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vendredi 24 mai 2024

"Produits végétaux" et cuisine de synthèse

 Je reçois le message suivant : 


Bonjour monsieur This,

Cela fait longtemps que je ne vous avais pas contacté avec mes questions naïve. J’espère que vous accepter toujours de répondre aux questions d’amateurs de cuisine, de chimie et de vos travaux.

Ma femme m’a “converti” ces derniers temps aux produits de substitution a la viande tels que steaks hachés végétaux, bacon ou saucisses végétales…
Je mange toujours de la viande (plus rarement mais aussi de meilleure qualité) mais j’ai adapté certaines recettes pour intégrer ces nouveaux aliments et parfois je trouve qu’on arrive à des résultats plaisants (je ne dis pas “meilleurs” hein).

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans ses produits une route vers votre cuisine note à note mais je me demande ce que vous en pensez ? Acceptez-vous la filiation? Ou les objectifs vous semblent trop éloignés des votres ?
Je pense parfois avec envie à l’éventualité d’un projet dans lequel vous participeriez…
 
 
 Et ma réponse est la suivante. 

1. Répondre à des questions ? Bien volontiers, car je sais qu'elles sont souvent partagées, et que si je peux apporter des réponses, je me rends utile. 

2. "steaks hachés ou bacon végétaux" : attention, l'usage des mots de la viande pour des reproductions végétales est maintenant interdit par décret, et cela me semble parfaitement bien, car il faut de la loyauté dans les transactions à propos des produits alimentaires (notamment). Un steak, c'est un steak. Mais une galette végétale, ce n'est pas un steak. Et une expression comme "steak végétal" est aussi incongrue que "carré rond". 

3. les produits végétaux seraient-ils apparentés à la cuisine note à note ? Pour répondre, il faut reprendre la définition de la cuisine note à note, version artistique de la "cuisine de synthèse" : cuisiner avec des ingrédients qui sont des composés. 
Or souvent, les fabricants de produits végétaux ne font rien d'autre que de la cuisine, avec des produits végétaux. Certains s'approchent de la cuisine de synthèse, mais pas tous. Bref, c'est du cas par cas. 
Des exemples ? Imaginons que l'on parte de féverole, que l'on sépare l'amidon et les protéines, avant d'obtenir un résidu végétal (majoritairement des fibres) ; on peut effectivement composer une sorte de galette que l'on cuira comme un steak. Dans un tel cas, l'amidon est fait de seulement deux sortes de composés, à savoir des molécules d'amylose et des molécules d'amylopectine, tandis que les protéines sont... des protéines (de plusieurs sortes) ; pour les fibres, il y a des celluloses, des hémicelluloses, des pectines. Bref, ce n'est pas "purement" note à note, mais on n'en est pas loin.

4. un "projet" auquel je participerais ? Je participe à mille travaux (plutôt que projets) ;-). Mais je suppose que mon interlocuteur pense à un projet de construction d'aliments dont les ingrédients sont des produits végétaux... ce que j'ai fait souvent, bien que ma mission soit la recherche scientifique, bien plus utile à la collectivité que l'application, que d'autres peuvent faire.

samedi 4 novembre 2023

C'est une chose amusante que de se retrouver deux fois dans la même situation et évidemment, la deuxième fois, on a plus de recul.

 
Dans les années 80, quand je cherchais à introduire la cuisine moléculaire, j'étais face à des résistances terribles :  tout le monde me prenait pour un fou avec mes pompes pour faire des mousses, mais sondes à ultrasons pour faire des émulsions, les évaporateurs rotatifs pour distiller les ingrédients alimentaires, les ampoules à décanter pour dégraisser les bouillons, et cetera. 

Mais progressivement, cette cuisine moléculaire s'est imposée au point qu'elle est partout dans le monde. 

Dans les années 90, une certaine presse un scandale s'était emparée de la chose et je ne compte plus le nombre d'articles dénonciateurs qui me sont tombés sur le poil. A l'époque, cela m'émouvais un peu, mais finalement, je n'en suis pas mort, d'autant que je n'avais rien à me reprocher, que je n'avais rien à vendre, et que j'étais seulement là au service du monde culinaire pour proposer une rationalisation des pratiques, et surtout pour faciliter le métier des cuisiniers. D'ailleurs, je continue dans cette lignée parce que nombre de techniques culinaires restent soit énergivore, soit épuisantes. Je maintiens, par exemple, que les cuisiniers devraient être beaucoup plus assis qu'il ne le sont.
 

Mais c'est là l'histoire ancienne et, depuis 94, il y a maintenant la cuisine de synthèse, que je développe de la même façon que j'ai promu la cuisine moléculaire, que je promeus de la même façon, toujours sans aucun intérêt financier. 

Et là, je rencontre exactement les mêmes hésitations de mes interlocuteurs, les mêmes arguments, les mêmes questions... 

C'est amusant de se retrouver exactement dans la même situation car la deuxième fois, on prend ça en souriant : toutes les critiques que l'on m'avait fait revienne exactement à l'identique deux.  

N'est-ce pas risible ? Là, alors que l'intérêt commence à se manifester, je vois que la presse va le faire aussi, et qu'il y aura des journalistes pour applaudir les nouveaux développements, et d'autres pour les critiquer. 

Mais comme je l'ai dit plus haut, je ne suis pas mort des critiques qui avaient été faites à la cuisine moléculaire et je ne mourrai pas non plus des critiques qui sont faites à la cuisine de synthèse. 

Par conséquent, je suis serein et je continue mon travail de promotion car il ne s'agit rien de moins que de faire grandir l'art culinaire.

mercredi 20 septembre 2023

Classique et moderne : marions les

 
Le saucisson brioché, un plat difficile à préparer ? Pas du tout, mais il est vrai qu'il vaut mieux avoir des idées saines sur la fermentation. 

Dans la recette, il y a d'abord la question du saucisson qu'il vaut mieux avoir dégraissé : rien de pire que ces saucissons briochés au gras vulgaire suintant. On aura donc mis le saucisson, quelle que soit son origine (saucisse de Lyon, saucisse de Morteau, saucisse fumée alsacienne, boudin blanc, boudin noir....) dans de l'eau frémissante, et, après avoir piqué la pièce, on l'aura cuite afin que le gras s'élimine partiellement dans la casserole. Pour un saucisson lyonnais, on compte 30 à 50 minutes à l'eau frémissante, par exemple. 

Après cuisson, la peau aura été éliminée délicatement, et le morceau aura refroidi. 

Parallèlement, on aura préparé une pâte fermentée, que l'on aura obtenue en mêlant de la farine, du beurre, des œufs, un peu de lait, du sel, de la levure. La levure, ce sera évidemment de levure, et non pas de la poudre levante : un groupe de petits organismes vivants et non pas un mélange de réactifs qui forment un gaz lors de la cuisson.
Cette levure aura été d'abord placée au contact d'eau tiède (ou du lait), et l'on aura attendu la formation d'une légère écume, preuve que les cellules ont commencé à se réveiller et à former du dioxyde de carbone.
Puis elle aura été ajoutée à l'appareil, et l'on aura attendu quelques heures, que la pâte « pousse ». 

Une fois levée, on la met dans le moule de cuisson, on pose délicatement la saucisse dessus, on couvre, et l'on fait pousser une seconde fois. 

Puis on cuit, pendant 50 minutes à 180 °C. 

 

Difficile ? Certainement pas ! 

Mais, j'y pense : il faut une sauce ! Je vous propose donc une sauce « wöhler », que l'on obtient en chauffant un verre d'eau, trois cuillerées de glucose, un quart de cuillerée de polyphénols de syrah, un peu d'acide tartrique, sel, pipérine, six feuilles de gélatine et un verre d'huile, émulsionnée à gros bouillons. Si vous disposez, de surcroît, d'un peu de 1-octène-3-ol, ce sera le bonheur... du mariage de la cuisine la plus traditionnelle et de la cuisine la plus moderne : la cuisine note à note !

lundi 11 septembre 2023

Changement de nom pour la cuisine note à note

 

En 1994, quand j'ai eu l'idée de la cuisine de synthèse, je m'étais dit que j'étais fou. Et j'en ai eu confirmation quand a été publié l'article où je présentais cela, internationalement, dans l'ensemble des éditions de la revue Scientific American.
Puis, en 1999, voyant les craintes du public face au possible Bug de l'An 2000, j'ai cessé de présenter cette idée, jusqu'en 2006, quand je me suis dit que ce n'était pas au public de décider ce qui est juste. Mais, pour ne pas brusquer, j'ai surnommé cela "cuisine note à note", avec une référence artistique à la musique.
Et c'est sous ce nom qu'a été publié mon livre où je présente la cuisine de synthèse, sous ce nom que Pierre Gagnaire a servi (à Hong Kong) un plat que je l'avais aidé à composer, sous ce nom que cette cuisine s'est développée depuis.

