mardi 25 novembre 2025

Il faut distribuer très largement le texte suivant



Par ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, par ces temps de confusion de direction de la science et de son exercice bien fait, par ces temps de confusion de la science et de la technologie, il y a lieu de relire le discours prononcé par Albert Einstein pour le soixantième anniversaire de Max Planck :

Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L
’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester!
Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent.
Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.
Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas.
Mais une constatation s’impose à moi. II n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés.
Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous.
Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables.
Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives.
Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien.
A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective.

Munis de cet éclairage, regardons autour de nous, dans les laboratoires, les universités, les instituts de "recherche" (un mot merveilleux qui est malheureusement dévoyé quand il est utilisé pour confondre, et non pour discerner mieux)... Que voyons-nous ?

lundi 24 novembre 2025

Je veux surtout frayer avec des gens gentils

 

1. Discutant avec un collègue d'un comité éditorial, nous évoquons le cas de ces rapporteurs qui mêlent des jugements de valeurs désobligeants aux critiques fondées qu'ils peuvent faire.

2. Mais, pour expliquer la question, il faut reprendre à la base & expliquer que quand un manuscrit est soumis à une revue, le secrétariat de rédaction confie à un éditeur le soin de chercher deux rapporteurs, qui vont donc lire le manuscrit & en faire une analyse.
Il y a des situations variées, notamment certaines revues veulent simplement une évaluation du manuscrit, mais généralement, les rapporteurs doivent analyser le texte ligne à ligne & identifier toutes les corrections qui devront être faites pour que le texte soit publiable par la revue.

3. C'est là où commence la difficulté car "analyse critique" ne signifie pas critique, mais seulement dépistage factuel d'erreurs de tous ordres : les rapporteurs doivent relever les erreurs, les imprécisions, etc., & cela concerne tout aussi bien le projet scientifique que les fautes d'orthographe.

4. Or la communauté scientifique sait très bien qu'il y a l'écueil de ces rapporteurs qui mêlent des jugements de valeurs à leurs analyses, & cela n'est pas bon : on a le droit de signaler beaucoup d'erreurs, mais on n'a pas le droit de dire que l'article est "mauvais",  & c'est donc la tâche de l'éditeur que de gommer ces phrases qui peuvent être selon les cas méprisantes, désobligeantes, déplacées, hors de propos... sachant de surcroît que, comme je le montrerai dans un autre billet, les rapporteurs ne sont pas parfaits, loin s'en faut.

5. Il y a donc lieu d'être prudent quand on est éditeur d'un article à propos de ce que l'on transmets aux auteurs, & c'est là que notre discussion d'aujourd'hui commence : mon collègue avec qui je discutais me disait que, étant scientifiques, nous ne devons pas avoir à craindre les blessures narcissiques &  que tout cela n'est pas très grave.

6. Je m'oppose absolument à cette idée & non pas seulement pour ce qui me concerne mais surtout pour tous les jeunes scientifiques nous voulons encourager. Ce n'est pas en tapant sur les cornes de l'escargot qu'on lui permettra d'avancer, ce n'est pas en blessant nos amis que nous créerons une communauté soudée, amicale, cohérente...

7. D'autant que les rapporteurs sont loin d'être parfaits, & que, bien souvent, on voit des commentaires fautifs !

8. Mon collègue, à qui je réponds cela, me rétorque que si l'on récuse ces rapporteurs déplaisants, personne n'acceptera plus de faire le travail de rapporteur...
Mais pas du tout : c'est seulement que nous n'aurons plus ces rapporteurs détestables, & ce sera tant mieux !

9. En tout cas, il n'y a pas lieu d'encourager un état d'esprit agressif, dans les évaluations (terme mal choisi) de manuscrits. Au contraire, il faut enseigner (je dis bien "enseigner") à nos collègues à être civils, gentils, indulgents, encourageants...

10. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais moi-même publié un article qui disait en substance que nous avions moins besoin d'évaluations que d'analyse des manuscrits & de conseils à donner aux auteurs pour qu'ils améliorent ces derniers jusqu'au point de les rendre publiables.

