.

Par exemple, un de mes correspondants me signale qu'un chimiste vers 1930 aurait découvert "la molécule qui fait synthétiser le récepteur de l'amertume des légumes". D'abord, il n'y a pas une amertume, mais de nombreuses amertumes. Ensuite, puisqu'il y a de nombreuses amertumes, il y a de nombreux récepteurs. Ensuite, il n'existe pas de molécule qui déclencherait la synthèse de ces récepteurs. Bref, une telle phrase montre... qu'elle est très fausse, et que notre interlocuteur a mal recopié une information juste, sans comprendre, ou bien qu'il a recopié une information fausse sans comprendre que l'information était fausse.

Mais si la phrase qui m'est tendue est si fausse, que faut le reste ? Rien, en l'occurrence... d'autant que tout cela est donné sans référence.

Certes, moi-même, je ne donne pas toujours mes sources, mais je publie assez largement, publiquement, mon adresse email, en avertissant que je tiens à la disposition de ceux qui les demanderaient les références qui justifient mes dires.

Par exemple, je renvoie à mon livre Casseroles et éprouvettes pour le document qui fait état  d'études de marquage fluorescent fondé sur l'usage l'ion calcium pour détecter des  récepteurs de composés sapides amers.

Plus généralement, tout ce que je dis, tout ce que j'écris, se fonde sur des références. Et des références primaires, pas des sources secondaires, dont il y a lieu de douter. Chaque fait que je délivre doit être fondé sur une référence solide qui l'établit.

D'ailleurs, toutes les personnes qui ont publié des articles scientifiques avec moi pourront  témoigner du fait que je réclame  sans cesse "une phrase -> une référence ou plus ».

Oui, tout ce qui est écrit dans un article doit être sourcé, référencé et avec des règles très particulières que j'ai exprimé dans des nombreux billets et textes sur les bonnes pratiques en sciences.

Je sais qu'il y a des groupes où des adultes sont poussés à s'améliorer, notamment par la production de textes sur des sujets qu'ils choisissent, produisant des documents spéculatifs, des  "mémoires", mais il faut répéter que la qualité  d'un document analytique (pas la littérature) tient à la sélection des faits et idées rapportés, et au référencement de ces faits et idées.
Il est notamment essentiel de savoir reconnaître de bonnes sources... pour ne pas en citer de mauvaises sans analyse critique  : si l'on cite une référence médiocre en la prenant pour argent comptant, alors on endosse la médiocrité de cette référence.

La question des références est absolument essentielle en sciences et on ne répétera jamais assez que l'on ne doit se référer qu'à des textes "primaires", et ne pas citer des auteurs qui citent d'autres auteurs, et ainsi de suite.

Souvent, il y lieu de bien choisir les sources citées. Notamment quand  plusieurs auteurs ont contribué à établir le fait :  c'est l'auteur qui a établi le fait particulier que nous citons qui doit être cité et nul autre.

On n'a donc pas un choix considérable sauf à vouloir préciser des conditions d'établissement du fait.
Par exemple, si une méthode  d'analyse a été mise au point par un chercheur M, et que l'équipe N a utilisé cette méthode pour obtenir un résultat d'analyse particulier, alors on a le droit de citer à la fois N et M,  dans la mesure où l'on veut expliquer à la fois la méthode et son résultat.

Ce qui vient d'être énoncé n'est pas anodin, car la science demande des "moyens de la preuve", à savoir comment un résultat a été établi. Si l'équipe M a cité l'équipe N pour la méthode qu'elle a mise en œuvre, alors il devient légitime de citer M et N.

J'en profite aussi pour signaler que nous n'avons pas le droit de choisir entre plusieurs publications que l'on cite. Il y en a une et une seule, qui a été la première a  établir le fait que nous citons, et c'est celle-là qui doit être citée et nul autre.

Même si nous avons des amis qui ont travaillé sur le sujet et à qui nous voudrions faire plaisir ! Même si nous avons à coeur de citer toute une communauté.

Non, la bonne pratique en matière de référencement des informations consiste à citer, qu'on les aime  ou  pas, les personnes précises qui ont établi les faits que nous utilisons dans notre argumentation.

Et je reviens à la question initiale  :  de toute façon, un récit ne vaut rien s'il n'est pas correctement sourcé, et nous ne devons avoir aucune confiance dans un récit dont les composantes ne sont  pas clairement établies, ne sont pas fiablement établies.

samedi 11 février 2023

A propos de plantes "bonnes pour la santé" : de la mauvaise foi !

