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lundi 17 juillet 2023

A quelle température ?

M'arrive aujourd'hui une question passionnante... et d'autant plus difficile que "des goûts et des couleurs on ne dispute pas"... car ils changent selon les individus, et même, ils changent selon les heures, les jours, les mois, les années pour un même individu. 
 
La question, tout d'abord : 
 
Cuisinier, j'ai évidemment beaucoup expérimenté à propos des goût de mes clients, de leurs préférences, et je me suis toujours étonné que certains apprécient de manger des mets brûlants ! 
Je ne comprends pas comment l'on peut apprécier ce qui est trop chaud, et je reste persuadé que certaines saveurs sont masquées. 
J'ai remarqué également qu'un plat trop froid ne dégage pas suffisamment de saveurs.
Je me posais la question suivante :
Quelle serait la température idéale pour apprécier au mieux son repas. J'imagine qu'il doit y avoir une température idéale où tous les composés aromatiques atteignent leur paroxysme.
 
 
Et mes réponses, puisqu'il en faut plusieurs :
 
 

Mon correspondant me parle  de "goûts" et de "saveurs", mais pour bien analyser sa question, et pour bien répondre, il faut clairement distinguer les deux termes.  Commençons donc ainsi, par nous entendre sur les mots. 


Le goût, c'est la sensation complète que l'on a quand on mange quelque chose. 

Par exemple,  quand on mange une fraise, on a un goût de fraise.Simple, non ? Et juste de surcroît ;-)

 Ce goût est constitué de différentes sensations élémentaires,  à commencer par la consistance.
Puis il y a aussi la température, qui intéresse notre correspondant.
Quand on mastique, l'aliment libère des composés solubles dans l'eau et qui, en conséquence, se dissolvent dans la salive et peuvent, au moins pour certains, venir se lier à des récepteurs des papilles et l'on perçoit alors les saveurs.
Mais tandis que l'on mastique, d'autres molécules sont libérés dans l'air de la bouche : notamment des molécules peu solubles dans l'eau telles que sont souvent les molécules odorantes ;  et ces molécules là remontent vers le nez par les fosses rétronasales et donnent une odeur que l'on peut qualifier de rétronasales. 
N'oublions pas les piquants et les frais, qui sont dues à des molécules soit solubles dans l'eau, soit non solubles dans l'eau et qui vont stimuler un neft particulier nommé nerf trijumeau de sorte que les sensations sont dites trigéminales.
Il y a encore d'autres modalités sensorielles et par exemple la perception des acides gras à longue chaîne insaturées, formés quand des enzymes de la bouche décomposent les molécules de triglycérides qui constituent les graisses. 
Et j'en passe.  J'allais par exemple oublier la couleur qui est si importante, au point que dans une pièce noire, on ne distingue pas un vin rouge d'un vin blanc !
Et les mots aussi ont leur importance : il suffit de dire le mot citron un grand nombre de fois pour avoir dans la bouche une salive abondante, qui fait un effet de tampon chimique, modifiant par exemple la perception de l'acidité. 
Et l'environnement général de la dégustation, et... et je m'arrête là parce que je risque d'être trop long.
Mais concluons : le goût, c'est tout cela à la fois (et la saveur n'est qu'une petite partie).

Tout cela étant dit, il y a maintenant les faits physico-chimiques qui consistent essentiellement à observer que plus l'aliment est chaud et plus les molécules odorantes seront libérées facilement  :  cela devrait conduire à une perception olfactive augmentée.
Mais en réalité, on sait aussi que, pour certaines molécules sapides au moins, et dans une certaine gamme, la perception des saveurs est améliorée par la température...  au moins jusqu'à un certain point. Et c'est ainsi que les charcutiers savent bien qu'il faut saler particulièrement leur terrine ou leur saucisson par exemple. 
 

Bien sûr, quand on se brûle la bouche, on ne perçoit plus les saveurs et, d'ailleurs, on ne perçoit plus non plus les goûts, car le goût est comme une sorte de trépied : si l'on retire un pied, tout s'effondre.
Et c'est en vertu de ce principe que les personnes âgées à qui l'on a remplacé beaucoup de dents, et qui ont ainsi perdu la capacité de bien détecter les consistances, sentent moins les goûts. 
C'est aussi en vertu de cela que quand on est enrhumé, on perd tout le goût et pas seulement la composante olfactive.
Bref, il faut tout pour bien sentir le goût.

