jeudi 17 octobre 2024

Merveilleux gestes de chimiste

 Parmi les gestes merveilleux du chimiste, il y a celui qui consiste à garder le bouchon du flacon que l'on a ouvert dans la paume de la main, à la partie inférieure, tandis que les doigts servent à tenir le flacon lui-même ou un autre objet : de la sorte, on ne dépose jamais le bouchon sur la paillasse, et  on évite ainsi 

- soit de contaminer le bouchon avec des composés présents sur la surface de la paillasse

- soit de contaminer la paillasse avec le bouchon. 


Un autre geste important et celui qui consiste à verser un liquide en le faisant couler le long d'une baguette de verre. La capillarité maintient le liquide contre la baguette, et évite que l'on renverse  du liquide sur la paillasse. 

Il y a ainsi foule de petit gestes que le chimiste peut apprendre et exécuter merveilleusement. N'est-ce pas le rôle des cours d'introduction à la chimique que d'enseigner ces gestes ?

Des anneaux dans le nez ?

Je me demandais pourquoi je n'aime pas les anneaux dans le nez. Dans notre groupe d'étudiants, il y en a eu deux qui ont un anneau dans le nez. Bien sûr, je respecte le choix de chacun tant qu'ils ne me gênent pas, d'autant que je n'aime pas me préoccuper des détails vestimentaires s'ils ne compromettent pas la sécurité (maitre mot, pour un laboratoire de chimie). 

En revanche, je viens de m'apercevoir  que, quand je croise une personne qui a un anneau dans le nez, mon regard tombe sur l'anneau (il a sans doute été mis pour cette raison, car sinon, pourquoi l'aurait-on mis ?) et c'est ainsi que je comprends que si je regarde l'anneau, je ne regarde pas la personne dans les yeux. 

Or le regard dans les yeux et pour les primates, notamment l'espèce humaine, quelque chose de vraiment très important, et le détourner n'est pas sans conséquence dans la relation que nous créons avec l'autre. 

Au fond, derrière l'originalité de l'anneau dans le nez, n'y aurait-il pas  la volonté de ne pas regarder les gens dans les yeux, de détourner le regard des interlocuteurs ?  Une analyse bien naïve mais après tout, je suis quand même plus intéressé par les molécules qui elle, non généralement pas d'anneau dans le nez ;-)

Salades de lentilles, salades de pommes de terre

Dans le séminaire de gastronomie moléculaire d'hier, nous avons testé l'effet éventuel de l'ajout de vinaigrette sur les pommes de terre chaudes ou sur des lentilles chaudes, plutôt que sur les pommes de terre froides ou des lentilles froides.
Nous avions déjà considéré plusieurs fois la question, mais de façon un peu secondaire. Là, nous avons le voulu refaire la chose, non pas seulement sur les pommes de terre comme par le passé, mais aussi sur les lentilles puisque c'est une indication que nous avions trouvé dans des ouvrages professionnels.
Nous avons donc au moins pour une partie du séminaire, cuit des lentilles et des pommes de terre, dans de l'eau, départ à  froid ; puis nous avons divisé les lentilles cuites en deux moitiés, et divisé les pommes de terre en deux moitiés. Dans une des deux moitiés de chaque lot, nous avons ajouté immédiatement la vinaigrette, laquelle avait été réalisée à partir de vinaigre et d'huile. Évidemment, les quantités de lentilles, de pommes de terre et de vinaigrette étaient pesées pour chaque cas. Et nous avons ensuite organisé un test triangulaire pour détecter d'éventuels effets.

Je suis heureux de vous dire que nous avons le résultat : il y a très peu de différence, et la seule que nous ayons pu établir un peu était une perception un peu supérieure du vinaigre quand la vinaigrette était ajoutée à froid.
Mais en réalité, on conservera à l'idée que les différences étaient absolument minimes et en tout cas inférieures à ce que je nommerais l'effet sauce :  c'est-à-dire que la quantité de sauce ajoutée, quand elle diffère dans un lot dégusté, est prépondérante. C'est cette quantité différente éventuelle qui conduisait à des reconnaissances éventuellement erronées entre les lots à froid et à chaud.

Tout cela est donc bien clair : il y a très peu de différence entre l'assaisonnement à froid et l'assaisonnement à chaud pour les pommes de terre comme pour les lentilles. 

mercredi 16 octobre 2024

Pour verser sans renverser

Ce matin, je vois une vidéo où l'auteur renverse d'abord du jus d'orange sur la nappe, parce qu'il le verse d'un verre dans un autre. Puis il  explique qu'il y avait lieu d'éviter ce désagrément en faisant couler le liquide contre une cuillère que l'on tient par-dessus le verre. Et il conclut : " pourquoi n'ai-je pas su cela avant ?"
 

