dimanche 3 décembre 2023

A propos de rémoulade : il faut de la moutarde et de l'huile !

J'ai déjà bien exploré la question de la sauce nommée rémoulade, et j'ai parfaitement établi qu'il s'agit de sauces -en froid ou en chaud - avec de la moutarde. On pourra consulter le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire

Cela étant je viens de trouver une confirmation de ce que j'avais établi dans  le Dictionnaire des aliments, publié par le cuisinier MCD en 1750 :

Sauce à  la rémolade
Hachez très-fin persil, ciboule, capres, anchois, une pointe d'ail ; mettez le tout dans une casserole avec une cuillerée de moutarde, sel fin, poivre concassé ; délayez avec de l'huile & du vinaigre ; que rien ne domine dans cette sauce : servez-la froide dans une saucière.
 

Sauce à la rémolade chaude
Mettez dans une casserole persil, ciboule, champignons, une pointe d'ail, le tout haché ; passez-les sur le feu avec une cuillerée d'huile, & mouillez après avec du coulis & un peu de vinaigre ; après quelques bouillons, dégraissez la sauce, & l'assaisonnez de bon goût ; avant de servir, mettez-y une cuillerée de moutarde. Faites servir la sauce sans bouillir, & vous en servez pour tout ce qui a besoin de haut goût.


Du lièvre à la royale ?

 

Qu'est-ce qu'un lièvre à la royale

Méfions-nous de Wikipédia, car la consultation des sources précises montre que cette remarquable encyclopédie en ligne mérite d'être souvent corrigée... et nous verrons qu'il faut que je le fasse sans tarder, pour l'article consacré au lièvre à la royale.

En effet, il est parfois écrit que les préparations "à la royale" qualifient des plats dont la finesse et la qualité de préparation sont à la mode du roi, mais cela est bien insuffisant, comme nous le verrons, et, d'abord, en commençant en 1643, avec le livre de l'auteur qui n'a signé que de ses initiales "LSR". Je trouve ainsi un " Gigot de mouton farcy à la Royalle", qui s'obtient de la façon suivante :

1. prendre un gigot

2. casse le manche

3. lever la peau

4. lever les chairs et les hacher avec veau, lard, moelle, graisse de boeuf, fines herbes, champignons, œufs durs, assaisonné d'épices et de sel menu

5. fariner et faire sauter dans le beurre ou le lard

6. puis mettre en casserole avec du bouillon et un morceau de boeuf qui donnera plus de goût, quelques clous de girofle et des oignons

7. après environ une heure de cuisson, retirer de la casserole et réduire le liquide.

L'expression "à la royale" s'applique non seulement à des viandes, mais également à des potages : dès 1656, le cuisinier Pierre de Lune propose une recette qui consiste à hacher du blanc de volaille et à cuire avec bouillon, pistaches, jus de veau ; on garnit de crêtes et rognons de coq, jus de citron et veau.

Puis, en 1722, François Massialot reprend la recette du gigot, et avec la même recette que LSR. Tout comme d'autres qui le suivent. A cette époque, pas de lièvre à la royale !

Passons donc les décennies et arrivons à Jules Gouffé, qui, en 1867, qui donne à nouveau un potage à la royale... qui est en réalité une « julienne garnie de crème au consommé ». C'est en réalité une crème prise, faite de consommé et d'oeufs entiers, que l'on cuit au bain marie ; et l'on verse de la julienne par dessus. Il y a là une vraie cohérence à utiliser le mot "royale", parce qu'il est vrai que les "royales" sont des cubes de flans que l'on ajoutait aux potages. C'est donc une autre acception que pour le gigot à la royale, ou pour le lièvre à la royale que je ne trouve toujours pas dans les livres anciens… De même, quand il parle de « glace royale », il s’agit de cette préparation de pâtisserie que l’on fait avec des blancs d’oeufs et du sucre : rien à voir.