Les mentalités ayant changé, on peut avancer, aujourd'hui.

Et c'est ainsi que je vois maintenant la distinction :

- par "cuisine de synthèse", on désigne cette technique qui consiste à produire des plats à partir d'ingrédients qui ne sont plus les ingrédients classiques (fruits, légumes, viandes, poissons, etc.) mais plutôt des composés : eau, cellulose, pectines, sucres, protéines, lipides, etc.)
- par "cuisine note à note", on désigne le courant artistique qui consiste à utiliser cette technique.

jeudi 24 août 2023

Les questions qui fâchent, courageusement !


Je préfère souvent poser des questions épineuses, parce que c'est le moyen d'être vraiment honnête, et de ne pas céder à cette mauvaise foi qui contribue à notre humanité. 

En matière de cuisine note à note, la tentation est forte de nous réfugier dans un traditionnel confortable, routinier, acquis dès l'enfance, rassurant. Mais je veux ici poser la question de fond : 

A-t-on vraiment besoin de la cuisine note à note ?

 

 Il est essentiel que, proposant cette cuisine, je ne cherche pas à me convaincre moi-même que la cuisine note à note est importante et que, au contraire, j'examine publiquement les faits. 

Les faits sont notamment ces dix milliards d'êtres humains en 2050, cette crise de l'eau et cette crise de l'eau qui sont annoncés. Devons-nous y croire ? Il faut examiner la question, mais le fait que ces prévisions soient faites par des organismes indépendants doit nous inciter à un peu de confiance. D'ailleurs, soyons honnêtes : ce ne sont pas dix milliards d'être humains sur la Terre, qui sont annoncés, mais, plus justement, entre 8 et 11 milliards. Oui, j'ai arrondi. 

C'est un autre fait que l'Union européenne a annoncé dans ses programmes de recherche, lancés en avril 2014, un appel d'offre sur le remplacement des protéines animales par des protéines végétales. L'Union européenne ne lancerait pas des appels d'offres, avec des millions d'euros à la clef, pour des travaux inutiles ! 

C'est un fait, encore, que l'économiste Pierre Combris, de l'INRA à Vitry, a modélisé que les protéines animales ne seront pas à suffisance pour l'humanité, et que ce remplacement des protéines animales par des protéines végétale s'impose rapidement. Or si l'on dispose de protéines végétales, il faudra les cuisiner, et l'emploi de protéines végétales ne se fera que par l'ajout à des végétaux classiques à ou à des fractions de ces derniers. Dans le premier cas, on n'a pas une cuisine note à note véritable, mais, dans le second cas, nous y sommes en plein. 

Une référence ? La voici : http://www.academie-agriculture.fr/seances/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques-economiques-politiques

 

Si l'on met de côté, pour quelques années, ces questions qui s'imposeront un jour, la cuisine note à note présente-t-elle un intérêt ? 

Sur le marché de l'art (car il faut admettre, d'une part, qu'il y a art culinaire, et, d'autre part, qu'il y a un marché, les « chefs artistes » ne pouvant exercer leur art que s'ils ont une clientèle), des nouveautés sont nécessaires. Pour certains, il s'agit de la nouveauté pour la nouveauté, tant il est vrai que la nouveauté capte l'être humain : c'est ainsi que les journaux, les radios, les télévisions, une partie d'internet, vendent leurs nouvelles d'autant mieux qu'elles sont plus fraîches. De ce point de vue, la cuisine note à note s'impose absolument, puisque c'est la seule nouveauté technique des dernières années (je parle de vraie nouveauté, pas de détail nouveau). 

D'autres artistes culinaires cherchent à partager des émotions, plus sincèrement, et, à cette fin, ne comptent que les moyens techniques qui permettront d'exprimer ces émotions. Il y a là des questions de mode, de tendance, d'air du temps... 

La cuisine note à note étant dans l'air du temps, elle est sans doute un atout pour ces cuisiniers. Pas complètement essentielle, mais certainement dans le champ des nouveaux possibles. Puis il y a la question technique. Et là, la cuisine note à note a des atouts : n'avons nous pas fait un soufflé d'une belle couleur en moins de deux minutes, avec les « Etoilés d'Alsace », à la fin du mois de février 2014 ? La sauce wöhler, que Pierre Gagnaire sert notamment avec du homard rôti, n'est-elle pas d'une simplicité technique extrême, d'une rapidité d'exécution parfaite, à défaut d'être d'une facilité artistique totale, puisque tout est dans le dosage des ingrédients ?
Pour la recette, voir http://www.pierre-gagnaire.com/fr#/pg/pierre_et_herve/travaux_precedents/50 

Là, il faut s'arrêter un peu : avec la cuisine note à note, on peut effectivement préparer des mets en quelques secondes, mais c'est également le cas quand on grille un steak. On peut aussi y passer des heures, tout comme en cuisine classique. Ce n'est donc pas la rapidité d'exécution qui impose la cuisine note à note ; il faut le dire. 

Inversement, et j'en arrive au sujet du jour, il y a la question de la précision technique du goût, qui est, cette fois, essentielle pour l'art culinaire. Imaginons que l'on veuille donner un peu de violence à un plat, car nous savons tous bien qu'il en faut : un peu de piquant, un peu d'amertume, d'astringence, d'acidité... Classiquement, pour le piquant, le cuisinier a la ressource des poivres, des piments et de quelques autres ingrédients (wasabi, roquette, cresson...). Toutefois l'usage d'un poivre apporte non seulement le piquant désiré, mais aussi des goûts, des odeurs, des saveurs. C'est comme si un chef d'orchestre, voulant faire entendre un sol n’avait d'autre ressource que d'utiliser une trompette, avec son timbre très particulier. Dans nombre de circonstances, la trompette est hors sujet, même bien jouée, car c'est la hauteur du son qui importe et non l'instrument. De même, l'artiste culinaire peut avoir besoin d'un piquant, et d'un piquant très particulier, qui est celui du poivre, et il ne veut pas de l'odeur et du goût du poivre. 

Alors la solution s'impose évidemment : la cuisine note à note a l'avantage de proposer l'usage de la pipérine, qui est le piquant du poivre sans l'odeur, sans la saveur, sans l'astringence, sans l'amertume du poivre. C'est un avantage car les cuisiniers ont bien observé que le poivre mis plus de huit minutes dans une préparation chaude donne de l'amertume et de l'astringence déplacés. La pipérine, elle, ne produit pas ces sensations, car ces dernières sont données par les composés phénoliques, qui accompagnent la pipérine dans le poivre, et sont absents quand on utilise de la pipérine pure. 

Au fait, la pipérine ? C'est un composé présent dans les poivres, et c'est même le principal composé piquant des poivres. Comment cette pipérine se retrouve-telle finalement dans des bocaux à l'usage des cuisiniers ? Le plus simple est de l'isoler à partir de matière végétale, notamment à partir des grains de poivre. Alors la préparer ? Ne suffisait -il pas d'utiliser du poivre ? On a déjà répondu à la question, mais ajoutons que le poivre fraîchement préparé renferme des composés qu'il n'a plus quand il est stocké longtemps. Or le poivre ne se produit pas à Paris, comme le croient les petits marquis nés la cuiller en argent dans la bouche, mais dans des pays lointain, de sorte que la préparation de la pipérine à partir du poivre, dans ces pays, conduira à une meilleure valorisation de la production végétale de ces pays. C'est un peu comme avec les haricots verts et les petits pois appertisés : si la transformation est bien faite, leur contenu en chlorophylles, par exemple, est souvent bien supérieur à celui de ces légumes, bio ou pas, qui traînent sur les étals parisiens, après un long voyage. Pour insister encore un peu, on dira qu'il est bien dommage de payer cher du poivre qui aurait perdu ses qualités, piquantes notamment, parce que ces propriétés ont été perdues pendant les stockages et transport. Ajoutons que l'on pourrait aussi synthétiser chimiquement de la pipérine, c'est-à-dire partir de composés élémentaires, et produire des molécules de pipérine, en réorganisant les atomes des réactifs. Est-ce gênant ? La pipérine produit des deux façons, à partir du poivre ou par synthèse, est toujours la pipérine. Cela signifie que toutes les molécules du produit sont identiques, sont toutes des molécules faites des mêmes atomes, organisés de la même façon, avec exactement les mêmes propriétés sensorielles. Personnellement, je ne verrais donc aucun intérêt à ce que l'on me dise que la pipérine soit de synthèse ou d'extraction, puisqu'il s'agit de la même matière. La seule différence pourrait résider dans les « impuretés » qui accompagneraient les molécules de pipérine de mon flacon. Et, là, il n'est pas dit que la pipérine végétale soit supérieure à la pipérine de synthèse, car l'extraction aurait sans doute laissé, avec les molécules de pipérine, des molécules de biens d'autres composés d'origine végétale. 

