Dans le séminaire de gastronomie moléculaire d'hier, nous avons testé l'effet éventuel de l'ajout de vinaigrette sur les pommes de terre chaudes ou sur des lentilles chaudes, plutôt que sur les pommes de terre froides ou des lentilles froides.
Nous avions déjà considéré plusieurs fois la question, mais de façon un peu secondaire. Là, nous avons le voulu refaire la chose, non pas seulement sur les pommes de terre comme par le passé, mais aussi sur les lentilles puisque c'est une indication que nous avions trouvé dans des ouvrages professionnels.
Nous avons donc au moins pour une partie du séminaire, cuit des lentilles et des pommes de terre, dans de l'eau, départ à froid ; puis nous avons divisé les lentilles cuites en deux moitiés, et divisé les pommes de terre en deux moitiés. Dans une des deux moitiés de chaque lot, nous avons ajouté immédiatement la vinaigrette, laquelle avait été réalisée à partir de vinaigre et d'huile. Évidemment, les quantités de lentilles, de pommes de terre et de vinaigrette étaient pesées pour chaque cas. Et nous avons ensuite organisé un test triangulaire pour détecter d'éventuels effets.
Je suis heureux de vous dire que nous avons le résultat : il y a très peu de différence, et la seule que nous ayons pu établir un peu était une perception un peu supérieure du vinaigre quand la vinaigrette était ajoutée à froid.
Mais en réalité, on conservera à l'idée que les différences étaient absolument minimes et en tout cas inférieures à ce que je nommerais l'effet sauce : c'est-à-dire que la quantité de sauce ajoutée, quand elle diffère dans un lot dégusté, est prépondérante. C'est cette quantité différente éventuelle qui conduisait à des reconnaissances éventuellement erronées entre les lots à froid et à chaud.
Tout cela est donc bien clair : il y a très peu de différence entre l'assaisonnement à froid et l'assaisonnement à chaud pour les pommes de terre comme pour les lentilles.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 17 octobre 2024
Salades de lentilles, salades de pommes de terre
samedi 13 juillet 2024
A propos de "chantillys"
On m'interroge à propos de foisonnement de matière grasse, et je comprends qu'il y a lieu de bien expliquer. Cela fait donc l'objet d'un cours que je dépose dans une partie "Applications technologiques et techniques" du Centre international de gastronomie moléculaire :
- pour le site général du Centre : https://icmpg.hub.inrae.fr/
- pour la partie "Application technologiques et techniques" : (lien à venir)
En rappelant que des discussions détaillées sont données :
- en français, dans mon livre Mon histoire de cuisine (Belin)
- en anglais, dans le Handbook of molecular gastronomy (CRC Press)
mercredi 3 juillet 2024
Nous devons comprendre !
Dans beaucoup de mes enseignements, je recommande aux étudiants de ne pas supporter de ne pas comprendre mais cette injonction est en réalité épineuse, parce que personne ne comprend tout bien sûr. Quand nous conduisons une voiture, comprenons-nous vraiment ce qui se passe sous le capot ? Savons-nous le détail de tout ce que nous faisons ? De même, quand nous utilisons un ordinateur, comprenons-nous bien tout ce qu'il fait ?
Derrière cette question, il y a la différence que je fais entre le conducteur et le mécanicien.
De fait, si nous supportons de ne pas comprendre comment fonctionne notre ordinateur, pourquoi devrions-nous nous comporter différemment au laboratoire ?
D'abord, parce que, pour le travail de laboratoire, c'est nous le mécanicien ! Mais, surtout, parce que, au delà de nos expérimentations, il y les "questions que nous posons à la nature" : nous devons lui parler dans sa langue, et sa langue est subtile. En outre, au-delà de la compréhension elle-même, il y a la compréhension que nous avons, la théorie que nous nous faisons des gestes que nous faisons, des phénomènes que nous observons.
Par exemple, quand nous préparons une solution, nous avons besoin d'un modèle pour nous demander si les molécules du soluté vont se disperser dans le solvant, ou bien s'agréger en microscopiques agrégats, ou bien se coller aux parois du récipient.
À tout moment, nous devons voir plus que le macroscopique : nous devons interpréter ce dernier en termes microscopiques, puis interpréter le microscopique en termes physiques, et interpréter le physique en termes moléculaires, chimiques.
Mais comprendre, cela signifie aussi avoir une idée quantitative des phénomènes, ce qui revient à calculer autant que nous ne pouvons à propos des divers paramètres pertinents des expérimentations.
Pour reprendre l'exemple de la concentration d'un soluté dans une solution, combien y a-t-il de molécules de solvant pour une molécule de soluté ?
J'évoque ces questions, parce que je viens d'assister une soutenance où les étudiants n'ont pas fait très fort : alors que nous avions commencé le semestre par de longs cours pendant lesquels nous explorions les mécanismes des phénomènes, les travaux de laboratoire (en stage) qu'ils ont fait sont souvent des travaux techniques, sans référence aux phénomènes, aux mécanismes. Ils ont manifestement "conduit une voiture" : ils ont montré des expérimentations en restant à l'apparence des phénomènes, sans chercher à comprendre. Ce qui est pire, n'ayant pas considéré les mécanismes des phénomènes, ils ont accumulé des expériences insensées, effectué d'innombrables tests sans intérêt, perdant temps, argent, énergie... alors qu'une réflexion théorique très simple leur aurait permis de guider leurs expérimentations dans la bonne direction et, notamment de les conduire à des hypothèses qu'ils auraient pu tester.
La faute est partagée : elle doit être attribuée aux étudiants, d'une part, mais aussi aux enseignants, d'autre part, puisqu'il n'a pas été clair aux étudiants qu'il s'agissait, dans ces deux cours, d'aller apprendre à chercher les mécanismes des phénomènes.
Comptez sur moi pour que, l'an prochain, cela soit indiqué en très grosses lettres !
Pour terminer, signalons que, après avoir accueilli des centaines d'étudiants au laboratoire, je peux certifier que les meilleurs d'entre eux étaient ceux qui s'interrogaient sur les mécanismes des phénomènes. Bien sûr, il y a une question de culture : ces étudiants là avaient connaissance des possibilités théoriques : pour la capillarité, le transfert d'électrons, la pression de la place, le log P, et cetera. Mieux encore, certains étaient capables de mettre en œuvre ces connaissances pour en faire des compétences, comme le revendique le référentiel des stages à l'échelon national.
