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mardi 18 juin 2024

Les Ateliers expérimentaux du goût

 Hier, lors de la réunion des professeurs de physique et de chimie de l'Académie de Bordeaux, j'ai été remis en position de présenter les Ateliers expérimentaux du goût ainsi que les Ateliers science et cuisine, que j'avais introduits dans l'Education nationale au début des années 2000. 

Force est d'observer, avec le recul, que la méthode pédagogique introduite alors n'a pas démérité et qu'elle n'est pas périmée : au bénéfice des élèves, les collègues peuvent parfaitement mettre en œuvre des ateliers de ces deux types. 

Que faut-il faire pour relancer la machine ? Sans doute en refaire des présentations à l'attention des professeurs qui, pour certains, ont oublié l'existence des ateliers, et qui, pour d'autres,  ne la connaissent pas. 

Il n'y a nulle part de mauvaise volonté, bien au contraire, et il y a surtout l'observation que, lors des préparations culinaires, il y a mille phénomènes extraordinaires qui méritent d'être considérés, analysés, étudiés, en laboratoire ou en classe. 

Souvent, un microscope fait l'affaire, mais évidemment, si l'on calcule un peu, on fait bien mieux. En tout cas, il y a cette observation que ces activités scientifiques ne coûtent quasiment rien, surtout quand on les fait à l'occasion de la préparation d'aliments que l'on va consommer. 

Mousses, émulsions, gels, suspension... Tout y passe, et ces colloïdes sont à l'interface de la physique, de la chimie, mais aussi de la biologie puisque la cuisine, c'est usage de tissus végétaux ou animaux. 

Merci aux collègues de l'académie de Bordeaux de m'avoir accueilli si chaleureusement et surtout, de m'avoir permis de présenter à des collègues des activités qui mériteraient de figurer au cœur de leurs études avec les élèves.

lundi 17 juin 2024

Divertissement, distraction, se vider la tête

 
Dans un site, je vois une catégorie intitulée "divertissement", et je ne peux m'empêcher de mépriser les activités qui en relèvent. Il s'agirait en effet d'activité qui permettent aux êtres humains d'occuper leur temps libre en s'amusant et de se détourner ainsi de leurs préoccupations.
Occuper son temps libre ? Des préoccupations ? Pour ces dernières, je préfère au contraire les prendre à bras le corps pour ne plus en avoir, pour avoir l'esprit libre.
Dans la même veine, il y a "distractions", qui correspond à un manque d'attention, habituel ou passager, de l'esprit occupé par autre chose que ce qui lui est proposé, ou au détournement momentané de l'esprit trop préoccupé vers ce qui amuse ou récrée. Là encore, je n'aime pas l'idée, et je pressens que je vais également  éviter :
- amusement :  Passe-temps agréable, récréatif, occupant le corps ou l'esprit, et destiné à tromper l'ennui
- récréation : Détente, distraction, délassement qui succède à un travail, à une occupation sérieuse.
Tout cela reste dans le même sac que "se vider la tête", que des linottes me sortent à tout va, et auxquelles je réponds : "tu ferais mieux de te la remplir".
Mais, les pauvres, que peuvent-ils faire s'ils n'ont pas de perspectives aussi belles que la Chimie ?

samedi 15 juin 2024

Je déteste les injonctions

 
Un groupe d'académicien produit un texte qui donne des recommandations pour les politiques publiques. C'est truffé d'injonctions, de "on doit" et de "il faut", ces termes que j'interdis dans mon laboratoire. Il n'y a pas de justification,  il n'y a pas de références, mais  seulement l'énoncé de conseils donnés avec toute l'autorité des signataires du texte.
Certes, ces personnes sont (peut-être) compétentes ou prétendent l'être, mais comment une personne raisonnable pourrait-elle accepter des idées sans justification ?
L'argument d'autorité fait le lit de tyrannie, si l'on pousse les choses un peu loin, et je ne crois pas que l'on soit gagnant à l'utiliser dans aucune circonstance.
Certes, ce n'est pas économique d'un certain point de vue car cela impose chaque fois de repartir de zéro, de rebâtir l'argumentation... Mais inversement, c'est aussi la possibilité de tester nous-même que nos idées ont quelques fondements, c'est l'occasion de resserrer nos raisonnements, de nous assurer de ce que nous présentons comme des certitudes.

Bref je ne suis prêt jamais à accepter de telles injonctions sans justification !

vendredi 14 juin 2024

La question des opinions

Dans une revue que je connais, il y a une rubrique pour des articles d' "opinion", et je ne peux m'empêcher d'observer il peut y avoir là le meilleur et le pire.

Une opinion, c'est au fond une opinion... je dis cela en opposant les opinions aux idées, et en imaginant tout le cortège de valeurs implicites qui sont véhiculées par les opinions.

Un esprit acéré voudra sans doute toujours affermir ses opinions sur des analyses critiques, et les transformer en idées. Il ne manquera certainement pas l'occasion, ensuite, de faire état de ses analyses, afin de donner à ses idées une force qui dépasse le café du commerce, le vague sentiments.

A l'inverse, il y a ces opinions qui sont des injonctions, péremptoires, sans démonstration ni même sans monstration, de vagues idées dont on ne peut savoir (puisqu'il n'y a pas d'analyse critique) si elles sont justes au fausses. Des prétentions, des sentiments...

Pour certaines opinions, il faut observer qu'il y a des soubassements cachés ou inapparents : des valeurs, des idéologies. Et je crois que l'honnêteté veut absolument les faire apparaître, les expliciter, en montrer le lien avec les opinions proposées.

En réalité, ce que je déplore, ce sont les opinions paresseuses, les arguments d'autorité, et surtout l'absence d'analyse.
A contrario, ce que j'aime, ce sont des analyses fouillées, patiemment menées, argumentées...  c'est-à-dire en réalité des idées

Finalement, j'observe que la qualité des personnes signataires des opinions se reflète bien dans les textes qu'ils émettent. J'aurais honte de produire une opinion qui ne soit pas en réalité une analyse approfondie, qui ne discute pas chaque terme des idées que je propose et c'est à ce titre que je distingue les opinions et les idées : une idée est quelque chose d'établi sur des bases claires, à l'issue d'un raisonnement serré. Je sais qu'il existe des textes d'opinion émis de façon volontairement obscure, mais il s'agit là d'un type de communication que je cherche toujours à dénoncer, car il s'apparente à une tyrannie, ce que les Lumières n'admettent pas.

Les références dans un article ? Il y a le meilleur et le pire selon le comportement de celles et ceux qui les donnent.



Dans un article scientifique, tout doit être justifié : pour chaque fait que l'on cite, on doit donner la référence à l'article publié par la personne qui a établi le fait ; pour chaque idée publiée, il doit y avoir la référence aux personnes qui l'ont proposée et ainsi de suite : tout doit être référencé.

C'est là une manière élémentaire de faire des publications scientifiques ou technologiques, et il n'y a pas lieu d'en discuter en toute généralité, sauf à observer que bien trop souvent, les citations ne sont sont ni éthiques, ni bien faites.
Une manière déplorable de donner des références consiste à citer le premier texte qui passe et qui discute des points que l'on veut établir. C''est non seulement un travail de feignant,  mais c'est aussi malhonnête : il faut vraiment qu'une référence que l'on cite établisse vraiment l'idée qui vient à l'appui de la référence. Evidemment !
De surcroît,  il n'est pas éthique de faire ainsi car on prive les auteurs véritables de la paternité de leur travail, ce qui peut avoir des conséquences sur leur carrière par exemple : en ces temps où les avancements sont souvent décidés par le nombre de citations, d'articles et cetera, il faut créditer celles et ceux qui le méritent.