 

Terminons en évoquant les récepteurs, auxquelles les diverses molécules, sapides, odorantes, etc. se lient, afin de créer nos sensations. Là, il peut y avoir des questions de température, pour leur liaison à leurs "ligands". 



Mais tout cela n'est que physiologie alors que mon interlocuteur m'interroge sur les préférences 

 

Or là, il ne s'agit plus de technique, de science, de physiologie, de physique, de chimie, mais de préférences, individuelles et changeantes.
On a pas assez observé que le bon, c'est le beau à manger, et que ce beau ne connaît pas de règles. 
On le comprend bien avec la musique : alors qu'un accord de do et de fa dièse a longtemps été considéré comme effroyable, Jean Sébastien Bach en a fait une beauté sublime ! Idem pour la peinture, la littérature, la sculpture ! Bien sûr, quand on ne sent plus rien parce qu'on s'est brûlé la bouche, on ne sent plus rien... mais on peut même imaginer des convives qui vont préférer cela : après tout, il y a des sadiques et des masochistes dans l'espèce humaine, non? 

Et puis, on sait assez que le Français aiment les escargots, tandis que les Anglais les détestent. On sait assez les enfants qui n'aiment pas les épinards, alors que ces derniers sont délicieux avec du beurre et de la crème, par exemple. On connaît le munster, en Alsace, le durian en Asie. Et ainsi de suite. 

La leçon, c'est qu'il ne faut jamais confondre le technique et l'artistique : oui, je dis bien artistique, en pensant au "beau à manger", le bon. J'ajoute que, pour le beau en général, il est étudié depuis des siècles, non pas par les scientifiques, mais par les praticiens de cette une branche de la philosophie qui a pour nom esthétique et qui considère tout particulièrement le beau.

En cuisine, je répète que le beau à manger c'est le bon,  et je répète qu'il n'y a pas de règle technique pour faire du bon, mais seulement un génie artistique pour le créer. Et j'admire sans réserve les grands artistes. 

Pour en savoir plus, j'ai écrit tout un livre à ce sujet : 


 


lundi 15 mai 2023

A propos de saveurs

 Aujourd'hui, il sera question de la saveur, pour la « cuisine note à note ». 

 

Une précision d'abord : la saveur est bien rarement perçue indépendamment du goût total, car les récepteurs des papilles sont souvent stimulés en même temps que les récepteurs olfactifs, notamment, puisque, lors de la mastication d'une bouchée, les molécules odorantes remontent par les fosses rétronasales, à l'arrière de la bouche, pendant que l'aliment est mastiqué, et que les composés sapides, libérés dans la salive, migrent lentement vers  leurs récepteurs des papilles. 

Un élément important, d'autre part  : cela fait maintenant des décennies que l'on sait parfaitement qu'il n'existe pas quatre saveurs, ni cinq (merci d'oublier ce fautif « umami », qui n'est pas une saveur élémentaire identifiée), ni six, mais sans doute une infinité, ce qui rend en la question de la construction des saveurs d'un aliment note à note  bien plus difficile, et donc bien plus intéressante. Cette fois, la question est ainsi posée : nous construisons un aliment note à note, et nous supposons pour commencer que l'ajout de composés sapides ne modifie pas la consistance qui était construite par ailleurs. 

 

La vraie question est la suivante : dans quel stock de composés allons nous choisir ? 

 

Bien sûr nous pouvons choisir parmi les sucres, les acides aminés, les sels minéraux, tous composés qui ont une saveur, mais puisque des composés qui n'appartiennent pas à cette catégorie sont également sapides, cela prouve que l'univers où nous choisissons doit être d'abord balisé, exploré. 

Par exemple, l'acide glycirrhizique, responsable d'une saveur particulière de la réglisse, n'est ni salé, ni sucré, ni acide ni amère... 

Alors ? D'un point de vue moléculaire, ce n'est pas un sucre, ce n'est pas un acides aminés,  ce n'est pas un sel minéral ; il appartient donc à une autre catégorie, mais laquelle ? 