Pour être plus bref et mieux entendu, disons que les meilleurs étudiants sont comme des pitbulls de la connaissance : ils plantent les dents dans un objet intellectuel et ne le relâchent qu'après avoir parfaitement compris l'ensemble de la question.
mardi 11 juin 2024
De bons professeurs pour les débutants ?
Je connais au moins deux très bons musiciens qui ont écrit qu'il faut surtout d'excellents professeurs pour les débutants. Dit ainsi, cela paraît logique, car ce sont les bons professeurs qui donneront des conseils avisés que les élèves pourront suivre...
Mais... Est-ce une idée juste ? On se souvient que j'ai souvent discuté la question des professeurs : je maintiens qu'il faut du travail, plus que des professeurs. A quo les professeurs servent-ils ? Peuvent-ils vraiment nous aider ? Ou bien devons-nous toujours faire des erreurs et les surmonter pour grandir ?
Plus généralement, quel est le rôle d'un professeur ? La question n'a pas été posée par les deux musiciens qui ont usé de leur autorité pour nous dire ce "Il faut", que je récuse. Il ne faut rien, sauf ce que je décide.
D'ailleurs, pour ce qui concerne la musique, je connais au moins un grand flûtiste qui a appris par lui-même, sans professeur. En alsacien, on dit "D'Uewung macht d'Maischter", l'exercice fait le maître. Et en français : quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
Alors ?
Surtout, la notion de "bon professeur", au singulier, doit interroger : le bon professeur pour une personne ne particulier est-il bon professeur pour une autre personne ? Je ne le crois pas, d'expérience.
Et, pour terminer, le voeu de nos deux musiciens initiaux est peut-être "pieux"... car quel Rostropovitch, quel Tortelier, quel Maurice André acceptera-t-il de détourner son temps pour aller "border des enfants dans leur lit", les tenir par la main, longuement, patiemment ? Et mieux, seraient-ils de "bons professeurs" ?
Bref, je suis loin d'être convaincu à la déclaration de nos deux musiciens et je propose plutôt que nous rassemblions des conseils utiles, que nous mettrions à la portée de tous, sur un internet dont nous disposons maintenant.
Certes, certains ont besoin d'enthousiasme, et c'est aussi cela que donnent des professeurs. Le goût d'étudier, et un chemin proposé pour les travaux, les études que seul l'étudiant peut faire.
Pour les sciences, qui m'intéressent plus que la musique, il y a eu ce cas merveilleux de Richard Feynman, physicien lauréat du prix Nobel, qui a pris sur son temps pour aller faire une série de conférences dans les universités américaines, ce qui a donné lieu un très beau livre de physique. Il reconnaissait, a posteriori, que ces conférences étaient peut-être inutiles : elles passaient au-dessus de la tête des moins bons des étudiants, et elles étaient inutiles pour les meilleurs, qui étudiaient par eux-mêmes.
Mais, j'y reviens : à l'heure d'Internet, il est peut-être plus intéressant de disposer de films de très grands professeurs dont nous ferons notre miel.
D'ailleurs, Michel Debost, flûtiste, a l'honnêteté de dire que quelle que soit la façon de faire, si elle nous convient, alors c'est la bonne. En musique, on se souviendra également du pianiste Glenn Gould, qui jouait ou mépris de toutes les règles, sur une sorte de petit tabouret qui faisait hurler tous les pédagogues. Il est souvent répété pour la flûte que l'embouchure devait être parfaitement centrée, mais on a vu nombre de grands flûtistes mettre l'embouchure en biais, sur le côté, parce que la forme de leurs lèvres se prêtait mieux à cette position. De même pour le violoncelle, il faudrait une tenue particulière... qui n'est certainement pas celle d'un d'un artiste tel que Yoyo Ma, qui joue couché en arrière.
Reste-t-il des conseils certains ? Récemment, j'ai vu en ligne les carnets de Richard Feynman, et j'ai vu qu'il écrivait en majuscules... ce qui ralentit. Et, d'autre part, j'ai vue les cahiers de Pierre-Gilles de Gennes, parfaitement calligraphiés : encore une façon de se ralentir, de se laisser penser avant d'écrire ce qui est peut-être faux. On se dit que, ainsi, on évite des confusions de signes, on se laisse le temps de penser... Il faudrait maintenant croiser cela avec les cahiers d'autres grandes scientifiques du passé avant d'en tirer des conclusions... que nous pourrions alors "enseigner".
lundi 10 juin 2024
Des questions à propos de matières grasses
Commençons par la première, et en observant tout d'abord que l'on ne peut pas parler de "la" lécithine. Et, d'ailleurs, "1,2-acylglycérol" n'est pas un composé unique, mais toute une série de composés, voisins certes mais différents.
Bref, il y a LES lécithines, et les 1,2-acyglycérols. Et les lécithines sont très différentes des triglycérides. Tout cela est détaillé dans ma fiche encyclopédique, sur le site de l'Académie d'agriculture : https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q16-les-lecithines
Et le "vegan" ? Pas sûr de vouloir m'intéresser à cela, de sorte que je ne réponds pas sur ce point : il faudrait que je passe du temps à examiner la chose, et je propose que mon interlocuteur interroge des personnes qui seraient versées dans la chose;
dimanche 2 juin 2024
Un chat est un mammifère, mais un mammifère n'est pas nécessairement un chat !
Phénols, oligophénols, polyphénols, tanins
C'est la grande confusion : les sommeliers parlent de "tanins" sans les avoir vus dans les vins, les chimistes imparfaitement rigoureux parlent indûment de polyphénols... et le public est perdu. Pourtant, ce n'est pas si compliqué !
Commençons par "le" phénol : c'est un composé qui se présente sous la forme d'un liquide transparent, dans les conditions ambiantes. Ses molécules sont faites de six atomes de carbone formant un cycle hexagonal, avec un des atomes de carbone lié à un atome d'oxygène, lui-même lié à un atome d'hydrogène. Le motif atome d'oxygène-atome d'hydrogène est nommé "groupe hydroxyle".
Quand le cycle hexagonal porte d'autres groupes hydroxyles, la molécule est un diphénol, triphénol, etc. Globalement, ce sont des "oligophénols", du mot grec "oligo" qui signifie "peu".
Et l'on peut compliquer la situation, comme dans les "anthocyanes", les composés qui font les couleurs des fruits et des fleurs : il y a au moins un motif à six atomes de carbone, et plus d'un groupe hydroxyles, de sorte que ce sont encore des oligophénols.
Et les "polyphénols" ? Il faut plus de 10 groupes hydroxyles, comme, par exemple, dans cette "lignine" qui durcit les bois.