Un autre cas déplorable : la citation de mauvais articles, sans évaluation critique de ces derniers. Là, non seulement on ne rend pas service au lecteur (que l'on guide vers de mauvais textes), mais de surcroît, on endosse en quelque sorte la responsabilité de la médiocrité des articles que l'on cite. A éviter absolument si l'on tient un minimum à sa réputation, ou, mieux,  à l'estime qu'on a de soi-même.

Dans les cas pathologiques, il y a l'absence de citation bien sûr, mais elle devrait constituer une sorte de barrage à la publication des articles dans les revues de bonne qualité.  

Levons le nez, regardons le ciel bleu : la recherche bibliographique est un acte de science, en ce qu'il permet de bien voir le paysage scientifique. Et creuser jusqu'aux vrais faits bien établis réserve toujours des surprises. Ayant passé de longs moments à vouloir comprendre ce mythe de Louis Pasteur "découvrant la chiralité", j'ai trouvé bien mieux que l'admiration naïve d'une statue qui avait été érigée de façon indue : le merveilleux paysage des travaux qui ont conduit à la notion moderne (que n'avait pas Pasteur, puisqu'il n'avait pas l'idée de molécules) de chiralité. Et c'est ainsi que l'on a raison d'admirer Jean-Baptiste Biot et bien d'autres. 



Voir https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-note-de-recherche-des-cristaux-dauguste-laurent-et-des

mercredi 12 juin 2024

Un début d'explication à propos de la coagulation du blanc d'oeuf

Pourquoi le blanc d'un œuf qui cuit devient-il opaque ? Pourquoi, initialement liquide, devient-il un solide mou ?


L'œuf qui cuit se transforme  ? Le blanc,  qui est initialement jaune tirant vers le vert, visqueux avec différentes zones de viscosités différentes, devient solide, opaque et blanc (en lumière blanche) ; le jaune, qui est initialement orange, également liquide et visqueux, prends une couleur jaune plus claire et solidifie également, devenant un peu sableux... en tout cas quand on cuit l'oeuf dans l'eau, comme un oeuf dur.
Pour un tel traitement thermique (et pour les autres traitements que nous ne considérerons pas ici), il y a de quoi s'émerveiller, notamment quand on sait  que le blanc est fait de 90 % d'eau et le jaune de 50 % d'eau (pour le jaune, 35 % étant majoritairement des lipides, également liquides, donc).

Pourquoi donc les transformations de l'œuf, lors d'un traitement thermique ? Pourquoi la coagulation ? Avec les "oeufs à 6X°C", que j'ai proposés dans les années 1990, on voit que l'oeuf dur est loin d'être le cas général, mais je renvoie  vers mon livre Mon histoire de cuisine pour cela.
Ici, je me veux me limiter à considérer la coagulation la plus simple du blanc d'oeuf, qui de liquide devient un solide mou, et de transparent et jaune devient blanc... quand il est éclairé en lumière blanche.

Le blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines : on en connaît aujourd'hui plus de 300, dont les principales sont les ovalbumines. Supposons donc un "modèle simplifié" de blanc d'oeuf, avec 10 % d'une protéine particulière, globulaire, dans 90 % d'eau. Pour les besoins de la comparaison, nous supposons que la séquence de la protéine comporte plus de deux résidus de cystéine, avec, par conséquent, plus de deux groupes thiols -SH, qui partent latéralement de la chaîne protéique (les autres groupes latéraux sont également intéressants, mais restons-en là).
Si l'on chauffe une telle solution, les molécules d'eau gagnent en vitesse moyenne, tandis que les protéines sont plus ou moins "dénaturées", ce qui correspond à un changement de leur forme et, donc, de leur surface, avec des possibilités différentes d'interagir avec des molécules voisines par des forces de van der Waals, des liaisons hydrogène, des ponts disulfure, des interactions électrostatiques... Je n'évoque pas de liaisons covalentes, parce que l'expérience que j'ai présentée ailleurs et que j'ai publiée pour la première fois en 1987, à propos de "décuisson" des œufs, avait établi que les ponts disulfure sont les liaisons les plus fortes qui lient les protéines, par les résidus de cystéine, donc. Il faut imaginer que les protéines dénaturées, dans des conditions oxydantes, forment des ponts de sulfures, ce qui engendre un réseau continu et l'emprisonnement des molécules d'eau dans le réseau continu formé, ce qui correspond donc à la formation d'un gel.

Mais on observera qu'une telle description est un peu simpliste, car un gel dont le réseau serait fait de "fils moléculaires" que sont les protéines serait transparent, et non opaque. C'est bien ce que l'on observe pour des blancs d'œufs cuits à 62, 63, 64 ou 65 degrés : ils sont encore légèrement laiteux et translucides,  alors des œufs cuits à plus de 65 ou 66 degrés deviennent opaques,  l'opacité augmentant avec la température de cuisson.
Pour interpréter ce phénomène, il faut se souvenir de l'idée suivante : un poteau planté verticalement ne perturbe que très peu la houle,  alors qu'une vaguelette rebondirait contre le poteau. Toute la différence tient dans la comparaison du diamètre du poteau et  de la longueur d'onde de l'onde qui interagit avec lui. Pour la lumière, les tailles à considérer sont les longueurs d'onde de la lumière, et l'épaisseur des éléments de maille du réseau coagulé.  Avec une protéine unique faisant la maille, le diamètre des éléments de réseau serait de quelques liaisons covalentes (disons 5 nanomètres), à comparer avec plusieurs de centaines de nanomètres pour la lumière visible : un gel dont l'élément de réseau serait un unique "fil protéique" serait donc transparent.
Ainsi, si le blanc d'oeuf devient opaque, c'est les protéines forment un réseau plus épais. Une piste : calculer quel volume de gel on peut obtenir si les protéines s'étendent complètement pour former un réseau cubique, par exemple (pour un ordre de grandeur), en supposant l'eau suffisante pour emplir tout le gel : on voit que c'est bien plus que les quelque 40 centimètres cubes d'un blanc d'oeuf coagulé !  
Avec cette analyse, nous sommes rapidement passés sur la solidification du blanc d'oeuf (la "coagulation"), en signalant que les protéines s'enchaînaient en un réseau continu. S'il y a un réseau continu, il n'y a plus d'écoulement, et c'est donc un solide que l'on obtient. Mais évidemment un solide mou,  puisqu'il est faite 90 % d'eau.  Un tel solide peut se déformer car la maille se déforme aussi tandis que les molécules d'eau peuvent bouger.


mardi 11 juin 2024

De bons professeurs pour les débutants ?



Je connais au moins deux très bons musiciens qui ont écrit qu'il faut surtout d'excellents professeurs pour les débutants. Dit ainsi, cela paraît logique, car ce sont les bons professeurs qui donneront des conseils avisés que les élèves pourront suivre...

Mais... Est-ce une idée juste ? On se souvient que j'ai souvent discuté la question des professeurs : je maintiens qu'il faut du travail, plus que des professeurs. A quo les professeurs servent-ils ? Peuvent-ils vraiment nous aider ? Ou bien devons-nous toujours faire des erreurs et les surmonter pour grandir ?

Plus généralement, quel est le rôle d'un professeur ? La question n'a pas été posée par les deux musiciens qui ont usé de leur autorité pour nous dire ce "Il faut", que je récuse. Il ne faut rien, sauf ce que je décide.

D'ailleurs, pour ce qui concerne la musique, je connais au moins un grand flûtiste qui  a appris par lui-même, sans professeur. En alsacien, on dit "D'Uewung macht d'Maischter", l'exercice fait le maître. Et en français : quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
Alors ?

Surtout, la notion de "bon professeur", au singulier, doit interroger : le bon professeur pour une personne ne particulier est-il bon professeur pour une autre personne ? Je ne le crois pas, d'expérience.