11. Et, en disant cela, je ne cède en rien sur la qualité des textes publiés, qui doit être parfaite. Il doit y avoir autant d'aller-retours que nécessaires pour arriver à la publication, & il est hors de question de publier des articles scientifiques insuffisants.

12. Le jugement des textes par les pairs est un bon principe, qu'il faut conserver (en plus du double anonymat ; voir https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes, et améliorer. Pour cela, il faut encourager la gentillesse, l'intelligence, la droiture... & les qualités scientifiques.

Vient de paraître

 

Hervé This, Cuisiner, entre fermeté et tendreté… mais avec tendresse, Nutrition Infos, N°87, octobre-novembre-décembre 2025, pp. 30-32.

Hervé This, Au nom du plat, Charcuterie&Gastronomie, N°509, Décembre 2025, pp. 46-48.

dimanche 23 novembre 2025

Savez-vous vraiment organiser une conférence ?

Un conseil à mes jeunes amis qui organisent des conférences : anticiper tout ce qui ne va pas, tout ce qui peut ne pas aller, tout ce qui n'ira pas.

Je commence par une comparaison avec le remplissage de l'aimant d'un spectroscope de résonance magnétique nucléaire (RMN) avec de l'azote liquide, ce que je fais chaque semaine. Il s'agit de quelque chose de simple : on se procure de l'azote liquide, livré dans un gros bidon, on relie ce dernier par un tuyau souple à une entrée du réservoir d'azote liquide dans la partie de la machine qui sert d'aimant (mais c'est secondaire), et l'on utilise un gaz (qui est du diazote gazeux, dans une bouteille), pour pousser le liquide du bidon vers l'aimant. 

 

Derrière cette description volontairement simplifiée (toujours le gros avant le détail), il y a de nombreuses précisions à donner et c'est la considération de ces dernière qui a permis que, pour la même machine, avec la même type de configuration, ceux qui faisait le remplissage avant moi mettaient 50 minutes et remplissaient deux fois par semaine, tandis que je ne mets plus que 11 minutes en remplissant une fois par semaine... ... ce qui réduit considérablement les risques, en plus de coûter moins cher, et de gagner du temps.

Comment cela est-ce possible ? Quand j'ai dû prendre en charge en la machine, j'ai cherché à comprendre ce que nous faisions et j'ai agit en conséquence.

Par exemple, plus qu'il s'agit de pousser du gaz, on comprend qu'il faille que le circuit soit étanche, sans quoi le gaz fuit et l'on ne pousse rien.
D'où un certain nombre d'actions correctrice qui ont permis d'arriver là où nous en sommes : éviter les fuites à la bonbonne de gaz, entre la bonbonne et le bidon d'azote liquide, à la sortie de ce bidon, à l'entrée dans l'aimant. J'insiste un peu : on voit bien que c'est la compréhension de la chose qui permet de faire mieux.

Mais, il est arrivé tant de catastrophes, pendant nos différents remplissage depuis plusieurs années, que les descriptions précédents sont loin de suffire.
Par exemple, il est arrivé que le bidon de soit pas livré à date.
Il est arrivé que le tuyau en plastique avec lequel le remplissage se fait a éclaté pendant le remplissage. Il est arrivé que la bonbonne de gaz soit vide en cours de remplissage.
Il est arrivé que, malgré nos soins, le système d'étanchéification ne soit pas étanche.
Il est arrivé qu'il y ait un bouchon de glace dans la machine, ce qui bloquait l'entrée de l'azote liquide.