Les tanins, enfin, sont des composés phénoliques particuliers, en cela qu'ils "tannent", à savoir qu'ils se lient aux protéines, notamment, pour faire des cuirs résistants. Il y en a plusieurs sortes, et ce sont souvent des oligophénols, parfois des polyphénols.
L'ensemble de ces composés : ce sont les composés phénoliques. Mais les diverses catégories ne sont interchangeables, et, si un chat est bien un mammifère, tous les mammifères ne sont pas des chats !
jeudi 23 mai 2024
Il faut rénover les enseignements
On l'ignore mais il y a encore de nombreuses universités de sciences et technologie des aliments où les étudiants de cuisinent pas.
Comment devenir ingénieur dans l'industrie alimentaire si l'on ne sait pas faire cuire un œuf, préparer une mayonnaise, faire une tarte ????????
Certes, les établissements dispensent des cours à propos du transfert thermique, de la rhéologie, de la biochimie des aliments... Mais quand même, nous ne devons pas oublier que finalement ces ingénieurs seront en charge de la production d'aliments, de véritables aliments et pas d'OVNI que ni eux ni leurs clients ne comprennent.
Ces dernières décennies, sous l'impulsion de la gastronomie moléculaire, plusieurs universités ont décidé de remédier à la chose en s'associant à des écoles de cuisine, ce qui a le double intérêt de faire venir des théoriciens dans des institutions pratiques et de donner à ces jeunes théoriciens des bases solides sur lesquelles ils peuvent exercer leur talents.
Bien sûr, il est hors de question d'exposer ces jeunes à des idées fausses comme il y en a trop souvent dans le monde culinaire, mais après tout, pourquoi de pas proposer aux jeunes théoriciens précisément d'être en position d'analyse quant au savoir pratique qu'on leur soumet ? Pourquoi ne pas les faire réfléchir sur des recettes qu'ils mettent en œuvre ses recettes dussent-ils les modifier après coup ?
Bien sûr, il y a la question des professeurs, comme toujours, qui, eux-même, ne savent pas toujours cuisiner, qu'il s'agisse de professeurs théoriques voire de professeurs pratiques, formés parfois à une époque où il n'y avait pas de technologie dans l'enseignement culinaire.
Sans compter que la rénovation de l'enseignement culinaire est loin d'être terminée : je rappelle qu'en 24 ans de séminaire mensuel expérimentaux, nous avons constaté que 87% des idées testées étaient fausses. Je rappelle aussi que les terminologies sont bien souvent fautives, l'enseignement culinaire pratique s'étant trop souvent fondé sur le guide culinaire, ouvrage écrit sans aucune référence et sans recherche historique suffisante.
Bref il il y a
un immense chantier devant nous et il est urgent de nous y lancer
mardi 9 avril 2024
Donner du goût, assaisonner, et plus encore
En matière de cuisine, on a oublié qu'il ne s'agit pas de délivrer les ingrédients vaguement transformés par un traitement thermique (une "cuisson") ; non, il s'agit plutôt de le leur donner du goût. Lequel ? Voilà toute la question.
Commençons en signalant quelques exemples notoires. Par exemple, les professionnels qui cuisent des marrons ont appris à ajouter du fenouil... pour donner le goût de marrons. Quand ils préparent des fraises, ils ajoutent jus de citron, sucre, eau de fleur d'oranger.... pour donner le goût de fraises. Quand ils cuisent des courgettes, ils leur ajoutent un peu de menthe.
Et ainsi de suite : il est très insuffisant de cuire un ingrédient et de croire qu'il aura le goût de ce qu'il est. Cette phrase doit nous faire penser à ce critique gastronomique nommé Maurice Sailland, qui signait Curnonsky, et qui prétendait que les choses auraient été bonnes quand elles auraient eu le goût de ce qu'elles sont.
Cela est erroné, parce qu'il n'y a pas LE goût du poulet rôti, LE goût du marron, LE goût d'un mets, mais des possibilités innombrables, qui sont au choix des artistes culinaires.
En tout cas, l'idée de Curnonsky dépasse l'idée précédente que je viens d'évoquer à savoir qu'il faut donner du goût aux ingrédients pour qu'ils aient le goût de ce qu'ils sont ou de ce que nous voulons qu'ils aient.
Prenons l'exemple d'un sabayon aux pommes. Pour donner le goût de la pomme, il faudra les pommes dans du beurre, en leur ajoutant du gingembre, du poivre, une pincée de sel, du jus de citron, du sucre...
Un poulet rôti ? Immédiatement, nous devons nous demander, de même, quoi ajouter au poulet pour qu'il ait un bon bout de poulet rôti. Cela passe évidemment par le poivre, le sel, mais pourquoi pas le thym, le romarin, le citron, etc.
Cela nous conduit à évoquer la question des assaisonnement, si importantes en cuisine. J'ai nombre d'amis cuisiniers qui reprochent à leurs jeunes collègues de ne pas goûter assez, de ne pas rectifier l'assaisonnement.
Mais l'assaisonnement dépasse largement la question du sel ou du poivre : il y a toute la palette possible que nous pouvons utiliser pour donner aux ingrédients un goût qui les soutient, voire qu'il les emmène dans des directions différentes.
Mon ami Pierre Gagnaire sait bien cela, lui qui travaille à l'infini le moindre de ses produits et non seulement pour s'arrêter à l'assaisonnement, mais pour le dépasser et arriver à des œuvres où les ingrédients ne sont plus seulement considérés isolément, mais où ce sont des instruments dans un orchestre complet.
mardi 19 mars 2024
La cuisson des légumes et des fruits
Nous cuisons de la choucroute? des endives ? Comment nous y prendre ?
Quand on regarde en ligne des recettes de cuisine, on reçoit des protocoles qui nous disent comment faire mais qui ne nous disent pas pourquoi faire comme ils le proposent.
Et de fait, leurs indications sont souvent illégitimes, ou prétentieuses, voire fausses.
Je crois qu'il est préférable de réfléchir un peu, et de commencer les recettes par une réflexion sur les objectifs et les moyens de les atteindre.
Par exemple, la cuisson d'endives (pour des endives braisées au jambon par exemple) : c'est un légume de fort diamètre, ce qui
signifie qu'il faudra un temps notable pour que la chaleur parvienne
jusqu'au centre et qu'elle ait quelque chance d'attendrir le tissu
végétal.
