
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 16 juin 2025
A propos de rigueur

dimanche 15 juin 2025
Un journal, un journal, dès l'école !
samedi 14 juin 2025
L'évaluation des manuscrits scientifiques soumis aux revues doit être mieux prise en compte dans l'évaluation des scientifiques !
vendredi 13 juin 2025
Questions d'enseignement : de l'enseignement "matriciel" ?
jeudi 12 juin 2025
De combien le futur est-il sapé ?
mercredi 11 juin 2025
Faut-il ajouter de la pectine à des fraises dont on veut faire des confitures
La question m'arrive ce matin : avec les fraises que l'on trouve ces jours-ci, plus mûres qu'il y a quelques semaines, faut-il ajouter de la pectine pour être certain que les confitures vont prendre ?
La vraie question, derrière celle-ci, c'est que certains fruits contiennent peu de pectine... mais que cela n'apparaît pas sur les fruits eux-mêmes. En conséquence, comme on ne va pas se lancer dans des analyses très longues, j'ai immédiatement répondu de faire un essai sur une petite quantité sans pectine, pour voir si la prise se fait, avant de se lancer sur tout le lot.
On n'oubliera pas de se placer dans les conditions qui favorisent la prise en gel, à savoir charger en sucre (sans dépasser 65 pour cent), cuire longuement (pour être sûr d'avoir extrait les pectines des fruits) et ajouter du jus de citron (ou de l'acide citrique).
Plus la possibilité d'ajouter un sel de calcium, puisque les ions calcium, comme ceux de cuivre mais sans la toxicité de ces derniers, renforcent les confiture : vous obtenez cela en attaquant une coquille d'oeuf lavée avec du jus de citron. Mais, à la réflexion, il y a une autre possibilité... pour ceux qui veulent le goût frais des fruits pas trop cuits.
Prenons une pomme que nous coupons en petit morceau, avec peau et pépins dans un linge), puis ajoutons un peu d'eau et tout le sucre dont on aura besoin, voire un peu plus. Chauffons pour extraire toutes les pectines de la pomme : si l'on s'arrêtait là, on aurait alors tout ce qu'il faut pour avoir une confiture qui prend (on n'oublie pas le citron, le calcium...). Puis, dans cette super-confiture, on verse les fraises, on fait un tour de bouillon, et l'on met en pots ! Goût de fraises fraîches assuré, et consistance sur mesure.
Mais, j'y pense : pourquoi ne pas utiliser de pectine ? Après tout, la pectine du commerce, c'est de la pectine qui vient des fruits. Alors on prend une partie des fraises, on met la pectine, on cuit, puis en fin de cuisson on ajoute citron et calcium, puis des fraises fraîches qui n'auront qu'un tour de bouillon.
Moi, je ne sais pas pourquoi, mais j'ajouterais volontiers un peu d'arôme violette ou fleur d'oranger, et un grain de sel et un tour de moulin à poivre... mais je sors de mon rôle.
Quand il y a des enzymes
mardi 10 juin 2025
Il est dommage de ne pouvoir effacer
lundi 9 juin 2025
Ne pas prendre les évaluateurs pour des imbéciles.
Alors que je suis en train de relire un document proposé à l'évaluation nationale d'un pays étranger, à propos d'un cours en technologie des aliments, ce qui fait suite à 3 ou 4 évaluations du même type que j'ai effectuées précédemment, je vois mieux combien ceux qui font de tels projets se trompent soit en se débarrassant par des réponses à la va-vite aux questions posées par les formulaires d'évaluation, soit en produisant un baratin posé dans l'hypothèse que les évaluateurs seront dupes.
Au contraire, ce type de réponse finit par irriter et faire comprendre qu'on nous prend pour des imbéciles.
Bien sûr, il y a également des cas où ceux qui soumettent des projets ne sont manifestement pas à la hauteur, et, là encore, leurs insuffisances apparaissent très clairement en lisant simplement les mots écrits. Quand on confond food security et food safety par exemple, cela montre que l'on ne sait pas que le premier désigne la question de produire à suffisance pour nourrir l'humanité et le second désigne la sécurité sanitaire des aliments.