Qui sait si ces composés ne seraient pas toxiques ? Qui sait si ces composés ne seraient pas des perturbateurs endocriniens naturels ? Là, j'admets que je souris : il y a des mots si souvent utilisé par les marchands de peur qu'il est vraiment trop facile de les employer dans une argumentation. D’ailleurs pour continuer à être parfaitement honnête, il faut dire que la synthèse aussi apporte des composés qu'il faudra séparer. Il y a donc match nul, et c'est le soin de la préparation de la pipérine qui déterminera la qualité de cette dernière. Il faut dire que la pureté absolue n'existe pas dans le monde moléculaire, et nos outils d’analyse modernes permettent de trouver des perturbateurs endocriniens dans n’importe quelle matière, et cela fait le beau jeu des marchands de peur. Mais cela ne fait pas le véritable risque. 

L'utilisation de pipérine est-elle politiquement critiquable ? Voilà la vraie question, celle qui motive bien des combats publics d'aujourd'hui, des petits commerces contre les grandes surfaces, des artisans contre les grosses sociétés. Pardonnez-moi d'être insuffisant, de ce point de vue, mais, s'il vous plaît, ne laissez pas des individus encore plus insuffisant que moi prendre la parole avec trop de prétention. Il faut réfléchir, d'abord, envisager des conséquences multiples, imbriquées : « Ces choses là sont rudes... ». 

Enfin, ajoutons que la pipérine n'est pas le seul composé piquant des poivres, mais c'est le composé principal, de même que le do est le principal son de l'accord de do majeur, fait de do, mi, sol ; la pipérine est le principal composé piquant du poivre, de même que la vanilline est le composé principal de la vanille, sans être le seul. Ai-je été assez honnête ?

mercredi 23 août 2023

Construisons, construisons

 
A priori le formalisme des systèmes dispersés et la cuisine de synthèse sont des idées très séparées, mais ne pourrions-nous pas les réunir ?

Pour le premier, il s'agit d'un formalisme, il y a des formules, analogues aux formules de la chimie, et qui permettent de décrire la structure des systèmes complexes, tel les aliments. Et cela à l'échelle que l'on veut : macroscopique, microscopique, nanoscopique, moléculaire, et cetera.
Dans ce formalisme, il y a des opérateurs, comme les signes plus, moins, multiplié ou divisé pour le calcul élémentaire, comme la flèche qui indique le sens d'une réaction chimique en chimie. Parmi ces opérateurs, il y a la dispersion aléatoire, la superposition, et cetera. Cela agit sur des objets qui ont des "dimensions", et qui sont des phases : liquide, solide, etc.
Avec ce formalisme, on peut décrire des structures, mais aussi en inventer puisqu'il s'agit de d'élaborer une formule valide pour obtenir une description d'un objet qui n'existe peut-être pas encore.

D'autre part, et cela ne concerne plus les sciences de la nature, mais la cuisine, notamment du point de vue technologique, j'ai proposé en 1994 la cuisine de synthèse, que j'ai surnommée "cuisine note à note". Cette fois, il s'agit de cuisiner avec des ingrédients qui sont des "composés" : on évite d'utiliser les viandes, les poissons, les fruits, des légumes, et cetera,  et l'on utilise à la place les composés (disons les molécules, pour simplifier, pour certains) de ces ingrédients classiques.
On peut alors faire des plats entièrement sur mesure du point de vue de la consistance, de la couleur, de la saveur, de l'odeur, des propriétés nutritionnelles, et cetera.

On voit bien deux voies très différentes : l'une scientifique et l'autre technologie ou technique.

Pour autant, il faut quand même observer que ses deux voies peuvent se réunir car si l'on veut construire un met, pourquoi ne pas utiliser une formule pour ensuite la réaliser à l'aide de composés ? D'ailleurs, le formalisme des systèmes dispersés, qui produit des formules à l'infini, est une mini épuisable d'idées pour construire des consistances dont certaines seront peut-être très intéressantes. Il y a là un immense terrain de jeu pour qui veut s'y adonner.

mardi 22 août 2023

Acclimatons les composés : l'acide citrique.


L'acide citrique, de quoi s'agit-il ? 

Citrique, citron :  il y a la même racine, et l'on pressent une parenté. Mais la terminologie est insuffisante pour répondre à la question "qu'est-ce que l'acide citrique ?".  

Partons donc de citron, puisque la piste étymologique est juste, ici. Pressons un citron, et  récupérons  le jus : c'est une solution légèrement jaune, et  acide, citronnée.
Si nous évaporons ce jus, c'est de l'eau qui s'échappe, comme on peut s'en apercevoir en mettant  un verre froid  dans la fumée qui s'élève :  la vapeur  qui se condense sur le verre n'a ni odeur saveur ; c'est de l'eau. Au fond du récipient, il reste finalement un solide cristallisé. C'est un mélange, bien sûr, car il est rare que les produits naturels soient complètement purs. Toutefois, la majorité de ce produit est de l'acide citrique (environ 6 grammes d'acide citrique pour 100 grammes de jus de citron), et l'on pourrait poursuivre la purification pour obtenir de l'acide citrique pur.
On aura alors des cristaux blancs, blancs comme du sel, ou du sucre par exemple. Des cristaux qui n'ont pas odeur, mais qui ont une forte acidité, une forte saveur acide. Mieux, cette acidité est  citronnée,  contrairement à celle de l'acide acétique, par exemple, celle du vinaigre. 

C'est cela, l'acide citrique, utilisé notamment par les industriels dans les bonbons au citron, et aussi par quelques pâtissiers. Le citron ne se réduit pas l'acide citrique, mais l'acide citrique est une composante importante du jus de citron. Utilisons en cuisine (note à note) de l'acide citrique (je vous recommande un sorbet fait d'eau, d'acide citrique, une pincée de sel, du glucose et du saccharose : vous m'en direz des nouvelles).

samedi 19 août 2023

On me demande un plat note à note...

Ce matin, deux jeunes filles m'écrivent : 

 

Bonjour monsieur, Nous sommes élèves en classe de seconde, et nous avons choisi de faire un dossier de sciences et laboratoire sur le thème des transformations culinaires avec la cuisine note à note. Nous avons acheté votre livre, et aimerions avoir quelques informations supplémentaires. Pouvez vous nous aider en nous expliquant : le travail des molécules, et comment est-ce possible de faire s'assembler des molécules et ensuite consommer des produits chimiques; de plus pouvez vous nous donner une recette de cuisine simple a faire devant nos camarades en laboratoire afin de leur expliquer cette formation d'aliments. Nous vous remercions, en espérant une réponse qui pourrait fortement nous avancer dans notre projet. Cordialement.

 

Ma réponse : 

 

Bonjour 

1. Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par "le travail des molécules". 

2. Pour "comment assembler des molécules, là encore j'ai un doute : quand vous faites cristalliser du sel, vous provoquez bien l'assemblage des ions sodium et chlorure, non ? Et quand vous faites une émulsion, en fouettant de l'huile dans de l'eau, à l'aide de gélatine comme tensioactif, vous faites bien une organisation moléculaire. 

3. Consommer des produits chimiques ? J'ai bien peur qu'il y ait une confusion, entre molécules, composés, produits, produits chimiques. Supposons que les "produits chimiques" soient des produits synthétisés. La cuisine note à note ne se fonde pas sur de tels produits (elle peut les utiliser sans difficulté du moment qu'ils sont sains), mais sur l'usage de "composés purs". Le saccharose, l'amylose, l'amylopectine, etc. 

4. Pour une recette, il y en a plein en fin de livre, mais vous pourriez faire la suivante : 

- prendre 20 g d'eau

- ajouter 5 g de protéines d'oeuf (principalement de l'ovalbumine)

- émulsionner 200 g d'huile (triglycérides)

- ajouter 50 g de sucre (saccharose)

- ajouter une pincée de sel

- ajouter colorant (si possible de synthèse ;-) )

- ajouter une goutte d'arôme amande (supermarché : c'est du benzaldéhyde en solution)

- cuire  au four à micro-ondes jusqu'à gonflement bien net (pas plus)

- démouler, servir.