Car c'est bien là l'objectif : dans la recette que nous visons, on ne mange pas une salade
d'endives mais bien plutôt des endives braisées, cuites, attendries.
Inversement, avec de la choucroute, le chou est déjà divisé en petits filaments, de sorte que cette fois, l'objectif est moins d'atteindre le cœur du tissu végétal que de l'attendrir.
Et la comparaison de ces deux cuissons montre qu'il y a deux phénomènes essentiels dont il faut tenir compte très généralement pour la cuisson de légumes :
- faire augmenter la température jusqu'au coeur du tissu, d'une part
- et assurer son attendrissement d'autre part.
Pour le
premier ; les cuissons par conduction sont lentes parce que les tissus
végétaux sont faits essentiellement d'eau, qui n'est pas un bon
conducteur de la chaleur. Mais on peut imaginer évidemment d'autres
modes de cuisson où la chaleur ne sera pas communiquée par conduction, telle la
cuisson dans un four à micro-ondes, où l'énergie est déposée dans tout
l'ingrédient.
D'autre part, il y a l'amollissement des tissus végétaux, et cela
correspond cette fois à une réaction qui s'appelle beta élimination des
pectines : car les tissus végétaux sont faits de cellules (de petits sacs emplis essentiellement d'eau), jointoyés par
une sorte de ciment, la paroi cellulaire, qui est faite de sorte de
pylônes indestructibles, les molécules de cellulose, réunis par des "câbles", à savoir les molécules de pectine.
La dégradation par la chaleur des molécules de pectine, qui permettra ensuite la séparation des cellules, est une réaction chimique lente, et c'est la raison pour laquelle, si même la chaleur arrive rapidement dans la choucroute, il faut un certain temps de cuisson pour que cette dégradation de la paroi cellulaire ait lieu.
Combien de temps faudra-t-il ? La réponse dépend à la fois du type de tissu cellulaire et de notre goût. Il y a des tissus plus durs que d'autres, pour lesquelles une cuisson doit être prolongée (comparons du coing, d'une part, et de tendres petits pois, d'autre part) et il y a notre goût qui veut des légumes plus ou moins tendres.
lundi 18 mars 2024
De la délicatesse des liaisons
Les sauces ne sont pas des jus, et elles sont plus "fluides" que des purées. Il s'agit de liquides qui ont une certaine "épaisseur", obtenue par une "liaison".
Et il y a des liaisons variées :
- à l'aide de farine ou d'amidon, comme dans les veloutés ;
- à l'aide d'œuf, comme dans les hollandaises, les béarnaises ou les crèmes anglaises ;
- à l'aide de sang comme dans les civet ;
- par émulsion comme dans les mayonnaise ;
- par dispersion de particules
solides, ce qui se nomme des suspensions, comme dans les purées étendues ou les
velours (avec la carotte) et ainsi de suite.
Mais beaucoup de ces
systèmes sont opaques ou translucides, pas transparent, et il y a des vertus à napper les pièces de l'assiette par une belle sauce limpide et transparente, ce qu'on
n'obtiendra pas avec les systèmes précédents, même en passant un velouté au chinois.
Comment nous y prendre ?
Une clé est la dissolution de gélatine ou de molécules analogues dans un liquide clair. Partons d'un jus clairs, limpoides, réduisons-le et ajoutons lui beaucoup de gélatine : alors la sauce prend de l'épaisseur et garde une transparence parfaite.
Évidemment, une telle sauce figera si sa
température est inférieure à environ 30 degrés mais en tout cas, pour
une sauce chaude , il n'y a pas de problème et on obtiendra un résultat
tout à fait merveilleux.
lundi 5 février 2024
Faire une mousse
Les mousses sont à la mode, en cuisine, au point qu'un fabriquant de matériel de cuisine vient de produire un système pour en produire : il s'agit d'un mixer dont l'extrémité n'est pas une double lame, mais une sorte de pale qui brasse les liquides pour y introduire de l'air.
Certains nomment « écume » une telle mousse, parce qu'elle est très légère, faite de grosses bulles d'air, mais il s'agit bien d'une mousse, et, à la réflexion, ce sont plutôt les mousses classiques (de poisson, par exemple) qu'il faudrait renommer, tant elles sont peu foisonnées.
Quel nom trouver à ces dernières pour les distinguer des mousses « normales », que l'enfant obtient en agitant l'eau savonneuse de son bain, que le cuisinier obtient en battant des blancs en neige ? Souvent, ce sont des pâtes, faites de chair broyée, un peu foisonnées. Ce sont donc très peu des mousses.
« Pâte foisonnée » ? L'expression est aussi laide qu'encombrante, et, en tout cas, elle n'est pas alléchante. Souvent, ces préparations sont obtenues par mélange de crème fouettée et de chair broyée (avec d'autres ingrédients secondaires), de sorte qu'il s'agirait de « mousses au poisson », plutôt que de « mousses de poisson ». De sorte que la distinction serait faite.
Et, si ces préparations sont cuites dans une mousseline, ce seront des mousselines, tout comme elles seraient des terrines si elles étaient cuites en terrine, et des quenelles si elles avaient la forme appropriée.
La question étant environ réglée, concentrons-nous sur la question posée en titre : faire une mousse.
A cette fin, il faut un liquide, un gaz, des composés qui permettent de disperser le gaz dans le liquide. De tels composés sont dits « tensioactifs », et la cuisine en regorge : les protéines du blanc d'oeuf sont parfaites pour cet usage. La différence entre un émulsifiant et un tensioactif ? Elle est souvent faible, mais le mot « tensioactif » est plus général, car il désigne tout composé dont les molécules ont une partie soluble dans l'eau et une autre partie insoluble : ces molécules se disposent à l'interface (la limite) entre de l'eau et une phase qui ne soit pas de l'eau : huile ou air, par exemple.
Les émulsifiants, eux, sont des tensioactifs renommés pour désigner leur utilisation dans des émulsions, mais, avec leur constitution de tensioactifs, ces composés peuvent souvent produire des mousses. Les lécithines, par exemple, peuvent tout aussi bien faire une mayonnaise qu'une mousse : dans le premier cas, on les ajoute à de l'eau, avant de battre de l'huile ; dans le second, on les dissout dans de l'eau que l'on fouette, sans matière grasse. Autrement dit, pour obtenir une mousse à partir d'un liquide, c'est tout simple : ajoutons des protéines dans le liquide.
