Des collègues publient un article où ils parlent de matière sèche. Pourquoi pas, puisque les documents "officiels" utilisent ce terme.
Mais regardons bien les choses : si nous dissolvons du sulfate de cuivre dans de l'eau, puis si nous séchons en chauffant doucement, alors nous obtenons finalement un fond de cristaux bleus. Il n'y a plus d'eau : est-ce la "matière sèche" ? Chauffons davantage, et nous observons un crépitement, et la désagrégation des cristaux bleus, avec une perte de couleur : on récupère de petits cristaux blancs... parce que l'eau de cristallisation des cristaux bleus (qui étaient en réalité du sulfate de cuivre pentahydraté) a été éliminée ; en corollaire, on comprend que le sulfate de cuivre n'était pas "sec", mais seulement séché.
Ce qui est caricaturé ici se retrouve pour des ingrédients alimentaires : si on prend un grain de café vert, on peut le sécher (on voit la masse qui diminue), et, dans des conditions particulières de séchage, on obtient donc une matière... séchée. Mais pas sèche : nous avons eu la surprise de voir un grain de café dont la masse ne diminuait plus après deux ou trois jours... mais nous avons eu une forte diminution après quelques mois.
Bref, je propose de bien parler de "matière séchée dans des conditions particulières" pour la distinguer de la matière sèche.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 23 novembre 2024
Matière sèche, ou matière séchée ?
vendredi 22 novembre 2024
À propos d'analyse descendante
Je prépare la publication d'un cours sur l'analyse des phénomènes. Il s'agit de proposer de faire l'analyses des phénomènes en partant du niveau macroscopique jusqu'au niveau moléculaire.
Dans ce mouvement, il y a une étape par la microscopie, mais il y a surtout une étape indispensable, au niveau supramoléculaire, ce qui correspond à des associations de molécules plutôt qu'à des réactions chimiques élémentaires.
Fréquemment, lors des analyses, cette étape est omise, et c'est dommage parce que c'est la possibilité de mieux comprendre les phénomènes, d'en voir certains mécanismes qui n'apparaîtraient pas si l'on passe directement de la microscopie à la chimie.
Mais il y a aussi cette idée que la chimie est essentielle et qu'on ne doit pas la réduire à une description un peu simpliste. Par exemple, en science et technologie des aliments, certains se débarrassent rapidement des brunissement en invoquant certaines "réactions de Maillard" qu'ils ne comprennent pas bien, qui sont la seule chose qu'ils connaissent, et qui sont une sorte de cache-mièse posé sur un brunissement des aliments, dû en réalité à des causes nombreuses et très différentes.
jeudi 21 novembre 2024
Colloque Vigne et vin demain, le 28 novembre, à l'Académie d'agriculture de France
Colloque « Vin et Vigne demain »
28 novembre 2024
Lieu :
Académie d’agriculture de France, rue de Bellechasse, Paris
(salle des séances pour les interventions, puis bibliothèque pour le déjeuner)
Comité d’organisation
Frédérique Pelsy, Nicole Roskam Brunot, Guilhem Bourrié, Yves Brunet, Hervé This
Le thème du colloque répond à une urgence : l’humanité doit aujourd’hui faire face au changement du climat terrestre. À cette fin, les initiatives politiques à l’échelle mondiale doivent être complétées par des actions individuelles, en vue de stopper les évolutions du climat et de pérenniser l’habitabilité de la planète. Des changements infrastructurels, organisationnels et juridiques sont nécessaires pour évoluer vers un mode de vie à faibles émissions de carbone : il faut apprendre à mieux utiliser l’énergie, mieux construire, mieux gérer l’eau et, surtout, maîtriser la démographie mondiale.
L’agriculture, dont on doit rappeler qu’elle produit nos aliments et qu’elle gère une large partie de notre environnement, fait face à des défis nouveaux. Le climat est évidemment décisif dans les productions agricoles, en termes de quantité comme de qualité. Depuis les débuts de l’humanité, l’adéquation entre climat et agriculture a déterminé le développement culturel et économique des régions, créé des cultures locales et influencé les migrations des populations.
La viticulture est particulièrement sensible à la conjonction entre enjeux agronomiques, économiques et culturels. Depuis des centaines d’années, la culture de la vigne a façonné les paysages des régions viticoles, leurs organisations sociales et la typicité de leurs vins qui résulte de l’adéquation entre la culture de cépages particuliers et des pratiques œnologiques spécifiques. La notion de terroir intègre des paramètres environnementaux, notamment pédologiques et géomorphologiques, dans la délimitation des régions viticoles, selon des cadres juridiques anciens, qui ont perduré jusque dans les textes de l’Union européenne.
Certes, l’agriculture en général et la viticulture en particulier contribuent aux émissions de gaz à effet de serre et à la pollution de l’environnement, mais, en stockant le carbone, les plantes et les sols atténuent ces émissions. En France, les pratiques viticoles sont strictement encadrées avec notamment la reconnaissance de conditions mésoclimatiques (régionales), la délimitation des terroirs, la spécification des cépages autorisés, des méthodes culturales et des types de produits conférant des identités régionales et locales.
Dans un tel contexte, les études de l’effet des changements climatiques sur la viticulture prennent une importance particulière. Le changement climatique mondial n’étant pas encore évident pour beaucoup (malgré des signes d’accélération évidents), il est essentiel de convaincre l’ensemble du secteur qu’une réaction immédiate est nécessaire. L’urgence résulte notamment du fait que les plantations d’aujourd’hui préparent la viticulture des prochaines décennies, quand les effets du changement climatique seront bien plus prégnants que ceux observés aujourd’hui.
Le programme du Colloque :
9.00
Introduction Philippe Mauguin, président directeur général d’INRAE
9.30-10.15 (30 min + 15)
Nathalie Ollat (INRAE, ISVV, UMR EGFV, Bordeaux) : La viticulture face au défi du changement climatique
Q/A
10.15-10.45 (20 min +10)
Thierry Simonneau (INRAE, UMR LEPSE, Montpellier) : Maîtriser les besoins en eau de la vigne pour faire face aux contextes de demain.
