dimanche 23 juin 2024

De la chimie, de la chimie, encore de la chimie, toujours de la chimie



Le goût général pour la simplicité a failli me faire faire une erreur : j'avais cru comprendre que l'on pouvait distinguer les transformations culinaires selon qu'elle s'accompagnaient ou non de modifications moléculaires, mais je viens de comprendre que non, toutes s'accompagnent de modifications moléculaires, de "réactions chimiques".

Par exemple, quand on cuit une viande, il est clair qu'il y a des coagulations dans la masse et éventuellement des brunissement en surface : dans les deux cas, il y a des réactions chimiques.
Inversement, on pourrait penser que la découpe d'une carotte ou la production d'un blanc en neige ne mettent pas en œuvre de réactions chimiques... mais cette idée est fausse,  et, à ce jour, je ne connais pas de transformation culinaire pour lesquelles il n'y ait pas de transformation moléculaires.

Par exemple, quand on fait une salade de carottes, la lame du couteau détruit au moins une couche de cellules, libérant leur contenu, ce qui correspond à l'humidité qu'on voit apparaître à la surface. Mais aussi, la dégradation des cellules sur le passage de la lame de l'économe libère des composés phénoliques et des enzymes  : les enzymes réagissent avec les  composés phénoliques pour faire brunir les tissus végétaux coupés. Il y a donc  (1) une action physique, (2) une modification microscopique et  (3) des transformations moléculaires.

Bien sûr, cela ne concerne qu'une couche de cellules mais au fond, dans un rôtissage rapide où l'on ne ferait brunir que la surface, il n'y aurait également que la surface qui serait concernée.

Pourrait-on  distinguer les transformations culinaires selon les ordres de grandeur de quantité de matériaux modifiés ? Par exemple distinguer une coagulation d'un blanc d'oeuf, où toute la masse du matériau est transformée, et une modification de surface ? On peut toujours, mais à quoi cela conduit-il ?

Continuons d'explorer la question, sur des cas pratiques, notamment en considérant le battage d'un blanc d'oeuf en neige.  Cette fois, on part d'eau et de protéines, souvent globulaires (à savoir que les molécules de protéines sont repliées comme des pelotes), et l'on fouette pour introduire des bulles d'air.
L'air n'est pas modifié, mais les protéines le sont : le cisaillement exercé par le fouet déroule les protéines, et c'est parce qu'elles sont ainsi "dénaturées" qu'elles peuvent se placer à la surface des bulles d'air, à l'interface entre l'air et l'eau. Là, on peut facilement calculer la quantité de protéines qui sont ainsi nécessaires pour obtenir un blanc battu en neige (un minimum de 1/10 000), mais quoi qu'il en soit,  alors que l'on pouvait croire que l'on aurait été dans le cas d'une transformation culinaire sans modification moléculaire, on s'aperçoit que l'on s'est trompé.
Considérons le cas d'une salade, maintenant : même en se limitant à la salade elle-même, il y a des modifications et notamment quand on déchire les feuilles (la proportion de tissu modifiée est 1/10 000 000)... mais l'effet est visible !
Et, quand on fait vraiment la salade, en la "fatiguant" avec la vinaigrette, l'effet est considérable, puisque l'huile adhère aux cires de surface, les désorganisant, et permettant l'interaction du tissus végétal avec le vinaigre, mais, aussi, avec une action mécanique dont on vait bien l'effet.  

Finalement, s'il y a transformation culinaire, c'est bien qu'il y a un effet, n'est-ce pas ? Et je crois que c'est un bon conseil, face à une transformation culinaire, de toujours considérer le phénomène d'abord du point de vue macroscopique, puis du point de vue microscopique, puis du point de vue moléculaire. Toutes ces modifications sont toujours présentes.

Car on se souvient que l'importance en "quantité" n'est pas prépondérante : une viande grillée seulement en surface prend ce goût qui la fait apprécier, alors même que la "quantité de transformation est faible. Et il ne faut pas oublier (voir Mon histoire de cuisine) qu'il y  différentes "dimensions", pour les aliments : la saveur, la couleur, l'odeur, la consistance, etc. Par exemple, au premier ordre de la composition chimique, le vin n'est que de l'eau, mais la saveur brûlante de l'éthanol, présent moléculaire au deuxième ordre seulement, est prépondérante, alors que la saveur de l'eau, présente au premier ordre, est très loin dans l'ordre des saveurs.

Bref, vive la chimie !

vendredi 21 juin 2024

A propos de coagulation de l'oeuf (suite)

La coagulation du blanc d'oeuf : quel volume maximum ?

Supposons que l'on dispose d'assez d'eau pour profiter pleinement des protéines d'un blanc d'oeuf qui formeraient un gel cubique en s'étendant complètement. Quel volume obtiendrait-on ?

Soit un blanc de 40 g.
Cela correspond à 4 g de protéines.

Supposons que toutes les protéines soient, comme pour l'ovalbumine, de masse molaire égale à environ 40000.
Le nombre de moles est alors
                           "4/40000"

 c'est-à-dire 1e-4.
Le nombre de molécules serait donc 1e-4 par 1e24 environ, soit 1e20.

Avec cela, supposons qu'on fasse un réseau cubique, ce qui signifie que pour chaque cube élémentaire on aurait trois arêtes en propres (je vais vite).
Cela signifie que le nombre de cubes élémentaires serait
                          "0.1e21*1/3"

 
Le volume du gel serait le volume d'un cube élémentaire par le nombre de cubes élémentaires.
Pour un petit cube, notre hypothèse considère que le côté est une protéine entièrement étendue.
Une protéine de 40 000 de masse molaire, c'est environ 200 résidus d'acides aminés.
Un résidu d'acide aminé, c'est environ 3 liaisons covalentes.
Donc la longueur de la protéine serait 200 fois 5 fois 1e-10.  Soit 1e-7 (m).
Le volume du cube élémentaire serait 1e-21
Le volume du cube élémentaire serait alors 1/3 1e20 fois 1e-21, soit 0.03 m3 (30 L).
 

jeudi 20 juin 2024

La "qualité générale" : la notion existe-t-elle ?

 Ne pas généraliser hâtivement, disait Michael Faraday


En relisant des devoirs d'étudiants je trouve une expression intéressante : la "qualité générale des pâtes à choux",  et là,  je m'interroge sur cette "qualité", car tel chou croustillant plaira à untel alors que quelqu'un d'autre préférera un produit plus tendre. Cela pour la consistance, mais on pourrait en dire autant pour la couleur et je ne sais pas ce qu'est la "qualité générale", sauf peut-être l'appréciation que j'en ai et qui change selon les jours, selon les heures, selon le temps qu'il fait...