Et, pour terminer, le voeu de nos deux musiciens initiaux est peut-être "pieux"... car quel Rostropovitch, quel Tortelier, quel Maurice André acceptera-t-il de détourner son temps pour aller "border des enfants dans leur lit", les tenir par la main, longuement, patiemment ? Et mieux, seraient-ils de "bons professeurs" ?

Bref, je suis loin d'être convaincu à la déclaration de nos deux musiciens et je propose plutôt que nous rassemblions des conseils utiles, que nous mettrions à la portée de tous, sur un internet dont nous disposons maintenant.
Certes, certains ont besoin d'enthousiasme, et c'est aussi cela que donnent des professeurs. Le goût d'étudier, et un chemin proposé pour les travaux, les études que seul l'étudiant peut faire.

Pour les sciences, qui m'intéressent plus que la musique, il y a eu ce cas merveilleux de Richard Feynman, physicien lauréat du prix Nobel, qui a pris sur son temps pour aller faire une série de conférences dans les universités américaines, ce qui a donné lieu un très beau livre de physique. Il reconnaissait, a posteriori, que ces conférences étaient peut-être inutiles : elles passaient au-dessus de la tête des moins bons des étudiants, et elles étaient inutiles pour les meilleurs, qui étudiaient par eux-mêmes.

Mais, j'y reviens : à l'heure d'Internet, il est peut-être plus intéressant de disposer de films de très grands professeurs dont nous ferons notre miel.
D'ailleurs, Michel Debost, flûtiste, a  l'honnêteté de dire que quelle que soit la façon de faire, si elle nous convient, alors c'est la bonne. En musique, on se souviendra également du pianiste Glenn Gould,  qui jouait  ou mépris de toutes les règles, sur une sorte de petit tabouret qui faisait hurler tous les pédagogues. Il est souvent répété pour la flûte que l'embouchure devait être parfaitement centrée, mais on a vu nombre de grands flûtistes mettre l'embouchure en biais, sur le côté, parce que la forme de leurs lèvres se prêtait mieux à cette position. De même pour le violoncelle,  il faudrait une tenue particulière... qui n'est certainement pas celle d'un d'un artiste tel que Yoyo Ma, qui joue couché en arrière.

Reste-t-il des conseils certains ? Récemment, j'ai vu en ligne les carnets de Richard Feynman, et j'ai vu qu'il écrivait en majuscules... ce qui ralentit. Et, d'autre part, j'ai vue les cahiers de Pierre-Gilles de Gennes, parfaitement calligraphiés : encore une façon de se ralentir, de se laisser penser avant d'écrire ce qui est peut-être faux. On se dit que, ainsi, on évite des confusions de signes, on se laisse le temps de penser... Il faudrait maintenant croiser cela avec les cahiers d'autres grandes scientifiques du passé avant d'en tirer des conclusions... que nous pourrions alors "enseigner".

lundi 10 juin 2024

Des questions à propos de matières grasses

Je reçois des questions que je livre sans modification : 
 
1. En quoi la lécithine (1,2-diacylglycérol) est-elle différente des triacylgycerides ? Est-elle plus efficace à certains aspects que ceux-ci ?

2. Lorsqu’on chauffe du beurre de vache, puis qu’on le laisse durcir à nouveau la structure et le goût est totalement différent. Quel a eu comme impact ce changement d’état sur la structure du beurre ?

 

Commençons par la première, et en observant tout d'abord que l'on ne peut pas parler de  "la" lécithine. Et, d'ailleurs,  "1,2-acylglycérol" n'est pas un composé unique, mais toute une série de composés, voisins certes mais différents.
Bref, il y a LES lécithines, et les 1,2-acyglycérols. Et les lécithines sont très différentes des triglycérides. Tout cela est détaillé dans ma fiche encyclopédique, sur le site de l'Académie d'agriculture : https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q16-les-lecithines

En quoi les lécithines sont-elles différentes des triglycérides ? Les triglycérides sont les composés des matières gras, des huiles, pas du tout tensioactifs. En revanche, les lécithines sont des tensioactifs (par exemple). Et leur structures moléculaires sont bien différentes. Pour les triglycérides, il y a un résidu de glycérol lié (chimiquement) à trois résidus d'acides gras. Pour les diacylglycérols, il y a un résidu d'acide gras lié à deux résidus d'acides gras. Et, pour les lécithines, c"est un phosphoglycéride, avec un groupe phosphate très essentiel, puisqu'il est électriquement chargé, et permet une bonne solubilité dans l'eau. 

J'ai demandé à mon interlocuteur ce qu'il par "efficacité"  : efficacité en vue de quelle action ? Il m'a répondu que "On ajoute souvent de la lécithine dans certains produits comme le chocolat ou de plus en plus en substitut de matières grasses ou œufs dans les recettes dites Vegan". 
Et là, je l'ai à nouveau repris : je me refuse de parler de "la" lécithine, car on il y en a de nombreuses : les résidus d'acides gras peuvent être courts, longs, saturés, insaturés... 
Cependant, les lécithines sont de bons tensioactifs, à savoir qu'ils favorisent la dispersion du sucre dans la matrice grasse du chocolat (le beurre de cacao). Pourquoi l'utiliser, me demande-t-on ? Parce que l'on dépense moins d'énergie ! En pratique, l'opération de conchage, très gourmande en énergie, est facilitée, raccourcie, et cela n'est pas rien dans une industrie. Pour le chocolat, l'effet des tensioactifs se voit au conchage : une meule qui tourne dans du chocolat fondu où l'on ajoute du sucre a beaucoup de peine, tourne lentement, mais si l'on ajoute des lécithines (il faut dire "des lécithines", pas "de la lécithine"), alors elle tourne bien plus facilement, consomme bien moins d'énergie.
Et le "vegan" ? Pas sûr de vouloir m'intéresser à cela, de sorte que je ne réponds pas sur ce point : il faudrait que je passe du temps à examiner la chose, et je propose que mon interlocuteur interroge des personnes qui seraient versées dans la chose;


Pour le chauffage du beurre, la question initiale est vague, car de quel type de chauffage nous parle-t-on  ? On me répond que l'on fondrait les deux matières... et cela bien plus facile de répondre, car le beurre contient de l'eau, alors que le chocolat n'en contient pas (ou excessivement peu). Quand on fond le beurre, la matrice grasse libère le "petit lait", de sorte que le refroidissement conduira à une toute autre structure, ce qui n'est pas le cas du chocolat. 

 

vendredi 7 juin 2024

La retraite ? Pourquoi ?

Je m'étonne de voir mes amis de mon âge partir les uns après les autres en "retraite". 


L'un d'entre eux suit des cours d'histoire de l'art,  l'autre part en voyage, le troisième apprend le chinois... Je ne parviens pas à m'empêcher de penser qu'ils font des choses très inutiles pour meubler la vacuité de leur existence. 

Mais surtout, pourquoi partent-ils en retraite ? Ceux qui travaillaient dans l'industrie avait des contraintes dont on pouvait penser qu'elles pouvaient être pesantes : des réunions interminables, ennuyeuses, des horaires mangeant leur sommeil, des transports fatigants... 

 

Mais pour les scientifiques ? Pourquoi arrêter ? Pourquoi arrêter de faire quelque chose de si merveilleux ? Et puis s'arrêter pour faire quoi ? Bien sûr, on a le droit d'aimer plusieurs choses à la fois, par exemple la science et la musique, mais si la science nous plait plus que la musique, si l'on a conclu que c'était la science que l'on aimait le plus, pourquoi  ne plus en faire ? 

Pour moi, c'est clair : m'arrêter de faire de la recherche scientifique, ce serait me condamner à faire moins passionnant que ce que je fais. Bien impossible ! 