C'est ainsi que tient la mousse de la bière, et c'est ainsi que nous ferons tenir nos mousses de cuisine.
samedi 3 février 2024
Faire de la bonne choucroute ? Raisonnons
Je dois avouer ici que j'ai très longtemps mal cuit la choucroute parce que je suivais des recettes au lieu de chercher à comprendre comment faire. Raisonnons, plutôt.
La choucroute, c'est-à-dire le chou fermenté, c'est d'abord du chou cru, détaillé en filaments. De sorte que la choucroute crue a la fermeté d'un chou cru, même si la fermentation a conduit à quelques modifications.
De ce fait, il faut cuire la choucroute comme on cuit du chou cru.
On n'oubliera pas que souvent, la choucroute est acide et salée, de sorte que, avant la cuisson, il faut faire tremper la choucroute crue dans de l'eau, voire la cuire ainsi dans de l'eau (la "blanchir"), afin d'éliminer une partie de l'acidité et du sel. On jette cette première eau de cuisson.
Puis vient la cuisson proprement dite, qui va permettre d'obtenir un chou de consistance appropriée, et de goût bien "composé". Là, on peut ajouter un liquide qui s'évaporera, se concentrant, tel du bouillon de volaille, ou du vin (sans excès sans quoi on risque de renforcer l'acidité). C'est à ce moment-là que l'on pourrait ajouter des baies de genièvre, du cumin, et certainement aussi une matière grasse bien choisie pour son goût et non pas seulement pour assurer un contact entre la casserole et l'aliment à cuire.
Les pommes de terre éventuelles que l'on ajouterait pour agrémenter la choucroute finale ? Elles pourront cuire lors des deux phases de cuisson précédentes, parce que leur cuisson est un peu longue et que, de toute façon, il n'est pas vrai qu'elles s'imprègnent de quoi que ce soit (voir les expériences de nos séminaires de gastronomie moléculaire).
La viande et les saucisses ? S'il y a un goût de fumée, alors il sera bon de réserver viande, lard, saucisses et boudins blancs ou noirs pour la deuxième phase de cuisson, la cuisson proprement dite, afin que l'ensemble prenne ce goût merveilleux.
Finalement, il aura lieu de dresser la choucroute, ce qui se fait classiquement en la déposant joliment dans un plat, en l'entourant d'un cordon de pomme de terre, et en la surmontant des viandes et des saucisses, de boudins, blancs ou noirs, de lard...
Il faut observer, que cette construction traditionnelle est bien rudimentaire, et l'on peut s'interroger sur des façons plus élaborées de faire. Pourquoi ne pas organiser la choucroute comme des lasagnes, avec des rondelles de pommes de terre et du chou alternés ? Ou même avec les trois éléments que sont pommes de terre, chou et viande ? Certes, on n'ira pas jusqu'à l'extrémité de Pierre Gagnaire qui avait tressé les filaments de chou, mais il y a lieu de penser à dire à nos amis ce "je t'aime" culinaire qui s'impose absolument.
lundi 22 janvier 2024
Le Guide culinaire ne doit pas être utilisé comme manuel ! Ou alors, avec des précautions et des commentaires.
Voici un extrait du Guide culinaire, et un commentaire qui montre pourquoi on aura raison de ne pas croire ce qui est écrit :
Cuisson du roux : Le temps de cuisson, étant subordonné à l'intensité du calorique employé, ne peut être fixé mathématiquement,
Le « calorique » est une notion scientifique périmée depuis au moins deux siècles. Et, d’autre part, il n’y a pas de subordination.
Enfin, il ne s’agit pas de mathématiques, mais simplement de calcul.
Il aurait fallu écrire ici : Le temps de cuisson dépendant de la puissance du chauffage, ne peut être fixé
mais il est toujours préférable de conduire la cuisson plutôt trop lentement que trop vite, parce que : sous l'influence d'une chaleur trop vive, les cellules contenant les principes actifs de la farine se racornissent et emprisonnent étroitement leur contenu,
La farine ne contient pas de « principes actifs », et, même en 1900, cette description était scientifiquement périmée. Il faut plutôt considérer que la farine est faite principalement de grains d’amidon (petits grains ronds faits de molécules de deux sortes -des polysaccharides-, qui sont l’amylose et l’amylopectine) et des protéines (essentiellement des gliadines et des protéines).
Les protéines peuvent être « pyrolysées » par une forte chaleur, d’où un brunissement. Mais les granules d’amidon sont très résistants, et, en tout cas, les auteurs n’ont aucune preuve de ce qu’ils imaginent (j’insiste : c’est une supposition assez anthropomorphique).
Quant à « emprisonner étroitement le contenu »… d’objets qui n’existent pas, c’est de la pure imagination.
s'opposant dès lors à son mélange ultérieur avec l'élément de mouillement et, de ce fait, détruisant l'équilibre de liaison de la sauce.
Ici, puisque ces « principes actifs » n’existent pas, la conclusion ne peut pas tenir. Il reste à savoir s’il est exact que de la farine fortement torréfiée peut ou non s’empeser ; on observe qu’il n’y a pas un « mélange », d’une part, et qu’il ne s’agit pas de « détruire » un « équilibre de liaison (quel charabia!), mais simplement d’assurer la liaison.
Il se produit, dans ce cas, un fait analogue à celui qui se constaterait sur des légumes secs traités à l'eau bouillante. Il faut qu'une chaleur modérée d'abord, puis régulièrement progressive; provoque la distension des parois des cellules, pour que l'amidon qu'elles contiennent gonfle et, sous l'influence de la chaleur, subisse un commencement de fermentation qui le transforme en dextrine, substance soluble et principal agent de liaison.
Là encore, l’écriture est prétentieuse (« régulièrement progressive ») et les idées proposées sont fausses. Par exemple, la chaleur ne provoque pas la « distension » des parois des cellules. Pour les légumes secs, il y a bien une parois végétale, mais la chaleur provoque sa dégradation (en dégradant les molécules de pectine qui lient les fibres de cellulose), comme un ciment qui s’effriterait. Et l’amidon ne gonflera pas : les grains d’amidon pourront, s’ils sont en présence d’eau, s’ « empeser », ce qui signifie qu’ils libéreront des molécules d’amylose, tandis que des molécules d’eau migreront dans leur intérieur, créant un « gel ».