On le voit, pour cette question des saveurs, non seulement le mélange de plusieurs composés sapides a une saveur que l'on ne sait pas prévoir, mais, de surcroît, on ne sait même pas, aujourd'hui, dans quel univers choisir les ingrédients que nous allons utiliser ! 

Il y a donc beaucoup à travailler. Ce qui est  merveilleux, de surcroît, c'est que les découvertes ne sont pas taries. Par exemple, on a récemment identifié une saveur du calcium, très spécifique. Et, un peu avant, on avait identifié une sensation due aux  acides gras à longue chaîne insaturée, dont on ne sait même pas si c'est une saveur ou une autre modalité sensorielle... La question des saveur de la cuisine note à note est  merveilleuse, totalement ouverte.

mercredi 15 juillet 2020

Plus que jamais, mettre en garde

1. Lors d'une formation académique, un samedi matin dans un lycée parisien, j'avais montré un oeuf (entier, dans sa coquille, tenu entre deux doigts, le gros bout en bas), & j'avais demandé à plus de 400 professeurs réunis où se trouvait le jaune.
Comme dans n'importe quelle assemblée, environ 80 pour cent de personnes ont répondu qu'il était dans la partie inférieure, 15 pour cent ont répondu qu'il était au centre, & reste ne savait pas.
Puis, j'avais ouvert l'oeuf en décalottant la partie supérieure, & on avait bien vu que le jaune flottait : le jaune d'oeuf est dans la partie supérieure, parce que, constitué de 50 pour cent de lipides, il flotte dans le blanc, lequel est une solution aqueuse de protéines (dix pour cent).

2. Cette présentation me servait à introduire la discussion sur la position du professeur devant sa classe, & nous avions eu un débat : doit-on dire aux élèves que l'on ignore la réponse à une question, quand on l'ignore ? Peut-on faire état de son ignorance, à propos d'une question même simple ? Moi qui répond évidemment que c'est la meilleure des solutions, j'avais été étonné de voir la moitié de l'assistance ne pas adhérer à l'idée. Et je n'ai toujours pas compris les arguments de ceux qui n'étaient pas de mon avis (si vous avez une idée pour m'aider, merci de me la donner).

3. Car se poser en sachant est très téméraire : n'est-ce pas, notamment s'exposer à se faire réfuter ? Et n'est-ce pas mentir, en quelque sorte ? En tout cas avoir une prétention... indue ? Je ne sais pas bien pourquoi (j'y réfléchis), mais je vois le même mécanisme que dans les publications de science & technologie des aliments, quand s'alignent à l'infini ces textes  qui nous disent que tel ou tel composé est bon pour la santé.

4. Tiens, dans une table des matières qui m'arrive aujourd'hui même d'une revue scientifique internationale, je trouve :
- un nouveau mode d'encapsulation : évidemment une révolution dans le contrôle de la faim
- un nouveau pesticide : évidemment bien mieux que tous les précédents
- un nouvel antifongique : excellent (mais...  in vitro ; pour l'in vivo, un voile pudique est jeté)
- encore un système d'encapsulation : "nouveau", meilleur...
- encore un nouveau produit pour traiter le foie
- un nouvel antibactérien qui réglera la question
- et j'arrête là, car à lire cette table des matières, il y a lieu de penser que tous les problèmes de santé sont résolus, n'est-ce pas ?

5. Comment s'expliquer, alors, que nous soyons si démunis face au dernier coronavirus ? Et que des maladies frappent encore ? Puisque tout ou presque est "bon pour la santé" ou "mauvais pour la santé", comment est-il possible, avec nos certitudes, nous ayons encore à explorer ces questions ? C'est évidemment que les publications scientifiques sont bien excessives, dans leurs revendications.

6. Car c'est un fait que nombre de publications scientifiques imposent de "vendre" les manuscrits, au point qu'elles demandent aux auteurs de préparer des résumés qui attirent les lecteurs. Oui, dans les milieux scientifiques ! Et comme pour les professeurs qui hésitaient à se dire ignorants (d'un sujet), certains d'entre nous ne résistent pas à la pression sociale, & acceptent de faire croire qu'ils ont trouvé la panacée.