 La mauvaise foi, la mauvaise foi, la mauvaise foi

On se souvient que j'ai fait voeu de ne plus parler publiquement de nutrition ou de toxicologie... mais cela ne m'empêche pas de sourire, quand j'en entends parler.

Par exemple, je reçois un message d'une personne qui veut extraire un composé particulier de plantes, et qui me demande conseil.
 

Elle me dit que cette plante est riche en isothiocyanate... mais ça commence mal : je connais DES isothiocyanates, et leurs propriétés sont différentes.
Et puis, cette personne me parle d'une plante d'une grande famille végétale... mais quelle plante ? Je reste échaudé d'une discussion récente avec quelqu'un qui ignorait que, dans une des familles qu'il citait, il y  en avait de  toxiques... et  je dis donc à mon interlocuteur qu'il y a lieu de faire attention : https://pubs.acs.org/doi/10.1021/jf9805754 par exemple.
J'ajoute ensuite des indications sur les isothiocyanates, notamment l'isothiocyanate d'allyle, qui est présent dans le raifort, par exemple.
Et, en faisant un peu de bibliographie, je découvre qu'il se décompose avec formation d'une odeur aillée (https://academic.oup.com/bbb/article-abstract/33/3/452/5977562, https://pubs.acs.org/doi/full/10.1021/jf970488w?casa_token=oYXrX-Jh9TQAAAAA%3AEcNFf_0FKsU0mzoyExUkcFIIP-mK6TNigx4oRp8UOIDgfuetyAUTp1ppDLvukCYtdizyUITUzTaOThAN)
Mais rien ne dit que le composé auquel pense mon interlocuteur soir l'isothiocyanate d'allyle : ce pourrait être un itc de méthyle, ou d'autres.
https://img.perfumerflavorist.com/files/base/allured/all/document/2016/03/pf.9236.pdf

Et je termine en signalant que, en tout cas, il y a lieu d'être prudent avec des doses. Le mieux : https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.2903/j.efsa.2010.1943
 

Là, j'ai fait mon travail : je l'ai mis en garde, je l'ai mis sur des pistes, je l'ai alerté des dangers, afin qu'il puisse éviter les risques.

Et je reçois une réponse polie et amicale, des remerciements.
Très bien, mais j'apprends que l'utilisation de la plante en question donne lieu à des "pilules", des "gélules", des tisanes... et cela servirait à de la "détox".

Aie ! de la "détox" ? D'autant que je vérifie que la plante en question n'est pas nécessairement très "comestible". Mais on me connais : je me limite à citer à mon interlocuteur le compendium des plantes toxiques,  qui est essentiel  pour tous ceux qui utilisent des plantes : https://data.europa.eu/data/datasets/efsa-botanical-compendium?locale=fr
Et j'explique que, si j'ai bien compris, il y a un premier principe, selon lequel la dose est essentielle, puisque tout est poison, en quelque sorte... mais avec des exceptions pour les "perturbateurs endocriniens"... comme il y en a dans les plantes (la lavande, par exemple).
Bref, nous devons être très prudent, et surtout avec des préparations... d'autant qu'à  à côté des isothiocyanates, il y a peut être des composés  toxiques !
Et je termine en préconisant la consultation de vrais toxicologues compétents ! Sans croire ce qu'ont écrit des Hildegarde de Bingen et autres, qui n'avaient aucun moyen de connaître la toxicité des plantes (et qui, d'ailleurs, ont préconisé des plantes parfaitement toxiques).
Plus d'autres conseils techniques.

Mais mon interlocuteur, qui me remercie, s'accroche à cette idée selon laquelle
 la dose  fait le poison  : il oublie la deuxième partie de mon texte  !

D'autre part, il s'émerveille qu'une plante invasive ait des utilisations "bénéfiques" : c'est du mysticisme. Et il ajoute diverses indications justifiant que, oui, finalement, on peut utiliser la plante.

Là, ayant écrit un "traité de la mauvaise foi", je sais la reconnaître... Notre homme vend des préparations végétales, et il  cherche tous les moyens de continuer à le faire. Il veut ignorer que la pharmacie moderne se distingue des préparations des rebouteux par le fait que l'on extrait les principes actifs, qu'on les purifie, et qu'on les dose correctement, pour une prise raisonné, au lieu d'avoir des extraits aux concentrations incertaines.
Mais la cause est perdue  : notre homme continuera son activité. 