On ira mon texte sur le "château de la science", inspiré du texte d'Einstein sur le temple de la science, pour comprendre que nombre de mes amis qui partent en retraite étaient comme des marchands du temple, et l'on ne doit pas s'étonner que leur carrière scientifique ait été si mince. 

 A l'inverse, j'aime beaucoup Jean-Marie Lehn qui, à plus de 80 ans, va au laboratoire tous les matins, et continue de faire avec passion cette science si merveilleuse qu'est la chimie.

dimanche 2 juin 2024

Un chat est un mammifère, mais un mammifère n'est pas nécessairement un chat !

 Phénols, oligophénols, polyphénols, tanins
C'est la grande confusion : les sommeliers parlent de "tanins" sans les avoir vus dans les vins, les chimistes imparfaitement rigoureux parlent indûment de polyphénols... et le public est perdu. Pourtant, ce n'est pas si compliqué !

Commençons par "le" phénol : c'est un composé qui se présente sous la forme d'un liquide transparent, dans les conditions ambiantes. Ses molécules sont faites de six atomes de carbone formant un cycle hexagonal, avec un des atomes de carbone lié à un atome d'oxygène, lui-même lié à un atome d'hydrogène. Le motif atome d'oxygène-atome d'hydrogène est nommé "groupe hydroxyle".

Quand le cycle hexagonal porte d'autres groupes hydroxyles, la molécule est un diphénol, triphénol, etc. Globalement, ce sont des "oligophénols", du mot grec "oligo" qui signifie "peu".

Et l'on peut compliquer la situation, comme dans les "anthocyanes", les composés qui font les couleurs des fruits et des fleurs : il y a au moins un motif à six atomes de carbone, et plus d'un groupe hydroxyles, de sorte que ce sont encore des oligophénols.

Et les "polyphénols" ? Il faut plus de 10 groupes hydroxyles, comme, par exemple, dans cette "lignine" qui durcit les bois.

Les tanins, enfin, sont des composés phénoliques particuliers, en cela qu'ils "tannent", à savoir qu'ils se lient aux protéines, notamment, pour faire des cuirs résistants. Il y en a plusieurs sortes, et ce sont souvent des oligophénols, parfois des polyphénols.

L'ensemble de ces composés : ce sont les composés phénoliques. Mais les diverses catégories ne sont interchangeables, et, si un chat est bien un mammifère, tous les mammifères ne sont pas des chats !

vendredi 24 mai 2024

"Produits végétaux" et cuisine de synthèse

 Je reçois le message suivant : 


Bonjour monsieur This,

Cela fait longtemps que je ne vous avais pas contacté avec mes questions naïve. J’espère que vous accepter toujours de répondre aux questions d’amateurs de cuisine, de chimie et de vos travaux.

Ma femme m’a “converti” ces derniers temps aux produits de substitution a la viande tels que steaks hachés végétaux, bacon ou saucisses végétales…
Je mange toujours de la viande (plus rarement mais aussi de meilleure qualité) mais j’ai adapté certaines recettes pour intégrer ces nouveaux aliments et parfois je trouve qu’on arrive à des résultats plaisants (je ne dis pas “meilleurs” hein).

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans ses produits une route vers votre cuisine note à note mais je me demande ce que vous en pensez ? Acceptez-vous la filiation? Ou les objectifs vous semblent trop éloignés des votres ?
Je pense parfois avec envie à l’éventualité d’un projet dans lequel vous participeriez…
 
 
 Et ma réponse est la suivante. 

1. Répondre à des questions ? Bien volontiers, car je sais qu'elles sont souvent partagées, et que si je peux apporter des réponses, je me rends utile. 

2. "steaks hachés ou bacon végétaux" : attention, l'usage des mots de la viande pour des reproductions végétales est maintenant interdit par décret, et cela me semble parfaitement bien, car il faut de la loyauté dans les transactions à propos des produits alimentaires (notamment). Un steak, c'est un steak. Mais une galette végétale, ce n'est pas un steak. Et une expression comme "steak végétal" est aussi incongrue que "carré rond". 

3. les produits végétaux seraient-ils apparentés à la cuisine note à note ? Pour répondre, il faut reprendre la définition de la cuisine note à note, version artistique de la "cuisine de synthèse" : cuisiner avec des ingrédients qui sont des composés. 
Or souvent, les fabricants de produits végétaux ne font rien d'autre que de la cuisine, avec des produits végétaux. Certains s'approchent de la cuisine de synthèse, mais pas tous. Bref, c'est du cas par cas. 
Des exemples ? Imaginons que l'on parte de féverole, que l'on sépare l'amidon et les protéines, avant d'obtenir un résidu végétal (majoritairement des fibres) ; on peut effectivement composer une sorte de galette que l'on cuira comme un steak. Dans un tel cas, l'amidon est fait de seulement deux sortes de composés, à savoir des molécules d'amylose et des molécules d'amylopectine, tandis que les protéines sont... des protéines (de plusieurs sortes) ; pour les fibres, il y a des celluloses, des hémicelluloses, des pectines. Bref, ce n'est pas "purement" note à note, mais on n'en est pas loin.

4. un "projet" auquel je participerais ? Je participe à mille travaux (plutôt que projets) ;-). Mais je suppose que mon interlocuteur pense à un projet de construction d'aliments dont les ingrédients sont des produits végétaux... ce que j'ai fait souvent, bien que ma mission soit la recherche scientifique, bien plus utile à la collectivité que l'application, que d'autres peuvent faire.

jeudi 23 mai 2024

Il faut rénover les enseignements

 On l'ignore mais il y a encore de nombreuses universités de sciences et technologie des aliments où les étudiants de cuisinent pas. 

Comment devenir ingénieur dans l'industrie alimentaire si l'on ne sait pas faire cuire un œuf, préparer une mayonnaise, faire une tarte ????????

 Certes, les établissements dispensent des cours à propos du transfert thermique, de la rhéologie, de la biochimie des aliments... Mais quand même, nous ne devons pas oublier que finalement ces ingénieurs seront en charge de la production d'aliments, de véritables aliments et pas d'OVNI que ni eux ni leurs clients ne comprennent. 

Ces dernières décennies, sous l'impulsion de la gastronomie moléculaire, plusieurs universités ont décidé de remédier à la chose en s'associant à des écoles de cuisine, ce qui a le double intérêt de faire venir des théoriciens dans des institutions pratiques et de donner à ces jeunes théoriciens des bases solides sur lesquelles ils peuvent exercer leur talents. 

Bien sûr, il est hors de question d'exposer ces jeunes à des idées fausses comme il y en a trop souvent dans le monde culinaire, mais après tout, pourquoi de pas proposer aux jeunes théoriciens précisément d'être en position d'analyse quant au savoir pratique qu'on leur soumet ? Pourquoi ne pas les faire réfléchir sur des recettes qu'ils mettent en œuvre ses recettes dussent-ils les modifier après coup ? 

Bien sûr, il y a la question des professeurs, comme toujours, qui, eux-même, ne savent pas toujours cuisiner, qu'il s'agisse de professeurs théoriques voire de professeurs pratiques, formés parfois à une époque où il n'y avait pas de technologie dans l'enseignement culinaire. 

Sans compter que la rénovation de l'enseignement culinaire est loin d'être terminée : je rappelle qu'en 24 ans de séminaire mensuel expérimentaux, nous avons constaté que 87% des idées testées étaient fausses. Je rappelle aussi que les terminologies sont bien souvent fautives, l'enseignement culinaire pratique s'étant trop souvent fondé sur le guide culinaire, ouvrage écrit sans aucune référence et sans recherche historique suffisante. 