7. En matière de saveurs, la question du glutamate  est du même type : à en croire certains qui étudient la question, c'est la clé parfaite du goût... mais alors, pourquoi l'industrie alimentaire ne cesse-t-elle d'ajouter d'autres composés à ses bouillons cubes : inositides et autres ? Pourquoi la question n'est-elle pas résolue depuis longtemps ? Le glutamate, finalement, ne serait-il pas non plus un Graal ? On nous aurait donc menti ?

8. La réponse à cette dernière question est évidente : un composé ne fait pas le goût à lui tout seul, fut-il soutenu commercialement et publicitairement par des lobbys industriels puissants. Et mieux encore, c'est une naïveté immense que de croire qu'elle pourrait être résolue : on ne progressera qu'en pensant le contraire.

9. Bref, tout cela est à dire aux étudiants : rien n'est résolu ! La lutte contre les champignons est à peine entamée ; la connaissance des effets biologiques des composés des aliments reste très rudimentaire ; les saveurs sont extrêmement mal connues, &, en tout cas, les théories des quatre ou des cinq saveurs sont fausses ; & ainsi de suite.

10. Bref, il y a de la place pour :
- de la belle recherche scientifique et technologique
- une lutte contre les prétentions, même dans le milieu scientifique
- une recherche didactique de qualité, afin de permettre aux étudiants de mieux apprendre.


dimanche 6 mai 2018

On ne perçoit jamais les saveurs, la consistance, les odeurs rétronasales...

Régulièrement juré dans des concours de produits alimentaires (cuisine, charcuterie, etc.), je vois régulièrement des grilles d'évaluations très... disons insuffisantes. Je passe sur les confusions entre saveurs et goût, entre odeur et arôme, entre sensations trigéminales et saveurs, sans compter sur l'ignorance des modalités sensorielles récemment découvertes, et je m'interroge ici sur la conception de grilles plus justes : comment les réaliser ?

1. Pour répondre à la question il faut répéter que nous pouvons percevoir l'aspect visuel sans trop de difficultés. Certes, le nom qui est donné à l'objet nous conditionne un peu, mais il reste que du jaune n'est pas bleu, par exemple.  On pourra donc questionner les jurés sur la couleur, la texture visuelle, ou diverses caractéristiques spécifiques, telle la fleur d'un saucisson.

2. Puis il y a l'odeur anténasale : celle que l'on a quand on approche le produit du nez. Ce n'est pas un arôme, sauf si le produit que l'on teste est une plante aromatique. Et la grille peut donc porter une case "odeur anténasale", éventuellement subdivisée, afin de tenir compte de particularités de la catégorie de produits évalués. Par exemple, un munster ne devra pas avoir la même odeur qu'un camembert.

3. Le produit vient en bouche, et il est vrai que l'on perçoit assez bien la consistance. Enfin... En réalité, c'est plutôt la texture que l'on perçoit : le même carré de chocolat que l'on croque est croquant, alors qu'il est fondant quand on le mange lentement. De sorte qu'il serait parfois judicieux de donner des indications sur la manière de consommer le produit, afin que les divers jurés soient en accord sur la perception à décrire.

4. Toujours en bouche, on sent le "goût" : c'est une sensation synthétique qu'il est bien difficile de séparer en ses différentes composantes que seraient la saveur, l'odeur rétronasale, la perception trigéminale (frais, piquant...), d'autant que tout s'influence.
On pourrait donc se limiter à interroger les jurés sur le goût, ou bien, s'ils se bouchent le nez avant de commencer à mastiquer, ils pourraient percevoir la saveur, avant d'ajouter la composante d'odeur rétronasale quand ils ouvriront les doigts.

Au delà, c'est du baratin.

mercredi 31 janvier 2018

Luttons contre les confusions afin de penser mieux



Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, il a été fait état du message que j'avais émis urbi et orbi,  à propos de la confusion entre mousses et émulsions. Les participants du séminaire semblaient contents de ce billet parce qu'il semblait dclair, donnait des indications simples, utiles, efficaces. 

Toutefois la discussion a été plus loin, et les participants m'ont conduit à faire état d'une liste de confusions courantes, à savoir la confusion entre arôme et odeur, la vieille croyance des cuissons par concentration ou par expansion (théorie fausse, il faut le redire !), la théorie fausse des quatre saveurs, la théorie fausse des cartes de la langue, l'umami, le "food pairing", l'omniprésence des réactions de Maillard. N'en jetons plus ! 