Et évidemment, quand les proposant cumulent les défauts, alors il y a lieu de ne pas perdre trop son temps en évaluant leur document et il faut les renvoyer à leurs projets : il serait idiot de passer plus de temps à faire les évaluations qu'il n'en ont passé à faire leurs projets insuffisants. Au travail !
dimanche 8 juin 2025
Encore, à propos de "recherche"
Le mot recherche est une plaie, en quelque sorte, parce que tout le monde le met à sa sauce :
- les artistes font de la recherche, mais de la recherche artistique,
- les scientifiques font de la recherche mais de la recherche scientifique ;
- et dans l'industrie, les techniciens et les ingénieurs sont également de la recherche, en général technologique
- les enseignants, s'ils font bien leur métier sont sans cesse en position de recherche didactique
- etc.
Bien sûr, je vois la différence entre la pratique et la conceptualisation. Un médecin qui soigne bien ses patients a une bonne pratique et, s'il fait bien cette pratique, c'est qu'il se fonde sur des concepts qu'il manie clairement.
Inversement, l'activité de conceptualisation qu'il peut faire serait en quelque sorte gâchée s'il ne publiait pas des textes où il décrirait cette conceptualisation. Bien sûr, il peut la garder pour lui-même, pour améliorer sa pratique. En tout cas, il est en position de recherche technologique puisque la médecine est une pratique, donc une technique ,ainsi que l'avait très bien observé le grand physiologiste Claude Bernard.
Mais je reviens au mot recherche en restant maintenant dans ce domaine de la médecine : ce même Claude Bernard, qui expliquait que la médecine était une technique, a bien observé que la recherche clinique était une recherche technologique, et que la science, la recherche scientifique correspondant à la médecine avait pour nom la physiologie.
Dans le champ voisin de la pharmacie, il y a des recherches de médicaments : c'est de la recherche appliquée donc, et cela correspond à la recherche technologique. La recherche scientifique, pour la pharmacie, correspond manifestement à des études de biochimie ou de chimie fondamentale.
Et, en passant, on observera que s'il y a de la recherche appliquée, il ne peut y avoir de science appliquée !
Et l'ingénierie dans tout cela ? Il y a également là une technique et une technologie c'est-à-dire une pratique et une recherche. Mais pas une recherche scientifique.
Comment faire cours ? Mon nouveau "mode d'emploi"

samedi 7 juin 2025
Vous faites une demande ? Faites de la science !
Évaluant une proposition scientifique faite par des collègues, je vois du baratin : s'enchaînent sans relâche les mots durable, excellence, innovation, responsabilité expertise... Que veut-on me faire gober ?
Pour autant, ces mots ont un sens véritable et l'on pourrait espérer qu'ils désignent vraiment ce qu'ils doivent désigner mais en m'étant habitué à entendre parler d'excellence par les institutions toutes les secondes, alors que la réalité est autre, par exemple, je ne suis pas prêt à accepter cela de la part de collègues que j'évalue. Et puis, "excellence" : n'y a-t-il pas une prétention considérable à s'attribuer ce terme ? J'attends des faits, des preuves.
De même, la question de la durabilité est vraiment difficile, et elle ne se règle pas en quatre coups de cuillère à pot, en une phrase un peu vague qui annonce qu'on va s'en préoccuper : demain, on rase gratis.
Plus positivement
Oublions les médiocres, les malhonnêtes, et pensons à nous, à faire bien. Un jour que je plaignais de perdre du temps à faire des dossiers, le physicien Alain Aspect m'a donné le bon conseil d'utiliser ces occasions pour faire de la science... et c'est ainsi qu'un pensum se transforme en un merveilleux moment.
vendredi 6 juin 2025
On m'interroge : qu'est-ce que l'alcool, au juste ?
Je viens de comprendre que je n'explique parfois pas suffisamment.
Considérons l'exemple de l'éthanol, dont je me suis souvent limité à dire que c'était l'alcool des eaux-de-vie, du vin de la bière, etc. Je ne suis pas sûr que cette indication suffise à bien faire comprendre, et je me demande s'il n'est pas préférable de créer un faisceau d'informations qui constitue progressivement le dossier dont on a besoin.
L'expérience fondatrice, pour ce qui concerne l'éthanol, c'est la distillation, et, mieux, la distillation d'une solution sucrée qui aurait fermenté. Mais il y a pour l'instant trop de syllabes pour que ce soit compréhensible, et le recours à l'expérience, réelle ou décrite, s'impose.