 

Ce plat se nomme un "dirac"
Bon appétit 




mardi 20 juin 2023

Rien n'a changé

 En ces temps de foire d'empoigne (en réalité, rien n'a changé : relisons Aristophane), je continue de m'interroger : pourquoi des individus intelligents (par définition, les êtres humains le sont : c'est mon parti pris) attaquent-ils la cuisine note à note ? 

 

Je crois avoir finalement avoir compris qu'ils ont peur non pas de cette cuisine elle-même, mais de ses conséquences : on mangerait de la chimie, ce serait la victoire des multinationales sur les petits producteurs, il y aurait des risques de contrefaçons, et ainsi de suite...

Je sais bien, pourtant, qu'il n'est pas utile de vouloir réfuter des craintes ou des a priori, mais je sais aussi que "ce que je dis trois fois est vrai" (Lewis Carroll), et que la répétition a essentiellement pour fonction la production d'un bruit que l'on finit par accepter. 

Evidemment, cela risque d'agacer certains de mes amis... mais je suis bien certain que ceux-là me pardonneront : s'ils sont mes amis... 

 

Restent les autres, qu'il faut exposer à des faits justes si l'on veut éviter qu'ils n'entendent que des sons de cloche fêlées (là, de l'ironie : je ne devrais pas). 

 

Bref, pour ceux qui craignent que le "terroir" (un mot à bien décoder) ne soit balayé par la cuisine note à note, je veux dire que ce n'est pas le cas  ! Prenons l'exemple de la fraction phénolique totale du jus de raisin : le produit obtenu par nanofiltration de jus de raisin d'un cépage Syrah de Faugère n'a rien à voir avec le produit obtenu à partir d'une Syrah de Pech Rouge  ou de Laurens. Et, si les terroirs existent (ils existent parfois, mais pas toujours : voir les travaux de l'INRA), alors ceux du bas de la pente et ceux de la pente seront également différents. Car le cépage se retrouve, d'un point de vue moléculaire (un mot pour éviter ce "chimique" qui fait peur, je ne comprends pas pourquoi) dans les "impuretés" : quand on analyse deux vins de Syrah de deux terroirs différents, la composition chimique (cette fois, je n'hésite pas, allez savoir pourquoi) est essentiellement identique, à des "impuretés" près, qui changent essentiellement le goût ! 

 

Bref, n'ayons pas peur : la cuisine note à note ne balayera pas les terroirs, et le fractionnement ou le craquage que l'on fera à la ferme conservera (si l'on travaille bien) l'intérêt d'une petite production. 

 

Argument suffisant ? Je sais que non, et c'est pourquoi j'y reviendrai... avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle : après tout, je n'ai rien à vendre, moi !

mercredi 7 juin 2023

Parlons le plus souvent de beaux ingrédients, plutôt que de beaux produits

Les ingrédients culinaires sans goût sont-ils utiles ? 

 

Cette question se rapproche de celle dont nous avions fait un débat public, et qui s'intitulait "Qu'est-ce qu'un beau produit?". 

Mais nous sommes au 21e siècle, alors que la cuisine note à note se développe, après une cuisine plus classique et s'impose alors de reprendre ces deux questions dans ce double cadre, et non pas seulement dans le cadre classique. 

Pour le cadre classique, notre débat nous avait fait conclure que des ingrédients sont jugés "beaux" quand ils sont appropriés au travail culinaire : des pommes de terre ou des lentilles qui se défont à la cuisson ne font pas de bonnes salades, mais, inversement, cette caractéristique est un atout quand on fait des purées ; ou encore, des viandes à braiser font de bons braisés, mais de mauvaises grillades, et vice versa. 

Tout cela étant posé, il reste que telle grosse crevette, avec une consistance inimitable, est "belle", que telle moule charnue de Galicie a des vertus que de petites moules maigres n'ont pas, que tel basilic au goût original sera mieux qu'un basilic sans goût, que telle viande bien rassise aura une consistance merveilleuse, que telle crème des Vosges qui monte en une dizaine de secondes, avec un goût de terroir, sera mieux qu'une crème pasteurisée au goût "cuit"... 

 

Bref, il y a effectivement de beaux produits, et ces produits sont aussi ceux qui ont du goût : on pense à des tomates qui, sans être parfaitement rondes, ont une chair qui ne laisse presque pas de place au liquide, avec un goût puissant. L'huile ? La farine ? Pourquoi supporter des ingrédients sans goût, puisque, finalement, il faudra que les mets aient du goût. Bien sûr, on peut imaginer de monter une émulsion à partir d'un blanc d'oeuf insipide et d'une huile également insipide, pour ensuite donner le goût que l'on veut à l'émulsion produite... mais souvent, le goût des ingrédients s'impose, quitte à devoir le conjuguer avec art. 

 

Pour la cuisine note à note, la question est bien différente, puisque le goût est entièrement construit : on part d'une forme, d'une consistance, on ajoute de la couleur, mais vient ensuite la construction de la saveur, de l'odeur, des aspects trigéminaux (piquants, frais...). 

Il semble, cette fois, que chaque ingrédient soit ce qu'il est, sans qu'il y ait des qualités supérieures. Voire... Par exemple, le cis-hexénol, ce composé qui a une merveilleuse odeur d'huile d'olive vierge ou d'herbes fraîchement coupée, ne s'utilise qu'en dilution dans de l'huile. Cette huile peut rancir, avec le temps, et l'on aura des notes rances qui s'ajouteront à l'odeur voulue : un tel ingrédient ne serait pas beau. 

Autre exemple, pour des pectines, ou des gélatines, il y a des qualités différentes, et des gélifications également différentes, qui conduiront à des consistances plus ou moins réussies. Par exemple, pour la gélatine : cette matière est produite à partir du traitement par de l'eau acidifiée ou basicifiée de tissus animaux ; selon le traitement thermique appliqué, on aura des molécules plus ou moins longues, qui imposeront des doses différentes du gélifiant. Sans compter que les molécules ont des caractéristiques variables, qui leur permettront de faire gélifier des liquides plus ou moins acides. Idem pour les pectines, qui, elles, sont extraites de tissus végétaux. 

 

Bref, oui, il y a des ingrédients mieux que d'autres !

dimanche 21 mai 2023

Dans la série des questions que pose la cuisine note à note, il y a celles qui sont relatives à l'odeur des aliments.

Jusqu'à présent, les composés odorants étaient dans les ingrédients de base, et l'on opérait évidemment quelques transformations, mais, comme pour la couleur dont je parle ailleurs, il avait surtout trois options : soit on conserve les composés odorants présents, soit on en crée de nouveaux, soit on en ajoute. 

 

Par exemple, la troisième façon correspond à l'utilisation des épices et des condiments. Le couvercle est une manière d'obtenir que les composés odorants demeurent dans les aliments. Pour la production de composés odorants, il y a la cuisson, notamment, ou les fermentations. 

 

La cuisson, elle, est très mal maîtrisée, et la chimie qui se fait reste très mal connue. On se débarrasse du problème en parlant de caramélisation, de réactions de Maillard, mais, au fond, le milieu est si complexe que l'on ignore complètement ce que l'on fait, sauf par une habitude des résultats. D'ailleurs, une habitude très approximative, car les ingrédients changent, les conditions de cuisson sont très mal maîtrisées, de sorte que l'on est bien en peine de savoir ce qu'il adviendra de l'odeur de l'aliment cuit. Les amis poètes me feront observer que c'est très bien ainsi, et je n'en disconviens pas, mais j'observe quand même les faits. Le « c'est très bien ainsi » est une manifestation de mauvaise foi, une manière de se justifier, au fond, si l'on est honnête intellectuellement ; une manière de vivre, d'encaisser les coups que le monde nous porte... 

 

Revenons à la question de mettre des composés odorants dans un plat de cuisine note à note. C'est très simple : il suffit de les mettre ! Comment ? C'est ce que l'industrie alimentaire, alliée à l'industrie des préparations odoriférantes (nommée fautivement industrie des arômes : un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, un point c'est tout !) a bien appris à faire. 

"Bien appris" ? Disons seulement "appris", avec toutes les limitations que l'industrie rencontre aujourd'hui. Il ne s'agit pas ici de dénoncer l'industrie alimentaire, car celle-ci est confrontée à des problèmes redoutables, tel le stockage des produits avant l'achat. La préservation des caractéristiques d'un aliment sur une longue durée est d'une difficulté considérable, et l'on doit aussi reconnaître honnêtement que l'industrie alimentaire doit non seulement donner l'odeur aux aliments, mais donner une odeur durable, ce qui conduit à des méthodes très particulières, qui ne sont pas celles de la cuisine.