Ici je propose de donner des explications à ces divers propos. 



Commençons par  la différence entre arôme et  odeur. Un aliment qui a une odeur a... une odeur : cela signifie qu'il émet dans l'air des molécules odorantes. Nous percevons ces molécules de deux façons : par le nez, quand nous humons l'aliment  avant qu'il soit dans la bouche, puis une deuxième fois par les fosses rétronasales, qui relient la bouche au nez à l'arrière de la bouche, celles qui nous font ces sensations désagréables quand nous  "buvons la tasse". 

Les molécules odorantes sont les mêmes par les deux voies, mais les circonstances d'évaporation étant différentes, les odeurs perçues sont différentes dans les deux cas (pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer). 

Cela étant, ce sont les mêmes molécules, et elles ne sont pas toujours aromatiques, puisque, en français, le mot "arôme" désigne l'odeur d'une plante aromatique, d'un aromate. Oui, ces odeurs particulières que sont les arômes sont dues à des molécules odorantes, bien sûr, mais les viandes n'ont pas d'arôme puisque ce ne sont pas des plantes aromatiques. Les viandes ont... une odeur. Idem pour le vin, dont l'odeur  n'est pas l'arôme, mais ce que l'on nomme le "bouquet". Idem pour les légumes, telles les carottes, etc. 

Cessons donc d'utiliser le mot "arôme" à tout bout de champ et, quand nous aurons fait le ménage devant notre porte, nous pourrons aller combattre l'emploi du mot "arôme" pour désigner des préparations de l'industrie que l'on devriat nommer des compositions ou des extraits odoriférants. Je n'ai rien contre ces préparations qui sont parfois merveilleuses... sauf que je critique leur nom, qui est fautif et que je condamne absolument, parce qu'il crée de la confusion, et qu'il est en réalité déloyal :  une composition ou un extrait contenant des molécules odorantes, ce n'est pas l'odeur d'une plante aromatique, et ce n'est donc pas un arôme. Combattons la réglementation actuelle ! 



A propos des prétendues quatre saveurs, maintenant. Cette théorie date d'un autre siècle, et elle est complètement fausse : la réglisse n'est si salée, ni sucrée, ni acide, ni amère ; sa saveur due à l'acide glycirrhizique est... réglisse. Le bicarbonate de sodium a une saveur douceâtre et savonneuse. L'éthanol a une saveur originale, en plus d'être brûlant et odorant. Et ainsi de suite. 
Les physiologistes, qui savent ce dont ils parlent, répètent depuis des décennies la vérité, à savoir qu'il n'y a pas quatre saveurs, mais sans doute une infinité. Da'illeurs, il n'y a pas un amer, mais plusieurs, ce que démontrent les études d'électrophysiologie sensorielle, où l'on suit la libération d'ions calcium  par des cellules réceptrices que l'on stimule : deux composés dits "amers" ne stimulent pas les mêmes cellules. Idem pour les acides, les sucrés, etc. Il faut parler des amers, des acides, des sucrés...
Tout cela est parfataitement connu de la physiologie et c'est donc être très ignorant que de répéter la théorie des quatre saveurs. Evidemment, c'est encore plus grave de l'enseigner, mais je me réjouis que la réforme des CAP de l'hôtellerie restauration ait mis bon ordre à tout  cela. Je déplore cependant que des paresseux publient encore des manuels où la théorie fausse des quatre saveur subsiste.
Aidez-moi à les combattre  : il en va de la formation des jeunes ! 



Ah, j'y pense : puisque la théorie des quatre saveur est fausse, la  carte de la langue où l'on percevrait les quatre saveurs par des zones particulières de la langue est donc également fausse. Il suffit de faire l'expérience pour  s'en apercevoir, mais l'erreur est en outre de principe ! 



La saveur umami ? Ce serait celle de l'acide glutamique, du glutamate de sodium, des inositides, et de bien d'autres composés utilisés par l'industrie pour donner de la saveur aux mets... mais ce qui alerte, c'est que les publications y voient la saveur de la plupart des mets agréables : tomates, parmesan, viandes... Bref, une panacée gustative. 