Commençons donc par prendre de l'eau, et dissolvons-y du sucre.
Regardons au microscope : nous ne voyons rien, le sucre étant dissous, et la solution formée étant transparente.
Puis ajoutons un peu de levure, ce que l'on achète chez le boulanger sous forme d'une espèce de pâte très friable.
On agite un peu pour disperser la pâte dans la solution sucrée... et cette fois, si l'on regarde au microscope, on voit de petites formes rondes, qui flottent dans l'eau.
Si nous sommes patients, nous les voyons libérer des bulles de gaz, grossir et se diviser en deux.
En effet, les levures sont des organismes vivants, unicellulaires puisque réduit à une sorte de sac vivant.
Laissons-les s'activer un moment, en protégeant le récipient des courants d'air ; puis, à titre expérimental, posons une allumette enflammée juste au-dessus du liquide : l'allumette s'éteint, alors qu'elle resterait allumée si on la mettait au-dessus d'une solution d'eau et de sucre.
C'est l'indication que le gaz formé par les levure me permet pas la combustion et, de fait, ce gaz est du dioxyde de carbone.
Si nous goûtons la solution, nous constatons qu'elle est alcoolisée.
Filtrons pour éliminer les levures... et nous récupérons une solution parfaitement transparente au microscope : les molécules qui donnent ce goût alcoolisé, comme les molécules qui donnaient la saveur sucrée, sont bien trop petites pour être visibles avec un microscope.
Faisons donc différemment : distillons.
En pratique, c'est tout simple, puisqu'il suffit de chauffer et de conduire ensuite les vapeurs dans un système qui les refroidit, les recondense en un liquide.
Si nous laissons refroidir ce liquide distillé et que nous le goûtons, nous n'avons plus aucune saveur sucrée, mais, en revanche, il y a un goût brûlant, alcoolisé, comme pour une vodka très forte.
Cette fois, la solution est quasi exclusivement composée de molécules d'eau et de molécules d'éthanol, de l' "alcool" qui a été formé par la fermentation du sucre par les levures.
Distillons à nouveau le distillat, et sa teneur en alcool augmente.
Bien sûr, il reste un peu d'eau, mais qu'importe : le produit que nous avons obtenu, c'est ce qui fut nommé de l'alcool.
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La molécule d'éthanol : dans cet assemblage d'atomes, il y a deux atomes de carbone, indiqués par les lettres C, un atome d'oxygène (lettre O) et des atomes d'hydrogène (lettres H) |
Pourquoi avons-nous évoqué l'éthanol, et parler maintenant d'alcool ? Parce que d'autres procédés conduisent à des composés très voisins de celui que nous venons de préparer.
Par exemple, quand on chauffe du bois à sec, on obtient un autre "alcool", qui a pour nom méthanol, ce que l'on nommait naguère esprit de bois, alors que l'alcool obtenu par fermentation, l'éthanol donc, était nommé esprit de vin.
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La molécule de méthanol |
Quand la chimie progressa et qu'elle découvrit l'existence des atomes et des molécules, vers la fin du 19e siècle, les chimistes arrivèrent progressivement à comprendre que l'eau est faite de molécules d'eau, des objets résultant de l'assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène.
Ils comprirent aussi que les molécule d'éthanol était faites d'un premier atome de carbone liés à trois atomes d'hydrogène et lié à un autre atome de carbone, qui est lui-même lié à deux atomes d'hydrogène et a un atome d'oxygène lié un atome d'hydrogène.
Le méthanol, lui, est d'un seul atome de carbone lié à trois atomes d'hydrogène et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène.
Progressivement, les chimistes comprirent que la liaison d'un atome de carbone à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène donnait des propriétés chimiques particulières, et les composés ayant ces propriétés (et cette constitution chimique) furent nommés "alcools".