Mais Gouffé nous met sur la piste avec une " Sauce à la Royale" dont voici la recette :

"Déposez dans une petite casserole 3 douzaines de petites truffes crues, tournées en olives, mouillez-les avec un demi-verre de champagne sec, ajoutez un bouquet de persil; faites réduire le liquide en cuisant les truffes. —

D'autre part, versez dans un sautoir 7 à 8 décil. de velouté, ajoutez les parures crues des truffes, réduisez la sauce d'un tiers, en incorporant, peu à peu, 2 décil. d'essence concentrée de gibier ou de volaille; en dernier lieu, additionnez un demi-verre de vin du Rhin et la cuisson des truffes; donnez encore quelques bouillons à la sauce, passez-la à l'étamine dans une casserole, vannez-la, ajoutez les truffes cuites."

D'ailleurs, il nomme "petites timbales de volaille à la Royale" des quenelles qui sont accompagnées d'une telle sauce. Idem pour des "petites chartreuses à la royale". En revanche, son "salpicon royal" est une préparation différente, composé avec du foie-gras, des blancs de volaille, des ris d'agneau et des champignons cuits coupés en petits dés fins, mêlés, puis liés avec une sauce béchamel réduite, finie au beurre d'écrevisses. Mais ce salpicon est "royal", et non pas "à la royale".

Pas de lièvre à la royale dans le Guide culinaire, en 1901, mais, à la même époque, Joseph Favre discute un « appareil à la royale pour les potages de gibier », avec de la purée de gibier un peu liquide dans laquelle on a ajouté un peu de glace de viande pour brunir. Cet appareil peut servir pour les potages de gibier, ou comme garniture.


Tout cela montre que les deux recettes couramment nommées "à la royale", pour le lièvre, sont bien illégitimes et ignorantes de l'histoire de la cuisine : oui, du civet cuit avec ail et échalotes dans du vin rouge, effiloché au dernier moment, ou bien une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge également liée au sang, sont des préparations merveilleuses, mais elles usurpent le nom " à la royale".

Personnellement, je parle plus justement de "lièvre à la façon du sénateur Couteaux" ou de "lièvre Babinski", voire "lièvre Alibab" dans le dernier cas, car le livre de cuisine d'Alibab est une collection de recette par l'ingénieur Henri Babinski.

A propos de frites

 
On m'interroge à propos de frites : comment cuisent-elles ? 

 

Avant de répondre, je propose de réfléchir et de distinguer un savoir opératif et un savoir spéculatif. Dit autrement, il y a la question de comprendre comment les frites cuisent, d'une part, et, d'autre part, la question de faire de meilleures frites en utilisant cette compréhension des mécanismes de la cuisson. 

En l'occurrence, je crois identifier que la question qui m'est initialement posée est en réalité une question opérative, même si elle formulée de façon spéculative. Je vais donc répondre… en faisant attention aux deux objectifs. Après tout, ce que nous faisons nous fait, n'est-ce pas ? 

 

Soyons pratiques : partons d'une pomme de terre, puisque les pommes de terre frites sont faites de cet ingrédient. Toutefois, dès ce stade, reconnaissons des possibilités d'innovation : s'il est stipulé que l'on frit des pommes de terre, dans cette occurrence, c'est aussi une façon d'admettre que l'on pourrait frire autre chose que des pommes de terre (carottes, panais, topinambours, croquettes...). Mais ne nous égarons pas. 

Nous commencerons par peler la pomme de terre, parce que les pommes de terre sont des solanacées, qui contiennent des alcaloïdes toxiques. Ces composés, qui ont pour nom chaconine, solanine, etc., se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la surface, de sorte qu'ils peuvent être enlevés à l'aide d'un économe. Ils doivent, même, être enlevés, car ils sont toxiques, et résistent à des température atteignant 285°C, ce qui est bien supérieur aux 180°C des fritures. Évidemment avec de la mauvaise foi, chacun trouvera une raison de justifier des pratiques personnelles selon lesquelles la peau des pommes de terre ne serait pas enlevée : cela ferait un petit croustillant, il n'y aurait plus alcaloïdes dans les pommes de terre modernes, ces alcaloïdes ne seraient pas si dangereux, et ainsi de suite. Chacun fera comme il l'entend, mais moi, pour garder ma famille en bonne santé et pour me prémunir personnellement contre la toxicité des alcaloïdes des pommes de terre, je préfère peler les pommes de terre que je cuisine. 