Bref il il y a un immense chantier devant nous et il est urgent de nous y lancer


Une stratégie pour expliquer

 J'ai dû m'expliquer à nouveau : quand on fait des pesées de précision, on ne doit pas peser un objet chaud. Il y a principalement deux approches pour expliquer cela  :
- lla première est de considérer le phénomène et d'arriver à la conséquence,
- la seconde explication, un peu plus longue, consiste à rapporter une erreur que j'avais faite afin de montrer qu'on a le droit de se tromper si l'on corrige. 

Ayant du temps, j'ai pu donner les deux explications mais qu'aurait-il fallu faire si j'avais été limité ? Je ne peux pas m'empêcher qu'il vaut mieux mettre de la chair sur les os pour faire une véritable personne :  il vaut toujours mieux raconter une histoire. Et pourtant cette idée s'oppose à ce goût pour les mécanismes que je connais et que je partage.
Bien sûr, le mieux est de raconter une histoire en incorporant des mécanismes



Comment calculer ?

Je viens d'avoir à nouveau l'occasion d'observer que (certains de) nos jeunes amis manquent moins de connaissances que de stratégie pour les mettre en œuvre. 

 Dans notre groupe de recherche, nous avons notamment les questions du jour à savoir que chaque jour, je pose une question qui doit conduire à faire un petit calcul. Souvent c'est un calcul d'ordre de grandeur,  mais, en tout cas, il n'y a rien de compliqué... sauf que précisément il faut une stratégie. 

Hier, la question du jour était de savoir à quelle vitesse vont les molécules d'eau dans de l'eau. 

Un de nos amis m'a demandé si on considérait un verre d'eau ou un kilogramme d'eau. Je ne sais pas pourquoi , mais j'ai le sentiment qu'il y avait là un manque de réflexion, car si on prend un kilogramme d'eau, un litre, et que par la pensée on isole le contenu d'un verre, c'est toujours de l'eau et environ à la même pression. Si l'on se représente les molécules, alors il y a peu de chance que l'on posera cette question. Sauf à imaginer donc des différences de pression en fonction de la profondeur. 

Là, je sais sais de façon certaine (notre discussion) que notre ami n'avait pas de représentation mentale de l'eau et que c'est ce qu'il a poussé à poser cette question qui n'a pas d'intérêt. 

Mais passons, et arrivons à la réponse qui m'a été donnée : "Les molécules d'eau sont rapides et d'autant plus rapides que l'eau est plus chaude". 

Ici, il y a évidemment une réponse si floues qu'elle n'est pas la réponse correcte, et le fait que notre ami ait su que la vitesse des molécules augmente avec la température aurait dû le conduire à imaginer une réponse en fonction de la température, une expression mathématique ou la lettre T puisse apparaître. 

Mais de même, l'observation de l'adjectif "rapide" aurait dû immédiatement conduire notre ami à la question "combien ?" qui est la seule qui nous intéresse puisque notre projet était de faire un calcul. 

Bref, notre ami ne savait pas répondre à la question et il a en quelque sorte fait semblant, oubliant que je suis d'une brutalité terrible et que je mets généralement le doigt où ça fait mal parce que c'est la seule façon d'arriver à des améliorations. 

La stratégie qu'il aurait fallu mettre en œuvre, c'est de considérer que le mouvement des molécules d'eau est un phénomène physique et que, comme tout phénomène physique,  il doit s'analyser à partir de l'énergie. 

D'ailleurs, puisqu'on considère des molécules qui bougent, et il y a lieu de considérer leur énergie cinétique, ce qui est enseigné dès le lycée. 

Ainsi guidé, notre ami a réussi à écrire l'expression de l'énergie cinétique, mais la deuxième idée est venue de la considération du fait que les molécules sont des objets très petits, qui relèvent donc de la mécanique statistique ou de la mécanique quantique. En l'occurrence, il aurait fallu penser que si les molécules d'eau étaient comme des boules de billard, alors leur énergie aurait été trois demi de kT, où k est  la constante de Boltzmann, et T la température absolue. 

Et là, le problème était résolu puisqu'on écrivait que cette énergie là est égale à l'énergie cinétique, une équation toute simple dont n'importe qui peut tirer l'expression de la vitesse puis, ensuite, introduire les valeurs pour obtenir un ordre de grandeur parfaitement admissible. 

Evidemment, il s'agit d'un ordre de grandeur mais peut-on croire que l'on cherchait autre chose ? Dans de l'eau, il y a des molécules plus lentes, d'autres plus rapides, mais il y a qu'une sorte de vitesse moyenne, plus exactement une "vitesse quadratique  moyenne", mais, là, on serait entré dans des détails un peu hors sujet. 

Bref, il faut toujours une stratégie  !



PS. Ces questions du jour sont discutées dans mon livre (en anglais) : 



mardi 21 mai 2024

Le 13e workshop de gastronomie moléculaire et physique vient de s'achever

Le 13e workshop de gastronomie moléculaire et physique vient de s'achever à Palaiseau. Il réunissait plus d'une cinquantaine de personnes de plus de 10 pays sur le thème Consistances et texture

Il était organisé par Roisin Burke, Alan Kelly, Christophe Lavelle et moi-même, dans le cadre des activités du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-INRAE et sous le patronage de l'Académie d'Agriculture de France. 

Pendant 2 jours, les spécialistes des questions de consistances et de textures (notamment des rhéologistes) ont donc présenté leurs travaux récents sur le thème retenu, après qu'il avait été initialement bien expliqué par Paul Menut, de l'UMR Sayfood.
Plusieurs doctorants ont rapporté des résultats préliminaires et ont discuté des stratégies de leurs recherches. Des chercheurs ont présenté des travaux en cours, discuté des hypothèses scientifiques. 

Après ces deux jours d'intenses discussions, Reine Barbar et Roisin Burke ont organisé une session pour le projet européen Tradinnovation, des étudiants de Montpellier et de Kaslik présentant des résultats obtenus dans le cadre de ce programme. 

Finalement, nous avons discuté le développement de l'International journal of molecular and physical gastronomy,  et nous avons fait le point sur le prochain concours international de cuisine note à note. 

 

Nous avons terminé en décidant le programme du prochain workshop, en mai 2025 : la création d'aliments sains et durables, notamment par utilisation d'imprimantes alimentaires 3D, 4D, 5D, 6D

lundi 13 mai 2024

Parents indignes !


On me signale le cas d'une mère qui se plaint que son fils de 21 ans ne sache pas faire cuire des spaghettis et lui demande comment cuire la partie des spaghettis qui se trouve à l'extérieur de la casserole.
On peut bien sûr se mettre du côté de la mère et déplorer qu'un individu de 21 ans en soit encore à poser une telle question, mais je propose plutôt d'identifier que la mère n'a pas fait son travail éducatif correctement si elle a laissé son enfant atteindre l'âge de 21 ans en se posant de telles questions.
On voit bien, derrière cela,  le schéma d'une mère qui a cuisiné toute sa vie pour sa famille, excluant en quelque sorte ses enfants de la cuisine au lieu de les faire participer. On voit une mère qui n'a pas pris le temps de permettre à ses enfants de s'émerveiller des mille phénomènes culinaires qui ont lieu lorsqu'on prépare les aliments. On voit une mère qui se met dans une position de victime alors qu'elle est coupable d'avoir confisqué de la culture. On voit une mère qui a conservé son petit pouvoir culinaire au lieu de le partager.