Mais pour revenir à nos vins ou eaux-de-vie, ce sont des solutions aqueuses qui contiennent des teneurs différentes en cet alcool particulier qu'est l'éthanol : il y en a un peu plus de 10 pour cent dans les vins, et environ 40 à 50 pour cent dans les eaux-de-vie (je donne des ordres de grandeur). A noter que l'on dose de l'éthanol dans les fruits ou légumes... mais en très petite quantité.
jeudi 5 juin 2025
La chimie : la plus belle des sciences (évidemment)
Je suis évidemment de très mauvaise foi, et j'en ai donné la preuve hier : dans un discours que je faisais à l'Académie d'agriculture, de France, j'ai expliqué à mes amis, pourquoi la chimie est la plus belle des sciences : comme les autres sciences, elle se fonde sur l'expérimentation, dont les résultats s'imposent à toute autorité comme le disait justement Galilée, mais, contrairement aux autres sciences, qui ne reposent que sur l'algèbre, elle repose sur l'emploi de deux formalisme : l'algèbre et aussi le formule le formalisme chimique, moléculaire initialement introduit par Lavoisier.
Ce formalisme moléculaire (dirons-nous pour simplifier) est une représentation des objets que nous manipulons.
Il n'y a donc pas un langage de la chimie comme cela a été dit parfois, mais au moins deux, de sorte qu'il y a un double émerveillement à voir la théorie "coller" si bien au monde que nous étudions.
mercredi 4 juin 2025
Généralisations...
La découverte de l'effet Faraday et vraiment merveilleuse parce que c'était la mise en œuvre d'une méthode générale qui a pour nom... " généralisation ".
L'idée est la suivante : au 17e puis au 18e siècle, il y a eu des études de l'électricité et du magnétisme. Le Danois Hans Christian Oersted, par exemple, avait montré que le passage d'un courant électrique dans un fil proche d'une boussole fait tourner l'aiguille de la boussole : une influence de l'électricité sur le magnétisme. Un peu après, Michael Faraday fut celui qui, inversement, découvrit l'apparition d'un courant électrique dans un conducteur qui est placé dans un champ magnétique qui varie : il y a cette expérience merveilleuse qui consiste à entourer un fil électrique autour d'une roue de vélo et à bouger cette dernière au-dessus de notre tête d'un grand mouvement : si les bornes du fil sont reliés à une ampoule, alors on voit celle-ci s'allumer parce que la bobine de fil se déplace dans le champ magnétique terrestre, ce qui a crée un courant électrique.
On ne le dit pas assez, mais Faraday chercha aussi des influences de l'électricité ou du magnétisme sur la gravitation, mais il y parvint pas, tandis qu'il voyait que les champs magnétiques font tourner la polarisation de la lumière : c'est cela l'effet Faraday.
Aujourd'hui, cette quête n'est pas terminée, et les physiciens cherchent une unification de toutes les forces connues selon l'hypothèse d'une espèce de simplicité du monde, qui va de pair avec l'idée de "brisure de symétrie".
Le physicien britannique Stephen Hawking a expliqué cette dernière question en donnant l'exemple d'une bille dans une roulette de casino : tant qu'il y a beaucoup d'énergie, la bille est n'importe où autour de l'axe de rotation de la roulette et la symétrie est donc circulaire ; mais quand l'énergie diminue, la bille finit par s'immobiliser dans une des cases, et la symétrie et donc brisée. Bien sûr, comme il y a une probabilité équivalente que la bille finisse dans n'importe quelle case, la somme de toutes les possibilités refait en quelque sorte la symétrie circulaire.
Mais je me suis écarté de mon propos qui était de proposer que nous admirions Faraday et ses idées très générales... mais aussi tout pratiques
A l'Académie d'agriculture
Le 3 juin 2025, à l'Académie d’agriculture de France, une réception était organisée pour célébrer le prix Sonning et la remise des insignes de commandeur dans l'ordre du Mérite agricole.
Voici le discours de remerciements que j'ai prononcé :
Dans des circonstances telles que celle-ci, certains de mes amis me rappellent que la vertu est sa propre récompense, et ils ont évidemment raison.. mais ils oublient que les prix, médailles, ou décorations nous donnent une occasion supplémentaire, et précieuse, de retrouver des amis.
Des amis, ce sont des personnes avec qui l’on partage des intérêts, certainement, mais ce sont surtout des êtres très chers, que l'on ne doit jamais décevoir. Et les prix, récompenses, décorations sont un moyen -extrinsèque certes, mais nous y reviendrons- de leur montrer qu’on est digne de leur amitié.