En tout cas, il n’y aura certainement pas de fermentation : les micro-organismes qui savent fermenter les polysaccharides sont tués par la chaleur. Quand à la formation de « dextrine », j’aurais bien aimé que nos auteurs m’expliquent ce qu’ils pensent que c’est. Les dextrines sont définies par l'Union internationale de chimie et des applications de la chimie (IUPAC) de la façon suivante (https://goldbook.iupac.org/terms/view/D01656) : "Poly-α-d-glucosides of intermediate chain length derived from starch components (amylopectins) by the action of amylases (starch hydrolysing enzymes).[Des poly-α-d-glucosides de longueur intermédiaire dérivés des composés de l'amidon (amylopectines) par l'action des amylases (les enzymes qui hydrolysent l'amidon)]. Ils ne faut pas les confondre avec les "dextranes". On peut imaginer que ces composés sont également obtenus obtenus par chauffage de l'amidon ou par son hydrolyse acide.
En tout cas, ce ne sont pas les dextrines (des molécules) qui assurent la liaison, mais les grains d’amidon empesés.
Une fois cuit, le roux brun doit avoir une belle teinte noisette claire, et se trouver absolument lisse et sans grumeaux.
Oui, là, on revient à du macroscopique, technique, solide (mais on revient de loin).
mardi 12 décembre 2023
Beurre nantais ? Beurre blanc ? Non, sauce blanche !
Ce matin, une question à propos de "beurre nantais"
Bonjour Monsieur This,
Je suis nantais d'origine et adepte de la sauce au beurre blanc (parfois appelée beurre nantais).
Je m'adresse à vous car je pense que vous êtes à même d'expliquer le pourquoi du comment quant à la réussite ou le ratage de cette sauce. Je la rate plus souvent (à mon grand désespoir) que je ne la réussis ! Et j'aimerais ne pas la rater pour les fêtes de Noël...
Après moult essais et recherches sur internet, je ne trouve pas d'explications scientifiques poussées.
Chacun a son explication ou son astuce mais sans trop pouvoir la justifier :
- couper menu les échalotes ??
- réduire très lentement le mélange échalotes + vinaigre + vin ??
- ajouter systématiquement du vin au vinaigre ( pb d'acidité ? acidité du vin moins importante que celle du vinaigre ? )
- laisser refroidir complètement la réduction d'échalotes avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter de la crème avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter un filet d'eau froide ??
- incorporer le beurre froid ou très froid ( il y a apparemment un consensus là dessus) ?? en petits morceaux ??
- mélanger le beurre sans jamais cesser de fouetter délicatement en formant des 8 et à feux doux ??
- beurre clarifié ??
- difficile de la réchauffer au bain-marie ??
Quelles sont dans toutes ces manipulations, les vrais gestes à faire et surtout pour quelles raisons je suis un?
Je vous ai connu par le biais de vos articles très intéressants dans la revue Pour la Science ( et gastronomie)
J'ai une formation scientifique ( baccalauréat C). J'aimerais comprendre le ou les phénomènes physico-chimiques inhérents à l'élaboration du beurre blanc.
Je crois avoir compris que le beurre est une émulsion inversée "eau dans huile" .
Est-ce qu'une question de température (froid au départ, pas trop chaud ensuite mais quels seraient alors les seuils à ne pas dépasser) et/ou d'acidité (vinaigre, vin), ou bien autre chose encore ?
En résumé, que se passe-t-il chimiquement pour que cette sauce au beurre blanc soit si instable ?
Je suis tombé sur ce podcast, certes intéressant, mais ne fournissant pas suffisamment d'explications ( il est question du beurre blanc des minutes 10 à 18) :
https://www.franceinter.fr/vie-quotidienne/le-beurre-blanc
J'espère que vous comprendrez mon interrogation et que vous pourrez y répondre malgré votre temps précieux.
Merci d'avance.
Bien gastronomiquement.
Et voici ma réponse
Merci pour votre message.
La première des choses que je fais, quand je discute d'une recette, c'est de savoir vraiment ce dont je parle... et cela m'a conduit à faire, chaque semaine, une recherche historique que je publie dans les Nouvelles gastronomiques... avec de nombreuses surprises !
Et pour le "beurre blanc" : https://nouvellesgastronomiques.com/beurre-blanc-non-sauce-blanche/.
Voici en clair :
Beurre blanc ? Non : sauce blanche
Hervé This s’interroge sur l’appellation de cette sauce que tout le monde connaît… Le beurre blanc ? Ces billets terminologiques ont déjà plusieurs fois signalé des attributions erronées de termes, et il vient d’en trouver un nouveau…
Wikipédia signalait que, en 1890, au restaurant La Buvette de la Marine, dans le hameau de La Chebuette, lieu-dit de la commune de Saint-Julien-de-Concelles, situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres en amont de Nantes, une certaine Clémence Lefeuvre aurait inventé le beurre blanc, pour le marier avec les poissons de Loire. On dit même que cela aurait résulté d’un ratage d’une béarnaise… mais c’est être bien ignorant de l’histoire de la cuisine que de propager cette idée, car on trouve déjà une sauce tout à fait analogue dans l’auteur du 17e siècle (deux siècles et demi avant cette cuisinière nantaise!) qui signe seulement de ses initiales « L.S.R », peut-être pour « le sieur Robert ».
Plus précisément, LSR, en 1643, propose de faire une « sauce blanche » avec beurre, bouillon, sel, poivre, qu’il sert sur du brochet, et qui insiste pour dire que l’émulsion doit être bien faite, sans « tourner en huile ».
Bref, Clémence Lefeuvre n’a rien inventé… d’autant que l’on retrouve encore cette « sauce blanche » chez Pierre François La Varenne : « faites une sauce avec du beurre bien frais, peu de vinaigre, sel, muscade, & un jaune d’oeuf pour lier la sauce. » Là, il détourne la sauce blanche de LSR, puisqu’il lie aux œufs. Massialot, en 1705, détourne encore davantage en proposant une sauce faite de persil, sel, poivre blanc, jaunes d’oeufs, filet de vinaigre, un peu de bouillon :cette fois, c’est une suspension, une sauce qui doit son épaisseur à la coagulation des jaunes d’oeufs plutôt qu’à l’émulsion du beurre fondu dans le bouillon dans le vinaigre.
A noter que tout cela se retrouve ensuite dans le "Glossaire des métiers du goût" : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout
(il me faut parfois un peu de temps pour rectifier le glossaire)
Cela étant, si votre recette consiste à faire revenir des échalotes avec du vinaigre et du vin, puis à ajouter de la crème et du beurre, alors je ne l'ai jamais ratée, considérant les principes sains suivants :
1. "Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
2. "Il faut des composés tensioactifs (protéines par exemple) pour assurer la dispersion stabilisée des gouttes de matière grasse dans l'eau".