Et j'en passe ! J'en passe, parce que je veux maintenant arriver j'arrive à la conclusion de cette comparaison initiale : il y a quelques années, un jeune ami impétueux de notre groupe de recherche m'a vu faire deux fois ce remplissage et il m'a dit vouloir faire le remplissage suivant. Pourquoi pas, mais en était-il capable ? En l'occurrence, certainement pas, pour celui-là en particulier, notamment parce qu'il avait ce défaut considérable de voir trop court. Et c'est ainsi que, sachant qu'il était incapable de faire l'opération, j'ai voulu lui donner une leçon : je l'ai laissé commencer l'installation, mais à un moment, avant de faire couler l'azote liquide, je lui ai demandé ce qu'il ferait si le tuyau en caoutchouc cassait ? Comme il ne savait pas que le tuyau puisse casser, il n'avait évidemment pas envisagé une action rapide à mettre en oeuvre.
J'en ai rajouté une couche, en lui demandant ce qu'il ferait s'il y avait un bouchon de glace dans la machine, et là encore, il n'avait aucune idée de la chose.
De sorte que je l'ai en quelque sorte renvoyé à ses études, en lui faisant comprendre que, à l'avenir, il ferait mieux d'être moins prétentieux et plus réfléchi.

Mais la vraie conclusion de toute cette affaire, c'est que nous sommes tous un peu comme lui, et que nous devons apprendre à voir plus loin que le bout de notre nez.

Je peux enfin, maintenant, en arriver à la question de l'organisation des séminaires, des conférences.

J'y arrive, parce que, hier, alors que nous organisions une conférence avec quelques amis, nous avons eu une série de catastrophes... comme il y en a toujours. La veille, tout d'abord, l'un des conférenciers m'a signalé par email qu'il avait un problème d'emploi du temps et qu'il ne pourrait pas faire la conférence prévue. Point final. Sans échappatoire.

Je lui ai dit d'abord répondu que nous pouvions changer l'horaire et là encore il n'a pas accepté, puisque, en réalité, je pense qu'il n'avait rien préparé.

Je lui ai également demandé s'il pouvait se faire remplacer, mais bien sûr aucun remplacement était possible puisque c'était une personne tout à fait exceptionnelle ;-).

Comme j'avais une conférence déjà presque prête, je l'ai finie, et nous avons rétabli le programme.

Mais le matin même de la conférence, je reçois un email d'un autre orateur programmé, me disant qu'il y avait un tremblement de terre dans son pays et qu'il n'avait plus d'électricité.

Dans ces cas-là, cela ne sert à rien de se stresser, et la solution la plus évidente était donc de raccourcir la conférence, en oubliant cette intervention.

Mais, prudent, je me suis mis à contacter tous les autres conférenciers, bien qu'ils aient été contacté une semaine plus tôt, et bien m'en a pris, car un troisième conférencier m'a dit avoir un empêchement. Là, nous avons pu chambouler l'organisation pour lui trouver un moment adéquat.

Et finalement, puisque c'était une conférence par internet, nous avons encore eu les habituels problème de connexion, à savoir que le lien qui nous avions distribué à tous pour se connecter n'a pas fonctionné, alors qu'il avait été prévu deux mois plus tôt.

Tout cela étant réglé, la conférence a commencé à l'heure, et ceux qui se sont connectés n'ont rien vu de grave : tout s'est passé apparemment comme il fallait.

Croyez-moi : je sais qu'il se passe tout cela chaque fois ou presque, c'est la raison pour laquelle je prépare les choses à l'avance, la réponse la raison pour laquelle j'envoie des messages, et je renvoie des messages, avec des accusés de réception.

Mais je sais aussi que cela ne suffit pas : comme pour le tuyau en caoutchouc qui peut éclater lors d'un remplissage liquide, il y a donc lieu d'avoir des ceintures et des bretelles, et il l'on peut être sûr que s'appliquera la "loi du petit Wolfgang", qui stipule qu'il y aura une proportion de gens pénible constante, régulière, certaine... et qu'il faut tenir compte de cela dans une organisation, sans quoi on est un médiocre organisateur.

Bien sûr, il est facile de mettre des noms sur un papier et de demander à des personnes une fois si elles acceptent de faire une conférence, mais cela n'est pas "organiser une conférence".

Organiser une conférence, c'est envisager le pire, très positivement, et observer que, quand une conférence que l'on organise ne pose pas de problème, c'est une sorte de miracle qu'il faut célébrer (au crémant d'Alsace, par exemple).

samedi 22 novembre 2025

Continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?