D'ailleurs, comme je lui dis tout cela amicalement, il me répond, et il me dit que tout va bien que "plusieurs facultés de pharmacie ont donne leur visa" (rien qu'une telle expression est injuste)... mais il ne répond pas à mes arguments.
La biblio, d'ailleurs, montre des documents d'une qualité toute relative, plus d'ailleurs des thèses que des publications scientifiques (pour ces dernières, quasiment rien, et dans des mauvaises revues).

Bref, la mauvaise foi est terrible !


jeudi 2 février 2023

Comment faire un bon pot-au-feu quand on ne connaît rien à la cuisine ?



Comment faire un bon pot-au-feu quand on ne connaît rien à la cuisine ?

Dans un billet précédent de ce type, j'ai discuté le choix des viandes pour sauter ou griller des steaks, et j'avais évoqué les différences entre les viandes à griller et des viandes à braiser.

Les viandes à griller, pour faire court, son naturellement tendres, alors que les viandes à braiser sont dures, et c'est la raison pour laquelle les viandes à braiser doivent être ...braisées :  par là, on entend un procédé de cuisson un peu particulier, mais en réalité, on veut surtout dire qu'il s'agit de cuissons très longues et à basse température.

Je n'explique pas ici la cuisson à basse température , car je l'ai déjà fait dans d'autres billets, mais je répète seulement que des viandes dures s'attendrissent si on les cuit à des températures comprises entre 60 et 100 degrés pendant plusieurs heures ou dizaines d'heures : le tissu collégénique, qui rend ses viandes dures, est alors dégradé, ce qui libère dans le liquide de cuisson de la gélatine et des composés qui donnent beaucoup de saveur au bouillon. De sorte que, finalement, la cuisson d'un pot-au-feu est extrêmement simple : on met de la viande avec de l'eau et l'on chauffe à couvert pendant plusieurs heures ou dizaines d'heures.

Soyons maintenant  un peu plus pratique.

Disons d'abord que la quantité d'eau doit être juste suffisante pour mouiller la viande, c'est-à-dire que pour qu'elle soit entièrement couverte, mais pas plus : c'est ainsi que le bouillon sera bien concentré, avec beaucoup de goût.

D'autre part, le couvercle s'impose parce que toutes les odeurs qui partent en cuisine sont perdues pour le plat  : il faut donc un couvercle qui retient les composés odorants en même temps d'ailleurs qu'il économise de l'énergie (car une casserole couverte chauffe consomme beaucoup moins d'énergie qu'une casserole découverte).

Puis, il faut ainsi cuire pendant plusieurs heures ou dizaine d'heures selon le degré d'attendrissement que l'on souhaite.
C'est ainsi que hier, nous avons mangé en famille un pot-au-feu qui avec cuit pendant 3 jours à tout petit frémissement : l'eau ne doit pas bouillir sans quoi la viande durcit au lieu de s'attendrir ; on récupère un faisceau de fibre séparées mais sèches,  au lieu d'avoir, quand on cuit à basse température une viande qui se défait facilement presque à la cuillère, mais dont les fibres restent tendres.

Je suis de ceux qui ne cuisent pas les légumes du pot-au-feu dans le pot-au-feu lui-même, mais à part : dans une casserole je mets un fond d'eau, et les légumes que sont navets, carottes, poireaux, et je cuis à couvert, cette fois-ci à la température d'ébullition de l'eau pendant une vingtaine de minutes.

Puis, je récupère des carottes et je les écrase avec de la moutarde et des œufs durs, pour faire une sorte d'accompagnement, de condiment.

Et c'est ainsi que je sers mon pot-au-feu avec un bol du bouillon concentré que nous avons obtenu en évitant de mettre trop d'eau, avec la viande parfaitement tendre, avec les légumes qui ont gardé leur goût frais de légumes, avec le condiment de carotte, mais aussi avec moutarde, fruits (cerises, quetsches, mirabelles...à ou légumes (cornichons, petits oignons...) au vinaigre.

Mon ajout le plus récent : la moutarde de Crémone, une préparation condimentaire que je fais avec de la pomme, des raisins secs, de la moutarde, de l'oignon, de l'ail et parfois du citron confit au sel... donc je donnerai la recette une autre fois.

mardi 24 janvier 2023

La nutrition ? La diététique ?