Ici, l'eau vient du vinaigre, du vin, de la crème, du beurre... mais elle s'évapore, et c'est souvent la cause du ratage.
Couper menu les échalotes ? C'est seulement une question de goût, mais il est vrai que plus vous coupez finement, plus vous libérez le contenu des cellules.
Réduire lentement le mélange échalotes+vinaigre+vin ? A ma connaissance, personne n'a encore comparé la réduction lente ou rapide, analytiquement en tout cas. Une expérience à faire... assortie d'un test triangulaire, comme je l'explique dans l'avant dernier numéro de Pour la Science
Ajouter du vin au vinaigre ? Je crois que la question de l'acidité est très secondaire. C'est la présence d'eau qui compte.
Laisser refroidir les échalotes ? Aucun intérêt."Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
Ajouter de la crème ? La crème apporte de l'eau, ce qui permet de mettre ensuite plus de beurre. Elle apporte aussi des tensioactifs, et cela est important (voir plus loin).
Ajouter un filet d'eau froide : certainement, quand on met beaucoup de beurre, on risque de dépasser les 95 % fatidiques, et, tout comme on met du jus de citron ou du vinaigre dans une mayonnaise qui épaissit, un filet d'eau fait son office... mais dommage, car l'eau n'a pas de goût : pourquoi pas vin, vinaigre, jus de citron, thé, jus de légume, fond, jus de fruit, etc. ?
Le beurre froid, en morceaux : aucun intérêt, car il finit toujours par fondre et s'émulsionner.
Beurre clarifié : apporte moins d'eau, et le petit lait a un goût différent, donc une question de choix artistique (gustatif). Mais attention : pour un sauce sans crème, le petit lait devient essentiel, par les protéines qu'il apporte.
Réchauffer au bain marie ? Moi je réchauffe autant que je veux, et à plein feu, sans me fatiguer à faire un bain marie.
Bref rien de plus simple :
- le beurre fond, et fait "huile"
- il libère du petit lait (de l'eau et des protéines) quand il n'est pas clarifié
- et il faut 5% d'eau pour faire tenir l'émulsion, qui est d'ailleurs une émulsion de type huile dans eau.
Non, le beurre n'est pas une émulsion eau dans huile, comme cela est prétendu et fautivement enseigné jusque dans les écoles d'ingénieurs agronomes : voir à ce sujet mon livre Mon histoire de cuisine (fait pour des personnes comme vous), ou bien le Handbook of Molecular Gastronomy.
Les températures ? Peu importe... mais attention que plus on chauffe et plus l'eau s'évapore : pensons à nos 5%.
Instabilité de la sauce ? Les tensioactifs proviennent de la crème, du beurre... mais si l'on broie les échalotes, on peut aussi en extraire de ces dernières.
Car une émulsion, c'est de l'eau (phase continue), des gouttes d'huile, des tensioactifs pour les couvrir et les disperser.
Dans la crème et le beurre, il y a des tas de protéines, parfaitement tensioactives. Mais dans le beurre clarifié, elles ne sont pas présentes, d'où l'intérêt de la crème. A noter qu'on peut aussi ajouter des tensioactifs insipides : un quart de feuilles de gélatine, ou n'importe quel tissu végétal ou animal broyé finement (même du gazon), qui libérera des phospholipides et des protéines.
Bien cordialement, joyeuses fêtes
vendredi 8 décembre 2023
Bocuse nous a trompés
Le restaurant Paul Bocuse parle d'un "lièvre à la royale façon Antonin Carême"... mais je suis allé voir dans Carême (5 tomes)... et il n'y a rien de cela.
jeudi 7 décembre 2023
A propos de liaison des sauces
À propos de liaison de sauce, j'ai déjà distingué des émulsions, des mousses, des suspensions, et cetera, mais je m'aperçois que je ne suis pas allé à la racine de la chose : l'idée, c'est qu'on part d'eau, ou plus exactement d'eau qui a du goût, ce que les chimistes nomment des solutions aqueuses, obtenue par cuisson de tissu animaux végétaux dans de l'eau, dans du vin, et cetera.
Cette solution aqueuse est souvent très fluide, avec peu de viscosité, et on voudrait lui en donner afin qu'elle nappe les morceaux en gardant une consistance plus fluide que celle d'une purée, par exemple.
Autrement dit, il faut ralentir le mouvement de l'eau.
Et cela se fait :
- soit en dispersant dans l'eau de longues molécules qui se lit aux molécules d'eau, tels des polysaccharides ou des protéines, fautivement nommés hydrocolloides,
- ou bien en dispersant des structures variées dans l'eau afin que cette dernière soit très encombrée. C'est le cas pour les liaisons par des protéines telles que le jaune d'œuf ou le sang, qui coagulent à la chaleur, formant des structures dispersées dans l'eau
C'est le cas aussi de l'émulsification, avec des gouttelettes de matière grasse également dispersées dans l'eau, comme on le fait quand on monte une sauce au beurre.
On peut imaginer aussi la dispersion de bulles d'air, un foisonnement qui peut engendrer une mousse... et l'on sait bien qu'un blanc battu en neige, par exemple, ne coule pas.
Bref, les possibilités classiques de liaison se retrouvent toutes dans cette description. Les liaisons à la farine ou à l'amidon se trouvent dans la catégorie des suspensions, mais cette fois, ce ne sont pas des particules solides qui sont dispersés ; plutôt des grains d'amidon empesés, c'est-à-dire en réalité des petits gel.
Notons que l'on peut aussi obtenir le même type de système si l'on fabrique d'abord une gelée et que l'on mixe dans le liquide : on dispersera alors des micro-gels dans la solution aqueuse pour faire ce que j'ai nommé les "debyes".
Je dois pas oublier de revenir sur un point de détail avec les sauces "confortables", c'est-à-dire celle qui sont liées par addition de gélatine : cette fois il s'agit d'une protéine et non pas d'un polysaccharide mais les molécules de gélatine se lient également aux molécules d'eau et donnent aux sauces une viscosité de bonne aloi.
mercredi 6 décembre 2023
Le 13 décembre
Rendez vous le 13 décembre, dans la grande nouvelle bibliothèque d'AgroParisTech : nous y explorerons des ganaches, et le massage du chocolat !
Nous cuisons une côte de bœuf ? Soyons patient et chauffons modérément.
Comment cuire une côte de boeuf ?
Une
côte de bœuf, c'est une partie de viande très épaisse, parfois plus de
deux fois plus épaisse qu'un steak ordinaire. Et sa cuisson doit être
très longue mais pas trop chaud évidemment sans quoi la surface noirci t
exagérément.