Je vois surtout que, de la même façon qu'une théorie est ou non scientifique selon qu'elle est ou non réfutable expérimentalement, certaines notions n'existent que si elles sont "mesurables". En l'occurrence, cette "qualité générale" est difficilement mesurable ou sans intérêt.
Imaginons que l'on fasse une mesure d'appréciation en proposant à des dégustateurs une échelle : certes, on obtiendrait un nombre, mais ce nombre est-il significatif ? L'obtiendrait-on par la même expérience sur les mêmes jurés à un autre moment  ? Et le groupe de juré est-il représentatif ? De quoi ?
Imaginons que ce groupe déclare aimer le vin rouge et que j'aime personnellement le vin blanc ; peut-on dire que le vin rouge est meilleur que le blanc ? Non, on peut dire simplement que ce groupe de personnes là, ce groupe particulier préférait le vin rouge. D'ailleurs, le vin rouge est une notion bien vague, car il y a toute la différence possible en train vin rouge qui a connu beaucoup de soleil et un vin rouge qui n'en a pas connu, sans parler des différences de cépage, de conditions de culture, de récolte, de production du vin... et même de bouteilles...
Bref j'ai souri en voyant parler de qualité générale des petits choux.

mercredi 19 juin 2024

Assez, avec les discussions idéologiques de l'alimentation !

 
Alors que le week-end se termine, que j'ai senti des odeurs de barbecue dans tout le quartier, on m'interroge sur la toxicité des aliments que l'on me dit "ultra transformés".

Je réponds évidemment en envoyant un article que j'avais publié à ce sujet et qui analysait une publication récente, scientifique, bien évaluée, montrant que les aliments "ultra transformés" n'existent pas, que ce sont des chimères au même titre que des "carrés ronds" ou les "Père Noël".

Or, avant de caractériser un objet, il s'agit d'en démontrer l'existence et oui, on peut parler de "carré rond" (la preuve  : nous en parlons ici), mais cela ne prouve pas leur existence et on aura beau en parler pendant des années, les "carrés ronds" continueront de ne pas exister.

Le mot "ultra transformé" est un mot plein de pathos, ce qui n'a rien à voir avec la rigueur scientifique ou technologique. Il a été introduit par des chercheurs brésiliens que je n'aimerait pas avoir comme collègues (je veux de l'intelligence, de la bonté, de la droiture), qui, manifestement, avaient des comptes à rendre avec ce que certains nomment l'industrie alimentaire, mettant dans le même sac les coopératives qui produisent du lait ou de la farine et les fabricants d'aliments transformés que sont ces jambon, pizza, et cetera  présents dans les supermarchés.

Une certaine idéologie veut s'opposer une cuisine plus domestique ou artisanale à l'industrie alimentaire, et cette idéologie utilise des arguments déplorables à ce propos, confondant industrie et additif, confondant également les différentes sortes d'additifs... car on n'oubliera pas que des gélifiants sont des produits de natures bien différentes des conservateurs, par  exemple.

Mais surtout, s'il y a des questions de toxicité qui doivent être considérés, alors il y a lieu de les regarder honnêtement et par exemple, j'y reviens à propos du barbecue, il est utile de bien savoir que des viandes grillées au barbecue contiennent environ 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est admis par la loi dans du saumon fumé vendu en supermarché.
D'ailleurs, dans le supermarché qui est près de mon domicile, le saumon fumé est produit par le poissonnier du supermarché, comme je le fais chez moi :  avec les saumons qu'il ne vend pas, il fait du saumon fumé. Je ne suis pas certain que cet homme, qui utilise des techniques bien loin des techniques industrielles mise en œuvre pour faire le saumon fumé, soit garant de moins de toxicité que l'industrie : dans son fumoir local, il n'a aucun moyen de doser les benzopyrènes de ses saumons, ni d'en limiter la quantité, contrairement à l'industrie qui elle, à l'obligation de le faire et de noter sur le paquet les quantités correspondantes,.

Plus généralement, en matière de toxicité alimentaire, il faut redire que la question est bien mal traitée, notamment par ce qui croient pouvoir dire que la tradition (laquelle) ou la "nature" serait des garants d'innocuité. Car les viandes cuites à la braise sont chargées de base de benzopyrènes cancérogènes. Et la ciguë est parfaitement naturelle et parfaitement toxique.

Bref, la question est généralement très mal traitée, et elle fait l'objet de nauséabondes discussions idéologiques, ce qui est pire, car on cache quelque chose dans le débat, on ment en réalité sur la base d'idées que l'on veut promouvoir.

mardi 18 juin 2024

Les Ateliers expérimentaux du goût

 Hier, lors de la réunion des professeurs de physique et de chimie de l'Académie de Bordeaux, j'ai été remis en position de présenter les Ateliers expérimentaux du goût ainsi que les Ateliers science et cuisine, que j'avais introduits dans l'Education nationale au début des années 2000. 

Force est d'observer, avec le recul, que la méthode pédagogique introduite alors n'a pas démérité et qu'elle n'est pas périmée : au bénéfice des élèves, les collègues peuvent parfaitement mettre en œuvre des ateliers de ces deux types. 

Que faut-il faire pour relancer la machine ? Sans doute en refaire des présentations à l'attention des professeurs qui, pour certains, ont oublié l'existence des ateliers, et qui, pour d'autres,  ne la connaissent pas. 

Il n'y a nulle part de mauvaise volonté, bien au contraire, et il y a surtout l'observation que, lors des préparations culinaires, il y a mille phénomènes extraordinaires qui méritent d'être considérés, analysés, étudiés, en laboratoire ou en classe. 

Souvent, un microscope fait l'affaire, mais évidemment, si l'on calcule un peu, on fait bien mieux. En tout cas, il y a cette observation que ces activités scientifiques ne coûtent quasiment rien, surtout quand on les fait à l'occasion de la préparation d'aliments que l'on va consommer. 

Mousses, émulsions, gels, suspension... Tout y passe, et ces colloïdes sont à l'interface de la physique, de la chimie, mais aussi de la biologie puisque la cuisine, c'est usage de tissus végétaux ou animaux. 

Merci aux collègues de l'académie de Bordeaux de m'avoir accueilli si chaleureusement et surtout, de m'avoir permis de présenter à des collègues des activités qui mériteraient de figurer au cœur de leurs études avec les élèves.

Qu'est-ce qui est bon ?

 

Qu'est-ce qui est bon ? Il y a plusieurs années, l'invention que j'avais faite des "bonbons ultimes", mélange exclusif de graisse et de sucre (tant pour tant), était une sorte de pied de nez à la diététique. De petits cubes d'une telle matière, donnés à goûter sans indication de leur nature, sont toujours appréciées, alors que du point de vue diététique, ils sont presque ce que l'on peut produire de pire. Bien sûr on pourrait rajouter du sel ou de l'éthanol, mais quand même, déjà, c'est très mauvais pour la santé quand c'est en dose excessive.
Mais, plus généralement, moi qui cuisine tous les soirs pour ma famille, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans y mettre du sucre ou du gras. Même les meilleurs radis, les meilleures asperges, nécessitent l'un ou l'autre de ses corps, et moi qui cherche à réduire le beurre, la crème, l'huile d'olive, l'huile de noix, le glucose, le sucre de table, et cetera, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans que ces produits ne soient présent.
Bien sûr, je sais faire cuire des oignons ou des carottes afin de concentrer un bouillon, mais je sais aussi, puisque c'est l'analyse qui me le montre, que je charge ainsi ces solutions de sucre, puisque les végétaux contiennent du D-glucose, du D-fructose et du saccharose.
Bien sûr je peux manger de la viande sans ajouter de matière grasse mais je n'oublie pas que la plus maigre des viandes est plus grave que le plus grand des poissons.