La pomme de terre étant pelée, il faut maintenant la couper en bâtonnets, ce qui ne semble pas difficile, et ne l'est guère, en pratique. Mais à l'heure où le matériel se perfectionne, se pose la question du choix de ce matériel : couteau, ou machine ? Lors d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons découvert que la question n'est pas superflue : en bouche, on reconnaît parfaitement la différence entre des frites différemment coupées… et la majorité d'entre nous préfèrent les frites coupées à la main, au couteau, parce qu'elles sont plus différentes les unes des autres ; il y a plus de variétés. En effet, quand on coupe au couteau, on fait généralement des bâtonnets de toutes les tailles, formes... De petits, de gros, de sorte que, après la friture, il y a de petites frites très croustillantes, brunes, colorées, avec beaucoup de goût, et de grosses frites plus blondes et plus molles... Or le cerveau humain, branché sur nos systèmes sensoriels, est conçu pour reconnaître des contrastes. Des frites au couteau sont plus contrastées que des frites à la machine. Je n'ai pas écrit « meilleures », parce que tous les goûts sont dans la nature, et que l'on me trouvera bien quelqu'un qui préférerait les frites coupées à la machine, mais quand même. 

Les bâtonnets sont taillés. Pardonnez-moi de ne pas discuter du lavage et du séchage : je veux arriver rapidement (;-)) à l'opération de friture. D'ailleurs, à l'heure où beaucoup d'entre nous ont des friteuses, pré-réglées sur la température de 180 degrés, je ne discute pas d'emblée la question du choix des températures. 

Posons un bâtonnet de pomme de terre dans l'huile : on voit des bulles partir de la surface, avant que ce régime d'ébullition ne ralentisse et que, progressivement, on obtienne le résultat suivant : une croûte croustillante, un peu blonde, avec du goût, qui enferme une sorte de purée. Pourquoi ce résultat ? Là, nous passons au spéculatif. D'abord, on a intérêt à savoir que le tissu végétal qui constitue les pommes de terre est fait de « cellules » jointives, petits sacs collés entre eux et qui sont plein d'eau, avec de petits grains d' « amidon », à l'intérieur des cellules. A la surface des bâtonnets placés dans l'huile, la forte chaleur provoque l'évaporation de l'eau, ce qui fait des bulles de vapeur, et, mieux, ce qui expulse vigoureusement ces bulles. Un ordre de grandeur important à retenir, en cuisine, est le suivant : un gramme d'eau fait un litre de vapeur. Oui, un cube d'eau de un centimètre de côté fait un cube de vapeur de dix centimètres de côté. Puisque ce volume de vapeur ne tient pas dans la frite, il s'en échappe rapidement, et c'est ainsi que se forme la croûte, avec une partie du bâtonnet, exposée à la forte chaleur de l'huile, et dont l'eau est évaporée. Plus la cuisson est longue et plus la croûte est épaisse. 

Pendant que cette croûte se forme, la chaleur entre lentement dans la pomme de terre. Oui, lentement, parce que la pomme de terre conduit mal la chaleur. Une expérience pour s'en apercevoir : si l'on tient une petite cuiller métallique par un bout et qu'on plonge l'autre extrémité dans l'huile chaude, on en vient rapidement à se brûler, parce que le métal conduit bien la chaleur. En revanche, avec un bâtonnet de pomme de terre de la même longueur que la cuiller, on peut rester à tenir le bâtonnet pendant très longtemps, parce que le matériau de la pomme de terre conduit mal la chaleur. 

Cela a des conséquences pratiques, à savoir que si le bain d'huile était trop chaud, la surface finirait par charbonner, avant même que l'intérieur soit cuit ! Et, de façon plus opérative : commençons par mettre les bâtonnets dans de l'huile pas trop chaude, pour donner le temps au cœur des frites de bien cuire, avant de pousser le feu, pour faire le croustillant et la couleur voulus de la surface. 