 
Un correspondant m'interroge : 

Comment à continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?

La question ne se pose pas seulement à ceux qui arrêtent leurs études au brevet, car il n'y a pas de réelle différence par rapport à ceux qui arrêtent au baccalauréat, ou à la licence, ou au master, où à la thèse, par exemple.

La question est la même pour tous, et pour tous les métiers. D'ailleurs, dans mon énumération précédente, je me suis arrêté à la thèse, mais il faut évidemment poursuivre avec l'activité professionnelle : bien sûr, on peut exercer un métier et vouloir l'exercer toujours de la même façon, mais je ne parviens pas à penser que, dans nombre de cas, cela soit assez amusant pour qu'on y passe une vie.

Certes on peut vouloir s'améliorer progressivement, tel le tailleur de pierre qui devient progressivement mieux capable de doser le coup de maillet, tel le peintre qui maîtrise de mieux en mieux la peinture... Mais même ces métiers où l'habileté nécessite un entraînement constant ne peuvent échapper à un mouvement de transformation.

Par exemple, le peintre ne broie plus ses couleurs, et les produits qu'il achète évoluent... sans compter des évolutions indispensables : le blanc de céruse, épouvantablement toxique, a été heureusement remplacé, interdit, et un peintre qui voudrait l'utiliser ne le pourrait plus et ne le devrais pas.

Un tailleur de pierre ? Dans la mesure où il travaille en communauté, il est comme un laborantin qui expose les autres à ses propres actions, de sorte qu'il a une responsabilité : ne pas dégager des poussières comme jadis, à ne pas mettre en danger ses collègues par des pratiques ancestrales...

Bref, il y a donc la nécessité de connaître les transformations du monde, et c'est cela a minima, la formation continue. Je sais, d'autre part, qu'il existe des personnes qui font leur travail, et cela seulement ; oui, des personnes qui travaillent, qui s'arrêtent à la fin de la journée et reprennent leur travail à l'identique le lendemain... mais que font-ils de cette citation de Brillat-Savarin "L'âme, cause toujours active de perfectibilité" ?

Je ne parviens pas à penser que je puisse admirer les individus routiniers, et je préfère consacrer ce billet à la question méthodologique de la formation continuée : comment faire cette formation ?

Et là , je m'émerveille qu'au 21e siècle, le partage de l'information ne permette plus à des "castes" de préserver leur secret. Cette question des secrets techniques n'est pas ancienne, puisque Joseph Favre, auteur du Dictionnaire universel de cuisine, au 19e siècle, reçut des menaces de ses collègues parce qu'il donnait aux "ménagères" la possibilité d'évaluer le travail de leur cuisinier et d'éviter la valse de l'ance du panier.

Il donnait de la connaissance, alors qu'une caste voulait protéger ses secrets. Et ce que je dit d'hier demeure aujourd'hui, en cuisine notamment, comme je peux en témoigner.

Mais bref, il y a maintenant des possibilités merveilleuses de trouver de l'information... mais il y a la nécessité de savoir ce que vaut cette information à disposition de tous.

Nombre de podcasts culinaires avancent des idées techniques fausses : cela va de la pincée de sel dans les blancs d'oeufs que l'on monte en neige à la réalisation de mayonnaise, et, toutes ces "précisions culinaires" que nous testons depuis des décennies.

De même pour le jardinage, où n'importe qui pourra se rendre compte de la cacophonie : par exemple, à propos de bouturage de rosiers, on s'amusera de voir que certains proposent de l'hormone de bouturage, d'autres préconisent de ne pas en mettre, certains proposent d'enterrer à un oeil, d'autres à deux yeux, certains proposent de planter la tête en bas, d'autres pas, et ainsi de suite quasiment à l'infini.

Comme en cuisine, chacun a sa recette... et personne ne donne de justification à l'exception d'une expérience très idiosyncratique, très limitée, sans référence, avec seulement des arguments d'autorité qui ne valent donc rien.