D’ailleurs, quand il est question d’amis, je ne peux pas m’empêcher de rappeler à celles et ceux d’entre vous qui ne le savent pas que je développais nagurère le concept de « belles personnes » à savoir des personnes que l'on connaît très bien, que l’on voit souvent... mais qui nous surprennent chaque fois que nous les retrouvons.
Ils nous surprennent, parce que, depuis la dernière rencontre, ils ont tant oeuvré, tant découvert de nouveautés, qu'ils ont beaucoup à nous raconter… sans compter qu’ils ont cette faculté généreuse de partager leurs émerveillements. Certains, même, s’évertuent à ces partages. Ce sont des personnes épatantes, et je suis heureux que plusieurs d’entre elles soient ici aujourd’hui.
Classiquement, dans de telles circonstances, il est d’usage d’adresser des remerciements, et je le fais bien sincèrement : au Comité Sonning, à l’Université de Copenhague, à mes amis du Danemark, d’une part ; d’autre part à l’Académie d’agriculture de France, qui nous reçoit et qui a été à l’origine de cette décoration remise aujourd’hui, mais aussi plus particulièrement à Marion Guillou, qui organisa mon arrivée à l’Inra en 2000, et qui, en 2009 me remit les insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur.
A l’époque, elle m’avait surtout offert cette très belle phrase de Voltaire : « L’enthousiasme est une maladie qui se gagne ».
Et vous me connaissez : je ne prends pas les formule sans y penser un peu. Enthousiasme ? Certainement : la discipline scientifique qu’est la chimie me paraît si merveilleuse que je vois mal comment elle ne susciterait pas l’enthousiasme le plus extrême. Mais il y le mot de « maladie », qui m’a arrêté. Pourrions-nous trouver mieux, plus positif, que la formule de Voltaire ?
Regardant beaucoup d’entre vous, je vois personnalités qui ont du « feu », et qui contribuent à réchauffer ceux qui les entourent. L'énergie, l'envie de contribuer, le bonheur de faire, d'apprendre, l'enthousiasme, en un mot, sont les ciments de communautés que j’aime beaucoup. Tout cela se nourrit du partage, s'embellit de l’énergie de tous. Aristophane disait qu' « enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Il y a cela : rayonner, partager de l’enthousiasme, des émerveillements, se transmettre du feu.
Parfois, dans des circonstances telles qu’aujourd’hui, il est question de la fierté, et des amis me mettent régulièrement en garde : les prix, décorations, médailles risquent de gâcher mon âme, ou mon esprit. La fierté ? Le sens premier est celui de sauvagerie, mais il y a aussi rudesse de caractère, souci de sa dignité, satisfaction d’amour propre… Tout cela m’est très étranger parce que je ne m'intéresse pas à ce qui a été fait, mais à ce que je fais, ce que je vais faire. Quelle découverte scientifique vais-je enfin pouvoir faire ? Face à cette question, aucun prix, aucune décoration, aucune médaille n’est utile. Alors à quoi bon cette « fierté » ? Au Liban, le général des Marronites m'avait expliqué qu'il fallait utiliser le concept pour tendre aux plus jeunes des idées d'amélioration : la fierté pouvait être un motif d'émulation.
Là, je veux bien, mais à condition que nous soyons recentrés sur la nature intrinsèque des activités. Car beaucoup savent que je ne cesse de répéter ce « mir sin was mir macha », nous sommes ce que nous faisons.
Et, d’autre part, vue ainsi, il y a la question de nos jeunes amis qui s’introduit.
De jeunes amis qu’il s’agit le plus souvent d’aider : la plupart des jeunes amis venus en stage à mes côtés, la plupart des étudiants qui m’ont faire l’honneur d’écouter mes cours sont hésitants quant à la carrière qu’ils feront. Or quand l’objectif n’est pas fixé, le chemin ne peut l’être. Autrement dit, comment accepter d’étudier si l’on ne sait pas si ces études nous conduiront là où nous devons advenir ? Pour beaucoup de jeunes amis, les stages sont souvent une façon de tester des possibilités, mais c’est un mauvais moyen, parce qu’il est hâtif, illogique de juger d’une catégorie à partir d’un individu de cette catégorie : un mauvais poulet rôti ne condamne pas tous les poulets rôtis.