Bref, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans graisse ni sucre et il y a là la question que se pose d'ailleurs l'industrie alimentaire quand elle a voulu faire de l'alléger : on peut toujours introduire de l'eau ou de l'air, on peut toujours donner du goût avec des aromatisants mais cela sera-t-il bon ? L'expérience a montré la difficulté de l'exercice.

lundi 17 juin 2024

Le fond et la forme


Le fond est-il une indication de la forme ? Dans le travail scientifique, nous avons sans cesse à évaluer des informations qui nous sont transmises, notamment par des articles scientifiques. Le problème, aggravé par la prolifération des revues prédatrices, qui cherchent à gagner de l'argent en publiant n'importe quoi, c'est que nombre d'articles aujourd'hui publiés sont de mauvaise qualité.

Or il est essentiel de savoir reconnaître cette qualité et notamment parce que l'utilisation de données erronées risque de saper le travail que l'on ferait en les utilisant.

D'autre part,  des théories fausses risquent de nous induire en erreur point et ainsi de suite.

Bref, nous sommes sans cesse à devoir évaluer, c'est-à-dire juger de la valeur d'information qui nous sont transmises. D'ailleurs les articles scientifiques ne sont pas seulement concernés : dans notre propre travail, nous devons évaluer les informations que nous fournissent nos instruments de mesure.
Le cas le plus simple et celui d'une balance sur lequel on pèse un objet dont on veut connaître la masse : comment nous assurer que ce qu'affiche la balance n'est pas n'importe quoi ? C'est pour cette raison que l'on multiplie les validations. Par exemple, pour une balance, on utilisera d'abord un étalon secondaire, à savoir une masse dont on a confronté la mesure à une masse étalon certifiée.

Mais ce que je dis là pour une mesure de masse vaut tout aussi bien pour une mesure de température, de dimensions, de courant électrique, etc. Nous devons être extraordinairement prudents quand nous faisons des analyses, sans quoi il est bien certain que les conclusions scientifiques que nous pourrions en tirer seraient fautives.

Mais revenons aux articles : à leur propos, il y a deux questions essentielles:
- la première est de savoir si la forme peut indiquer le fond,
- la seconde est de savoir quel crédit on peut accorder un article scientifique imparfait.

En vérité, la première question n'est qu'un pas sur le chemin vers la seconde, et la question est donc de savoir ce que vaut un article.
Pour caricaturer, peut-on dépister la qualité scientifique d'un texte au nombre de fautes d'orthographe que l'on y trouve ? Ainsi posée, la question semble sans intérêt, car on peut très bien imaginer qu'un auteur d'un texte médiocre ait utilisé un correcteur orthographique et n'ait laissé aucune coquille. Ou inversement, qu'une personne ait fait un raisonnement très intelligent et laissé des fautes d'orthographe dans le texte où il relate son raisonnement.

Mais il y a loin de la faute typographique au contenu en passant par l'usage des unités, par la répétition des expériences, par le traitement statistique des données, et par tout ce qui fait que la recherche scientifique est en réalité quelque chose qui doit se faire avec le plus grand soin.

C'est ainsi que la partie de Matériels et de méthodes doit être d'une précision telle que n'importe qui dans le monde puisse refaire l'expérience avec l'information qui est donnée. C'est nécessaire et non suffisant, et l'on peut se demander si, voyant un protocole insuffisamment précis, l'article vaut quelque chose, si les conclusions scientifiques qui sont tirées ont un sens, une validité...

Bref il y a lieu d'apprendre à reconnaître la qualité d'un article à partir de sa forme.

À ce propos, dans un  cours c'est que j'ai publié sur cette question, les rapporteurs m'ont demandé de traiter la question suivante  : la mauvaise connaissance d'une langue étrangère empêche-t-elle de bien penser quand on s'exprime dans cette langue ? Évidemment, la réponse est non  :  on peut bien penser et mal parler si l'on ne connaît pas les mots ou étrangers, ou si on les confond, mais on se souviendra qu'il ne s'agit pas seulement d'émettre un message mais surtout de s'assurer qu'il soit bien reçu ; o si les mots sont mauvais, le message sera certainement mal reçu. Il y a donc lieu d'être précis et de ne pas parler une langue étrangère en jargonnant en quelque sorte.

Cela étant, les manuscrits publiés par les revues scientifiques le sont au terme d'une évaluation par les pairs, avec un éditeur qui sollicite des rapporteurs, lesquels sont précisément des garde-fous, des personnes compétentes qui doivent s'assurer que les conditions d'une publication de bonne qualité sont réunies.
Si un article paraît avec une grosse imperfections de forme, c'est qu'il a été mal écrit, mais ensuite mal traité éditorialement, et cela augure mal de la qualité du texte.

Passons maintenant à la seconde question qui est de savoir ce que l'on peut faire des données dans un article médiocre. Cette question est terrible, parce que nous aimerions bien disposer de données suffisantes pour fonder nos propres travaux  ; quand nous trouvons un article sur un sujet qui nous intéresse, nous aimerions avoir des informations utilisables.
Or parfois, précisément, des articles qui pourraient nous être utiles sont de mauvaise qualité et se pose véritablement la question de savoir quoi faire des données qui s'y trouvent.
J'ai bien peur que la réponse est que nous pouvons rien en faire.
Prenons l'exemple d'un article qui discuterait la question de la couleur de haricots verts, mais qui n'indiquerait pas la variété des haricots. Supposons que cet article s'intéresse à l'effet d'un traitement thermique particulier. Si la variété des haricots n'est pas donnée, alors les résultats qui seront obtenus, reliant le traitement thermique à la variation de couleur ne vaudront que pour la variété particulière qui  a été utilisée, et qui, malheureusement, n'est pas donnée. De sorte que ni localement ni globalement nous n'avons d'information fiable  : d'autres variétés de haricots pourraient se comporter différemment et cette variété-là, dans la mesure où elle n'est pas connue... n'est pas connue.
Pis encore, imaginons que les auteurs aient écrit dans leur article qu'ils ont lavé les haricots, et qu'ils les ont trié. Ce seront donc seulement certains haricots qui évolueront d'une certaine façon et, dans la mesure où le critère de tri, n'est pas donné, nous ne pouvons absolument pas savoir quel est l'intérêt de l'information qui est publiée.
Continuons en évoquant un traitement thermique. Imaginons que les haricots soient "cuits pendant 8 minutes" : cette fois, il y a vraiment lieu de savoir quelle est la vitesse d'augmentation de la température car si les haricots ont mis 5 minutes avant d'atteindre la température de consigne décidée pour le traitement, alors ce traitement n'aura en réalité pas été effectué pendant 8 minutes et même pire, si les haricots ont traîné longtemps à une température un peu basse, aux environs de 50 degrés, alors les enzymes du végétal auront peut-être produit des effets qui se répercuteront sur la couleur finale du haricot.