En réalité il y a lieu de prendre les choses de plus loin et de poser deux questions. Tout d'abord qu'apprendre ? Ensuite où trouver la bonne information ?

La nature de ce qu'on va apprendre est bien difficile à définir, comme je l'avais indiqué dans un billet précédent, sur les lois de la réfraction, mais on pourra quand même observer qu'il n'est peut-être pas nécessaire de refaire un travail de sélection qui a été fait par les inspecteurs de l'éducation nationale et les commissions des programmes : si l'on a arrêté ses études au brevet des collèges, alors on peut avoir l'envie d'apprendre ce qui a été donné à d'autres par la suite, au lycée.

Là, la réponse à la seconde question est vite trouvée : le contenu des référentiels est public, sur le site de l'Education nationale, et la présentation des notions fait l'objet des manuels, qui ont été préparé par des équipes de professeurs qui ont longuement discuté la présentation, la façon didactique de transmettre les notions.

Cette analyse vaut tout aussi bien pour ceux qui sont arrêtés au baccalauréat et qui voudraient poursuivre : ils trouveront en ligne, sur les sites universitaires, les référentiels des licences, des masters, à savoir les informations qu'ils peuvent avoir à cœur d'apprendre, chacun selon leurs envies, leurs goûts, le temps disponible... Dans ces formations continuées, les revues de vulgarisation sont importantes, parce qu'elle présente les notions les plus actuelles, mais assorties des informations nécessaires pour arriver à la compréhension des nouveautés.

Il y a là un travail très important et une grande responsabilité pour ces revues, et c'est la raison pour laquelle j'y ai travaillé pendant si longtemps, avec une volonté politique très ferme, très semblable à celle des philosophes des Lumières qui ont élaboré l'Encyclopédie.

À ce propos de la vulgarisation, il y en a deux sortes : celle qui vise à dire (en substance) "la fusée à décollé" et celle qui explique comment on a réussi à faire décoller une fusée. On comprend que je préfère de beaucoup la seconde manière, car non seulement elle donne les moyens de la preuve, mais de surcroît elle donne des informations complémentaires, qui évitent de nous entraîner à supporter des faits plats et bêtes. Le fait qu'une fusée ait décollé relève surtout de la formation politique que technologique, et ne nous pas beaucoup grandir. D'ailleurs, je ne parviens pas à penser que la vulgarisation soit utile si elle ne donne pas aussi une "compétence", en plus des connaissances. Bien sûr, toute cette réflexion doit être poursuivie !

vendredi 21 novembre 2025

La structure des articles scientifiques

 
C'est amusant de voir qu'aujourd'hui, pour les sciences de la nature, la structure conventionnelle des articles scientifiques est parfois considérée comme un carcan, alors que sa mise au point progressive a été un progrès extraordinaire, une innovation merveilleuse.

Jadis, les articles scientifiques étaient de très longues descriptions d'expériences, avec des mots, des phrases interminables, et chacun devait en quelque sorte inventer la structure de son récit.

Progressivement, on en est arrivé à une structure qui est la suivante : les articles ont un titre ; puis on indique les auteurs, assortis de leur affiliation ; suit un résumé, des mots clés, puis une introduction, une partie qui décrit les matériels et les méthodes, avant d'arriver aux résultats, ces derniers étant ensuite discutés avant que l'on conclue, que l'on imagine des perspectives, et que l'on termine par des références indispensables.

Je propose d'observer que cette structure est rationnelle.

Tout d'abord, il y a le titre, qui est "efficace" : on sait aussitôt ce que l'on pourra trouver, on sait si le sujet est celui qui nous intéresse. Ensuite les indications des auteurs sont importantes, parce qu'elles reconnaissent la paternité d'un travail, qu'elles le remettent dans un contexte d'une oeuvre, qu'elles nous signalent un collègue intéressant, dont nous irons éventuellement lire d'autres articles.

Je ne saurais dénoncer assez énergiquement les revues qui indiquent les auteurs en fin d'article, ce qui force les lecteurs à s'y reporter avant de revenir lire le texte.
Et puis, il y a un peu de mépris, en quelque sorte, à ne pas reconnaitre immédiatement les auteurs d'un travail.