Il y aurait lieu de s'en méfier par le simple fait d'avoir énoncé le mot "panacée", qui signifie en français "qui guérit tout". Rien ne guérit tout, et il est bon de ne pas céder aux sirènes... commerciales, car c'est un fait que c'est surtout qu'une société qui vend du monoglutamate de sodium, qui promeut la saveur umami.
D'ailleurs, je m'arrête aussitôt, en écrivant l'expression "saveur umami", parce que... existe-t-elle ? On peut dire "carré rond", mais à quoi bon ? Ce qui et vrai, c'est que l'acide glutamique à une saveur, tout comme un autre acide aminé nommé alanine (la saveur de l'alanine est différente de celle de l'acide glutamique), tout comme le monoglutamate de sodium, tout comme les autres acides aminés.
Toutefois, si les dashi, bouillons japonais obtenus par infusion d'algues, ont une saveur qui serait umami, cette saveur ne serait pas élémentaire, puisque ces bouillons contiennent à la fois l'alanine et l'acide glutamique. Une somme ne peut  être égale à l'un de ses termes que  si elle est nulle !
Et n'est-il pas troublant que celui qui vend un produit soit celui qui promeut ses vertus ? Bref, même si  nous sommes fascinés par la culture japonaise (pourquoi, au fait ?), gardons notre raison, et refusons la saveur umami, puisqu'elle n'existe pas ! 



Le "food pairing", maintenant. Là encore, c'est une théorie fausse... promue par une société qui y a intérêt. Initialement, cette théorie stipulait que le cuisinier pouvait associer deux ingrédients si ces deux ingrédients avaient une molécule en commun. L'idée est séduisante parce qu'elle est simple... mais elle est simpliste, et fausse : les ingrédients culinaires contiennent toujours au des composés odorants en commun ! 

Face à cette critique, la société qui promouvait la théorie fausse (elle vend des "arômes alimentaires") a modifié la théorie, et stipulé que l'on pouvait associer deux ingrédients s'ils avaient des  molécules odorantes "essentielles" en commun. Un peu trop facile d'adapter l'idée à ses contradictions ! Et puis, la nouvelle théorie reste fautive... parce que l'on est bien en peine de savoir quels sont les composés odorants, sauf dans quelques cas particuliers (la vanilline de la vanille, l'eugénol pour le clou de girofle, l'octénol pour les champignons...). 

Enfin, et surtout, on ne doit pas oublier que la cuisine est une activité artistique, et que le bon artiste a tous les droits. En musique, il peut mettre un fa dièse avec un do s'il a envie (et s'il est compétent). En peinture, il peut  juxtaposer les couleurs à son gré, faire les perspectives qu'il désire  : pensons à Picasso ! En littérature, il peut  commencer une histoire par le début comme il peut la commencer par la fin. Et, en cuisine, il peut faire ce qu'il veut, sans "food pairing" qui tienne  ! 


Cuissons par concentration et cuisson par expansion : je croyais avoir tant combattu ces idées fausses que je croyais que c'était fini, mais on vient de me signaler un manuel où les auteurs -je les trouve irresponsables- continuent de propager cette théorie fausse. Pour ceux qui ignorent le débat, voici. 

Depuis un siècle environ, pour des raisons historiques que je n' ai pas encore comprises, s'est introduite l'idée selon laquelle les viandes rôties aurait  été cuites par concentration et les viande bouillies par expansion. Dans le cas du rôti, le jus, qui aurait eu peur  de la chaleur (sic !), se serait réfugié à coeur des viandes. Dans le cas des viandes bouillies, les viandes se seraient "expandues" dans le liquide. Le problème, c'est que, dans les deux cas, la viande se contracte et du jus  en sort ! Le résidu brun, sur le plat à rôtir, est dû au jus qui est sorti et a séché quand la viande s'est contractée... car c'est quelque chose de facile à voir que les viandes se contractent à la chaleur : il suffit de les peser ! Dans un bouillon, de même, une viande qui pesait initialement un kilogramme ne pèse plus que 750 grammes environ, quand le bouillon atteint l'ébullition, que l'on ait d'ailleurs plongé la viande dans de l'eau chaude ou dans de l'eau froide. Bref, il n'y a pas de concentration dans la cuisson fautivement dite par concentration, et la viande ne s'expand pas dans la cuisson fautivement dite par expansion. Raison pour laquelle le référentiel des CAP de cuisine a supprimé ces notions, et raison pour laquelle les élèves auraient le droit d'attaquer en justice des professeurs qui enseigneraient encore ces notions fausses ! 