Bref, un article insuffisamment précis dans ses matériels et méthodes, avec un protocole insuffisamment précisé, ne vaut rien, et nous ne pouvons rien en faire. Il serait d'utilité publique que dans un tel cas, nous fassions une lettre à l'éditeur pour signaler aux collègues que l'article n'est pas utilisable, en espérant que cette lettre sera publiée et qu'elle conduira les auteurs de l'article initial à publier des précisions qu'ils auraient qu'ils n'ont pas données... en supposant qu'il les aient.

Divertissement, distraction, se vider la tête

 
Dans un site, je vois une catégorie intitulée "divertissement", et je ne peux m'empêcher de mépriser les activités qui en relèvent. Il s'agirait en effet d'activité qui permettent aux êtres humains d'occuper leur temps libre en s'amusant et de se détourner ainsi de leurs préoccupations.
Occuper son temps libre ? Des préoccupations ? Pour ces dernières, je préfère au contraire les prendre à bras le corps pour ne plus en avoir, pour avoir l'esprit libre.
Dans la même veine, il y a "distractions", qui correspond à un manque d'attention, habituel ou passager, de l'esprit occupé par autre chose que ce qui lui est proposé, ou au détournement momentané de l'esprit trop préoccupé vers ce qui amuse ou récrée. Là encore, je n'aime pas l'idée, et je pressens que je vais également  éviter :
- amusement :  Passe-temps agréable, récréatif, occupant le corps ou l'esprit, et destiné à tromper l'ennui
- récréation : Détente, distraction, délassement qui succède à un travail, à une occupation sérieuse.
Tout cela reste dans le même sac que "se vider la tête", que des linottes me sortent à tout va, et auxquelles je réponds : "tu ferais mieux de te la remplir".
Mais, les pauvres, que peuvent-ils faire s'ils n'ont pas de perspectives aussi belles que la Chimie ?

samedi 15 juin 2024

Je déteste les injonctions

 
Un groupe d'académicien produit un texte qui donne des recommandations pour les politiques publiques. C'est truffé d'injonctions, de "on doit" et de "il faut", ces termes que j'interdis dans mon laboratoire. Il n'y a pas de justification,  il n'y a pas de références, mais  seulement l'énoncé de conseils donnés avec toute l'autorité des signataires du texte.
Certes, ces personnes sont (peut-être) compétentes ou prétendent l'être, mais comment une personne raisonnable pourrait-elle accepter des idées sans justification ?
L'argument d'autorité fait le lit de tyrannie, si l'on pousse les choses un peu loin, et je ne crois pas que l'on soit gagnant à l'utiliser dans aucune circonstance.
Certes, ce n'est pas économique d'un certain point de vue car cela impose chaque fois de repartir de zéro, de rebâtir l'argumentation... Mais inversement, c'est aussi la possibilité de tester nous-même que nos idées ont quelques fondements, c'est l'occasion de resserrer nos raisonnements, de nous assurer de ce que nous présentons comme des certitudes.

Bref je ne suis prêt jamais à accepter de telles injonctions sans justification !

vendredi 14 juin 2024

La question des opinions

Dans une revue que je connais, il y a une rubrique pour des articles d' "opinion", et je ne peux m'empêcher d'observer il peut y avoir là le meilleur et le pire.

Une opinion, c'est au fond une opinion... je dis cela en opposant les opinions aux idées, et en imaginant tout le cortège de valeurs implicites qui sont véhiculées par les opinions.

Un esprit acéré voudra sans doute toujours affermir ses opinions sur des analyses critiques, et les transformer en idées. Il ne manquera certainement pas l'occasion, ensuite, de faire état de ses analyses, afin de donner à ses idées une force qui dépasse le café du commerce, le vague sentiments.

A l'inverse, il y a ces opinions qui sont des injonctions, péremptoires, sans démonstration ni même sans monstration, de vagues idées dont on ne peut savoir (puisqu'il n'y a pas d'analyse critique) si elles sont justes au fausses. Des prétentions, des sentiments...

Pour certaines opinions, il faut observer qu'il y a des soubassements cachés ou inapparents : des valeurs, des idéologies. Et je crois que l'honnêteté veut absolument les faire apparaître, les expliciter, en montrer le lien avec les opinions proposées.

En réalité, ce que je déplore, ce sont les opinions paresseuses, les arguments d'autorité, et surtout l'absence d'analyse.
A contrario, ce que j'aime, ce sont des analyses fouillées, patiemment menées, argumentées...  c'est-à-dire en réalité des idées

Finalement, j'observe que la qualité des personnes signataires des opinions se reflète bien dans les textes qu'ils émettent. J'aurais honte de produire une opinion qui ne soit pas en réalité une analyse approfondie, qui ne discute pas chaque terme des idées que je propose et c'est à ce titre que je distingue les opinions et les idées : une idée est quelque chose d'établi sur des bases claires, à l'issue d'un raisonnement serré. Je sais qu'il existe des textes d'opinion émis de façon volontairement obscure, mais il s'agit là d'un type de communication que je cherche toujours à dénoncer, car il s'apparente à une tyrannie, ce que les Lumières n'admettent pas.

Accueillir un stagiaire ? Une question d'amélioration, comme toujours

Alors qu'arrive dans notre groupe de recherche un nouveau stagiaire, ce que nous nommons un nouvel ami, se pose une fois de plus la question de son accueil : comment l'équiper pour qu'il puisse correctement faire son stage, ce qui,  d'après les textes officiels, consiste à transformer ses connaissances en compétences ?

Dans un laboratoire de chimie, c'est un fait d'expérience, sur des décennies, que les stagiaires les plus jeunes ont eu très peu de séances de travaux pratiques et sont très ignorants (adjectif factuel, non critique) non seulement des règles de sécurité mais des conséquences des gestes qu'ils peuvent faire.

On peut croire qu'il y a des évidences, telles que ne pas pipeter en aspirant les liquides avec la bouche, mais que fait-on quand on ignore l'existence des "pipettes pasteur" ou des autres systèmes inventés pour éviter les risques associés à la pratique ancienne ?
On peut croire qu'utiliser une verrerie, c'est comme utiliser un verre à table, mais il n'y a pas n'y a-t-il pas lieu d'être un peu plus prudent quand la verrerie est emplie d'un acide concentré ou d'un solvant organique dangereux ?

En réalité, chaque geste doit être réfléchi du point de vue de la sécurité, de la qualité, toutes choses qui n'ont jamais été ni enseignées (connaissances) ni mises en œuvre dans des séances préparatoires (compétences). Bref, nos jeunes amis sont quasi ignorants de la chimie telle qu'elle se pratique dans un véritable laboratoire, et je ne parle pas des questions de microchimie qui ne sont quasiment pas évoqués dans les établissements d'enseignement secondaire ou supérieur ;  je ne parle pas de l'utilisation des cahiers de laboratoires, que nos amis n'ont jamais rencontré, je ne parle pas de l'usage des balances de précisions, qui sont notre pain quotidien, je ne parle pas du maniement des blouses, et ainsi de suite.

