dimanche 2 février 2025

Bacon a-t-il inventé la science moderne ?

Certains auteurs disent que Francis Bacon aurait été le créateur de la science moderne avec son Novum Organum  : j'ai voulu en avoir le cœur net en relisant ce texte que j'avais découvert il y a très longtemps et que j'avais un peu oublié. 

On y trouve  une très longue diatribe contre la philosophie excessivement théorique et inventive qui fut notamment celle d'Aristote,  et, inversement,  une apologie d'une étude des faits de la nature sans divagations philosophiques, une apologie d'une "philosophie naturelle" dont la méthode serait très différente. Et notre auteur de classer les faits d'observations. 

Mais en sortant du livre, si l'on voit bien une volonté de mettre à plat la philosophie naturelle, les sciences de la nature, on ne voit certainement pas des idées aussi précises que celles sur données par Galilée, notamment à propos de l'étude quantitative des phénomènes

Certes Bacon dit bien que tout doit être mesuré, pesé, nombré... Mais il ne fait lui-même que classer des observations par type d'observations, ceux qui est bien loin de ce que fera Galilée, qui mettra en pratique cette méthode expérimentale qui met en œuvre le calcul sur les nombres que sont les résultats de mesure. 

D'ailleurs,  plusieurs des idées de Bacon, notamment à propos des causes, sont déjà données par Blaise Pascal, et l'on n'oubliera pas qu'il y a eu auparavant René Descartes qui a introduit les outils mathématiques pour manier tout cela. 

Bref, il est exagéré de dire que Bacon aurait inventé la science moderne, et il vaudrait mieux avoir la justesse de dire que, après certains Grecs de l'Antiquité qui explorèrent correctement des phénomènes naturels, il y eut Descartes,  Pascal, Bacon, et Galilée enfin pour arriver à cette méthode scientifique que nous utilisons aujourd'hui. 

Au sortir de cette lecture, je continue à penser que les deux phrases de Galilée disant que l'expérience doit avoir raison contre toute autorité, d'une part et, d'autre part que le monde est écrit en langage mathématique, sont des piliers sur lesquels repose la méthode scientifique d'aujourd'hui. 

Il faut ajouter que Bacon a dit des choses très intéressantes à propos de la chimie, sans employer le mot évidemment , puisque cette science qu'est la chimie n'avait pas encore été dégagé de l'alchimie. 

En effet, la transition s'est faite un peu plus tard, aux environs de la parution des premiers tomes de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, quand on a arrêté de considérer que, si une expérience rate, c'est que l'expérimentateur est "insuffisant" ; on a fini par comprendre que, comme le disait Galilée, l'expérience a toujours raison. 

Il y a eu ainsi une transition de l'alchimie vers la chymie,  puis vers la chimie  quand Lavoisier introduisit très explicitement des méthodes quantitatives, dans une méthodologie qui restait très expérimentale. Au fond, Lavoisier a fait pour la chimie ce que Galilée a fait pour la physique. Et en ce sens, ces deux hommes sont plus grands que les autres de leur temps car l'observation ne suffit pas, le jugement n'est pas un outil suffisant pour relier les faits et c'est par les nombres que s'imposent les sciences de la nature.

samedi 1 février 2025

À propos de mayonnaise qui rate

Il y a quelques jours, lors d'une formation, j'ai proposé aux participants de faire des mayonnaises.

 Ils étaient répartis en plusieurs groupes à propos de cette sauce qui, on le rappelle ne comporte pas de moutarde sous peine de devenir une rémoulade. Je devrais plutôt dire sous peine de régresser à l'état de rémoulade, puisque la rémoulade est une sauce très ancienne, remontant au moins au 14e siècle, et qui se fait à partir de moutarde et de matière grasse. Dans la rémoulade, l'eau de la moutarde devient la phase continue d'une émulsion avec l'huile dispersée dedans sous la forme de gouttelettes. 
Au tournant du 18e siècle, la mayonnaise est apparue comme une sauce faite seulement de jaune d'œuf, de vinaigre et d'huile, la moutarde ayant été retirée. L'apparition de la sauce est mystérieuse, on en a pas de trace claire, mais en tout cas le grand Marie-Antoine Carême s'empara de cette sauce au goût merveilleusement délicat pour en faire, avec des dérivés, un ingrédient essentiel de ses pièces de banquet.

C'est donc la mayonnaise à laquelle nous nous intéressions et il est exact que la mayonnaise tourne  plus facilement que la rémoulade. Tout tient à la dispersion des gouttes d'huile dans la phase aqueuse apportée par le jaune d'œuf (qui est composé de 50 % d'eau) et du vinaigre (qui est fait de plus de 90 % d'eau). Le jaune d'œuf apporte protéines et phospholipides qui peuvent entourer des gouttes d'huile et permettre l'émulsion. 

Mais cette sauce est bien plus délicate et elle peut tourner, notamment quand on ajoute trop d'huile en début de préparation, ou quand on ne fouette pas suffisamment, ou encore quand on ajoute l'huile trop vite en cours de préparation et qu'on ne disperse pas assez. 

Pour autant, je peux témoigner que je fais sans difficulté des mayonnaise à la fourchette en 47 secondes seulement, et sans moutarde ; et je dis bien des mayonnaises, pas des rémoulades.

Ce qui a été intéressant, lors de notre formation, c'est de voir que de nombre de nos participants ont raté leur mayonnaise. À la réflexion, je crois que ce sont les ustensiles qu'ils utilisaient qui étaient inappropriés : il y avait des espèces de petits fouets à main en plastique, à grosses branches, qui dispersaient très insuffisamment l'huile dans la phase aqueuse. 

Et cela m'intéressera bien de répéter l'opération, peut-être d'ailleurs dans un séminaire de gastronomie moléculaire.