Q/A
10.45-11.15 (20 min + 10)
Lionel Ranjard (INRAE, UMR Agroécologie, Dijon) : La microbiologie des sols au service d’une viticulture durable
Q/A
Pause
11.25-11.55 (20 min + 10)
Guillaume Arnold (INRAE, UMR SVQV, Colmar) : Les variétés de vigne pour demain
Q/A
11.45-12.15
Marc-André Selosse (MNHN, UMR ISYEB, Paris): Des microbes pour soigner et protéger la vigne
Q/A
12.30-14.00 Buffet sur place (bibliothèque), sur inscription
14.00-14.30
Philippe Darriet (Université de Bordeaux, ISVV, UMR Oenologie) : Quels vins demain ?
Q/A
14.30-15.00
Vin et santé Nutrition
Q/A
15.00-15.30
Jean-Marie Cardebat (Université de Bordeaux, ISVV, UMR BSE) : Quelles évolutions à venir pour le marché mondial du vin ?
16.00
Synthèse, Frédérique Pelsy, ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar
16.30
Conclusion (le « bouquet du vin »), Hervé This, membre de l’Académie d’agriculture de France
Les intervenants et les interventions, en détail :
Philippe Mauguin : Introduction
Philippe Mauguin est président directeur général d’INRAE et membre de l’Académie d’agriculture de France
Nathalie Ollat (INRAE, ISVV, UMR EGFV, Bordeaux) : La viticulture face au défi du changement climatique
Résumé de l’intervention : Des températures moyennes plus élevées et des précipitations aléatoires, avec des extrêmes toujours plus marqués, des aléas climatiques successifs ou combinés, avec des conséquences secondaires importantes sur la fertilité de sols et l’environnement biotique. Même si le changement climatique a pu avoir, jusqu’à présent et dans certains vignobles, des conséquences positives, la viticulture doit se préparer à des conditions de production plus complexes et plus variables pour les décennies à venir. Certains vignobles, notamment dans le Sud de la France, pourraient voir leur potentiel se réduire alors que d’autres plus septentrionaux pourraient se développer. L’ensemble de ces changements doivent être anticipés. La nature des impacts déjà avérés et à venir doit être décrite finement et sur un large spectre, notamment en ce qui concerne les sols, les interactions biotiques et les combinaisons de stress. Il est également important de rassembler des connaissances sur les leviers potentiels d’adaptation, qu’ils soient techniques, spatiaux, organisationnels ou réglementaires. L’évaluation de ces leviers doit se faire à l’échelle de la culture, de l’environnement et la durabilité de la production à l’échelle d’une exploitation ou à plus grande échelle. Pour toutes ces études, les approches de modélisation s’avèrent déterminantes. Elles le sont également comme outil d’anticipation pour contribuer à l’accompagnement des acteurs à la définition de stratégies d’adaptation.
Agronome de formation, Nathalie Ollat est spécialiste de la physiologie de la vigne. Elle s’est particulièrement intéressée aux porte-greffes et est actuellement responsable du programme d’innovation variétale « porte-greffe » vigne en France. Elle a coordonné de 2012 à 2021 un programme national sur les impacts et les adaptations de la filière Vigne et Vin française au changement climatique. Elle continue à accompagner la filière dans la mise en œuvre de sa stratégie d’adaptation. Depuis 2018, elle dirige l’UMR « Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne » à l’ISVV, Bordeaux.
Thierry Simonneau (INRAE, UMR LEPSE, Montpellier) : Maîtriser les besoins en eau de la vigne pour faire face aux contextes de demain.
Résumé de l’intervention : Avec la hausse des températures, l’évapotranspiration va continuer d’augmenter dans les vignobles jusqu’à dépasser largement le stockage d’eau de pluie dans les sols, notamment l’été. Des périodes de déficit hydrique vont s’ensuivre et le vigneron va devoir adapter ses choix et ses pratiques dans une perspective d’économie d’eau et de production durable.
Le problème n’est pas tout à fait nouveau pour les vignerons qui cultivent depuis longtemps dans des conditions de contrainte hydrique modérée, souvent favorables à la qualité des vins, notamment les rouges. A ceci s’ajoutent les fortes variations climatiques interannuelles passées qui ont déjà exposé les vignobles à des années exceptionnellement sèches et chaudes. Les solutions adoptées par les vignerons pour y faire face méritent donc d’être examinées. Le référentiel bibliographique s’est également enrichi pour préciser les impacts positifs et négatifs d’une contrainte hydrique plus ou moins sévère. L’ensemble permet d’affiner la notion de parcours hydrique idéal, c’est-à-dire l’évolution idéale du contenu en eau du sol qui permet d’atteindre des objectifs de production donnés.
Pour suivre ce parcours hydrique idéal dans un contexte pédoclimatique soumis à imprévus, le vigneron peut revoir ses objectifs de production et adopter des systèmes de conduite économes en eau. Il peut aussi augmenter la disponibilité de l’eau avec une gestion du sol adaptée. Enfin, quand les apports par irrigation sont possibles, il importe là encore de choisir des techniques économes en eau et toujours ajustées à l’objectif de production.
Différents leviers sont donc actionnables pour maîtriser les besoins en eau au vignoble, y compris à la plantation, avec des conséquences plus ou moins immédiates, réversibles ou durables. Les leviers à mobiliser sont à raisonner de manière systémique, sur de longs pas de temps, au sein de paysages complexes et multi-acteurs, où l’usage de l’eau est compétitif, réglementé et évolutif.