Combien de temps cuire une côte de bœuf ? On peut apprendre à faire cette cuisson exceptionnelle en observant d'abord un steak que l'on ne retourne pas quand on le cuit : la chaleur se transmet par conduction, de la poêle à la partie de la viande en contact avec celle-ci, puis progressivement vers les couches supérieures.
Il faut se dire que la couche supérieure de ce steak que l'on me retournerait pas serait comme l'intérieur de la côte de bœuf : on voit bien, quand on cuit un steak que l'on ne retourne pas, que cette couche supérieure ne cuit que très lentement !
Voilà pourquoi il est essentiel de ne pas trop chauffer : cela n'augmente pas la vitesse de cuisson considérablement, et la surface brunit trop.
Ce que l'on voit aussi, c'est que la contraction de la viande là où elle est chauffée, c'est-à-dire dans la partie inférieure, expulse les jus qui viennent perler à la surface.
Et, pour terminer, on analysera l'expérience qui consiste à mesurer la température sous une viande que l'on cuit. Quand le feu est doux, alors on mesure une température de 100 degrés au contact de la poêle, car la contraction de la viande fait sortir le jus, qui est essentiellement de l'eau. Or l'eau qui bout le fait à 100 degrés : à cette température, la viande ne brunira pas. En revanche, si l'on pousse le feu, alors la température peut monter jusqu'à 300 ou 400 degrés et l'on comprend les causes du brunissement.
Avec tout cela,
nous avons de quoi faire cuire une bonne côte de bœuf
dimanche 3 décembre 2023
Du lièvre à la royale ?
Qu'est-ce qu'un lièvre à la royale
Méfions-nous de Wikipédia, car la consultation des sources précises montre que cette remarquable encyclopédie en ligne mérite d'être souvent corrigée... et nous verrons qu'il faut que je le fasse sans tarder, pour l'article consacré au lièvre à la royale.
En effet, il est parfois écrit que les préparations "à la royale" qualifient des plats dont la finesse et la qualité de préparation sont à la mode du roi, mais cela est bien insuffisant, comme nous le verrons, et, d'abord, en commençant en 1643, avec le livre de l'auteur qui n'a signé que de ses initiales "LSR". Je trouve ainsi un " Gigot de mouton farcy à la Royalle", qui s'obtient de la façon suivante :
1. prendre un gigot
2. casse le manche
3. lever la peau
4. lever les chairs et les hacher avec veau, lard, moelle, graisse de boeuf, fines herbes, champignons, œufs durs, assaisonné d'épices et de sel menu
5. fariner et faire sauter dans le beurre ou le lard
6. puis mettre en casserole avec du bouillon et un morceau de boeuf qui donnera plus de goût, quelques clous de girofle et des oignons
7. après environ une heure de cuisson, retirer de la casserole et réduire le liquide.
L'expression "à la royale" s'applique non seulement à des viandes, mais également à des potages : dès 1656, le cuisinier Pierre de Lune propose une recette qui consiste à hacher du blanc de volaille et à cuire avec bouillon, pistaches, jus de veau ; on garnit de crêtes et rognons de coq, jus de citron et veau.
Puis, en 1722, François Massialot reprend la recette du gigot, et avec la même recette que LSR. Tout comme d'autres qui le suivent. A cette époque, pas de lièvre à la royale !
Passons donc les décennies et arrivons à Jules Gouffé, qui, en 1867, qui donne à nouveau un potage à la royale... qui est en réalité une « julienne garnie de crème au consommé ». C'est en réalité une crème prise, faite de consommé et d'oeufs entiers, que l'on cuit au bain marie ; et l'on verse de la julienne par dessus. Il y a là une vraie cohérence à utiliser le mot "royale", parce qu'il est vrai que les "royales" sont des cubes de flans que l'on ajoutait aux potages. C'est donc une autre acception que pour le gigot à la royale, ou pour le lièvre à la royale que je ne trouve toujours pas dans les livres anciens… De même, quand il parle de « glace royale », il s’agit de cette préparation de pâtisserie que l’on fait avec des blancs d’oeufs et du sucre : rien à voir.
Mais Gouffé nous met sur la piste avec une " Sauce à la Royale" dont voici la recette :
"Déposez dans une petite casserole 3 douzaines de petites truffes crues, tournées en olives, mouillez-les avec un demi-verre de champagne sec, ajoutez un bouquet de persil; faites réduire le liquide en cuisant les truffes. —
D'autre part, versez dans un sautoir 7 à 8 décil. de velouté, ajoutez les parures crues des truffes, réduisez la sauce d'un tiers, en incorporant, peu à peu, 2 décil. d'essence concentrée de gibier ou de volaille; en dernier lieu, additionnez un demi-verre de vin du Rhin et la cuisson des truffes; donnez encore quelques bouillons à la sauce, passez-la à l'étamine dans une casserole, vannez-la, ajoutez les truffes cuites."
D'ailleurs, il nomme "petites timbales de volaille à la Royale" des quenelles qui sont accompagnées d'une telle sauce. Idem pour des "petites chartreuses à la royale". En revanche, son "salpicon royal" est une préparation différente, composé avec du foie-gras, des blancs de volaille, des ris d'agneau et des champignons cuits coupés en petits dés fins, mêlés, puis liés avec une sauce béchamel réduite, finie au beurre d'écrevisses. Mais ce salpicon est "royal", et non pas "à la royale".
Pas de lièvre à la royale dans le Guide culinaire, en 1901, mais, à la même époque, Joseph Favre discute un « appareil à la royale pour les potages de gibier », avec de la purée de gibier un peu liquide dans laquelle on a ajouté un peu de glace de viande pour brunir. Cet appareil peut servir pour les potages de gibier, ou comme garniture.
Tout cela montre que les deux recettes couramment nommées "à la royale", pour le lièvre, sont bien illégitimes et ignorantes de l'histoire de la cuisine : oui, du civet cuit avec ail et échalotes dans du vin rouge, effiloché au dernier moment, ou bien une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge également liée au sang, sont des préparations merveilleuses, mais elles usurpent le nom " à la royale".
Personnellement, je parle plus justement de "lièvre à la façon du sénateur Couteaux" ou de "lièvre Babinski", voire "lièvre Alibab" dans le dernier cas, car le livre de cuisine d'Alibab est une collection de recette par l'ingénieur Henri Babinski.
samedi 2 décembre 2023
Porc à l'ananas
Ce matin, une demande :