Pour ceux qui s'intéressent à la diététique et à la nutrition

Diététique, Vialatte (269, Chronique des nourritures terrestres, 18 mars 1958


La civilisation nous crée bien des soucis. Par exemple la diététique. On ne sait plus ce qu'il faut manger. Des gens qui habitent en plein marché, au-dessus du charcutier, à côté du boucher, entre le "primeurs" et le boulanger, s'interrogent avec angoisse : que vont-ils mettre sur leur table ? Autrefois on avait de la chance, les gens n'étaient pas difficiles : il se contentaient du meilleur. Un petit gigot pommes boulangère, une belle cuisse d'oie réunissaient tous les suffrages. Nous avons changé tout cela. D'abord avec les vitamines. Il fallait manger des vitamines. Il fallait manger des vitamines. Et que faisait le monde -folie !-depuis cent mille ans ? Il jetait toutes  vitamines ! Ainsi ne se nourrissait-il pas. Il mangeait, peut-être ; à la rigueur ; si l'on peut dire ; concédons qu'il mangeait, il ne s'alimentait pas. Tant de patriarches joufflus, de vieillards immoraux, de centenaires illustres avaient fait illusion à des esprits légers. Ils vieillissaient par de mauvaises méthodes. Mathusalem avait triché. La vérité c'était la vitamine. Elle se trouvait, assuraient les savants, entre la pulpe et la pelure, dans cette partie insaisissable du légume, cette pellicule infime, ce sanctuaire dermique qu'on lui arrache en épluchant.  Le plus sûr était donc de manger l'épluchure. Et le reste était bon pour les Boches. Ainsi nous l'expliquait l'Allemand. On prouva même qu'en pressant les poubelles on parvenait à en extraire une espèce d'huile particulièrement nourrissante, fluide, conforme aux besoins du corps, aux exigences de la salade et aux rêves des gastronomes. La vérité était dans la poubelle cette huile idéale non la vérité était dans la poubelle. Dans l'épluchure et la poubelle. Et on eût en effet certainement extrait de la poubelle cette huile idéale qu'ils disaient, s'il y avait eu la moindre chose dans les poubelles. Malheureusement, il n'y avait rien dans les poubelles ; puisqu'on  mangeait les épluchures. Je le regrette encore. Tant pis, j'avais bien faim. Mais peut-être des guerres meilleures nous permettront-elles de faire mieux.
Ensuite il y eut les calories. Il fallut les manger. C'était un cauchemar de comptable. Une banane valait trois biftecks. On pouvait remplacer le gigot par la moitié d'un morceau de sucre de betterave, et un banquet de poètes folkloriques par un verre d'huile de foie de morue additionnée de deux caramels mous. Ce fut une terrible arithmétique. On vit des intrépides remplacer trois jus de fruits par une tête de cochon et un repas de funérailles. Les imprudents ! C'était dix litres de vin de trop ! On inventa le régime amincissant qui permettait de manger davantage en se nourrissant moins ; on se mit à maigrir en faisant du repas de noces ; on engraissa en cessant de manger ; on parla de métabolisme ; on fit avouer à l'estomac humain tout l'abîme de ses paradoxes ; on procéda à des études comparées ; on mesura le buste des Anglaises ; on le trouva moins gras dans les classes qui transpirent et plus gras dans les classes qui mangent ; plus flasque dans les classes qui boivent ; on en fit des graphiques ; on en tira des leçons ; on vient de mettre au point dans les laboratoires une méthode révolutionnaire : elle permet d'engraisser en mangeant davantage. Déconcertés d'abord par une innovation qui avait surtout l'air d'un remède de bonne femme, les savants ont finit par se rendre à l'évidence : il paraît bien que l'homme engraisse en dévorant. Ce scandale a été mal vu. Des mesures ont été décidées :  il faut manger sans boire ; il faut boire sans manger ; il faut se reposer en mangeant ; il faut boire en se reposant ; il faut manger de tout , il ne faut manger de rien ; un syndicat a décidé qu'il fallait boire : et se reposer entre-temps. L'appétit a paru suspect. Car la dernière école, sur une page de journal, nous apprend les nouveaux systèmes : il se confirmerait que l'homme est omnivore, il paraît qu'il peut manger de tout. Que c'est son droit ; que c'est même son devoir. Que ses dents le prouvent. Qu'il doit donc manger de tout. Mais peu. Par conséquent se couper l'appétit. En  mâchouillant de petites saletés avant les repas ; je ne sais quels brimborions conservés dans des boîtes qu'on trouverait, paraît-il, dans le commerce aisé. La vérité c'est de manquer d'appétit. Il faut manger sans appétit. Peut-être aussi travailler son goût, boire son soif, dormir sans sommeil et n'épouser qu'une mégère repoussante. Tel est le dernier cri de la science diététique :
l'homme doit cesser de manger à jeun.

mercredi 18 janvier 2023

Les frites : j'en ai parlé souvent, mais j'y reviens

Comment les frites cuisent-elles ? 