Le résumé en début de document est utile, on s'en aperçoit quotidiennement, car il précise un peu le titre, de façon rapide, et permet d'éviter de se lancer dans des lectures qui nous intéresseraient pas vraiment. Les mots clés aussi, sont importants, car ils permettent les indexations, les rangements dans des bibliothèques, mais leur place est de moindre importance, car ils correspondent maintenant à des objets numériques.

L'introduction est manifestement indispensable en début de texte, parce qu'elle annonce la question, le travail, la structure du texte : ne pas donner ces informations, ce serait comme tirer derrière nous des personnes sans leur expliquer où l'on veut les conduire et pourquoi.
Bref, il y a lieu d'expliquer le contexte, de situer la question étudiée dans un ensemble de connaissances plus vaste, de montrer des relations entre les expériences effectuées et la question posée, et ainsi de suite, mais je n'insiste pas ici, parce que j'ai déjà traité cela ailleurs.

Vient ensuite la partie qui dérit les matériels et les méthodes. Là, c'est tout à fait indispensable, parce qu'un résultat sans la description fine des matériels des méthodes qui y ont conduit ne vaut rien.
Donner un résultat de mesure sans indication de l'incertitude de mesure, par exemple, c'est nul, et notamment parce que l'on ne pourra pas rapporter ce résultat à un autre, à le comparer.

Les résultats : il faut les donner, mais on aurait peut-être intérêt à le faire en deux fois : d'abord exposer rapidement, au premier ordre, les résultats, puis entrer ensuite plus dans les détails. Les discussions ne peuvent venir qu'après, et être séparées des résultats, car ce sont des interprétations, d'un autre ordre que des résultats.

Là, c'est le moment de faire véritablement œuvre scientifique, et ne pas se contenter de dire que l'on retrouve des choses qui ont déjà été observées... sans quoi le travail ne sert pas à grand chose... mais je me suis exprimé à ce propos.

Vient alors le moment de conclure, ce qui se fait mieux si l'on envisage positivement des perspectives. Et l'on termine avec les références qui doivent être nombreuses : chaque fait, chaque idée, chaque résultat qui est donné doit être parfaitement justifié, et part de bonnes références.

Je suis très opposé aux revues qui limitent le nombre des références que l'on peut donner, car si beaucoup de référence s'imposent, elle s'imposent ; et autant les questions de place, de papier à imprimer, étaient importantes naguères, autant elles sont devenues obsolètes aujourd'hui.

Bien sûr, on pourrait s'amuser à changer l'ordre de tout cela mais j'espère avoir montré qu'il y a une grande cohérence, un grand progrès. Il faut dire et redire que l'analyse des publications du passé montre combien notre structuration moderne est utile pour les lecteurs, efficace en terme de communication scientifique.

Je ne dis pas qu'on peut pas faire mieux, mais j'observe quand même que nos amis les plus originaux ont fort à faire avant de trouver mieux. Et s'ils trouvent vraiment mieux, je serai le premier a populariser leurs idées.

Car il y a des tas de questions que l'on peut se poser : à propos de la représentation des molécules, à propos de la communication des résultats d'un spectre...

Au fond, pour chacune de ces questions, il faut de l'intelligence, afin de faciliter la lecture : pour nos amis qui nous lisent, déroulons le tapis rouge.

jeudi 20 novembre 2025

Tel est pris qui croyait prendre... mais on sort par le haut



J'ai souvent dit que la science ne doit servir à rien (on va voir ce que cela signifie) et j'entends un ami, qui m'a écouté, me dire que la science ne sert à rien.

Je suis évidemment offusqué, car, étant de ceux qui sont soucieux de la façon dans l'argent public est dépensé, je ne peux évidemment pas admettre que l'on puisse croire que les sciences de la nature dépensent l'argent du contribuable en pure perte !

C'est donc une mauvaise formulation que j'utilisais, et que je me promets de corriger.