Bref je ne me joindrai pas au concert des déplorations mais surtout, je vais inviter tous les parents à faire participer les enfants aussi rapidement aux tâches domestiques. Mettons les baby relax sur le plan de travail pour que nos enfants voient nos gestes, voient les transformations extraordinaires qui ont lieu quand on cuisine. Parlons de ce qui est en jeu : la technique, l'art, la socialité. Ne confisquons pas le bonheur de la culture technique, artistique, sociale !
 

vendredi 10 mai 2024

Pour des évaluations qui ne mettent pas les professeurs en défaut

 

Dans un billet précédent j'ai évoqué le paradoxe du professeur faussement sympathique : j'évoquais le fait que, dans le système actuel d'enseignement, les professeurs sont mis à la fois en position d'encourager les étudiants à apprendre et, d'autre part, de les évaluer, et de sanctionner notamment ceux qui n'ont pas réussi.

il y a différentes solutions pour éviter que la sympathie pourtant réelle des professeurs ne soit perçue comme une hypocrisie par les étudiants, et j'avais notamment évoqué la possibilité que des collègues se chargent des évaluations pour les enseignements que nous assurons, afin que nous ne soyons pas juges et partie.
Mais il y a d'autres possibilités, telles des évaluations parfaitement cadrées, explicitées à l'avance comme une sorte de contrat, imparable en quelque sorte. C'est le cas des QCM, par exemple mais on peut généraliser cela à de nombreux autres formes d'examen. 

Il y a lieu d'ailleurs de bien distinguer les connaissances et les compétences, mais, en tout cas, je crois bon de donner le libellé des examens à l'avance. 

Bien sûr, on ne posera pas exactement la même question, mais on se limitera par exemple à changer les valeurs numériques en les tirant au hasard et cela vaut à la fois pour des exercices et des problèmes. 

Qu'en dites-vous ?  


jeudi 25 avril 2024

Un autre séminaire consacré aux fumets de poissons (suite et fin... j'espère)

Hier lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire nous avons voulu terminer l'étude des fumets de poisson et,  notamment, nous avons le voulu savoir s'il était exact que le dégorgement des poissons contribuer à éviter de l'amertume. Nous avons également cherché à savoir s'il était utile d'enlever les yeux et les ouïes, qui, également, auraient -j'insiste : auraient- donné de l'amertume. 

Nous avions déjà fait un séminaire de ce type-là en septembre 2024 et nous avions vu très peu de différence entre les fumets de merlan et les fumets  de truite. Mieux encore, nous avions observé que les fumets de poisson entier avaient plus de goût, étaient plus intéressants que des fumets avec des déchets non broyés et qu'aucune amertume n'apparaissait dans aucun cas. 

D'ailleurs il faut signaler que ce séminaire là faisait également suite à un autre séminaire plus ancien où nous avions montré qu'une cuisson de  40 minute ne donnait pas d'amertume, contrairement à ce qui a été souvent prétendu, mais faisait des fumets meilleurs que ceux qui étaient cuits 20 minutes seulement. 

 

Bref il nous restait simplement à tester l'idée du dégorgement, ainsi que celle des yeux et des ouïes. 

 
Certes, quand on mange de la truite par exemple et que du sang est resté contre l'arête centrale, il y a de l'amertume à cet endroit-là mais il y en a-t-il dans le fumet ? Nous avons donc commencé par comparer deux fumets produits dans des conditions aussi identiques que possible mais l'un avec des déchets de truite qui avait dégorgé pendant plus d'une heure et l'autre à partir des déchets analogues qui n'avaient pas dégorgé. Disons le rapidement : il n'y a pas eu de différence et il n'y a pas eu d'amertume. Le dégorgement est inutile. 

 

Puis nous avons comparé, cette fois pour des déchets (arête et tête) de merlan, un fumet avec des déchets dégorgés sans yeux ni ouïes, et un autre fumet  avec des déchets dégorgés en conservant yeux et ouïes.  
Cette fois-ci encore, nous n'avons pas observé de différence entre les deux fumets et nous n'avons pas observé d'amertume. Il est donc inutile d'enlever les yeux et les ouïes. 

 Nous avons enchaîné en comparant un fumet de merlan (dégorgé, sans yeux ni ouïes) avec un fumet avec beaucoup de déchets et là,  nous avons vu une vraie différence d'odeur et de goût. 

Nous avons terminé avec beaucoup de déchets de truite d'un côté ou beaucoup de déchets de merlan de l'autre: même avec dégorgement dans les deux cas, une différence de goût a été perçue et nous avons reconnu le goût de truite d'un côté et le goût de merlan de l'autre. 

Avec de la sole, il y avait très peu de goût, de sorte que je me demande si l'utilisation de poisson blanc pour faire des fumets, tella la sole,  n'a pas pour but d'avoir des fumets un peu passe-partout pour faire des sauces avec tous les poissons, tout comme on utilise du veau pour des fonds passe partout. 

Mais quel dommage en tout cas de produire des liquides sans goût !

samedi 13 avril 2024

Comment faire une découverte scientifique ?

 Comment faire une découverte scientifique ? Si je savais ! 


Je parlerais volontiers d'épistémologie, mais je sais que le mot fait peur : beaucoup d'amis que je rencontre se ferment comme des huîtres à l'évocation de ce mot, craignant une certaine philosophie de petit marquis, où le sens des mots n'est pas fixé, de sorte que les discours sont soit tautologiques, soit pas réfutables. Et puis, il a plus de trois syllabes, de sorte que l'on peut craindre des complexités théoriques inutiles. Certes la discipline est pratiquée par des individus qui sont pas toujours d'une clarté absolue, à l'aune des critères scientifiques (je parle des sciences de la nature, bien sûr). Certes la discipline est encombrée par quelques uns qui croient que les sciences ne sont qu'une activité sociale, en rien différente des religions… mais c'est là de l'idéologie et cela ne concerne pas l'activité réelle qui est désignée par ce mot : "épistémologie" vient d'épistémé, savoir, et de logos étude. L'épistémologie, donc, c'est l'étude du savoir et, en pratique, l'étude des sciences. Il y a, comme dans tout champ, des épistémologistes remarquables, et l'on ne saurait manquer d'évoquer Jean Largeault, décédé il y a quelques années, ou encore, avant lui, Emile Meyerson... ou Henri Poincaré, dont La science et l'hypothèse devrait être la lecture de tout jeune scientifique ! 

 

Epistémologie, philosophie des sciences... mais lesquelles ? 

Le mot "sciences" est plus court qu'épistémologie, mais -je me répète un peu par rapport à d'autres billets- il n'est pas moins ambigu, car il confond les sciences de la nature et les sciences de l'être humain et de la société, deux activités qui n'ont le plus souvent rien à voir, non pas que j'accuse nos amis géographes ou historiens de faire du mauvais travail, mais seulement que la base de ces sciences n'est pas l'acte de foi selon lequel le monde est écrit en langage mathématique. 

Autre ambiguïté que j'ai discuté ailleurs abondamment : la confusion des sciences de la nature et de la technologie, c'est-à-dire leur application, alors que, là encore, les deux activités sont bien différentes. 

Bref laissons de côté le mot "épistémologie" et gardons le mot "sciences" pour son acception réduite à "sciences de la nature", et posons cette question extraordinairement pratique, qui est celle que tous les scientifique des sciences de la nature doivent se poser (ou peuvent se poser, puisque je n'ai pas à juger de ce que les autres doivent faire) : comment faire une découverte ? Il me semble que, pour atteindre un objectif, il vaille mieux avoir une méthode raisonnable de l'atteindre, un chemin (methodon, en grec), et l'on voit mal pourquoi la découverte scientifique s'échapperait à la règle. Mais là encore, je peux me tromper, et c'est la raison pour laquelle je propose à mes collègues de répondre à ce billet afin que leur réponse soit publiée à côté du débat. 

 

Comment donc faire une découverte ? 