Cela étant, ces stages avec moi me permettent tout d’abord de leur éviter la confusion entre la science, la technologie et la technique. D’autre part ils me donnent l’occasion de leur parler du test du bavardage, qui avait été introduit par Francis Crick, un des découvreurs de la structure en double hélice de l’ADN : il était initialement physicien ; mais un jour, en sortant d’un pub où il était allé avec des amis, il s’est aperçu que cela faisait plusieurs fois qu’il leur parlait de biologie : il se dit alors que c'est la biologie qui l’intéressait, changea de recherche… et obtint le prix Nobel quelques années plus tard.
Quand je raconte cette histoire à mes jeunes amis, quand je leur conseille de faire ce qui leur plait (sans fantasme), je leur explique également la possibilité d’analyser les activités possibles en termes d’intérêts intrinsèques, d'intérêts extrinsèques et d’intérêts concomitants.
Les intérêts concomitants, c'est la reconnaissance sociale par exemple. Les intérêts extrinsèques, c’est ce que l'on gagne, la voiture de fonction, l’épaisseur de la moquette dans le bureau.
Mais évidemment, je leur conseille de se focaliser sur l'intérêt intrinsèque, l’intéreêt que nous portons aux activités que nous avons. Non pas le fantasme de ces activités, mais sa réalité quotidienne, minute après minute, ce que nous faisons dès le matin en nous levant, ce que nous faisons quand nous arrivons au laboratoire, ce que nous faisons quand nous marchons, quand nous rêvons...
Une journaliste qui m'interrogeait à propos du prix Sonning m’a demandé pourquoi mes emails comportent cette mention finale "vive la chimie (cette science qui ne se confond pas avec ses applications) bien plus qu'hier et bien moins que demain".
On pourrait avoir l'impression que si j'écris cela à l'attention de mes interlocuteurs, parce que je veux leur communiquer cette idée. C'est en partie vrai...
Mais c'est aussi une manière d'entretenir cette flamme précieuse que j'ai dans mon cœur. Mes amis savent mes limites : je n’écoute pas les autres, je ne m’intéresse pas à ce qu’ils font, et, au contraire, je ne m’intéresse qu’à ce qui m’intéresse, et à la chimie notamment : du matin au soir, tous les jours de l'année, sans relâche… parce que pourquoi faire moins bien que ce que je peux faire ?
Mais quand je suis détourné par des tâches variées, notamment l’écriture d’un email, pourquoi ne pas prendre un peu de ce temps détourné pour me mettre cette phrase devant les yeux, la savourer. Sans compter que la "tendre" à mes amis, c'est d'avoir l'occasion d'en parler : la preuve !
Et puis, ma signature automatique dit aussi la différence que je crois essentielle entre la science et ses applications, qu’il s’agisse d’enseignement ou de technique. Ce n'est pas que je néglige les applications de la chimie, mais je dis simplement que ce n'est pas la même chose, et je milite pour faire entendre cette différence. Est-ce efficace
Il y a encore beaucoup plus, derrière cette phrase de ma signature automatique, mais ce serait trop long de développer ici et je vous laisse imaginer tout ce que je n'ai pas décrit.
Mais je suis trop long, et il faut conclure : en réalité, tout ce qui précède aurait pu tenir en une phrase : je suis heureux que vous soyez mes amis, et je vous remercie du fond du coeur d’être venu ce soir.
dimanche 1 juin 2025
Les pâtes brisées : beurre froid ?
Lors du séminaire de gastronomie moléculaire de mai 2025, nous avons cherché à savoir s'il était vrai que le beurre froid dans une pâte brisée fait la pâte plus croquante.
Nous avons donc comparé, à ingrédients égaux, une pâte brisée avec beurre froid ou avec beurre fondu.
Pour la pâte avec beurre froid, nous avons fait deux échantillons : très peu travaillée ou beaucoup plus
travaillée (après le brisage, puis l'ajout d'eau).
Pour deux
autres échantillons, nous avons versé du beurre fondu dans la farine
avant d'ajouter l'eau, et produit deux pâtes : avec très peu d'eau ou avec plus d'eau.
Première observation : pour les pâtes avec le beurre fondu, la quantité d'eau à ajouter était bien inférieure et la durée du travail a été raccourcie ; la couleur était plus jaune.