On a compris que mon constat n'est pas une critique mais simplement un ensemble de faits, un constat donc sur lequel doit s'ériger l'accueil que nous préparons : il s'agit dans un temps assez bref de rendre nos amis capable de se lancer dans des travaux expérimentaux, puisque c'est ça qui est réclamé par les textes officiels.

En outre, nous voyons nous arriver de jeunes amis qui n'ont pas toujours reçu ou entendu des conseils méthodologiques essentiels sans lesquels ils ne feront jamais rien de bon, qu'il s'agisse de la pensée, de la communication écrite, de la communicationorale, du calcul...  S'ils doivent faire des travaux un peu intelligents, de qualité, il y a lieu qu'ils soient équipés également de ce point de vue.

Au total il y a une foule d'information à leur donner avant qu'ils puissent faire quoi que ce soit et j'ai évidemment bon espoir, car certains d'entre eux sont avides de bien faire, sont avides de documents qui les aident, de conseil qu'ils peuvent mettre en œuvre.
Là, il n'est pas question de se livrer à des injonctions mais au contraire il faut donner beaucoup d'explications, beaucoup de justifications, pour faire accepter non pas des règles mais des idées qu'il décideront eux-mêmes de mettre en œuvre mieux que des règles qu'on leur imposerait.

Tout ce qui précède, c'est le socle sur lequel je bâtis l'accueil de nos nouveaux amis mais l'accueil de l'un d'entre eux aujourd'hui me conduit à m'interroger sur cette manière de faire. Est-elle raisonnable ? Est-elle censée ? Est-elle intelligente ?
Ou plus exactement comment pourrions-nous l'améliorer ?

Pour répondre à cette question, il faut identifier ce qui a coincé par le passé. Bien sûr, nous n'avons pas eu toujours des interlocuteurs capables de bien tout comprendre ce qui leur était transmis... mais je donne là une mauvaise excuse, car j'ai une obligation de résultats, et pas de moyens.

Je suis bien conscient que la masse  d'information qu'ils reçoivent à leur arrivée est excessive, et là,  je comprends qu'il y a lieu de ne pas tout grouper en une seule fois, mais qu'il faut sans doute y revenir en distillant un peu plus les informations.
Naguère je prenais une journée complète pour tout expliquer mais je comprends que ce n'est pas une bonne façon de faire et qu'il faudra répartir sur plusieurs jours l'ensemble des explications. Et il me reste à aller consulter nos anciens amis pour qu'ils me donnent des idées supplémentaires que je  pourrais ensuite analyser afin de rénover mes pratiques.

Une amélioration doit être constante !

Les références dans un article ? Il y a le meilleur et le pire selon le comportement de celles et ceux qui les donnent.



Dans un article scientifique, tout doit être justifié : pour chaque fait que l'on cite, on doit donner la référence à l'article publié par la personne qui a établi le fait ; pour chaque idée publiée, il doit y avoir la référence aux personnes qui l'ont proposée et ainsi de suite : tout doit être référencé.

C'est là une manière élémentaire de faire des publications scientifiques ou technologiques, et il n'y a pas lieu d'en discuter en toute généralité, sauf à observer que bien trop souvent, les citations ne sont sont ni éthiques, ni bien faites.
Une manière déplorable de donner des références consiste à citer le premier texte qui passe et qui discute des points que l'on veut établir. C''est non seulement un travail de feignant,  mais c'est aussi malhonnête : il faut vraiment qu'une référence que l'on cite établisse vraiment l'idée qui vient à l'appui de la référence. Evidemment !
De surcroît,  il n'est pas éthique de faire ainsi car on prive les auteurs véritables de la paternité de leur travail, ce qui peut avoir des conséquences sur leur carrière par exemple : en ces temps où les avancements sont souvent décidés par le nombre de citations, d'articles et cetera, il faut créditer celles et ceux qui le méritent.

Un autre cas déplorable : la citation de mauvais articles, sans évaluation critique de ces derniers. Là, non seulement on ne rend pas service au lecteur (que l'on guide vers de mauvais textes), mais de surcroît, on endosse en quelque sorte la responsabilité de la médiocrité des articles que l'on cite. A éviter absolument si l'on tient un minimum à sa réputation, ou, mieux,  à l'estime qu'on a de soi-même.

Dans les cas pathologiques, il y a l'absence de citation bien sûr, mais elle devrait constituer une sorte de barrage à la publication des articles dans les revues de bonne qualité.  

Levons le nez, regardons le ciel bleu : la recherche bibliographique est un acte de science, en ce qu'il permet de bien voir le paysage scientifique. Et creuser jusqu'aux vrais faits bien établis réserve toujours des surprises. Ayant passé de longs moments à vouloir comprendre ce mythe de Louis Pasteur "découvrant la chiralité", j'ai trouvé bien mieux que l'admiration naïve d'une statue qui avait été érigée de façon indue : le merveilleux paysage des travaux qui ont conduit à la notion moderne (que n'avait pas Pasteur, puisqu'il n'avait pas l'idée de molécules) de chiralité. Et c'est ainsi que l'on a raison d'admirer Jean-Baptiste Biot et bien d'autres. 



Voir https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-note-de-recherche-des-cristaux-dauguste-laurent-et-des

mercredi 12 juin 2024

Un début d'explication à propos de la coagulation du blanc d'oeuf

Pourquoi le blanc d'un œuf qui cuit devient-il opaque ? Pourquoi, initialement liquide, devient-il un solide mou ?


L'œuf qui cuit se transforme  ? Le blanc,  qui est initialement jaune tirant vers le vert, visqueux avec différentes zones de viscosités différentes, devient solide, opaque et blanc (en lumière blanche) ; le jaune, qui est initialement orange, également liquide et visqueux, prends une couleur jaune plus claire et solidifie également, devenant un peu sableux... en tout cas quand on cuit l'oeuf dans l'eau, comme un oeuf dur.
Pour un tel traitement thermique (et pour les autres traitements que nous ne considérerons pas ici), il y a de quoi s'émerveiller, notamment quand on sait  que le blanc est fait de 90 % d'eau et le jaune de 50 % d'eau (pour le jaune, 35 % étant majoritairement des lipides, également liquides, donc).

Pourquoi donc les transformations de l'œuf, lors d'un traitement thermique ? Pourquoi la coagulation ? Avec les "oeufs à 6X°C", que j'ai proposés dans les années 1990, on voit que l'oeuf dur est loin d'être le cas général, mais je renvoie  vers mon livre Mon histoire de cuisine pour cela.
Ici, je me veux me limiter à considérer la coagulation la plus simple du blanc d'oeuf, qui de liquide devient un solide mou, et de transparent et jaune devient blanc... quand il est éclairé en lumière blanche.