 

Revenons donc encore à la cuisine note à note : en pratique, puisque l'on n'a pas ces problèmes de conservation en vue, il suffit d'ajouter à un aliment que l'on construit les composés odorants que l'on choisit. Cela semble simple, mais... mais on ne va quand même pas se fatiguer à faire des mélanges de  composés odorants afin de reproduire des odeurs connues ! Sans quoi l'utilisation d'extraits, d'oléorésines, de concrètes, d'absolues, de résinoïdes … répond entièrement à la question. 

Non, avec la cuisine note à note de nouvelles questions se posent. Par exemple la suivante, élémentaire mais non résolue : imaginons que, dans un aliment, nous mettions à la fois de l'octénol, composé à odeur de sous bois ou de champignon, et du citral, odeur de peau d'agrumes. Qu'obtiendrait-on ? Ce mélange ne se rencontre pas, à ma connaissance, dans des ingrédients alimentaires connus, de sorte que je ne sais pas le résultat qui sera obtenu, quelles que soient les proportions des deux produits. Sentirons-nous le champignon ? Ou l'agrume, ou bien une troisième odeur apparaîtra-t-elle, comme quand on met une goutte de pastis dans un fond de tasse à café et qu'une odeur de réglisse survient, ou comme quand on ajoute de l'eau de fleur d'oranger à des fraises et qu'un goût de fraises des bois survient ? Décidément, la question est passionnante. Comment prévoir l'odeur d'un mélange de deux ou plusieurs composés odorants ?

samedi 20 mai 2023

Si vous voulez vous lancer dans la cuisine note à note (et je n'ai aucun intérêt financier)

 

Qui anime KITCHEN LAB ? Il s’agit de Pasquale Altomonte & Dao Nguyen.

Pasquale est chef-entrepreneur et artiste culinaire. Il a participé à plus de 40 concours (Bocuse d’Or, Trophée Passion, Cuisinier d’Or, Swiss Finger Food, etc.). Dao est docteure en sciences pharmaceutiques et passionnée de cuisine. Coachée par Pasquale, elle a participé à l’émission MasterChef en réalisant un plat 100% œuf. Ensemble, ils ont remporté le concours international de cuisine Note à Note en 2022.


Que propose KITCHEN LAB ?

Des formations intensives en sciences & cuisine pour permettre d’explorer et d’approfondir un large éventail de techniques scientifiques utilisées en cuisine, afin de créer des plats innovants et multisensoriels !

Des notes alimentaires pour créer des cocktails hors du commun, des plats extraordinaires et pour sublimer les mets. Quinze notes alimentaires sont disponibles : amande, lard, banane, riz basmati, concombre, fleur, herbe coupée, citron-cola, champignon, pêche, ananas, popcorn, pomme de terre, pluie, fumée.


Contact

Il suffit d’envoyer un courriel à kitchenNlaboratory@gmail.com


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Who is behind KITCHEN LAB? This is Pasquale & Dao.

Pasquale is a chef-entrepreneur and culinary artist. He has participated in more than 40 competitions (Bocuse d'Or, Trophée Passion, Cuisinier d'Or, Swiss Finger Food, etc.). Dao is a doctor in pharmaceutical sciences and passionate about cooking. Coached by Pasquale, she participated in the MasterChef show by making a 100% egg dish. Together, they won the international contest for Note by Note Cooking in 2022.


What does KITCHEN LAB offer?

Intensive training in science & cooking to explore and deepen a wide range of scientific techniques used in the kitchen, in order to create innovative and multi-sensory dishes!

Food notes to create extraordinary cocktails, extraordinary dishes and to sublimate dishes. Fifteen cooking notes are available: almond, bacon, banana, basmati rice, cucumber, flower, cut grass, lemon-cola, mushroom, peach, pineapple, popcorn, potato, rain, smoke.


Contact

Just email kitchenNlaboratory@gmail.com

lundi 15 mai 2023

A propos de saveurs

 Aujourd'hui, il sera question de la saveur, pour la « cuisine note à note ». 

 

Une précision d'abord : la saveur est bien rarement perçue indépendamment du goût total, car les récepteurs des papilles sont souvent stimulés en même temps que les récepteurs olfactifs, notamment, puisque, lors de la mastication d'une bouchée, les molécules odorantes remontent par les fosses rétronasales, à l'arrière de la bouche, pendant que l'aliment est mastiqué, et que les composés sapides, libérés dans la salive, migrent lentement vers  leurs récepteurs des papilles. 

Un élément important, d'autre part  : cela fait maintenant des décennies que l'on sait parfaitement qu'il n'existe pas quatre saveurs, ni cinq (merci d'oublier ce fautif « umami », qui n'est pas une saveur élémentaire identifiée), ni six, mais sans doute une infinité, ce qui rend en la question de la construction des saveurs d'un aliment note à note  bien plus difficile, et donc bien plus intéressante. Cette fois, la question est ainsi posée : nous construisons un aliment note à note, et nous supposons pour commencer que l'ajout de composés sapides ne modifie pas la consistance qui était construite par ailleurs. 

 

La vraie question est la suivante : dans quel stock de composés allons nous choisir ? 

 

Bien sûr nous pouvons choisir parmi les sucres, les acides aminés, les sels minéraux, tous composés qui ont une saveur, mais puisque des composés qui n'appartiennent pas à cette catégorie sont également sapides, cela prouve que l'univers où nous choisissons doit être d'abord balisé, exploré. 

Par exemple, l'acide glycirrhizique, responsable d'une saveur particulière de la réglisse, n'est ni salé, ni sucré, ni acide ni amère... 

Alors ? D'un point de vue moléculaire, ce n'est pas un sucre, ce n'est pas un acides aminés,  ce n'est pas un sel minéral ; il appartient donc à une autre catégorie, mais laquelle ? 

On le voit, pour cette question des saveurs, non seulement le mélange de plusieurs composés sapides a une saveur que l'on ne sait pas prévoir, mais, de surcroît, on ne sait même pas, aujourd'hui, dans quel univers choisir les ingrédients que nous allons utiliser ! 

Il y a donc beaucoup à travailler. Ce qui est  merveilleux, de surcroît, c'est que les découvertes ne sont pas taries. Par exemple, on a récemment identifié une saveur du calcium, très spécifique. Et, un peu avant, on avait identifié une sensation due aux  acides gras à longue chaîne insaturée, dont on ne sait même pas si c'est une saveur ou une autre modalité sensorielle... La question des saveur de la cuisine note à note est  merveilleuse, totalement ouverte.

mercredi 3 mai 2023

La question de la couleur, pour la cuisine de synthèse

 Dans la série des questions relatives à la cuisine note à note, je propose aujourd'hui d'examiner les questions de couleur. 

 

Pour l'instant, avec la cuisine classique, le problème était assez simple : on prenait un ingrédient alimentaire qui avait une couleur, et l'on se limitait à essayer de conserver cette couleur, ou à la modifier de  façon un peu (très peu, en réalité) contrôlée. 

Il faut bien avouer  que la cuisine classique  n'a pas merveilleusement réussi, de ce point de vue, puisque  la question de conserver le beau vert des légumes vert reste toujours posée, sans véritable solution, que la couleur des betteraves et des choux rouges change  inéluctablement quand  on les cuit ou quand on varie l'acidité du milieu, que l'on ne contrôle pas les changements de couleur des fruits rouges, que les cornichons jaunissent dans leur bocal de vinaigre... 

Soyons honnêtes :  les compétences du monde alimentaire en matière de couleur ne sont pas épatantes. 

Pour preuve, cette demande qui est arrivée dans notre groupe de recherches il y a quelques années d'un très gros industriel de l'alimentaire pour étudier la couleur verte des légumes verts. Évidemment, on sait des choses, et la chimie a considérablement exploré les chlorophylles, les caroténoïdes, les composés phénoliques de la famille des anthocyanes, les bétalaïnes... 

 

Toutefois la question demeure : dans des environnements chimiques complexes, en présence d'acides, de métaux,  par exemple, ces composés réagissent quand ils sont chauffés, lors de la cuisson, et des réactions ont lieu, que l'on ne sait pas bloquer. 

Avec la cuisine note à note, le problème se pose différemment, parce que, si la cuisson sert à faire  apparaître des composés nouveaux, pourquoi ne pas utiliser ces composés nouveaux d'emblée, et éviter cette cuisson qui va changer la couleur des pigments initialement présents ? Ce type d'idées (je dis bien ce type d'idées et non pas cette idée, parce que je généralise immédiatement)  mérite d'être testé. Testé expérimentalement, théoriquement,  mais il y a un travail à faire. La question est donc posée : comment déterminerons-nous la couleur des de mets note à note ?

dimanche 23 avril 2023

On me dit que la cuisine de synthèse n'est pas de la "vraie" cuisine.