Mais c'est surtout après la cuisson que nous avons vu les différences car les pâtes classiques étaient un peu feuilletées, tandis que les pâtes avec le beurre fondu étaient très friables, sablées.
Lors de la cuisson, il y a eu un gonflement des pâtes brisées peu travaillées et des pâtes brisées avec beurre chaud où il y avait le plus d'eau. Il n'y a pas eu de boursouflures pour les pâtes brisée avec beurre froid et très longuement travaillées, ni pour les pâtes brisées avec beurre chaud et très peu d'eau. Les boursouflures étaient plus nettes sur la plaque du bas que sur la plaque du haut (j'ai omis de préciser que nous avons fait deux échantillons de chaque pâte, répartis sur deux plaques différentes.
Bref, encore un séminaire très
intéressant qui nous donne des indications à utiliser dans des
conditions culinaires réelles. Par exemple, pour ce qui me concerne
j'utiliserai maintenant la technique du beurre chaud pour les tartes aux
fraises pour lesquelles je veux une fiabilité parfaite.
jeudi 29 mai 2025
Evoluons !
Je sors d'une chaude discussion à propos de la saveur prétendument dite "umami". Je renvoie vers d'autres billets pour expliquer pourquoi je critique cette notion, mais j'en avais donné la teneur à mes interlocuteurs qui, en outre, s'accrochaient aux prétendues quatre (ou cinq) saveurs qui auraient été de base.
Comme mes interlocuteurs étaient de mauvaise foi, il n'étaient pas prêts à entendre le fait que la saveur du bicarbonate de sodium n'entre dans aucune des quatre ou cinq catégories auxquelles ils se raccrochaient, pas plus que la saveur de l'éthanol, ou celle de l'acide glycirrhizique (de la réglisse), par exemple.
Ils ignoraient tout des travaux de physiologie menés par Annick Faurion il y a plus de 50 ans, ignoraient que la réfutation de la théorie obsolète des 4 saveurs, ou des 4 saveurs de base, était déjà ancienne.
Mais je m'intéresse ici moins à leur ignorance qu'à l'énergie avec laquelle ils s'accrochaient aux petites connaissances -périmées donc- qu'ils avaient. Leur mouvement était mauvais parce que, en science, nous devrions constamment être en position de réfuter nos propres théories. Nous les savons fausses, insuffisante. Nous savons que le futur est plein de bouleversements, de révolutions, et nous devons donc accepter avec la plus grande rapidité, le plus grand enthousiasme tout ce qui vient contredire nos prétendus savoirs.
Ce qui est pire, c'est que ses collègues réactionnaires intellectuellement étaient des enseignants et que, par conséquent, au prétexte de mauvaise foi qu'il faudrait enseigner des choses simples, ils enseigneront des choses fausses sans donner à leurs étudiants la possibilité d'imaginer que le savoir transmis est de mauvaise qualité.
Je trouve ces collègues très imprudents en quelque sorte, très
dogmatiques certainement et au fond très limités : limités par le peu
qu'ils ont appris, par l'insuffisance du travail qu'ils font pour augmenter
leurs connaissances.
mercredi 28 mai 2025
A propos d'un commentaire et de ma réponse
A propos d'une question reçue par un internaute, je fais un billet qui me faut ce commentaire :
Vous êtes bien brave de répondre à ce cancre qui écrit "comme même" au lieu de "quand même".
Ah, qu'importe que nos amis fassent des fautes, car nous en faisons nous-mêmes. Et puis, au fond, notre ami voulait apprendre : quoi de mieux ?
Un commentaire à propos de mayonnaise
Discutant la précision culinaire fautive selon laquelle la moindre trace de blanc d'oeuf préviendrait la constitution de la sauce mayonnaise, je reçois un commentaire :
Moi je met un œuf entier, une cuillère à café de moutarde et l' huile dans un verre doseur. Je mélange le tout au mixeur et jamais je ne loupe ma mayonnaise ! On peut augmenter la quantité de moutarde suivant qu'on l'aime plus ou moins relevée.
Pardon de vous contredire, mais si vous mettez de la moutarde, ce n'est plus une sauce mayonnaise que vous faites, mais une sauce rémoulade ! Un autre système physico-chimique, avec un autre comportement physique.