Mais il faut aussi expliquer à mes amis qui m'avaient mal interprétés pourquoi la science est utile, et ce que je voulais dire en ne lui attribuant pas d'objectif... autre que la découverte !

Enfin, nous chercherons une formulation améliorée, qui ne conduira plus à des confusions.

Commençons donc par expliquer ma déclaration.

Et précisons tout d'abord que je ne considère ici que les sciences que je connais, à savoir les sciences de la nature. Ma déclaration se fonde sur le fait que, suivant de nombreux Grands Anciens (Lavoisier, Pasteur, Einstein, etc.), je fais une différence très nette entre les sciences de la nature et les applications de ces sciences.

Ainsi la technologie, qui vise les applications techniques, se soucie non pas de chercher le mécanisme des phénomènes, mais des perfectionnement des techniques. Et les questions posées par la technologie sont inspirés de ce questionnement de la rénovation des techniques.

Pour les sciences de la nature, il en va différemment, puisque l'objectif est de faire des découvertes : de trouver ce que l'on n'imagine même pas !

J'ai expliqué ailleurs, dans des billets relatifs à la stratégie de la recherche scientifique, pourquoi il était difficile de savoir a priori où chercher et, de fait, il ne me semble pas légitime de recourir à des questions technologiques pour faire des découvertes : non seulement l'objectif n'est pas le même, mais, surtout, il n'y a aucune garantie que la recherche dans les champs identifiés par la technologie puisse être couronnée par la découverte !

Au mieux, on aura résolu le problème technologique, mais on n'aura pas fait ce qui relève de la mission des sciences de la nature.

Pour mieux me faire comprendre de mes amis, je prends parfois l'exemple du GPS, dont le fonctionnement repose sur la théorie de la relativité. Le questionnement d'Albert Einstein, quand il était en chemin vers la théorie de la relativité, n'était certainement pas de localiser le possesseur d'un téléphone portable sur le globe terrestre.
De façon bien plus fondamentale, sans imaginer la moindre application a priori, il voulait comprendre les phénomènes de l'inertie, la raison pour laquelle la vitesse de la lumière est maximale, comment les vitesses s'ajoutent...
J'insiste : Einstein ne voulais pas a priori, dans sa dans ses travaux, chercher les applications.
Pourtant, quand les technologue ont eu les moyens (l'électronique, l'informatique) et les idées d'améliorer la technique, ils l'ont fait, en se fondant sur les travaux de la relativité.

Avec cet exemple, on voit bien là les mouvements très différents des sciences de la nature et de la technologie. Les sciences de la nature n'ont aucun intérêt, aucune garantie de succès, dans la technologie, et la technologie d'ailleurs, n'a pas intérêt à passer son temps à faire de la science, sans quoi elle oublierait son objectif qui est le perfectionnement technique.

Cela étant dit, il faut aussi ajouter que les applications techniques ne sont pas les seules applications des sciences de la nature. Savoir que la Terre n'est pas plate est une de ces connaissances qui ont permis à l'humanité de ne plus croire le monde régi par des dieux envoyant la foudre, la tempête ; qui ont permis de lutter contre les superstitions, lesquelles font souvent le lit des tyrannies.

Il n'est pas "inutile", du point de vue de notre humanitude, de savoir que la Terre tourne autour du Soleil, et non l'inverse. Nos connaissances nous font véritablement humains, et les connaissances scientifiques sont en quelque sorte l'honneur de l'esprit humain (comme le disait le mathématicien Jean Dieudonné à propos des mathématiques).

Deux types d'applications, donc... au moins : les applications didactiques, les applications techniques... Mais j'en passe : la rationalité, les méthodes, etc. Et il faut maintenant que j'arrive à la question de dire les sciences. Au fond, au lieu d'être négatif, ne pourrait-on pas simplement dire, positivement, qu'elles cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthode que j'ai décrite ailleurs ? Qu'elles produisent des théories en constante amélioration ? Quel bonheur : du négatif inexact transformé en positif utile à la compréhension. Décidément, je reste sur ce point de vue.