Un bain, ou deux bains ? Quand on m'interroge, je réponds : et pourquoi pas trois bains, ou seize bains, comme des bobos-gastronomes me disaient que certains chefs auraient fait ? Depuis un séminaire où nous avons testé le fait de plonger dix fois de suite de la viande dans de l'eau glacée, puis dans un bouillon bouillant... sans voir de particularité, je me méfie de ces "usines à gaz" qui feraient bien mieux que tout le reste, avec un mystère qui croit à chaque nouvelle complication. Le mystère, ce n'est jamais que cette façon que nos interlocuteurs ont d'habiller un roi qui est nu, si l'on peut dire ! Bref, depuis que ces mêmes gastronomes bobos m'ont félicité pour un sanglier qui n'était que du porc mariné dans du vin, ou pour un aspic qui n'était qu'une feuille de gélatine dans du Porto, je me méfie, et je propose d'oublier cette idée des seize bains : pourquoi pas mille tant qu'on y est ? 

Reste la question : un bain ou deux bains ? Certains cuisiniers (je parle maintenant de gens raisonnables) proposent deux bains, en partant d'un premier bain pas trop chaud, qui donne du temps aux frites de cuire à l'intérieur. Le second bain finit la friture, en termes de croustillance et de couleur. Pourquoi pas... mais l'expérience suivante montre que la méthode est sans doute moins bonne qu'un seul bain dont on augmente la température en fin de cuisson. Partons de deux bâtonnets de même masse avant cuisson. Plaçons les dans l'huile chaude, et faisons deux frites. Puis, quand les frites sont faites, sortons les deux bâtonnets en même temps du bain d'huile, et épongeons tout de suite un des bâtonnets ; attendons deux minutes, puis épongeons le second bâtonnet. Pesons : la frite épongée au sortir du bain d'huile pèse un demi gramme de moins que l'autre. Ce demi gramme, c'est de l'huile ! Oui, quand on frit, l'intérieur de la frite s'emplit de vapeur, laquelle se recondense quand la frite refroidit, après être sortie du bain d'huile. Et comme l'eau liquide, faite de la vapeur recondensée, prend beaucoup moins de place que la vapeur d'eau, alors l'huile de la surface est absorbée... quand cette huile est présente. Si l'on éponge, alors on n'a plus cette absorption d'huile ! Un demi gramme d'huile pour une frite, 25 grammes d'huile pour une cinquantaine de frites ! Et cette huile a été chauffée ! 

Mais, inversement, nous avons testé, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, si l'on faisait la différence entre des frites épongées ou non à la sortie du bain... et oui, on fait la différence... mais ceux qui la font préfèrent les frites avec de l'huile absorbée à l'intérieur ! Décidément, l'être humain, qui aime le gras et le sucre, mais veut simultanément manger sainement, est un drôle d'animal !

samedi 2 décembre 2023

Porc à l'ananas

 Ce matin, une demande : 


Je me souviens d'avoir vu il y a plusieurs années une émission que vous animiez en cuisine et plus particulièrement de la cuisson du porc à l'ananas. 
Je n'arrive pas à retrouver ces précieux renseignements. 


Et voici le retour
 
Oui, dans une émission intitulée Toques à la loupe, je faisais l'expérience d'attendrir du rôti de porc avec du jus d'ananas frais (j'insiste sur le "frais") : en effet, l'ananas frais contient des enzymes protéases (broméline) qui ont donc, comme l'indique le qualificatif "protéase", la capacité de dégrader les protéines, notamment les protéines de la viande. 
 
Et pour bien montrer cet effet j'injectais du jus d'ananas frais dans le rôti de porc, à la seringue, et je laissais la viande ainsi pendant une nuit. Le lendemain, la viande était comme une sorte de terrine, à l'intérieur. 
D'ailleurs, à côté, j'avais fait tremper un morceau de viande dans du jus d'ananas, et il était ensuite complètement défait. 

A noter que l'on peut faire la même chose avec des jus de papaye, de figue, par exemple. Et surtout, bien penser que la chaleur dégrade les enzymes protéases, de sorte que l'effet ne pourra pas se produire.

Une conclusion : une façon de rendre mémorable

 Lors de la célébration des dix ans de l'Institut des Hautes Etudes de la Gastronomie, nous avions organisé une conférence. Elle avait lieu dès le début de l'après-midi, moment de la journée qui n'est pas particulièrement propice à l'attention ! Comment pouvions-nous éviter l'assoupissement post-prandial ? Nous comptions évidemment sur le talent des orateurs que nous avions invités ; plus exactement, la Connaissance des intellectuels qui nous avaient fait l'amitié de participer à la conférence. 