Le blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines : on en connaît aujourd'hui plus de 300, dont les principales sont les ovalbumines. Supposons donc un "modèle simplifié" de blanc d'oeuf, avec 10 % d'une protéine particulière, globulaire, dans 90 % d'eau. Pour les besoins de la comparaison, nous supposons que la séquence de la protéine comporte plus de deux résidus de cystéine, avec, par conséquent, plus de deux groupes thiols -SH, qui partent latéralement de la chaîne protéique (les autres groupes latéraux sont également intéressants, mais restons-en là).
Si l'on chauffe une telle solution, les molécules d'eau gagnent en vitesse moyenne, tandis que les protéines sont plus ou moins "dénaturées", ce qui correspond à un changement de leur forme et, donc, de leur surface, avec des possibilités différentes d'interagir avec des molécules voisines par des forces de van der Waals, des liaisons hydrogène, des ponts disulfure, des interactions électrostatiques... Je n'évoque pas de liaisons covalentes, parce que l'expérience que j'ai présentée ailleurs et que j'ai publiée pour la première fois en 1987, à propos de "décuisson" des œufs, avait établi que les ponts disulfure sont les liaisons les plus fortes qui lient les protéines, par les résidus de cystéine, donc. Il faut imaginer que les protéines dénaturées, dans des conditions oxydantes, forment des ponts de sulfures, ce qui engendre un réseau continu et l'emprisonnement des molécules d'eau dans le réseau continu formé, ce qui correspond donc à la formation d'un gel.

Mais on observera qu'une telle description est un peu simpliste, car un gel dont le réseau serait fait de "fils moléculaires" que sont les protéines serait transparent, et non opaque. C'est bien ce que l'on observe pour des blancs d'œufs cuits à 62, 63, 64 ou 65 degrés : ils sont encore légèrement laiteux et translucides,  alors des œufs cuits à plus de 65 ou 66 degrés deviennent opaques,  l'opacité augmentant avec la température de cuisson.
Pour interpréter ce phénomène, il faut se souvenir de l'idée suivante : un poteau planté verticalement ne perturbe que très peu la houle,  alors qu'une vaguelette rebondirait contre le poteau. Toute la différence tient dans la comparaison du diamètre du poteau et  de la longueur d'onde de l'onde qui interagit avec lui. Pour la lumière, les tailles à considérer sont les longueurs d'onde de la lumière, et l'épaisseur des éléments de maille du réseau coagulé.  Avec une protéine unique faisant la maille, le diamètre des éléments de réseau serait de quelques liaisons covalentes (disons 5 nanomètres), à comparer avec plusieurs de centaines de nanomètres pour la lumière visible : un gel dont l'élément de réseau serait un unique "fil protéique" serait donc transparent.
Ainsi, si le blanc d'oeuf devient opaque, c'est les protéines forment un réseau plus épais. Une piste : calculer quel volume de gel on peut obtenir si les protéines s'étendent complètement pour former un réseau cubique, par exemple (pour un ordre de grandeur), en supposant l'eau suffisante pour emplir tout le gel : on voit que c'est bien plus que les quelque 40 centimètres cubes d'un blanc d'oeuf coagulé !  
Avec cette analyse, nous sommes rapidement passés sur la solidification du blanc d'oeuf (la "coagulation"), en signalant que les protéines s'enchaînaient en un réseau continu. S'il y a un réseau continu, il n'y a plus d'écoulement, et c'est donc un solide que l'on obtient. Mais évidemment un solide mou,  puisqu'il est faite 90 % d'eau.  Un tel solide peut se déformer car la maille se déforme aussi tandis que les molécules d'eau peuvent bouger.


mardi 11 juin 2024

De bons professeurs pour les débutants ?



Je connais au moins deux très bons musiciens qui ont écrit qu'il faut surtout d'excellents professeurs pour les débutants. Dit ainsi, cela paraît logique, car ce sont les bons professeurs qui donneront des conseils avisés que les élèves pourront suivre...

Mais... Est-ce une idée juste ? On se souvient que j'ai souvent discuté la question des professeurs : je maintiens qu'il faut du travail, plus que des professeurs. A quo les professeurs servent-ils ? Peuvent-ils vraiment nous aider ? Ou bien devons-nous toujours faire des erreurs et les surmonter pour grandir ?

Plus généralement, quel est le rôle d'un professeur ? La question n'a pas été posée par les deux musiciens qui ont usé de leur autorité pour nous dire ce "Il faut", que je récuse. Il ne faut rien, sauf ce que je décide.

D'ailleurs, pour ce qui concerne la musique, je connais au moins un grand flûtiste qui  a appris par lui-même, sans professeur. En alsacien, on dit "D'Uewung macht d'Maischter", l'exercice fait le maître. Et en français : quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
Alors ?

Surtout, la notion de "bon professeur", au singulier, doit interroger : le bon professeur pour une personne ne particulier est-il bon professeur pour une autre personne ? Je ne le crois pas, d'expérience.

Et, pour terminer, le voeu de nos deux musiciens initiaux est peut-être "pieux"... car quel Rostropovitch, quel Tortelier, quel Maurice André acceptera-t-il de détourner son temps pour aller "border des enfants dans leur lit", les tenir par la main, longuement, patiemment ? Et mieux, seraient-ils de "bons professeurs" ?

Bref, je suis loin d'être convaincu à la déclaration de nos deux musiciens et je propose plutôt que nous rassemblions des conseils utiles, que nous mettrions à la portée de tous, sur un internet dont nous disposons maintenant.
Certes, certains ont besoin d'enthousiasme, et c'est aussi cela que donnent des professeurs. Le goût d'étudier, et un chemin proposé pour les travaux, les études que seul l'étudiant peut faire.

Pour les sciences, qui m'intéressent plus que la musique, il y a eu ce cas merveilleux de Richard Feynman, physicien lauréat du prix Nobel, qui a pris sur son temps pour aller faire une série de conférences dans les universités américaines, ce qui a donné lieu un très beau livre de physique. Il reconnaissait, a posteriori, que ces conférences étaient peut-être inutiles : elles passaient au-dessus de la tête des moins bons des étudiants, et elles étaient inutiles pour les meilleurs, qui étudiaient par eux-mêmes.

Mais, j'y reviens : à l'heure d'Internet, il est peut-être plus intéressant de disposer de films de très grands professeurs dont nous ferons notre miel.
D'ailleurs, Michel Debost, flûtiste, a  l'honnêteté de dire que quelle que soit la façon de faire, si elle nous convient, alors c'est la bonne. En musique, on se souviendra également du pianiste Glenn Gould,  qui jouait  ou mépris de toutes les règles, sur une sorte de petit tabouret qui faisait hurler tous les pédagogues. Il est souvent répété pour la flûte que l'embouchure devait être parfaitement centrée, mais on a vu nombre de grands flûtistes mettre l'embouchure en biais, sur le côté, parce que la forme de leurs lèvres se prêtait mieux à cette position. De même pour le violoncelle,  il faudrait une tenue particulière... qui n'est certainement pas celle d'un d'un artiste tel que Yoyo Ma, qui joue couché en arrière.