Thierry Simonneau a étudié à l’INA Paris-Grignon (devenu AgroParisTech) et est aujourd’hui directeur de recherche INRAE au Laboratoire d’Ecophysiologie des Plantes sous Stress Environnementaux, à Montpellier, où il conduit des recherches sur l’utilisation de l’eau par les plantes. Depuis une dizaine d’années, il anime une équipe composée de cinq autres chercheurs INRAE ou enseignants-chercheurs de l’Institut Agro qui étudient plus particulièrement la vigne dans le but d’adapter les vignobles au changement climatique. A ce jour, Thierry Simonneau a publié près de 70 articles scientifiques qui vont de l’étude de gènes impliqués dans l’économie d’eau par les plantes, jusqu’à la détection d’une contrainte hydrique sur les vignes par imagerie hyperspectrale ou de l’impact de vagues de chaleur par satellite. Ses travaux récents ont montré qu’il était possible d’améliorer l’efficience d’utilisation de l’eau au vignoble en sélectionnant des variétés qui transpirent moins la nuit, ou bien en taillant et en palissant la vigne pour maximiser le pourcentage de feuilles exposées au soleil, ou encore en pilotant l’ombre portée par des panneaux photovoltaïques mobiles pour atténuer les pics de transpiration. Dernièrement, il a coordonné la rédaction d’un chapitre d’ouvrage à paraître sur la gestion de l’eau dans les vignobles (Simonneau T., Van Leeuwen C., Coulouma G., Saurin N., Lajeunesse I. (à paraître) La gestion de l’eau. In : La vigne, le vin et le changement climatique, QUAE Editions).
Lionel Ranjard (INRAE, UMR Agroécologie, Dijon) : La microbiologie des sols au service d’une viticulture durable
Résumé de l’intervention : La viticulture est un secteur d‘activité agricole stratégique pour la France, car elle représente le premier poste exportateur du secteur agroalimentaire pour seulement 3 % de la surface agricole utilisée française. Toutefois elle est aussi une forte consommatrice de produits phytosanitaires avec environ 20 % des pesticides utilisés en France à elle seule, couplé aussi a une forte mécanisation. Tout cela entraîne une dégradation de la qualité des sols, qu’elle soit physique par des processus d’érosion ou biologique par une altération de la biodiversité. Si 80 % du vignoble est en conduite conventionnelle (CV), on note une conversion de 3-4 % par an des surfaces vers des conduites biologique (AB) et biodynamique (BD), non consommatrices de pesticides de synthèse. Toutefois, à ce jour nous manquons encore de connaissances précises sur les impacts de ces conduites sur la qualité des sols viticoles.
Dans ce contexte, le projet EcoVitiSol® est la première étude menée à grande échelle pour évaluer la qualité physico-chimique et microbiologique des sols de vigne cultivés selon différents modes de production (CV, AB et BD). L’originalité de ce projet est d’aborder cette problématique avec des approches participatives en impliquant directement les viticulteurs au sein d’un territoire défini.
A ce jour quatre territoires viticoles ont été investigués : l’Alsace, La Bourgogne du nord (Côte de Nuits, Côte de Beaune), la Bourgogne du sud (Côte Chalonnaise, Mâconnais) et les côtes de Provence. Dans chaque territoire, environ 50-60 viticulteurs ont été impliqués. Chacun a mis à disposition une parcelle sur lesquelles les chercheurs sont venus échantillonner le sol. Les outils modernes utilisés pour évaluer la qualité des sols dans ce projet ont permis de caractériser l’abondance, la diversité et les interactions microbiennes par des approches moléculaires ainsi que la qualité de la matière organique par la technique Rock-Eval® en plus des caractéristiques physico-chimiques classiques (pH, texture, C/N, teneur en Cu…). Cette conférence présentera les résultats obtenus sur l’impact des modes de production sur la qualité physico-chimique et microbiologique des modes de production, et aussi des pratiques de gestion des sols comme le travail du sol, l’enherbement et la fertilisation afin d’identifier les pratiques viticoles les plus durables.
Loïc Ranjard est directeur de recherches à l'INRAE de Dijon dans l'UMR Agroécologie. Il est spécialiste en écologie microbienne du sol et anime des travaux sur la distribution spatiale des microorganismes dans le sol sur de grandes échelles spatiales et sur l'impact des pratiques agricoles sur la qualité microbiologique des sols. Il coordonne différents projets collaboratifs et participatifs dans ce domaine.
Guillaume Arnold (INRAE, UMR SVQV, Colmar) : Les variétés de vigne pour demain
Résumé de l’intervention : La notion de matériel végétal fait référence à l’ensemble des composantes du plant de vignes qui constituent un levier d’adaptation puissant face aux changements climatiques et aux évolutions sociétales.
La vigne cultivée appartient au genre Vitis, ce dernier est composé de plusieurs espèces réparties à l’état spontané en Amérique du Nord et centrale, en Asie et en Europe. La domestication de la vigne à conduit à valoriser la diversité de l’espèce Vitis vinifera par la sélection des variétés les mieux adaptés aux objectifs de productions en fonction des conditions pédologiques et climatiques des vignobles.
L’arrivé du phylloxera marque un tournant dans les stratégies de domestication de la vigne à travers la mobilisation d’autres espèces que Vitis vinifera par la création de porte greffes ou de nouvelles variétés dite hybrides. Progressivement, les avancés scientifiques permettent de mieux comprendre et valoriser la diversité génétique de la vigne. Que ce soit à l’échelle des porte-greffes ou de l’exploitation de la diversité variétale les champs d’investigations sont nombreux. A travers cette présentation nous illustrerons à partir de cas concrets qu’elles sont les possibilités d’adaptations qu’offrent ces différents leviers.