  La "vraie" cuisine ? Qu'est ce ? 

Pour moi, la cuisine, c'est l'activité qui consiste à préparer des aliments. Une pâtisserie n'est déjà plus du légume ou de la viande, mais c'est un "vrai" aliment, non ? Je me demande si l'on ne pourrait pas réinterpréter par référence aux autres arts : que serait la "vraie" musique ? Le chant ? Pourquoi se priver de la flûte et du piano... Que serait la "vraie" peinture ? La vraie sculpture ? Jetterons nous au panier tout l'art abstrait ? Et en littérature, resterons nous aux aèdes grecs ? Et puis, j'aimerais avoir des certitudes !

samedi 22 avril 2023

Des questions, à propos de cuisine de synthèse

Des questions, il peut y en avoir de sciences ou de technologie. 

Aujourd'hui je propose que l'on s'interroge d'abord sur la nature des questions qui sont posées, sur le champ dont elles relèvent. 

 

Partons de de la  cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note", cette cuisine qui, au lieu d'utiliser des fruits, des légumes, des viandes et des poissons, utilise des composés purs. 

Ce billet est une sorte d'introduction à toutes les questions que pose la cuisine note à note. 

 

Puisque les plats de cuisine note à note doivent avoir une consistance, une odeur, une saveur, une couleur, des piquants, des frais, etc., s'imposent une série de questions relatives à chacune de ces modalités. Comment construire les consistances ? Lesquelles viser ? Pourquoi ? Comment construire les  couleurs ? Lesquelles choisir ? Comment construire les saveurs ? Et là encore, lesquelles choisir et pourquoi ? Les piquants, et les frais... 

Supposons maintenant que cette cuisine note à note s'impose  quotidiennement, pour mille  raisons  primordiales, telle  une population croissante dans le monde, une crise de l'énergie, une crise de l'eau. Comment manger quotidiennement note à note. 

Oui, la nutrition  (je veux dire la science de la nutrition, et non pas son application,  pour laquelle on devrait réserver le nom de "diététique") a progressivement appris l'importance des diverses catégories de nutriments, des macronutriments, des  micronutriments, l'importance des vitamines... On se dit donc  que l'on commence à connaître le contenu de ce que l'on doit manger, mais …  est-ce  vrai ? Un être humain qui mangerait tous les jours note à note, exclusivement de la cuisine note à note, serait-il en bonne santé ? en mauvaise santé ? ou en santé améliorée par rapport à l'état actuel ? La  toxicologie  : là encore, il y a beaucoup de faire. Il y a beaucoup de découvrir...  car de nombreux composés  que nous consommons aujourd'hui dans les tissus végétaux ou animaux ont des toxicités connues, avérées, établies (pensons aux hydrocarbures aromatiques polycycliques des viandes grillées, à l'estragole de l'estragon ou du basilic, à l'acrylamide formé lors de la cuisson du pain, etc.). Souvent, les toxicités n'apparaissent pas, ou, du moins, pas considérablement, et l'on peut vraiment se demander quoi manger, pour manger "sainement". 

Il va donc falloir apprendre, progressivement, à répondre à toutes ces questions. Quel bonheur !

mercredi 12 avril 2023

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note...

 Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... 

Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. 

Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande. 

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes. Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ? 

Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût. En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers. 

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire. 

Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ? Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ? 

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?

mardi 17 janvier 2023

Demain, il y aura la cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note"

Classiquement, la musique fait usage d'instruments (violons, flûtes, trompettes...) et de la voix humaine. Avec la musique électroacoustique, qui remplace les instruments par les ordinateurs ou les synthétiseurs, lesquels assemblent des ondes sonores pour faire des sons nouveaux et des mélodies nouvelles, des musiques  nouvelles, que devient la voix humaine ?
 

Tout d'abord, on peut déformer une voix, mais on peut aussi synthétiser des voix. Je sais que quelques amis chanteurs ont le plus grand mépris pour le travail effectué en vue du film Farinelli, mais il n'en demeure pas moins que ce film a fait entendre une voix humaine qui était "de synthèse", tout comme on peut  obtenir un "violon de synthèse". L'auditeur entendait un voix, mais elle était synthétique.
 

Est-ce grave ? Après tout les facteurs  d'orgues ont toujours cherché à produire de nombreux instruments différents à partir d'un seul. Mais la question  est : pourquoi la voix humaine est-elle particulière parmi les divers instruments de musique? Et la réponse est évidente  : c'est notre premier instrument, celui de référence, en quelque sorte. Même quand les violons auront été brûlés, les flûtes et les trompettes fondues, les pianos remisés, il restera la voix ! De sorte qu'il est légitime, en quelque sorte, que, dans une musique moderne, on ait du synthétiseur et de la voix. 


Et en cuisine note à note, qui est l'équivalent pour la cuisine de la musique électroacoustique ? Que serait l'équivalent de la voix humaine pour la musique ? Les produits végétaux et animaux sont cet équivalent, parce que, même si nous avons des composés extraits ou synthétisés, avec lesquels nous synthétisons des  aliments, il n'en restera pas moins que nous vivons dans un monde empli de plantes et d'animaux... que nous consommons. Demain, nous aurons encore ces derniers.
De sorte que la conclusion s'impose : dans la cuisine de demain, il y aura des viandes, des poissons, des légumes et des fruits... plus des composés.

samedi 24 septembre 2022

Des réponses à des questions, à propos du Handbook of Molecular Gastronomy

Tout ce qui suit fait partie de réponses que j'ai données lors de la publication  du Handbook of molecular gastronomy, CRC Press, Boca Raton (FL), 2021. 

Plus exactement, le livre s'intitule Handbook of molecular gastronomy. Scientific Foundations, Educational Practices, and Culinary Applications
Il a été édité par Róisín M. Burke, Alan L. Kelly, Christophe Lavelle et moi-même, publié en juin 2021 : https://routledgehandbooks.com/doi/10.1201/9780429168703
Je mets en gras les questions qui m'ont été posées... et des parties importantes, dans les réponses que je donne.



Dès son début, la gastronomie moléculaire était étroitement liée aux chefs professionnels. Est-ce toujours le cas ou des chefs célèbres (bien plus que des scientifiques !!) ont-ils suivi une voie indépendante en cessant d’entrer en relation avec les scientifiques et, surtout, en ne reconnaissant pas le rôle des premiers à travailler sur la gastronomie moléculaire (GM) ?
 

On aura l’occasion de le revoir, mais il faut absolument alerter sur une confusion : la gastronomie moléculaire n’est pas la cuisine moléculaire, et la cuisine moléculaire. La gastronomie moléculaire, c’est de la science ; la cuisine moléculaire, c’est de la cuisine.
J’explique, parce que la confusion date de longtemps, et qu’elle est fondée sur une autre confusion, entre gastronomie et cuisine. La cuisine, c’est la production d’aliments. La gastronomie, c’est « la connaissance raisonnée de ce qui se rapporte à l’alimentation ».
Et voici pourquoi le terme « gastronomie moléculaire » s’applique bien à de la science, et pas à de la cuisine ! Plus exactement, la gastronomie moléculaire et physique, en abrégé gastronomie moléculaire, est et a toujours été une activité scientifique ; c’est une discipline scientifique qui a été (et reste) définie par : la recherche des mécanismes des phénomènes qui sont observés lors des préparations culinaires.
Rien à voir, donc, avec ce que j’avais nommé (en 1999) la « cuisine moléculaire », qui, elle, est une forme de cuisine moderne, définie ainsi : cuisiner en rénovant les ustensiles, par transferts de techniques des laboratoires vers les cuisine.
Et rien à voir non plus avec la « cuisine de synthèse », encore nommée « cuisine note à note », dont nous pourrons reparler plus tard.
 

Oui, des chefs ont été « associés » initialement, parce que, lorsque moi-même et Nicholas Kurti avons organisé les International Workshops on Molecular and Physical Gastronomy, dès 1992 (nous en avons déjà eu 10, et il y en a maintenant tous les ans), nous avons voulu être bien certains d’explorer des phénomènes qui avaient lieu véritablement, dans la pratique culinaire.
Et c’est ainsi que la confusion entre science et cuisine est apparue. Il faut insister : aucune relation entre la production de connaissances par la méthode scientifique (la gastronomie moléculaire) et la production d’aliments (la cuisine, notamment la cuisine moléculaire).
 