Reste-t-il des conseils certains ? Récemment, j'ai vu en ligne les carnets de Richard Feynman, et j'ai vu qu'il écrivait en majuscules... ce qui ralentit. Et, d'autre part, j'ai vue les cahiers de Pierre-Gilles de Gennes, parfaitement calligraphiés : encore une façon de se ralentir, de se laisser penser avant d'écrire ce qui est peut-être faux. On se dit que, ainsi, on évite des confusions de signes, on se laisse le temps de penser... Il faudrait maintenant croiser cela avec les cahiers d'autres grandes scientifiques du passé avant d'en tirer des conclusions... que nous pourrions alors "enseigner".

lundi 10 juin 2024

Des questions à propos de matières grasses

Je reçois des questions que je livre sans modification : 
 
1. En quoi la lécithine (1,2-diacylglycérol) est-elle différente des triacylgycerides ? Est-elle plus efficace à certains aspects que ceux-ci ?

2. Lorsqu’on chauffe du beurre de vache, puis qu’on le laisse durcir à nouveau la structure et le goût est totalement différent. Quel a eu comme impact ce changement d’état sur la structure du beurre ?

 

Commençons par la première, et en observant tout d'abord que l'on ne peut pas parler de  "la" lécithine. Et, d'ailleurs,  "1,2-acylglycérol" n'est pas un composé unique, mais toute une série de composés, voisins certes mais différents.
Bref, il y a LES lécithines, et les 1,2-acyglycérols. Et les lécithines sont très différentes des triglycérides. Tout cela est détaillé dans ma fiche encyclopédique, sur le site de l'Académie d'agriculture : https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q16-les-lecithines

En quoi les lécithines sont-elles différentes des triglycérides ? Les triglycérides sont les composés des matières gras, des huiles, pas du tout tensioactifs. En revanche, les lécithines sont des tensioactifs (par exemple). Et leur structures moléculaires sont bien différentes. Pour les triglycérides, il y a un résidu de glycérol lié (chimiquement) à trois résidus d'acides gras. Pour les diacylglycérols, il y a un résidu d'acide gras lié à deux résidus d'acides gras. Et, pour les lécithines, c"est un phosphoglycéride, avec un groupe phosphate très essentiel, puisqu'il est électriquement chargé, et permet une bonne solubilité dans l'eau. 

J'ai demandé à mon interlocuteur ce qu'il par "efficacité"  : efficacité en vue de quelle action ? Il m'a répondu que "On ajoute souvent de la lécithine dans certains produits comme le chocolat ou de plus en plus en substitut de matières grasses ou œufs dans les recettes dites Vegan". 
Et là, je l'ai à nouveau repris : je me refuse de parler de "la" lécithine, car on il y en a de nombreuses : les résidus d'acides gras peuvent être courts, longs, saturés, insaturés... 
Cependant, les lécithines sont de bons tensioactifs, à savoir qu'ils favorisent la dispersion du sucre dans la matrice grasse du chocolat (le beurre de cacao). Pourquoi l'utiliser, me demande-t-on ? Parce que l'on dépense moins d'énergie ! En pratique, l'opération de conchage, très gourmande en énergie, est facilitée, raccourcie, et cela n'est pas rien dans une industrie. Pour le chocolat, l'effet des tensioactifs se voit au conchage : une meule qui tourne dans du chocolat fondu où l'on ajoute du sucre a beaucoup de peine, tourne lentement, mais si l'on ajoute des lécithines (il faut dire "des lécithines", pas "de la lécithine"), alors elle tourne bien plus facilement, consomme bien moins d'énergie.
Et le "vegan" ? Pas sûr de vouloir m'intéresser à cela, de sorte que je ne réponds pas sur ce point : il faudrait que je passe du temps à examiner la chose, et je propose que mon interlocuteur interroge des personnes qui seraient versées dans la chose;


Pour le chauffage du beurre, la question initiale est vague, car de quel type de chauffage nous parle-t-on  ? On me répond que l'on fondrait les deux matières... et cela bien plus facile de répondre, car le beurre contient de l'eau, alors que le chocolat n'en contient pas (ou excessivement peu). Quand on fond le beurre, la matrice grasse libère le "petit lait", de sorte que le refroidissement conduira à une toute autre structure, ce qui n'est pas le cas du chocolat. 

 

vendredi 7 juin 2024

La retraite ? Pourquoi ?

Je m'étonne de voir mes amis de mon âge partir les uns après les autres en "retraite". 


L'un d'entre eux suit des cours d'histoire de l'art,  l'autre part en voyage, le troisième apprend le chinois... Je ne parviens pas à m'empêcher de penser qu'ils font des choses très inutiles pour meubler la vacuité de leur existence. 

Mais surtout, pourquoi partent-ils en retraite ? Ceux qui travaillaient dans l'industrie avait des contraintes dont on pouvait penser qu'elles pouvaient être pesantes : des réunions interminables, ennuyeuses, des horaires mangeant leur sommeil, des transports fatigants... 

 

Mais pour les scientifiques ? Pourquoi arrêter ? Pourquoi arrêter de faire quelque chose de si merveilleux ? Et puis s'arrêter pour faire quoi ? Bien sûr, on a le droit d'aimer plusieurs choses à la fois, par exemple la science et la musique, mais si la science nous plait plus que la musique, si l'on a conclu que c'était la science que l'on aimait le plus, pourquoi  ne plus en faire ? 

Pour moi, c'est clair : m'arrêter de faire de la recherche scientifique, ce serait me condamner à faire moins passionnant que ce que je fais. Bien impossible ! 

On ira mon texte sur le "château de la science", inspiré du texte d'Einstein sur le temple de la science, pour comprendre que nombre de mes amis qui partent en retraite étaient comme des marchands du temple, et l'on ne doit pas s'étonner que leur carrière scientifique ait été si mince. 

 A l'inverse, j'aime beaucoup Jean-Marie Lehn qui, à plus de 80 ans, va au laboratoire tous les matins, et continue de faire avec passion cette science si merveilleuse qu'est la chimie.

jeudi 6 juin 2024

A propos d'enseignement : sommes-nous condamnés à rabâcher ?

 Sommes-nous condamnés à rabâcher, quand nous parlons à nos jeunes amis ? D'abord, nous n'avons pas raison de vouloir parler, dire les choses, au lieu d'inviter nos amis à le découvrir dans des directions que nous pourrons leur indiquer. Mais, surtout, c'est à nous d'y mettre de l'intelligence, laquelle n'est pas la morne répétition. 

Alors qu'arrivenr le nouveau stagiaires au laboratoire, les 300 ou 400-ièmes, je suis en mesure de leur donner des documents rédigés sur les divers points qu'ils doivent apprendre, tels que  peser, d'utiliser un Soxhlet, tenir un journal, faire une présentation orale, et cetera. 

Grâce à ces documents, rédigés et améliorés au fil des années, je n'ai plus à me répéter, et je peux me limiter à les inviter à lire les documents et à m'en faire des commentaires pour que je puisse produire des améliorations. 

Pourtant, ce sont toujours les mêmes erreurs qui arrivent... ou presque. 