Guillaume Arnold est ingénieur en innovation variétale au sein de l’équipe de génétique et d’amélioration de la vigne d’INRAE Colmar. Il débute ses activités de sélection de la vigne dans les années 2000 auprès du conseil interprofessionnel des vins d’Alsace pour y développer des programmes d’amélioration végétale des principales variétés cultivées en Alsace. Après avoir assuré la responsabilité du service technique, il créé en 2018 sa société de sélection « Synergie Vigne et Terroir » et développe plusieurs projets de collections privées auprès des entreprises des vignobles de France et d’Allemagne, contribuant ainsi à la préservation de plusieurs milliers de génotypes d’intérêts. En 2021 il rejoint INRAE pour poursuivre et développer des programmes de créations variétales avec pour objectif de réduire drastiquement l’usage des produits phytosanitaires tout en maintenant un potentiel qualitatif et une adaptation aux évolutions climatiques. Guillaume Arnold est ingénieur diplômé d’état dans la spécialité « agriculture », à travers ses expériences il propose une vision intégrative de la sélection à travers la valorisation des ressources génétiques de la vigne pour créer les variétés de demain.
Marc-André Selosse (MNHN, UMR ISYEB, Paris): Des microbes pour soigner et protéger la vigne
Résumé de l’intervention : La vision des plantes comme holobiontes, c’est-à-dire avec l’ensemble de leur microbiote (bactéries, champignons et virus) dans leur physiologie et leur adaptation, s’applique bien sûr à la vigne. Elle inclut les champignons et les bactéries mutualistes associés aux racines, aidant à la nutrition et à la défense contre les agressions du sol. Leur présence a une influence systémique qui se répercute jusque dans les parties aériennes et les baies, par exemple dans la teneur et la composition tannique. Les parties aériennes sont aussi accompagnées de microbes, des feuilles aux baies (mais, bien qu’on crédite ces derniers de contenir les levures « spontanées », celles-ci proviennent plutôt de l’environnement de la cave). Nous devons adapter nos itinéraires techniques, surtout dans un contexte d’usage de pesticides pour lutter contre les maladies de la vigne, à la présence du microbiote. Celui-ci pourra être spontané ou introduit (en particulier pas pulvérisation foliaire) pour capitaliser sur le rôle de la symbiose dans la gestion du vignoble.
Marc-André Selosse est professeur du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris et aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine), où il dirige des équipes de recherche. Ses travaux portent sur l’écologie et l’évolution des associations à bénéfices mutuels (symbioses). Mycologue et botaniste, il travaille en particulier sur les symbioses mycorhiziennes qui unissent des champignons du sol aux racines des plantes. Président de BioGée, membre de l’Académie d’Agriculture de France et de l’Institut Universitaire de France, il est éditeur de quatre revues scientifiques internationales et de la revue de vulgarisation Espèce.Il a publié plus de 230 articles de recherche et 290 articles de vulgarisation et a publié des ouvrages grand public sur les microbiotes (Jamais seul, 2017), les composés phénoliques (Les goûts et les couleurs du monde, 2019), le sol (L’origine du Monde, 2021) et la place de l’homme dans la nature (Nature et Préjugés, 2024) ainsi que ses chroniques diffusées sur France-Inter (Petites histoires naturelles, 2021), chez Actes Sud. Il est co-auteur d’une bande dessinée sur le sol avec Mathieu Burniat (Sous Terre, 2021, Dargaud). Il a reçu le prix Homme-Nature de la Fondation Sommer 2020.
Philippe Darriet (Université de Bordeaux, ISVV, UMR Oenologie) : Anticiper les évolutions dans la composition et les caractéristiques sensorielles des vins
Résumé de l’intervention : Dans un contexte de changement climatique, l’état physiologique de la vigne est modifié dans un sens pouvant fortement affecter la maturation des raisins et par voie de conséquence les caractéristiques sensorielles des vins. Il ne s’agit pas seulement d’un phénomène lié à l’accroissement de la teneur en sucres des raisins (qui conduira à une teneur accrue en éthanol dans les vins) ou d’une diminution de l’acidité. Les conséquences du changement climatique, en lien avec l’augmentation de la température et du rayonnement, du niveau de contrainte hydrique, ou autre perturbation de l’état physiologique de la vigne… seront susceptibles de modifier la teneur de nombreux composés du métabolisme secondaire des raisins. Au travers des transformations chimiques, biochimiques ou microbiologiques de ces composés (pigments, tanins, précurseurs d’arôme…) pendant les étapes la vinification, de l’élevage et du vieillissement, la perception sensorielle du vin dans ses caractéristiques visuelles, olfactives et gustatives sera modifiée. En effet, la composante organoleptique du vin résulte d’une grande diversité de composés non volatils et volatils (arôme) souvent présents à l’état de traces, qui constituent des stimuli pour notre système sensoriel avant de devenir, selon des phénomènes complexes, des sensations dans le champ de la conscience. Ainsi, la surmaturation des raisins, dans des conditions de température et de rayonnement solaire accrus conduit à un accroissement des teneurs en composés volatils odorants (famille des furanones et lactones), qui renforcent les nuances de fruits cuits et secs. En outre, ces conditions de maturation peuvent modifier les propriétés anti-oxydantes des raisins et des vins, ce qui risque d’accroître la sensibilité oxydative des vins et affecter leur potentiel de vieillissement.
Ce contexte suppose d’ajuster aussi les pratiques œnologiques pour limiter les effets non-intentionnels susceptibles d’affecter l’originalité et la typicité des vins. En fonction des conditions environnementales, il s’agit d’adapter la date, les modalités de la récolte et de la réception des vendanges, en privilégiant des récoltes matinales ou nocturnes, en limitant, par le refroidissement et l’inertage, les phénomènes chimiques et biochimiques au cours des opérations pré-fermentaires. Des travaux mentionnent l’intérêt de partitionner à des dates successives la récolte d’une même parcelle. Une attention particulière est recommandée lors des étapes de la vinification et l’élevage des vins, incluant une extraction maîtrisée des composants pelliculaires, une modulation du niveau d’acidité des moûts et des vins, ou de la révélation du potentiel aromatique, présent dans les raisins sous forme de précurseurs, par l’emploi de levures sélectionnées, selon les typologies de vins recherchées. Une limitation de la teneur en éthanol, pourra aussi être recherchée par la mise en œuvre de procédés conformes aux choix des vinificateurs et à l’attente des consommateurs. La maîtrise de l’élevage et du vieillissement des vins suppose plus encore un ajustement des pratiques, en particulier le niveau d’oxygénation des vins, afin de limiter des phénomènes chimiques favorables à une évolution oxydative prématurée. Par la compréhension des phénomènes en jeu et l’innovation, les activités de recherche conduites dans le domaine de l’œnologie visent à accompagner les choix des vinificateurs à toutes les étapes de l’élaboration des vins.