Oui pourquoi n'a-t-il pas su cela auparavant ? Ma réponse est qu'il n'a pas du bien d'écouter les cours de chimie ou d'introduction à la chimie qu'on lui a dispensés, où ce que ces cours n'ont pas fait leur travail, à savoir expliquer les gestes élémentaires de la chimie. 

Car il s'agit là effectivement d'un geste que l'on apprend dès le début, à savoir verser en faisant couler un liquide contre une baguette en verre, de sorte que la capillarité assure l'écoulement du liquide contre la baguette. 

Au fond, les gestes de la chimie sont souvent des gestes du quotidien, et l'on peut compter sur les chimistes pour avoir perfectionné ces gestes.
Vive la chimie (cette science merveilleuse qui ne se confond pas avec ses applications), bien plus qu'hier et bien moins que demain !

mardi 15 octobre 2024

La vérité ? Elle ne peut être qu'expérimentale


On vient de m'interroger à propos de vérité... en supposant sans doute que j'étais capable de donner une réponse. Je sais trop les innombrables débats épistémologiques à ce propos... mais  je me aussi souvenu en avoir imprudemment fait  billet précédent. Je suis donc allé consulter ce billet, et j'y ai trouvé une ou deux choses intéressantes, mais, à la réflexion, il me semble que j'ai oublié un point important, à savoir que la seule vérité en sciences de la nature, c'est celle des faits expérimentaux, des phénomènes.
J'ai déjà dit ailleurs que la transformation de l'alchimie en chimie s'est faite environ entre la parution du premier tome du 4e tome de l'Encyclopédie de Diderot, d'Alembert leurs amis : le changement le plus considérable, dans cette affaire, a porté sur la position de l'expérimentateur par rapport à l'expérience. Dans l'alchimie, si l'expérience ne donnait pas le résultat escompté, c'est que l'expérimentateur n'avait pas le degré de pureté, d'élévation, de compétences, et cetera voulu. Mais pour la chimie c'est bien différent  : l'expérience, c'est l'expérience, et le résultat de l'expérience est, quoi qu'il arrive, le résultat de l'expérience. L'expérimentateur n'est que cette personne qui a suivi un certain protocole, d'ailleurs pas toujours celui qu'elle imaginait suivre,  qui a effectivement effectué certains gestes, avec certains réactifs, et obtenus les résultats que l'on constate par après.
Au fond, la seule vérité est expérimentale.

Fait-on de la science différemment selon l'idée que l'on s'en fait ?

Pour différents scientifiques, il y a différentes idées de la science. Par exemple, les physiciens les plus classiques ne sont pas les chimistes :  dans le premier cas, on s'intéresse à des lois universelles, tandis que, dans l'autre, on examine les caractéristiques moléculaires des objets,  en y repérant une foule de règles moins générales, mais parfaitement fondées et qui, parfois, "expliquent" les grandes lois. Quant aux biologistes, ils font leurs études en se souvent que "tout ce qui se rapporte au vivant doit s'interpréter en termes d'évolution". 

Ces perspectives différentes conduisent à des expérimentations différentes, à des travaux scientifiques de types différents. Dans le premier cas, puisque l'on ne s'intéresse pas aux détails des objets, il est évidemment inutile de les caractériser en détail, car sur quelles caractéristiques faire porter  les analyses ? En conséquence, les articles de physique ne comportent pas de longues sections de « Matériels et méthodes ». En revanche, dans le second cas, les parties de «Matériels et méthodes » sont parfaitement essentielles, car les caractéristiques déterminent absolument les objets que l'on étudie. Il y a d'ailleurs une boutade selon laquelle que les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, tandis que les chimistes font des expériences très sales, avec des réactifs très propres ; et l'on ajoute alors « et les physico-chimistes ? ». Pour les biologistes, je connais moins, de sorte que je laisse mes amis se déclarer. 

Mais la blague précédente, si son fond est juste, est fausse dans sa forme, car les chimistes sont des scientifiques comme les autres, pour qui la méthode est de 

(1) identifier un phénomène ; 

(2) le caractériser quantitativement ; 

(3) réunir les données en équations nommées "lois" ; 

(4) chercher des mécanismes (notions, concepts) compatibles quantitativement avec ces lois ; 

(5) chercher des conséquences testables des théories ainsi produites ; 

(6) tester les prévisions expérimentales. Pour en revenir à notre discussion, il y a donc bien une différence de pratiques entre les deux groupes, et il y  aurait également des différences avec les géologues, les biologistes, etc. Mais il y a plus. Pour certains, qui sont dans le camp de Karl Popper, la question centrale de la science est la réfutabilité des théories, et il y a une manière de faire, qui consiste à douter des lois que l'on produit soi-même. Pour d'autres, qui acceptent (je ne sais vraiment pas pourquoi) l'idée de « vérité scientifique », il y a une pratique scientifique bien différente, parce que comment, alors, penser que tout est faux ? Plus généralement, j'ai exposé dans mon Cours des gastronomie moléculaire N°1 diverses idées que les scientifiques se font des sciences de la nature. Et, par ailleurs, j'ai discuté les diverses stratégies scientifiques. 