Par exemple, dans une recherche biographique, un de nos amis trouve une thèse faite dans un pays scientifiquement faible, un article en français également dans un journal très confidentiel, un article dans une revue prédatrice : la faute classique était de chercher de la bibliographie en français, langue où ne se font généralement pas les publications scientifiques de qualité sauf exception (par exemple pour les mathématiques).
 

Plus en détail, j'analyse pour mon ami plus jeune que moi que la thèse comporte des fautes d'orthographe dès la première page et  remercie dieu dans la seconde  : cela n'est pas "professionnel". Mais, surtout, dans cette thèse, c'est  l'absence de références correctes à de bonnes revues, en anglais, qui doit nous conduire à douter de la qualité du document. Là, je suis heureux de renvoyer mon ami plus jeune vers le cours que j'ai publié précisément pour aider à reconnaître les bons et les mauvais articles : https://hal.inrae.fr/hal-04393274/document. 


Pour la revue confidentielle, il était plus difficile de se méfier et c'est seulement par l'absence de comité de lecture et d'évaluation par les pairs que l'on peut avoir une indication de la médiocre qualité a priori les articles publiés dans cette revue.


Enfin, j'arrive au dernier point : il y a du nouveau avec les revues prédatrices,  qui n'existaient pas il y a quelques années. Ces publications sont nées à la faveur du mouvement de publication ouverte : des malhonnêtes ont cherché à gagner de l'argent sur le dos de la recherche scientifique en publiant des articles sans mettre en œuvre tout l'arsenal de contrôle qui s'impose. Progressivement, elles ont été dénoncées, et l'on en est arrivé à la situation actuelle où les institutions scientifiques ont  tout à fait légitimement interdit à leurs chercheurs de publier dans ces revues.
Mais que faire quand des articles de qualité ont échoué dans ces revues, alors qu'on n'avait pas encore identifié leurs agissements ? Il nous reste seulement à bien lire, et, sans doute, à éviter de les citer, sous peine d'être crédité d'un travail médiocre. 

Et cela est nouveau : décidément, pas question de rabâcher !

lundi 3 juin 2024

À propos de vignes et de vins

Je reviens de deux jours passionnants de colloques que je contribuais à  organiser à Colmar, d'abord avec l'Académie d'Agriculture de France, puis  avec l'Académie d'Alsace. Le thème était : la vigne et le vin demain

En effet, dans ces temps de changement climatique, on voit clairement les dates des vendanges avancées, notamment en Alsace, et aussi les différents stades de la vigne évoluer.
Cela conduit à des évolutions nécessaires de la conduite de la vigne et de la vinification. 

Mais d'autres contraintes se sont ajoutées,  à savoir le souhait des amateurs de vin d'avoir des breuvages un peu moins chargés en alcool, un peu moins chargés en sucres, et la volonté publique de réduire les intrants moléculaires, pesticide ou divers traitements de la vigne. 

Il y a de cela quelques temps, la station INRAE de Colmar avait étudié la modification génétique de la vigne pour la faire résister aux maladies mais un salaud, un malfrat les a arrachées, ruinant des dizaines d'années de travail du service public, anéantissant le travail de thèse de plusieurs doctorants, et je ne comprends pas pourquoi encore cet homme n'est pas en prison pour une longue durée. 

Mais les chercheurs INRAE se sont aussitôt remis au travail et ont cherché des croisements de vignes, pour  identifier des gènes de résistance aux principales maladies, que sont le mildiou, le court nué, par exemple, et c'est ainsi qu'ils ont réussi à identifier de tels gènes et que sont en cours des programmes de recherche et de sélections pour arriver à des vignes résistant aux maladies. 

D'autre part, les biologistes ont progressivement appris à mieux connaître les micro-organismes du sol, et leur symbiose avec la ligne, ce qui permet à cette dernière de croître dans de meilleures conditions. Se pose aujourd'hui la question d'inoculations dans le sol et en tout cas de meilleur conduite du sol pour des vignes en bonne santé, alors que celles-ci souffriront à la fois de grandes périodes d'humidité  et de grandes périodes de sécheresse. 

Avec des travaux sur l'effet de l'alcool sur la santé et des études sur les évolutions de la consommation, voilà un joli bouquet de conférences qui nous a été offert  le vendredi 31 mai, alors que l'Académie des agriculture de France était en "visite". 

Puis tout notre petit monde est parti en face, au centre INRAE de Colmar, où nous avions organisé une visite des serres et des vignes expérimentales, avant une dégustation des vins des nouveaux cépages résistant aux maladies. 

Le soir, en plein centre de Colmar, et sur l'invitation de la mairie, l'Académie d'Agriculture de France et l'Académie d'Alsace organisaient un débat entre Marion Guillou, ancienne présidente d'INRAE et actuel présidente de l'Académie d'Agriculture, et Jean Robert Pitte, président d'honneur de la Conférence nationale des académies. 

Le lendemain, l'Académie d'Alsace organisait une rencontre avec toutes les académies de l'est, toujours sur le thème de la vigne et du vin demain

 

Au total, deux jours parfaitement stimulants dont on espère qu'ils inspireront  les plus jeunes, notamment les étudiants de l'IUT de Colmar, mais aussi les jeunes en stage ou en thèse à l'INRAE. Il était extraordinaire de voir un groupe tellement en phase, qu'ils agisse des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des politiques et des journalistes.

dimanche 2 juin 2024

Un chat est un mammifère, mais un mammifère n'est pas nécessairement un chat !

 Phénols, oligophénols, polyphénols, tanins
C'est la grande confusion : les sommeliers parlent de "tanins" sans les avoir vus dans les vins, les chimistes imparfaitement rigoureux parlent indûment de polyphénols... et le public est perdu. Pourtant, ce n'est pas si compliqué !

Commençons par "le" phénol : c'est un composé qui se présente sous la forme d'un liquide transparent, dans les conditions ambiantes. Ses molécules sont faites de six atomes de carbone formant un cycle hexagonal, avec un des atomes de carbone lié à un atome d'oxygène, lui-même lié à un atome d'hydrogène. Le motif atome d'oxygène-atome d'hydrogène est nommé "groupe hydroxyle".

Quand le cycle hexagonal porte d'autres groupes hydroxyles, la molécule est un diphénol, triphénol, etc. Globalement, ce sont des "oligophénols", du mot grec "oligo" qui signifie "peu".

Et l'on peut compliquer la situation, comme dans les "anthocyanes", les composés qui font les couleurs des fruits et des fleurs : il y a au moins un motif à six atomes de carbone, et plus d'un groupe hydroxyles, de sorte que ce sont encore des oligophénols.

Et les "polyphénols" ? Il faut plus de 10 groupes hydroxyles, comme, par exemple, dans cette "lignine" qui durcit les bois.

Les tanins, enfin, sont des composés phénoliques particuliers, en cela qu'ils "tannent", à savoir qu'ils se lient aux protéines, notamment, pour faire des cuirs résistants. Il y en a plusieurs sortes, et ce sont souvent des oligophénols, parfois des polyphénols.

L'ensemble de ces composés : ce sont les composés phénoliques. Mais les diverses catégories ne sont interchangeables, et, si un chat est bien un mammifère, tous les mammifères ne sont pas des chats !