Cependant, l’anticipation de l’évolution de la composition des vins avec le changement climatique, de leurs caractéristiques sensorielles et typicité, mobilise aussi l’œnologie au travers l’évaluation de dispositifs au vignoble, ayant trait à l’adaptation du mode de conduite de la vigne, à l’alternative variétale de Vitis vinifera, et au développement de nouvelles variétés résistantes aux principales maladies cryptogamiques et adaptées à l’évolution du climat. La dimension interdisciplinaire de ces travaux constitue un enjeu important pour relever les défis inhérents à l’impact du changement climatique.
Références
Darriet Ph., Mouret J.R., Sablayrolles J.M., Samson A. (2024). Les solutions œnologiques : adapter la vinification. Vigne, Vin et Changement Climatique, Ollat N., Touzard J.M. éditeurs, Quae.
Drappier, J., Thibon, C., Rabot, A., & Geny-Denis, L. (2019). Relationship between wine composition and temperature: Impact on Bordeaux wine typicity in the context of global warming. Critical Reviews In Food Science and Nutrition, 59(1), 14-30.
Pons, A., Allamy, L., Schüttler, A., Rauhut, D., Thibon, C., & Darriet, P. (2017). What is the expected impact of climate change on wine aroma compounds and their precursors in grape? ŒNO one, 51(2), 141-146.
Thibon C., Roland A., Darriet Ph., Teissedre P.L., Jourdes M., Pons A. (2024). Les impacts sur la qualité du vin. Vigne, Vin et Changement Climatique, Ollat N., Touzard J.M. éditeurs, Quae.
Van Leeuwen, C., & Darriet, P. (2016). The impact of climate change on viticulture and wine quality. Journal of Wine Economics, 11(1), 150-167.
UMR 1366 Œnologie, Université de Bordeaux, Institut des Sciences de la Vigne et du Vin. 210 Chemin de Leysotte, 33140, Villenave d’Ornon cedex.
Vin et santé (à venir
Jean-Marie Cardebat (Université de Bordeaux, ISVV, UMR BSE) : Quelles évolutions à venir pour le marché mondial du vin ?
Le marché du vin traverse une crise mondiale sans précédent. Des facteurs conjoncturels et structurels coïncident et conduisent à une baisse combinée de la production et de la demande mondiale. Comment faire face à cette crise ? Les réponses sont multiples. Elles touchent au renouvellement en profondeur des gammes proposées, au changement de logiciel dans la façon de penser le marché ou encore à une remise en cause de l’organisation même de la filière. Les réponses sont aussi sociétales, pour comprendre la déconsommation d’alcool. Elles sont économiques, pour mieux identifier les cycles conjoncturels. Elles sont, enfin, géopolitiques pour appréhender le grand export dans un contexte de fermeture progressive de certains marchés clefs, comme le marché chinois. La filière vin doit mieux appréhender son environnement global tout en luttant contre les effets délétères du changement climatique. On le comprend, la décennie qui s’ouvre sera celle d’une mutation profonde de cette filière.
Jean-Marie Cardebat est professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et professeur affilié à l'INSEEC Grande Ecole, où il dirige la Chaire Vin & Spiritueux. Très intégré dans les réseaux de recherche internationaux, il est président de l'Association européenne des économistes du vin et membre de la délégation française à l'OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin), de l'ISVV (Institut Scientifique de la Vigne et du Vin), de l'AAWE (American Association of Wine Economists), et du comité éditorial du Journal of Wine Economics (Cambridge). Enfin, il est affilié au Wine Economics Research Centre de l'Université d'Adélaïde (Australie) et au Center for Wine Economics du Robert Mondavi Institute, UC Davis (USA). Il est l’auteur de "Économie du vin", éd. La Découverte, 2017. (Traduit en chinois en 2019) et de "The Palgrave Handbook of Wine Industry Economics", prix 2019 du meilleur livre en économie de l'OIV.
Synthèse, Frédérique Pelsy.
Ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar, Frédérique Pelsy est membre de l’Académie d’Alsace.
Conclusion, Hervé This : le « bouquet du vin »
Hervé This est directeur de l’International Centre for Molecular and Physical Gastronomy, chimiste INRAE dans l’UMR SayFood (Campus Agro Paris Saclay), professeur consultant AgroParisTech, membre de l’Académie d’agriculture de France, de l’Académie royale des sciences, arts et lettres de Belgique, de l’Académie d’Alsace et de l’Académie de Stanislas.
De l'importance des intertitres
Relisant hier un article sur le physicienJames Clerk Maxwell, je trouve un intertitre intitulé "Cartésiens contre newtoniens", qui me donne envie de lire le paragraphe suivant, ce que je fais.
Mais cela me fait penser aussi qu'il y a lieu de dépasser ce caractère attrayant des intertitres pour les utiliser aussi afin de guider la lecture... à condition qu'ils en soient pas isolés, et qu'on les voit par rapport aux autres.
Oui, les intertitres sont importants en ce qu'ils peuvent situer dans la lecture, guider, mieux percevoir le cheminement intellectuel.
Enseigner, c'est plus facile quand...