Evidemment il y  une relation entre ces deux groupes : le cadrage de nos activités scientifiques dépend de la position épistémologique que nous adoptons. Seulement, à titre d'exemple, citons cette « abstraire et généraliser », qui consiste à vouloir immédiatement chercher des caractéristiques générales, des catégories : là, on part d'un objet local, et on cherche ensuite à en retrouver les propriétés. C'est bien différent de cette stratégie qui veut découvrir des objets, et conduira à passer beaucoup de temps à mettre au point des outils d’analyse, qu'il s'agisse de microscopes ou de télescopes, ou encore d'autres outils qui révéleront des caractéristiques des objets du monde : leur spectre d’absorption lumineuse, leurs propriétés d'adhérence, leur tension de vapeur…. 

Finalement, en dépassant la question stratégique et en arrivant à la question de l'évaluation, on voit qu'il est bon d'arriver au point où nous nous plaçons en rapporteur de nous même, et de nous demander  non pas seulement quelle activité scientifique, ou quel type d'activités, nous avons, mais pourquoi nous avons ce type d'activités. Il est tout à faire remarquable que ce genre de discussions n'apparaisse jamais dans les articles scientifiques qui sont publiés, comme si les chercheurs devaient se résoudre un peu honteusement à des travaux strictement « techniques ». 

Le chimiste Jean Jacques, qui a fait toute sa carrière ou presque au Collège de France, a publié quelques ouvrages de réflexion sur sa pratique scientifique. Il s’agissait de livres très personnels, où, d'ailleurs, Jean Jacques mettait au premier plan la « sérendipité », c'est-à-dire cette chance qui sourit aux esprits préparés, cette attentions aux aléas expérimentaux. J'ai un peur que cette emphase n'ait été qu'idiosyncratiques. 

Et c'est assez éloigné de ce que je propose de faire. Par exemple, dans nos documents de cadrage des travaux scientifiques, nommés DSR, il y a très rapidement, après le titre, l'énoncé de la question étudiée, et, surtout, les raisons pour lesquelles on fait cette étude. Evidemment, on évitera des réponses convenues, telles celle qui justifie une étude de la couleur des aliments par une phrase qui dirait que la couleur est un paramètre essentiel de l'appréciation desdits aliments, ou celle qui justifie une analyse d'oignons par une phrase qui fait état du fait que les oignons sont les tissus parmi les plus consommés de l'alimentation humaine. 

Ce sont en réalité là des explications de nature technologique et non pas scientifique, et il vaut bien mieux s'interroger pour véritablement répondre honnêtement, même si cela est très difficile, à la seule question que doive se poser un scientifique : <b>comment la science progressera-t-elle éventuellement grâce aux études que je propose de faire ?

lundi 14 octobre 2024

La sauce brune ?

Les livres de cuisine parlent souvent de sauce brune : de quoi s'agit-il ? 

Exploration faite, dans les livres de cuisine depuis le Viandier, au 14e siècle, c'était quelque chose de si commun qu'il n'y avait presque pas lieu d'en parler. On la produisait à partir d'un roux ou de farine grillée, additionnés d'un jus de viande. 

Bien sûr il y a de nombreuses variations, l'ajout éventuel de carottes, d'oignon, de champignons, et cetera, mais, finalement, c'est toujours un peu le même type de système, et je sais par expérience que cela conduit à des sauces qui n'ont pas une grande délicatesse, dont le goût s'apparente à la couleur. 

Dans certaines des recettes, il est bien mentionné qu'il ne faut pas prendre du jus de bœuf mais du jus de veau ou de volaille, et là, on comprend que l'on a cherché à aller vers des goûts plus subtils. Dans certaines recettes, il est bien stipulé qu'il ne faut qu'une farine blonde, ce qui correspond  à des goûts plus légers. La pratique conduit à savoir aussi que les proportions de farine et de liquide sont essentielles, et, de fait, on obtient une sauce plus délicate quand on ne la fait pas trop épaisse, qu'on la dépouille. On voit aussi des recettes qui utilisent une demi glace, et d'autres qui indiquent de bien passer à l'étamine...

Bref, comme toujours, il y a une grande diversité de résultats possibles et c'est sans doute l'appropriation de la sauce à l'élément principal qui devra déterminer la pratique exacte de cette sauce brune... dont la version "élevée", "raffinée", est la "sauce espagnole".