Et il a fallu lutter beaucoup, internationalement, pour que la presse, les milieux professionnels, le public ne confondent pas la gastronomie moléculaire, et la « cuisine moléculaire », qui, je le répète, était l’utilisation de matériels transférés des laboratoires (de chimie, physique, biologie) vers les cuisine.
Cela étant, les collaborations ont été et restent innombrables, même si aujourd’hui, la cuisine moléculaire ne nécessite plus l’aide de scientifiques ou de technologues : les techniques ont été acclimatées.
 

Mais, depuis 1994, il y a une autre application, nommée « cuisine note à note », et, là, beaucoup de chefs ont besoin d’aide, tout comme aux débuts de la cuisine moléculaire. Cette aide est apportée par des scientifiques ou par des technologues.
Et, par ailleurs, la gastronomie moléculaire et physique (en bref, gastronomie moléculaire) se développe dans un nombre croissant de laboratoires, dans le monde  (environ 34 groupes de gastronomie moléculaire à ce jour).

 

Pour une bonne partie du public, et pour de nombreux jeunes dans les écoles de cuisine, la gastronomie moléculaire a une composante de spectacle, de show, de magie… Quelle est votre opinion à ce sujet? pensez-vous que cela puisse être compris comme une banalisation?
 

Là, vous confondez gastronomie moléculaire. Vous voulez  dire que la « cuisine moléculaire » a une composante de spectacle, et c’est vrai que l’utilisation d’azote liquide, en plus de conduire à des produits améliorés, fascine les petits et les grands. D’ailleurs, pourquoi se priver de l’émerveillement des phénomènes avec l’azote liquide ? Pourquoi ne pas admirer les résultats de la technologie, quand ils sont intéressants, pertinents, qu’ils conduisent à des plats vraiment bons ?
 

La gastronomie moléculaire, elle, se fait dans le silence des laboratoires, des publications.
Et cela vaut toujours la peine de rappeler que cette discipline scientifique, comme toutes les sciences de la nature, procède par :
1. identification de phénomènes
2. caractérisation quantitative des phénomènes identifiés
3. réunion des résultats de mesure en équations
4. induction d’une théorie
5. recherche de conséquences testables de la théorie
6.  tests expérimentaux des conséquences tirées de la théorie
7. et ainsi de suite à l’infini, en remplaçant sans cesse des théories insuffisantes par des théories moins insuffisantes.
 

Le point 1 impose de cuisiner, comme nous le faisons chaque mois depuis 21 ans dans les séminaires de gastronomie moléculaire : nous testons publiquement, en présence de professionnels, des « précisions culinaires » (trucs, astuces, tours de main, proverbes…)  en vue de trouver de nouveaux phénomènes… et c’est souvent « spectaculaire », mais dans un autre sens : par exemple, il y a quelques années, nous avons fait gonfler un soufflé sans que les blancs en neige aient été battus ; les professionnels présents ont été bluffés.


Aujourd’hui, la gastronomie moléculaire dans un restaurant signifie sans aucun doute un prix élevé. Est-ce obligatoire ? En ce sens, vaudrait-il la peine de diffuser la gastronomie moléculaire parmi les chefs amateurs, à la maison?


Là, vous faites à nouveau la confusion gastronomie moléculaire/cuisine moléculaire. Et manifestement vous voulez encore dire « cuisine moléculaire ».  
Et il y a lieu de bien comprendre la chose : ce que l’on paie, dans une peinture de Picasso, ce n’est pas la matière première, la toile ou le carré de bois, ni la peinture, mais l’art de l’artiste ! Et ça vaut des fortunes. De même, pour les restaurants de cuisine moléculaire, il se trouve qu’ils étaient conduits par les plus grands artistes, les plus innovants. 


D’autre part, il a été initialement très important que la cuisine moléculaire coûte cher : j’avais utilisé la technique avec laquelle le chimiste Antoine Augustin Parmentier a réussi à introduire la pomme de terre en France, au 18e siècle  : il l’a d’abord donnée au roi… afin que le peuple en veuille. Et c’était bien la question dans les années 1980 : les cuisiniers refusaient les techniques modernes ! Et il a donc fallu positionner cela pour les cuisiniers les plus créatifs… et les plus chers.
Mais aujourd’hui, la cuisine moléculaire est partout, au point même qu’on ne l’y voit plus ! Et c’était cela l’objectif.
P

artout dans le monde, je vois mes  œufs « parfaits » ;  mon « chocolat chantilly » est en ligne, mis en œuvre par des enfants, et l’on vend des siphons dans les supermarchés, tandis que de nombreux fours domestiques ont des fonctions « cuisson à basse température ». Le problème de la rénovation technique est donc presque réglé… et l’on peut passer à la suite : la cuisine note à note… que, pour les mêmes raisons, je n’explique qu’aux chefs les plus avancés (même si mon ambition est qu’elle atteigne tout le public).


Y a-t-il une place pour la GM dans la restauration de collectivités tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les écoles, etc.?
 

Je vois que vous continuez à faire la confusion : vous voulez encore parler de cuisine moléculaire plutôt que de gastronomie moléculaire.
 

Et pour la cuisine moléculaire, bien sûr, il y a de la place, pour faire meilleur, et plus facilement. D’ailleurs cette place est en partie occupée: la cuisson basse température est partout, même s’il reste beaucoup à faire pour moderniser les ustensiles. Car je vous rappelle que c’est cela l’enjeu de la cuisine moléculaire : utiliser des ustensiles modernes.

 

Dans le même sens, est-il possible de produire une GM qui n’est pas de « luxe » ou si cher?

On commence à se lasser : à nouveau, vous voulez dire : cuisine moléculaire. Mais bien sûr, oui ! Un œuf à 65 °C ne coûte qu’un œuf. Le chocolat chantilly est une mousse de chocolat qui n’emploie pas d’oeuf, donc coûte moins cher qu’une mousse au chocolat classique, et ainsi de suite. Cuisiner rationnellement, c’est évidemment moins cher et meilleur que cuisiner de manière classique, en faisant un peu n’importe quoi, en passant beaucoup de temps (qui coûte cher) à faire des opérations qu’on peut faire mieux et plus vite : pensez, par exemple, au dégraissage et à la clarification des bouillons de viande (une ampoule à décanter et un filtre de laboratoire)...



Quels sont les principaux axes de recherche en cours dans votre centre de recherche à Paris ?


 Dans notre groupe de recherche en gastronomie moléculaire, nous sommes surtout lancés dans l'exploration des « échanges », car j'ai identifié que c’est le principal phénomène qui a lieu quand on cuisine. Par exemple quand on fait un bouillon de viande, on met de la viande dans l'eau et il y a des échanges entre l'eau et la viande. De même pour un bouillon de carottes, mais alors le tissu végétal échange très différemment. Quand on fait du café, il y a également des échanges entre les grains de la poudre de café et l'eau Quand on met une bouchée d'un aliment dans la bouche, il y a également des échanges entre le matériau de la bouchée et la salive. Et ainsi de suite.
Et comme ces échanges sont responsables de l’effet de l’aliment (sensorialité, nutrition, toxicologie, etc.), on comprend que l’exploration des échanges, de leurs mécanismes, soit essentiel. 


D’ailleurs,  j’ajoute que nous nous intéressons beaucoup aux « gels » dans ces études parce qu’ils sont partout, dans la cuisine. En effet, selon l’International Union of Pure and Applied Chemistry, en raison de leur définition qui est « un liquide contenu dans un solide » :  c'est ainsi que les viandes, les légumes, les œufs cuits et cetera sont des gels, à côté des gels de gélatines et des autres gélifiants et nous sommes lancés dans une classification des gels ainsi que de leur capacité d'échanger avec un milieu environnant (et j’ai « découvert » la totalité des gels des premières « classes », ces dernières étant classées grâce à un formalisme « DSF », introduit il y a quelques années. 


Mais il y a bien d'autres études qui se font dans notre Groupe de gastronomie moléculaire,  telle l’étude du passage du cuivre dans une confiture quand on la prépare dans une bassine en cuivre. Ou encore les transferts de sel vers l'aliment. Et cetera. 


Cela, c'est pour la partie scientifique. Mais vous évoquez aussi les axes de recherche en cours dans le « centre de recherche » et là il y a une précision à donner, car à côté du Groupe de gastronomie moléculaire  où je fais ma recherche, il y a le Centre international de gastronomie moléculaire et physique, que je dirige, et qui, lui,  est une structure qui anime l'ensemble des laboratoires de gastronomie moléculaire du monde. Dans cette structure, il n'y a pas de recherche stricto sensu, mais une animation scientifique avec des congrès, des séminaires, et cetera.



Pouvez-vous résumer l’objectif principal de votre nouveau livre et le contenu essentiel?, Selon vous, Quelle sera sa contribution la plus remarquable au sein de la GM?