Je reviens sur des questions d'enseignement parce que, cette année, tout a été beaucoup plus simple que les années précédentes : les groupes d'étudiants pour qui j'organisais des modules d'enseignement étaient plus homogènes, et il n'y avait pas d'étudiant plus faible que les autres. De ce fait, il n'y avait pas à pallier des insuffisances particulières et complètement déplacées : nous avons pu nous consacrer aux matières qui était au programme, à partir d'un document de cadrage parfaitement rigoureux et explicite.
Je ne dis pas que j'ai bien fait, mais je dis que j'ai mieux fait que par les années précédentes et notamment parce qu'il y avait un auditoire commun.
Je vois que j'aurais pu encore mieux faire : l'analyse nous avons esquissé avec les étudiants a bien montré les défauts qu'il fallait corriger. Par exemple le regroupement des documents d'études en un site unique.
Mais, au-delà de ce ces aménagements qui seront faits l'an prochain, je n'ai besoin de personne pour m'apercevoir que, de temps en temps, je suis un peu implicite, notamment sur des calculs que je fais trop vite pour les autres. Il y a lieu de mieux apprendre à me faire comprendre de ce point de vue.
Cela me rappelle, quand un de mes fils était au lycée, que, dans les devoirs sur table, il balançait des équations sans explication : je lui ai expliqué que cela ne se faisait pas et qu'il fallait dire le raisonnement, lequel était en réalité aussi important que le résultat lui-même.
Je retrouve ce défaut dans un cours que je suis en train d'écrire et que des collègues co-signataires me signalent implicitement en me demandant une figure, indication du fait qu'ils n'ont pas compris comment j'obtiens le résultat.
D'ailleurs, faire un calcul trop vite, c'est aussi s'exposer à le faire faux.
Décidément, pour les autres comme pour soi-même, il y a lieu de calculer très lentement et très sûrement. Très explicitement aussi puisque c'est là la clé du succès
mercredi 20 novembre 2024
Tous les chemins mènent à Rome
Comment faire une découverte scientifique ?
Pour montrer que la question est difficile, j'ai comparé le scientifique à un marcheur dans une région qui serait divisée en deux par la "ligne du présent" ; derrière, le passé, et devant le futur. Notre scientifique peut se tourner vers le passé, c'est-à-dire regarder l'histoire des sciences, et il voit alors des montagnes, qui sont les grandes découvertes du passé : la relativité, la mécanique quantique... Mais il n'est pas historien des sciences, et il doit regarder plutôt vers l'avant, où se trouvent les montagnes qu'il doit découvrir. Où sont-elles ?
Evidemment, il ne les voit pas... sans quoi elles seraient déjà découvertes : nous devons faire l'hypothèse qu'il y a, devant lui, un épais brouillard dans lequel il doit avancer. Avancer... Mais dans quelle direction ? Quel chemin le conduira-t-il vers une montagne ? La question est bien difficile, d'autant que même la méthode qui consisterait à avancer dans une direction d'élévation n'a rien de sûr : après quelques pas en montant, il pourrait y avoir une descente. Alors ?
Alors il y a cette image merveilleuse : tous les chemins mènent à Rome.
Oui, tous les chemins mènent à Rome, dit le dicton... et c'est peut-être dans le cheminement plutôt que dans la direction qu'il faut chercher les découvertes. Et la métaphore précédente, aussi séduisante qu'elle soit, n'est peut-être pas juste. Bien sûr, il y a des "faits", mais on lira utilement, à cette occasion, les réflexions d'Antoine Lavoisier, de Michel Eugène Chevreul ou de Jean-Baptiste Dumas, qui, plus ou moins s'accordent sur la nécessité de ne pas se limiter à recueillir des "faits", mais à les rapprocher, pour en chercher des analogies, tout en sachant bien que le fait est déjà une abstraction.
mardi 19 novembre 2024
On ne perçoit jamais les saveurs, odeurs rétronasales... mais seulement le goût
Régulièrement juré dans des concours de produits alimentaires (cuisine, charcuterie, etc.), je vois régulièrement des grilles d'évaluations très... disons insuffisantes.
Je passe sur les confusions entre saveurs et goût, entre odeur et arôme, entre sensations trigéminales et saveurs, sans compter sur l'ignorance des modalités sensorielles récemment découvertes, et je m'interroge ici sur la conception de grilles plus justes : comment les réaliser ?
1. Pour répondre à la question il faut répéter que nous pouvons percevoir l'aspect visuel sans trop de difficultés. Certes, le nom qui est donné à l'objet nous conditionne un peu, mais il reste que du jaune n'est pas bleu, par exemple. On pourra donc questionner les jurés sur la couleur, la texture visuelle, ou diverses caractéristiques spécifiques, telle la fleur d'un saucisson.
2. Puis il y a l'odeur anténasale : celle que l'on a quand on approche le produit du nez. Ce n'est pas un arôme, sauf si le produit que l'on teste est une plante aromatique. Et la grille peut donc porter une case "odeur anténasale", éventuellement subdivisée, afin de tenir compte de particularités de la catégorie de produits évalués. Par exemple, un munster ne devra pas avoir la même odeur qu'un camembert.
3. Le produit vient en bouche, et il est vrai que l'on perçoit assez bien la consistance. Enfin... En réalité, c'est plutôt la texture que l'on perçoit : le même carré de chocolat que l'on croque est croquant, alors qu'il est fondant quand on le mange lentement. De sorte qu'il serait parfois judicieux de donner des indications sur la manière de consommer le produit, afin que les divers jurés soient en accord sur la perception à décrire.
4. Toujours en bouche, on sent le "goût" : c'est une sensation synthétique qu'il est bien difficile de séparer en ses différentes composantes que seraient la saveur, l'odeur rétronasale, la perception trigéminale (frais, piquant...), d'autant que tout s'influence. On pourrait donc se limiter à interroger les jurés sur le goût, ou bien, s'ils se bouchent le nez avant de commencer à mastiquer, ils pourraient percevoir la saveur, avant d'ajouter la composante d'odeur rétronasale quand ils ouvriront les doigts.