Maillard, enfin. Là, je suis un peu fautif, malgré moi, parce que, avec mon livre Les secrets de la casserole, qui fut un best-seller, j'ai popularisé ces réactions chimiques importantes. Oui, les réactions de Maillard (plutôt, d'ailleurs que "la" réaction de Maillard) est historiquement importante, et il est également vrai qu'on la rencontre, en cuisine... mais ce qui devient cocasse, c'est quand j'en viens à m'entendre expliquer ce que c'est, par des personnes qui ne comprennent pas ce que c'est, et qui m'en donnent une description fausse. 

Les réactions de Maillard : ce sont des réactions entre des sucres "réducteurs" (pas tous les sucres, donc, et notamment pas le saccharose, ou sucre de table) et des acides aminés. Il faut dire "les" réactions de Maillard, parce qu'il y a des sucres différents : cétoses ou aldoses. Et il est vrai que, ces réactions initiales étant faites, les produits de Maillard se réarrangent, ce qui conduit à du brunissement, de l'odeur, de la saveur, du goût quoi. 

Cela étant, il n'est pas vrai  que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température : si le cristallin des personnes souffrant de diabète s'opacifie, c'est à cause des réactions de Maillard, par exemple. Le brunissement rapide des viandes, lui, provient d'innombrables réactions, de pyrolyse, oxydation, hydrolyse... Au lieu d'invoquer Maillard... à toutes les sauces, il faut faire preuve de discernement, et ne pas verser dans l'erreur  par ignorance. 



Je m'arrête là, non pas qu'il n'y ait plus de confusion qui courent, mais parce que ce billet est hélas très négatif, ce qui n'est pas mon habitude. L'objectif est d'être utile. Merci aussi à mes amis que je heurte bien involontairement en leur faisant prendre conscience d'erreurs où ils sont que mon objectif n'est pas de leur nuire, mais, au contraire, de les aider à penser mieux, plus justement, sur des bases plus saines. 





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 21 janvier 2018

Il y a une infinité de saveurs !



Le mot « saveur » est employé à toutes les sauces, mais son étymologie est conforme à son sens juste, bien reconnu par les spécialistes de la physiologie sensorielle, à savoir que le mot désigne les sensations comme les sucrés, les salés, les amers, les acides… et toutes les autres.


Expliquons, d'abord, pourquoi on utilise le pluriel pour la quatre sensations classiques, avant d'expliquer pourquoi ces quatre ne sensations ne sont ni les seules, ni élémentaires.

 Ce sont sont pas les seules : par exemple, la réglisse n'est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère. L'ion glutamate, que l'on trouve notamment (mais pas seulement!) dans le monoglutamate de sodium d'une certaine cuisine asiatique, a une saveur originale, qui fait penser à certains à du bouillon de volaille. Le bicarbonate de soude a une saveur particulière, et ainsi de suite. Il n'y a pas quatre saveurs, ou cinq, ou six, mais sans doute une infinité.

Les quatre saveurs les plus connues ne sont d'ailleurs pas « élémentaires » : d'une part, parce qu'il est erroné de dire « le » sucré, ou « l' » amer, ou « l' » acide, et, d'autre part, parce que rien ne les distingue. Oui, il n'y a pas un amer, par exemple, mais un très grand nombre : à preuve, l'amer de l'oignon roussi n'a rien à voir avec l'amer de la quinine, qui n'est pas combattu par le sucre de table, ou saccharose. L'acide acétique n'a pas la même acidité que l'acide citrique, ou l'acide tartrique.


Enfin, il faut ajouter que des composés peuvent avoir à la fois une odeur, une saveur, et même des effets différents, par exemple « trigéminaux » (les piquants, les frais…). Par exemple, l'éthanol pur (ou en solution dans l'eau, comme pour la vodka) a une odeur, une saveur, une sensation trigéminale. Idem pour le menthol de la menthe, par exemple.



Finalement, parler de la saveur d'un mets est une faute courante : il faut parler de son goût… car il est bien difficile de faire la part des saveurs dans les seules sensations que nous ayons : les sensations synthétiques qui sont celles du goût.









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)