 Il est remarquable d'observer que les Grands Anciens, les Lavoisier, Faraday, Einstein, Galilée..., ne sont pas des individus d'une seule découverte, mais de plusieurs, ce qui corrobore mon hypothèse qu'ils auraient eu une méthode permettant la découverte. Laquelle ? Bien sûr, on peut balayer la question d'un revers de main, en disant que seuls comptent le travail, l'activité et l'intelligence, mais si j'accepte l'idée du travail, le mot "intelligence" m'arrête, car il en existe des formes innombrables : celle du corps (les athlètes), celle du coeur, celle des équations, celle de la chimie, celle de l'expérimentation… Et puis, s'il y a une intelligence de la découverte scientifique, en quoi consiste-t-elle ? Soit donc la question : comment faire des découvertes ? J'ai posé cette question à de grands scientifiques contemporains, et je m'intérese depuis longtemps à l'histoire des sciences et à l'épistémologie, notamment parce que ces disciplines peuvent nous livrer des méthodes restées implicites. Je livre ici un résultat rapide de mes enquêtes. Tout d'abord, il y a une méthode qui consiste à mettre en oeuvre une saine compréhension du travail scientifique, lequel consiste en (1) identification d'un phénomène ; (2) quantification de ce phénomène ; (3) réunion des données quantitatives en lois synthétiques (des équations) ; (4) recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois ; (5) recherche de prévisions expérimentales fondées sur les théories ainsi établies ; (6) test expérimental des prévisions. 

La recherche des mécanismes, par l'application de cette méthode est une façon de faire. Est-elle bonne ? En tout cas, elle est saine. D'autre part, dans la même veine, il y a ceux qui partent des théories, qu'ils cherchent à réfuter. On observera que c'est là se focaliser sur un autre aspect de la méthode scientifique. Autrement dit, on sait que les sciences de la nature produisent des théories insuffisantes que l'on cherche à réfuter afin de produire des théories meilleures. Ici, c'est l'écart à la théorie qui est important, et je nomme cela un symptôme. En pratique, imaginons que l'on ait fait des mesures et que l'on ait vu des régularités, telles que 1, 2, 4, 8, 16… , alors une irrégularité est intéressante, puisqu'elle nous met sur une piste nouvelle qui n'est pas dans la régularité. Il y a donc une méthode qui consiste à se focaliser sur ces symptômes, nos mauvaises descriptions théoriques. 

Troisièmement il existe des scientifiques pour qui le travail scientifique consiste à "résoudre un problème". Je n'ai pas très bien compris ce qu'ils entendent pas là, mais je pressens la question : il y aurai un problème à creuser, une incompréhension, par exemple, de sorte que cette méthode serait analogue à la première. Une quatrième méthode consiste à construire une sorte de "microscope" particulièrement puissant, et à observer le monde avec ce nouvel outil. Par "microscope", je ne désigne pas le classique microscope optique, mais tout nouveau moyen d'observation, par exemple aussi bien un synchrotron, qui délivrera des faisceaux avec lesquels on sondera la matière, qu'un microscope à force atomique, ou même des appareils de spectroscopie qui, révélant les signatures de phénomènes ou objets, nous mettront sur la piste de ces phénomènes ou objets. Bref, si nous avons un moyen d'observation que nos prédécesseurs n'avaient pas, alors nous pourrons observer des phénomènes ou objets qui n'avaient pas été vus, et c'est bien là ce qui se nomme "découverte" : ce qui était couvert est découvert. 

Enfin il y a cette méthode qui tient dans une phrase : "tout fait expérimental, tout résultat de calcul sont des cas particuliers de théories générales que nous devons inventer". Cette fois, il semble que l'activité proposée soit différente, puisqu'elle relèverait de l'invention et non de la découverte, mais je crois en réalité que la construction théorique est bien de cette nature. Il s'agit de construction ; non pas une construction au hasard, non pas une construction poétique, mais une construction extraordinairement encadrée par de nombreuses mesures expérimentales des phénomènes, de nombreuses caractérisations quantitatives, et par les équations qui ont réuni ces données en lois synthétiques. Nous avons fait des mesures pour explorer un phénomène, nous avons obtenu de très nombreuses données quantitatives, nous avons regroupé ces données en lois synthétiques et nous cherchons maintenant des explications mécanistiques de ces lois. Les mécanismes sont des phénomènes que l'on peut exprimer en termes d'équations, et les sciences de la nature se nourrissent de cela. 

Par exemple, quand fut établie la mécanique quantique, il y avait des phénomènes étranges pour des objets très petits, et les données quantitatives furent à l'origine de deux constructions théoriques qui semblaient initialement différentes, à savoir les matrices et les opérateurs. Je passe sur les détails historiques, mais j'observe surtout que, finalement, ces deux formalisme furent réconciliés, et ils devaient l'être, car ils correspondaient aux mêmes phénomènes et aux mêmes données quantitatives. Bref il y a cette nécessité d'élaborer un cadre théorique associé à des mécanismes, à des objets particuliers. Par exemple, l'électron : il fut d'abord vu comme une espèce de petite boule de billard ; puis on lui découvrit une nature ondulatoire, comme des rides de la surface de l'eau, et l'on découvrit finalement que les particules subatomiques -tels les électrons- ne sont ni des particules ni des ondes, mais des objets subatomiques qui, quand on les regarde d'une certaine façon apparaissent comme des ondes, et quand on les regarde d'une autre façon apparaissent comme des particules ; d'ailleurs, on peut les regarder d'une troisième façon elles apparaîtront alors d'une troisième façon. Surtout les électrons qui étaient des particules initialement supposées pour expliquer des phénomènes sont devenus une sorte de dossier de plus en plus le gros, parce que correspondant à des mesures de plus en plus nombreuses . On a caractérisé (quantitativement !) l' électron, ses interactions avec la matière, et notre connaissance s'est augmenté. Notre dossier a gonflé à mesure que nous découvrions les propriétés de l'électron. Ces découvertes se sont évidemment faites sur la base d'expériences, mais ces expériences ont conduit à des propositions théoriques, qui ont constitué la théorie actuelle, théorie que les sciences de la nature doivent continuer à réfuter, car on ne dira jamais assez que l'on ne peut pas démontrer des théories, puisque celles-ci sont insuffisantes ; on peut seulement chercher à les réfuter pour en trouver de meilleures, plus proches des résultats expérimentaux. Voilà ce que j'ai glané, et c'est assez clair, de sorte qu'il ne nous reste plus qu'à nous retrousser les manches soit pour mettre en œuvre les méthodes que je viens d'énoncer, soit pour en trouver d'autres, et les partager avec la communauté, car il est vrai que, au moins pour certains, le monde des sciences de la nature est un monde éblouissant, enthousiasmant, au point que nous voulons partager avec tous les bonheur de nos travaux. 

 

Comme on dit en alsacien, ans Bràtt, au travail !

vendredi 12 avril 2024

La recherche bibliographique

 
A propos de bonnes pratiques scientifique se pose immanquablement la question de la bibliographie, puisque c'est une des activités auxquelles se livrent les scientifiques. 

Je propose que nous nous étonnions de ce que, dans la description de l'activité scientifique qui commence par l'observation d'un phénomène et dont le cycle s'achève avec la réfutation des prévisions expérimentale fondée sur les théories (voir http://www.agroparistech.fr/Les-etapes-de-la-recherche-scientifique.html), il manque ce pan important de l'activité scientifique qu'est la recherche bibliographique. 

C'est d'autant plus étonnant que, dans les formations scientifiques et technologiques actuelles (et c'est un fait que le mot "science" est bien souvent détourné par la technologie, contre laquelle je n'ai rien, bien au contraire, mais qui ne se confond pas avec la science, quand même), le moindre étudiant est éduqué à commencer toujours son travail par une telle recherche. Doit-on considérer que, si l'étude bibliographique ne figure pas dans la description des étapes de la science, c'est que la description qui a été donnée est fautive ? 