Au delà, c'est du baratin.
chimie, industrie : pas de relation
Je viens de rencontrer un industriel dont la société produit des "additifs alimentaires", et notre homme refusait d'être associé à des réflexions sur le thème alimentation et chimie.
Oui, cet homme dont la société bénéficie d'applications de la chimie ne voulait pas que cette chimie qui le fait indirectement vivre lui colle à l'image.
Au fond, c'est justifié, puisqu'il n'a rien à voir avec cette science merveilleuse qu'est la chimie. De même que le sucre n'est pas un "produit chimique", mais seulement un composé extrait (de la betterave, de la canne à sucre, notamment), les additifs ne sont souvent qu'extraits. Bien sûr, il y en a qui sont moléculaire modifiés (pensons aux amidons modifiés, par exemple), mais il n'y en a pas qui sont synthétisés.
En tout cas, rien à voir avec la science nommée chimie.
... Mais, tout cela étant dit, il faut surtout observer que notre homme était un lâche, et je ne suis pas certain qu'il ait raison de vouloir de se désolidariser de la chimie : il contribuera, par son "secret", à alimenter les soupçons du public.
Des "industries chimiques"? Non : des industries de la chimie à la limite
Il y a des années, lors d'un dîner organisé par l'Union des industries chimiques, j'avais été amené à présenter les collaborations que j'avais avec mon ami Pierre Gagnaire, lequel mettait en cuisine mes inventions.
C'était l'époque où je m'interrogeais sur la signification du mot chimie, et où j'hésitais entre la possibilité de nommer chimie la science et ses applications. Je venais de me résoudre à proposer de réserver le mot chimie à la science seulement et à nommer "applications de la chimie"... toutes les applications de la chimie.
Lors de la soirée, le président de l'Union des industries chimiques avait pris les paroles en disant qu'il était parti parfaitement en phase avec cette idée, et qu'il préférait que l'on parle d'industrie de l'aliment, d'industrie les couleurs, d'industrie textile... parce que, ainsi, le mot de "chimie" ne lui collait pas à l'activité.
Au fond, le nom d'Unions des industries chimiques est usurpé, car ces industries ne sont pas "chimiques", elles ne font pas de sciences, et ce sont seulement des industries de la chimie.
Le 12 février 2025, à la Maison de la chimie : Chimie et alimentation
Le 12 février, à la Maison de la chimie, nous tiendrons un grand congrès alimentation et chimie. Il ne s'agit pas de proposer de mettre des additifs partout mais bien plutôt de permettre de comprendre comment cette science merveilleuse qu'est la chimie permet d'interpréter les phénomènes qui se présentent dans notre alimentation : cela va de la cuisine à la cuisine, en passant par la perception sensorielle, le métabolisme, etc.
Et voici mon résumé, puisque je fais une des deux conférences introductives :
Manger, hier, aujourd’hui et demain : vue de la chimie
Hervé Thisa
a Inrae-AgroParisTech International Centre of Molecular and Physical Gastronomy
On ignore ou on oublie que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine, dans l’histoire de l’humanité. Chasseurs-cueilleurs, les populations étaient soumises aux aléas climatiques, mais l’introduction de l’agriculture, de l’élevage et de la cuisson des aiments ont forgé l’espèce humaine. Les deux premiers ont contribué à assurer une meilleure régularité des approvisionnements, tandis que la « cuisine » procurait :
- un assainissement microbiologique et toxicologique,
- une meilleure accessibilité des nutriments présents dans les denrées,
- un changement de goût (il n’est pas anodin que d’autres mammifères que les êtres humains préfèrent des aliments cuits aux aliments crus,
- un changement de consistance, notamment pour faciliter la consommation des denrées les plus dures (surtout à une époque où l’odontologie était absente),
La transformation des aliments (« cuisine ») ne se limitait pas à la cuisson : des fermentations bien conduites permettaient le stockage des denrées (pensons aux choucroutes actuelles, mais aussi à la confection des yaourts ou des fromages, qui sont en réalité des conserves de lait, à la production de confitures (conservation au sucre), de produits saumurés ou fumés…
Evidemment, toutes les transformations des denrées brutes étaient initialement empiriques, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’elles aient été opérées par des imbéciles : la « cuisson en fosses », par exemple, est une merveilleuse manière de valoriser les nutriments des viandes, lesquel sont récupérés dans le « bouillon », et le rôtissage de nos ancêtres étaient bien mieux conduit que dans nos barbecues modernes.
La chimie, née entre la parution du premier et du quatrième tomes de l’Encyclopédie de Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (sans oublier Louis de Jaucourt)[1], s’intéressa quasi immédiatement à la production des aliments, à la cuisine. Notamment la production de ce bouillon qui est « l’âme des ménages » fut étudiée par Geoffroy Le Cadet, avant qu’Antoine Laurent de Lavoisier ne produise une étude remarquable, qui mêle la chimie à des applications techniques et sociales [2]. Puis il y eut d’autres explorations des « produits naturels » et de leurs transformations : apparurent des notions d’ « albumine » [3], de « chlorophylle » [4], de « lécithine » [5], de « pectine », etc. On observera que, si de nombreux termes d’alors (essentiellement les 18 et 19e siècles) ont été conservés, les acceptions ont changé.
Progressivement, les études se sont divisées en deux branches : l’étude des composés des ingrédients alimentaires, et les études technologiques. Mais, dans les années 1980 s’est introduite la discipline scientifique nommée « gastronomie moléculaire et physique », pour reprendre l’étude scientifique des phénomènes qui surviennent lors de la transformation « culinaires » des ingrédients alimentaires en « aliments »[6]. Ces études scientifiques se sont accompagnées de développements technologiques et techniques : ce fut d’abord la « cuisine moléculaire », qui visait à rénover les techniques culinaires, et, depuis 1994, la « cuisine de synthèse » (ce qui correspond à un courant artistique nommé « cuisine note à note »)[7].