 Le principal objectif du Handbook of Molecular Gastronomy, c'était, à mon sens,  de réunir toute la communauté internationale de gastronomie moléculaire et physique autour d'un projet commun, et ce projet était de faire un état des recherches en gastronomie moléculaire. Cela, c’est la première partie du livre. 


La deuxième partie, également importante et utile, a voulu faire un état des initiatives d'application de la gastronomie moléculaire à l'enseignement, de l’école primaire à l’université, et même au-delà.  Ces applications s’imposent pour de nombreuses raisons, et notamment parce que c’est la connaissance de la cuisine qui permet d’améliorer l’alimentation. Et la gastronomie moléculaire a des atouts, en raison de la mode actuelle de la cuisine, notamment chez les plus jeunes.  


Enfin la troisième partie, ce sont les applications techniques, ou artistiques, de la gastronomie moléculaire :  la cuisine moléculaire, d’une part, et d'autre part la cuisine note à note. Ce sont là des recettes, notamment écrites par de très grands chefs, avec des explications sur ces préparations innovantes. 


Au total, le Handbook comporte 150 chapitres ont été écrits par des auteurs par 150 auteurs de 23 pays, et le livre est donc énorme : il a 894 pages, 673 figures. C’est un énorme livre, et d’ailleurs un « handbook »,  ce qui signifie qu'il doit rendre service à tous ceux qui veulent apprendre, qui veulent  découvrir des aspects de la gastronomie moléculaire ou de ses applications. 

Cela concerne évidemment les scientifiques qui sont déjà engagés dans des recherches en gastronomie moléculaire, mais aussi des étudiants qui veulent la découvrir, et, souvent d'ailleurs, je vois des étudiants en sciences et technologies des aliments s'intéresser à ce livre. Évidemment, avec la deuxième partie, il y a des professeurs qui pourraient être intéressés d’apprendre à mettre en œuvre la gastronomie moléculaire, de l'école primaire jusqu'à l'université. Et avec la troisième partie,  des amateurs de cuisine, des chefs, etc.  peuvent vouloir découvrir des recettes. 


La contribution « la plus remarquable » ? Là, vraiment, je ne sais pas, mais je sais que ce livre est un tremplin pour la suite, et notamment pour le fonctionnement de l’International Journal of Molecular Gastronomy : les auteurs de ce livre, ou d’autres collègues, peuvent soumettre des manuscrits à ce journal scientifique.
Bref, avec le livre , nous avons fait un point d'étape et nous allons maintenant continuer avec les workshops internationaux devenus annuels (la suite de ses premiers colloques que nous avions créés en 1992), mais aussi le journal. Une communauté structurée, active, donc.


Quand l’alimentation « de la terre », « de proximité », les aliments locaux sont en train d’être revalorisés... est-il possible de penser à un OGM axé sur ce type de « vieux » produits ?


 Là, je ne comprends pas bien la question, parce qu’elle parle d'un « OGM », car les OGM, c'est une question de biologie, ou plus exactement d'application de la biologie, et pas une question de gastronomie moléculaire. 


En revanche puisque vous parlez d'alimentation de l'humanité, je peux maintenant arriver à discuter un peu la question de la cuisine de synthèse, que j'ai nommée cuisine note à note. Il s'agit donc, comme pour la musique de synthèse, de d'unités élémentaires pour arriver à faire des plats. 

J’explique : il y a deux siècles, on cuisait avec des légumes et des viandes ; puis, il y a un siècle, on a analysé ces derniers pour découvrir qu'ils étaient faits de composés : de l'eau, la cellulose, les pectine, les chlorophylles, etc. La cuisine note à note veut utiliser de tel composés pour construire les plats. Ce n'est ni difficile, ni dangereux, et c'est de l'innovation. Mais c'est surtout une façon de combattre le gaspillage alimentaire qui atteint entre 20 et 40 pour cent selon les pays. Si l’on supprime ce gaspillage alimentaire, alors on pourra peut-être nourrir les 10 milliards d'êtres humains  en 2050. 


J’ajoute que, par cette cuisine de synthèse, il n'est pas très intéressant de vouloir reproduire des plats classiques, des carottes, des viandes… Il est bien plus intéressant de produire des plats entièrement nouveaux ! En outre, pour l'instant en tout cas, il n'y a pas de concurrence entre la cuisine note à note et la cuisine classique ou la cuisine moléculaire. C'est seulement une nouvelle forme de cuisine. Et du point de vue artistique, la cuisine  note à note est vraiment une belle nouveauté, qui n'a donc rien à voir avec la cuisine moléculaire, et qui conduit à des produits extraordinaires.

 

Des années après sa création, il est évident que la GM fonctionne encore aujourd’hui. Quelles seront ses possibilités futures et où pensez-vous que les nouvelles lignes de recherche iront? 

Oui la gastronomie moléculaire fonctionne aujourd'hui et plus que jamais : je vous ai dit que nous avons maintenant environ 34 groupes de gastronomie moléculaire de recherche en gastronomie moléculaire dans le monde ! Et il n’y a pas de raison que la gastronomie moléculaire cesse de se développer, tout comme il n'y a pas de raison que cesse de se développer la physique ou la chimie par exemple. 


Où seront les nouvelles lignes de recherche ? Je ne sais pas, et il y a beaucoup trop d'activités dans le monde pour que je puisse le savoir. Je sais simplement que certains d'entre nous sont plus intéressés par la science, la recherche des mécanismes des phénomènes, et d'autre par la technologie, l'application des résultats de la science à la technique. Par exemple, je vois plusieurs collègues intéressés, en ce moment à l'impression 3D d'aliments et j'observe d'ailleurs que les préparations qui sont utilisés dans ces machines on tout à gagner de la cuisine note à note. 


Pour ce qui me concerne, même si je donne une invention par mois à Pierre Gagnaire (ce que je ne devrais pas faire puisque c'est de la technologie et pas la science), je me consacre comme je vous l'ai dit à la recherche scientifique des mécanisme des échanges. 


Mais je vois surtout que de nouveaux groupes de gastronomie moléculaire se créent régulièrement dans le monde, ce que je suscite, ce que j'encourage, et je compte sur le journal international de gastronomie moléculaire pour aider tous ces scientifiques ou ces technologues à échanger, à publier leurs résultats et pour  faire une belle animation scientifique et technologique. 


Mais, je le rappelle pour conclure, la gastronomie musculaire, recherche scientifique, a des applications soit pour l'enseignement, soit pour la cuisine, et nous devons chercher de telles applications pour aider les communautés qui financent les recherches scientifiques. Il y a une question de responsabilité, et nous en sommes très conscients. 


Pour terminer je voudrais ne pas opposer la science et l'art, mais je crois qu’il serait néfaste de les confondre : ce sont deux activités très différentes. La science est belle, c'est l'honneur de l'esprit humain que de « lever un coin du grand voile ». L'art culinaire est merveilleux et notamment quand il ne se confond pas avec l'artisanat culinaire. D’ailleurs, à ce propos, je crois avoir compris quelque chose d'essentiel en observant que Picasso n'est pas un peintre en bâtiment :  il y a de la place pour les deux deux, car il faut des peintres en bâtiment pour peindre les murs, et il faut des des peintres qui parlent à l'esprit comme Picasso. Il en va exactement de même en cuisine. La science n'a pas grand chose à dire de l'art culinaire et l'art culinaire n'a pas grand chose à dire de la science, mais des êtres humains intelligents et curieux peuvent s'intéresser aux deux activités, et des jeunes soucieux de bien faire peuvent se lancer dans l’une ou l’autre voie. D’ailleurs, ils peuvent se lancer aussi dans la technologie qui fait le pont entre la science et l'art. 


Le Handbook of molecular gastronomy montre bien tout cela, je crois : ce très gros livre est une référence, et il permet à tous ceux qui sont intéressés par l’alimentation d’avoir des informations récentes, et utiles. Un exemple : l’effet de matrice, dont il est souvent question. C’est quoi, au juste ? Et en quoi est-ce important  pour la nutrition et la diététique. Un autre exemple : les réactions de glycation (qui sont le nom que l’on doit donner aux « réactions de Maillard », car elles avaient été découvertes 30 ans avant par Emil Fischer). Plus « techniquement » : dans quels cas observe-t-on de la « capillarité »? de l’ « osmose » ? qu’est-ce qu’une émulsion de Ramsden ? comment les matières grasses s’oxydent-elles lors de cuisson ? comment bien filtrer ? comment fumer des viandes sans les charger en composés toxiques ? Et ainsi de suite : on ne trouvera certainement pas tout, mais beaucoup !