Avant de répondre, je propose de réfléchir et de distinguer un savoir opératif et un savoir spéculiatif. 

Dit autrement, il y a

1.  la question  de comprendre comment les frites cuisent, d'une part, 

2.  la question de faire de meilleures frites en utilisant cette compréhension des mécanismes de la cuisson. 

 

Soyons pratiques : partons d'une pomme de terre, puisque les pommes de terre frites sont faites de cet ingrédient.
Toutefois, dès ce stade, reconnaissons des possibilités d'innovation : s'il est stipulé que l'on frit des pommes de terre, dans cette occurrence, c'est aussi une façon d'admettre que l'on pourrait frire autre chose que des pommes de terre (carottes, panais, topinambours, croquettes...).

Mais ne nous égarons pas. Nous commencerons par peler la pomme de terre, parce que les pommes de terre sont des plantes de la famille des Solanacées, qui contiennent des alcaloïdes toxiques. Ces composés, qui ont pour nom chaconine, solanine, etc., se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la surface, de sorte qu'ils peuvent être enlevés à l'aide d'un économe.
Ils doivent, même,  être enlevés, car ils sont toxiques, et résistent à des température atteignant 285°C, ce qui est bien supérieur aux 180°C des fritures. Evidemment avec de la mauvaise foi, chacun trouvera une raison de justifier des pratiques personnelles selon lesquelles la peau des pommes de terre ne serait pas enlevée : cela ferait un petit croustillant, il n'y aurait plus alcaloïdes dans les pommes de terre modernes, ces alcaloïdes ne seraient pas si dangereux, et ainsi de suite.  Chacun fera comme il l'entend, mais moi, pour garder ma famille en bonne santé et pour me prémunir personnellement contre la toxicité des alcaloïdes des pommes de terre, je préfère peler les pommes de terre que je cuisine.

La pomme de terre étant pelée, il faut maintenant la couper en bâtonnets, ce qui ne semble pas difficile, et ne l'est guère, en pratique. 

 

Mais à l'heure où le matériel se perfectionne, se pose la question du  choix de ce matériel : couteau, ou machine ?
Lors d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons découvert que la question n'est pas superflue : en bouche, on reconnaît parfaitement la différence entre des frites différemment coupées… et la majorité d'entre nous préfèrent les frites coupées à la main, au couteau, parce qu'elles sont plus différentes les unes des autres ; il y a plus de variétés.
En effet, quand on  coupe au couteau, on fait généralement des bâtonnets de toutes les tailles, formes... De petits, de gros, de sorte que, après la friture, il y a de petites frites très croustillantes, brunes, colorées, avec beaucoup de goût, et de grosses frites plus blondes et plus  molles... Or le cerveau humain, branché sur nos systèmes sensoriels, est conçu pour reconnaître des contrastes. Des frites au couteau sont plus contrastées que des frites à la machine. Je n'ai pas  écrit « meilleures », parce que tous les goûts sont dans la nature, et que l'on me  trouvera bien quelqu'un qui préférerait les frites coupées à la machine, mais quand même.

Les bâtonnets sont taillés. Pardonnez-moi de ne pas discuter du lavage et du séchage : je veux arriver rapidement (;-)) à l'opération de friture. D'ailleurs, à l'heure où beaucoup d'entre nous ont des friteuses, pré-réglées sur la température de 180 degrés, je ne discute pas d'emblée la question du choix des températures.
Posons un bâtonnet de pomme de terre dans l'huile : on voit des bulles partir de la surface, avant que ce régime d'ébullition ne ralentisse et que, progressivement, on obtienne le résultat suivant : une croûte croustillante, un peu blonde, avec du goût, qui enferme une sorte de purée.
Pourquoi ce résultat ? Là, nous passons au spéculatif. D'abord, on a intérêt à savoir que le tissu végétal qui constitue les pommes de terre est fait de « cellules » jointives, petits sacs collés entre eux  et qui sont plein d'eau, avec de petits grains d' « amidon », à l'intérieur des cellules. A la surface des bâtonnets placés dans l'huile, la forte chaleur provoque l'évaporation de l'eau, ce qui fait des bulles de vapeur, et, mieux, ce qui expulse vigoureusement ces bulles. Un ordre de grandeur important à retenir, en cuisine, est le suivant : un gramme d'eau fait un litre de vapeur. Oui, un cube d'eau de un centimètre de côté fait un cube de vapeur de dix centimètres de côté.
Puisque ce volume de vapeur ne tient pas dans la frite, il s'en échappe rapidement, et c'est ainsi que se forme la croûte, avec une partie du bâtonnet, exposée à la forte chaleur de l'huile, et dont l'eau est évaporée. Plus la cuisson est longue  et plus la croûte est épaisse.