Reprenons les étapes de la méthode scientifique les unes après les autres pour voir où l'étude bibliographique trouve sa place. Nous avons dit que le travail scientifique commence avec l'observation d'un phénomène. Ce qui n 'a pas été dit, c'est que nous voyons les phénomènes avec des yeux théoriques, si l'on peut dire. C'est parce que nous avons des théories, implicites ou explicites, que nous pouvons chercher à les tester, et l'on se reportera aux discussions énergiques d'il y a quelques décennies entre René Thom et Anatole Abragam, à l'Académie des sciences, par exemple, pour comprendre que les phénomènes ne sont pas toujours aussi évidents qu'on pourrait le penser.

 

 La bibliographie, dans les étapes scientifiques 

Oui la surrection d'une montagne est un phénomène évident, qui parle à tous, tout comme l'échauffement d'un conducteur traversé par des électrons, mais il y a des phénomène dont on ne s’aperçoit qu'en creux, en négatif. Par exemple, imaginons qu'on laisse tomber une bille dans un liquide peu visqueux, simple. Après quelques instant très brefs, la bille atteint une vitesse de croisière dont on peut calculer la relation avec la viscosité. Toutefois, si on laisse tomber la bille dans un liquide très visqueux, on verra que, en pratique, la relation préalablement trouvée entre vitesse et viscosité ne tient plus. Cela se comprend : le calcul fait usage de la force de Stokes, qui suppose un un écoulement laminaire, alors que est dans un liquide visqueux, cet écoulement est gêné par les parois du récipient où l'on fait l'expérience. 

On voit sur cet exemple que l'écoulement anormal est un phénomène, mais que ce phénomène dépend de connaissances a priori. Autrement dit les connaissances que nous avons (une "théorie", donc) interviennent déjà dans la première étape du travail scientifique, et c'est la raison pour laquelle la recherche bibliographique s'impose d'emblée. 

 

Il n'est pas interdit de reproduire un travail !

Ici, un commentaire, avant de passer à la suite. Parfois, il est dit que la recherche bibliographique doit éviter de refaire des travaux qui ont déjà était faits... et j'ai moi-même proposé cette idée dans des documents intitulés "Comment faire une recherche bibliographique", en stipulant que l'introduction des articles scientifiques devait comporter les étapes suivantes : - la question initialement posée - les résultats de la recherche bibliographique - la question mieux posés, à la lumière de cette recherche bibliographique - l'annonce de l'étude qui a été faite et qui est présentée dans l'article. 

Oui, la recherche bibliographique peut éviter de refaire des études qui ont été faites... mais, dans la mesure où nous ne nous limitons pas à des caractérisations, dans la mesure où nous réfutons des théories, nous pourrions très bien refaire des études qui ont déjà été faites, en y mettant une "intelligence" différente. 

C'est ainsi que, il y a plusieurs années, le mathématicien français Joseph Oesterlé a produit de belles mathématiques, en reprenant les Disquisitiones arithmeticae de Carl Friedrich Gauss, mais ce n'est là qu'un exemple, et l'histoire des sciences en montre mille ! 

Bref, mettons fin à cet oukase contre la reproduction des études expérimentales. Bien sûr, ce ne doit pas être une excuse pour ne pas faire une étude bibliographique soigneuse, mais n'évitons pas nécessairement de passer là où d'autres sont passés... afin d'y chercher autre chose, que nous avons en nous, en quelque sorte, que nous verrons avec d'autres yeux... 

 

Des études spécifiques, avec des objectifs différents 

Revenons donc à la méthode scientifique, et, plus précisément, passons maintenant à la deuxième étape : la caractérisation quantitative des phénomènes, avec la mise en oeuvre des systèmes expérimentaux, des outils d'analyse, de mesure, d'observation (quantitative, toujours quantitative !). Là encore, on perdrait souvent du temps à réinventer la poudre, à mettre au point des dispositifs expérimentaux, si l'on ignore qu'il en existe déjà, de sorte que l'étude bibliographique nous montre des possibilités... mais on voit que, enchâssant la bibliographie dans la méthode scientifique, nous lui assignons maintenant une place bien particulière, une fonction bien plus précise. 

Comme précédemment, à propos du choix de l'étude, nous pouvons être un esprit fort et penser que ce qui a été fait avant nous est nul et non avenu, mais pourquoi se priver de la possibilité de voir la paille dans l'oeil du voisin afin d'éviter de voir la poutre dans notre propre œil ? Là encore, on voit qu'une recherche bibliographique s'impose, mais ce n'est pas la même, et la présente discussion conduit à penser qu'il est peut-être bon de séparer les différentes étapes de la recherche bibliographique, avec l'hypothèse que les petites bouchées sont plus faciles à avaler que les grosses. 

La troisième étape, de réunion des caractérisations quantitatives en lois synthétiques, nécessite-t-elle une étude bibliographique particulière ? Oui, mais la question posée lors de l'étude bibliographique est alors très spécifique, et l'on voit mal comment elle aurait pu avoir lieu d'emblée. C'est donc une possibilité d'observer que la recherche bibliographique doit se faire à toutes les étapes de la recherche scientifique, mais différemment. Ici, il s'agit d'apprendre à faire des "ajustements", à chercher des lois générales à partir de donnés. La quête porte sur des méthodes qui ont leur champ propre, avec des communautés différentes de celles qui ont produit les travaux considérés précédemment. Il faut beaucoup de "culture scientifique", pour bien faire, et l'on pressent que notre bibliographie devra comporter aussi bien des livres généraux que des documents techniques très particuliers. 

Passons à la quatrième étape, d'induction théorique. Cette fois, l'éloignement par rapport à ce qui est couramment nommé recherche bibliographique est encore plus important ! Jamais, d'ailleurs, je n'ai vu considérer ce point, alors que de merveilleux esprits, tel Henri Poincaré, ont bien discuté la question. Il est amusant d'observer que nous sommes ici dans le domaine des théories de la connaissance, de l'histoire des sciences, de l'épistémologie. Manifestement, cette étape est la plus difficile, et l'on comprend que les documents qui pourraient nous aider sont d'un type bien différents des articles scientifiques les plus courants. D'ailleurs, il s'agit de méthodologie, de sorte que nous y gagnerions collectivement à regrouper ces textes, et à les faire étudier aux futurs scientifiques, ou, au moins, à les mettre à leur disposition, dans un lieu particulier (d'internet).

 La cinquième étape, de recherche de conséquences testables des théories ? Là encore, nous avons besoin de méthodologie, et, sans vouloir me débarrasser de la question, je crois que nous avons le même type de réponse que pour la quatrième étape. Mais, évidemment, les documents qui pourraient nous aider peuvent être différents.

 Puis la sixième étape, de tests expérimentaux des conséquences théoriques ? Je propose qu'il en aille comme pour les quatrième et cinquième étape.

 

 Finalement cet examen semble montrer (je suis prudent, et j'attends les retours des collègues) que des études bibliographiques s'imposent à chaque moment du travail scientifique, mais avec des spécificités qui dépendent de ces divers moments. La recherche bibliographique ne semble pas pouvoir être faite d'une traite, en début d'étude, mais, au contraire, elle s'étage spécifiquement, avec des types de documents différents. Les données factuelles doivent être distinguées des méthodes, des techniques, et, comme les petites bouchées sont plus faciles à avaler que les grosses, on a sans doute raison de ne pas se lancer dans une étude bibliographique qui durerait des semaines, sauf à bien vouloir connaître un champ que l'on décide d'aller explorer. Surtout, finalement, on voit que mettre la recherche bibliographique en préalable est une mauvaise méthode. Il vaut bien mieux mettre en premier la méthode scientifique, et insérer des études bibliographiques à l'appui de cette méthode !