Que mangerons-nous demain ? Pour examiner la réponse, il faut considérer les faits : il y aura environ 10 milliards d’individus à nourrir (contre 7 aujourd’hui), avec un coût de l’énergie qui augmente. La lutte contre le gaspillage doit évidemment s’intensifier, alors qu’apparaissent de nouvelles possibilités techniques : les imprimantes 3D alimentaires [8], la synthèse de nutriments à partir du dioxyde de carbone atmosphérique…
Références :
1. Didier Kahn, Le fixe et le volatil, CNRS Editions, 2016.
2.Hervé This. Histoires chimiques de bouillons et de pot-au-feu, L’Actualité chimique. 2009 (11), 336, pp. 14-16.
3.Hervé This, Albumen et albumines, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q01-albumen-et-albumines
4. Hervé This, Parlons des chlorophylles, et pas de la chlorophylle !, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q04-parlons-des-chlorophylles-et-pas-de-la-chlorophylle
5.Hervé This, Les lécithines, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France. https://www.academie-agriculture.fr/categories-de-lencyclopedie/sciences-technologies-des-aliments, 2 février 2021.
6. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, vol 42, N°5, pp. 575-583, 2009.
7. Hervé This, La cuisine note à note en 12 questions souriantes, Editions Belin, Paris, 2012.
8. Hervé This, Charlotte Dumoulin, Roisin Burke, L’impression alimentaire : de la 3D à la 6D !, L’Actualité chimique, N°497, 5-7, 2024.
Vient de paraître
Hervé This, Connaissez-vous l’impression d’aliments ?, Le Journal International Toques blanches, juillet-août-septembre 2024, N°154, 32-34.
Hervé This, La recette du risotto d’Hervé This (les féculents par la lorgnette du risotto), Le Journal International Toques blanches, juillet-août-septembre 2024, N°154, 12-13.
Hervé This, Jusqu’où peut-on aller ?, Charcuterie&Gastronomie, novembre-décembre 2024, 66-68.
Pourquoi s'imposent des travaux techniques au plus haut niveau de la charcuterie ?
Nous sommes bien d'accord que les beaux produits attirent légitimement le chaland, et comme le disaient justement les Tontons flingueurs, le prix s'oublie, mais la qualité reste.
Pas étonnant que nous acceptions de faire la queue quand nous achetons du pain : le mauvais pain ne vaut pas la somme même modeste que nous le payons, et le bon pain est tellement merveilleux. De même, pour la charcuterie : ah, un merveilleux boudin, un extraordinaire saucisson, une andouillette d'anthologie... Tout cela mérite un long déplacement tandis que ces mêmes produits réalisés de façon médiocre nous font en réalité dépenser notre argent en pure perte.
Bref, il faut viser l'excellence et non seulement quand on est charcutier et que l'on veut vendre sa charcuterie, mais aussi simplement pour le plaisir du travail réalisé.
D'où la question : qu'est-ce qu'un bon boudin ? Une belle andouillette ? Une bonne terrine ? Un bon pâté froid ? Une belle Knack ? Une jolie rillette ?
Le problème est que, à ce jour, les produits ne sont pas évalués de la même manière par différentes personnes, ce qui montre que nous manquons de critères explicite sur lesquels nous puissions fonder nos jugements. Pourtant, il y a nombre de possibilités d'y parvenir, notamment quand on regarde à contrario en quelque sorte.
Par exemple, quand on embosse, quand on pousse un appareil dans un boyau, il est de toute première importance de ne pas laisser de poches d'air sans quoi il y a des risques de rancissement.
Pour une terrine par exemple, il est essentiel de bien malaxer les chair hachées, sans quoi les tranches de la terrine ne se tiendront pas à la coupe. Et de même pour du boudin blanc, qui ne doit pas se défaire, ce qui serait sans doute le signe que le liquide (le lait) a été mis trop chaud dans la préparation de base.
Et ainsi de suite : il y a urgence à recueillir auprès des bons professionnels des indications techniques qui permettent non seulement un meilleur jugement, un jugement plus solide, partagé surtout, mais aussi un enseignement pour les jeunes qui sauront alors quels sont les principaux écueils et qui, ainsi, sauront les éviter.
Je milite pour que nous aidions les apprenants, pour que nous cessions de faire des enseignements fondés sur la répétition, mais, plutôt, que nous fondions les enseignement sur la compréhension, la transmission explicite.
Et c'est la raison pour laquelle une académie de la charcuterie s'impose : ce sera le lieu où d'excellents professionnels pourront échanger, mettre en commun ces idées techniques qui seront ainsi ensuite transférées.
Transférées aux jeunes comme je l'ai dit, transférées aux jurés des concours, mais également transférées au public, car il est essentiel que ce dernier comprenne la différence entre des produits de grande qualité et des produits mal fait par des producteurs plus intéressés par l'argent que par la beauté de la charcuterie.
Je prends pour expliquer
ce point l'exemple de l'andouillette, qui se fait traditionnellement à
la ficelle : on tire des boyaux à l'aide d'une ficelle, dans le boyau externe, pour obtenir une
série de couches concentriques à l'intérieur du boyau extérieur.
A la dégustation, on a une sensation bien différente de celles que donnent des andouillettes où des praticiens hâtifs, négligents, auraient poussés des morceaux de boyaux déchiquetés dans le boyau extérieur.
Bien sûr, certains consommateurs ne verrons pas la différence mais est-ce une raison pour mal faire ? Après tout, les sourds n'entendent pas la musique... Bien sûr, cela coûte moins cher de pousser des fragments de boyaux broyés... mais qui pourrait sans rougir vendre de tels produits ? D'ailleurs, est-il vraiment légitime de nommer cela des andouillettes ? Je milite pour que la réglementation impose un autre nom, que l'on ne détourne pas déloyalement la dénomination.
En tout cas, je crois que cela vaut la peine de
travailler à cette Académie française que nous constituons aujourd'hui, pour la charcuterie !