Pendant que cette croûte se forme, la chaleur entre lentement dans la pomme de terre. Oui, lentement, parce que la pomme de terre conduit mal la chaleur. Une expérience pour s'en apercevoir : si l'on tient une petite cuiller métallique par un bout et qu'on plonge l'autre extrémité dans l'huile chaude, on en vient rapidement à se brûler, parce que le métal conduit bien la chaleur. En revanche, avec un bâtonnet de pomme de terre de la même longueur que la cuiller, on peut rester à tenir le bâtonnet pendant très longtemps, parce que le matériau de la pomme de terre conduit mal la chaleur.
Cela a des conséquences pratiques, à savoir que si le bain d'huile était trop chaud, la surface finirait par charbonner, avant même que l'intérieur soit cuit ! Et, de façon plus opérative : commençons par mettre les bâtonnets dans de l'huile pas trop chaude, pour donner le temps au coeur  des frites de bien cuire, avant de pousser le feu, pour faire le croustillant et la couleur voulus de la surface.

Un bain, ou deux bains ? 

 Quand on m'interroge, je réponds : et pourquoi pas trois bains, ou seize bains, comme des bobos-gastronomes me disaient que certains chefs auraient fait ? Depuis un séminaire où nous avons testé le fait de plonger dix fois de suite de la viande dans de l'eau glacée, puis dans un bouillon bouillant... sans voir de particularité, je me méfie de ces "usines à gaz" qui feraient bien mieux que tout le reste, avec un mystère  qui croit à chaque nouvelle complication. Le mystère, ce n'est jamais que cette façon que nos interlocuteurs ont d'habiller un roi qui est nu, si  l'on peut dire !
Bref, depuis que ces mêmes gastronomes bobos m'ont félicité pour  un sanglier qui n'était que du porc mariné dans du vin, ou pour un  aspic qui n'était qu'une feuille de gélatine dans du Porto, je me méfie, et je propose d'oublier cette idée des seize bains : pourquoi pas mille tant qu'on y est ? 


Reste la question : un bain ou deux  bains ? Certains cuisiniers (je parle maintenant de gens raisonnables) proposent deux bains, en partant d'un premier bain pas trop chaud, qui donne du temps aux  frites de cuire à l'intérieur. Le second bain finit la friture, en termes de croustillance et de couleur.  
Pourquoi pas... mais l'expérience suivante montre que la méthode est sans doute moins  bonne qu'un seul bain dont on augmente la température en fin de cuisson.

Partons de deux  bâtonnets de même masse avant cuisson. Plaçons  les  dans  l'huile chaude, et faisons deux frites. Puis, quand les frites sont faites, sortons les deux  bâtonnets en même temps du bain d'huile, et épongeons tout de suite un des bâtonnets ; attendons deux minutes, puis  épongeons  le second bâtonnet. Pesons : la  frite épongée au sortir du bain d'huile pèse un demi gramme  de moins que  l'autre. Ce demi gramme, c'est de l'huile !
Oui, quand on frit, l'intérieur de la frite s'emplit de vapeur, laquelle se recondense quand la frite refroidit, après  être sortie  du bain d'huile. Et comme l'eau liquide, faite de la vapeur  recondensée, prend beaucoup moins de place que la vapeur d'eau, alors l'huile de la surface est  absorbée... quand cette huile est présente. Si l'on éponge, alors on n'a plus cette absorption d'huile !
Un demi gramme d'huile pour une frite, 25 grammes d'huile pour une cinquantaine de frites ! Et cette huile a été chauffée ! Mais, inversement, nous avons testé, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, si l'on faisait la différence entre des  frites épongées ou non à la sortie du bain... et oui, on fait la différence... mais ceux qui la font préfèrent  les frites avec de l'huile absorbée à l'intérieur  !
Décidément, l'être humain, qui aime  le gras et le sucre, mais veut simultanément manger sainement, est un drôle d'animal !