Toutefois, nous avons voulu faire mieux, et nous avons divisé l'après-midi en deux parties, et, au lieu d'enchaîner les conférences dans chaque partie, nous avons invité nos amis à participer à une table ronde. 

Plus précisément, il s'agissait que le message de chacun soit divisé en trois parties, afin qu'un modérateur donne la paroles à chacun trois fois de suite, mais dans une alternance qui devait mettre du mouvement dans toute cette affaire. Tout a parfaitement fonctionné... à cela près que, finalement, nous aurions perdu en « lisibilité », en clarté des messages, sans les modérateurs qui synthétisaient les interventions en fin de table ronde. 

Certes, nous avons tant martelé que nous mangeons de la culture et que cette culture est fondée sur la biologie que nos auditeurs n'ont pas eu grand mal à l'entendre. Toutefois le message de chacun a été un peu perdu, dilué, et ce sont seulement les synthèses qui ont emporté l'affaire. Comment n'y avions-nous pas pensé à l'avance ? Inversement, nous avons eu une vraie belle leçon de « conclusion » : une conclusion permet de réunir des fils épars en une tresse lisible, mémorable.

vendredi 1 décembre 2023

Tradition, innovation, patrimonial... Méfions-nous de nos acceptions exagérément mélioratives

 

Alors que nous lançons un programme européen nommé Tradinnovation, je vois que les mots tradition et innovation, qui forment la base du nom, sont très discutables.

Les traditions, en effet ne sont pas toutes bonnes :  l'esclavage a été traditionnel !
De même, ce qui est "patrimonial" n'est pas nécessairement  bon : certains gènes de prédisposition au cancer nous viennent de nos parents, certaines maladies génétiques, et un héritage est parfois une dette, comme le savent bien les notaires.

Et l'on a intérêt, également, à ne pas gober trop vite l'innovation.

En réalité, nos travaux ne doivent avoir qu'un objectif : faire un futur meilleur que le passé.
L'histoire  montre que, progressivement, l'humanité s'est débarrasée de  comportements intolérables. Nous avons évoqué l'esclavage, mais souvenons-nous aussi de  la féodalité : chaque printemps, les chevaliers partaient en guerre pour aller conquérir les terres avoisinantes.

La guerre n'a hélas pas disparu, mais au moins n'est-elle plus systématique !

Il y a aussi l'école,  qui est une innovation merveilleuse. Je ne dis pas qu'elle va parfaitement, mais,  quand même, nos efforts portent certains fruits, notamment en matière de combat contre la pensée magique, cette pensée enfantine, irréfléchie, irrationnelle, qui fait le lit des tyrannies.
Chercher à comprendre c'est déjà désobéir mais surtout c'est commencer la lutte contre les tyrannies, refuser ce qu'elles veulent nous imposer. On se souviendra de René Descartes qui proposait de "N'accepter comme principe du raisonnement que ce dont il est impossible de douter",  et "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".
Bref, il faut une pensée rationnelle, claire, loyale.

L'innovation, d'autre part, a une courte vue , quelle que soit l'acception qu'on lui donne, quand elle propose seulement de considérer comme merveilleuse des méthodes, des techniques qui sont seulement nouvelles, dont on a pas évalué  l'intérêt moral. Cela doit se faire à titre individuel, mais aussi en termes collectifs, et, là encore, on ne tombera pas dans le piège d'une connotation méliorative du mot.

Et c'est l'occasion d'observer que  les connotations sont très idiosyncratiques : pour certains, le mot tradition est un repoussoir, alors que c'est un sésame pour d'autres ; idem pour innovation (avec souvent une interversion des groupes).

Bref, finalement, au  cours de nos travaux, nous aurons intérêt à passer tout ce que l'on nous proposera au filtre d'une analyse  rationnelle, intelligente.

La terrible question de l'estragole

  Les faits sont les faits, et la mauvaise foi qui nous fait humain ne peut les abattre ; elle peut seulement nous aider à « vivre mieux », en nous empêchant de les voir. 

Les viandes cuites au barbecue sont chargées de benzopyrènes cancérogènes ? C'est un premier fait. La consommation de tels produits conduit à des cancers digestifs ? C'est un autre fait, qui découle des études épidémiologiques effectuées en Europe : les peuples qui mangent le plus de produits fumés souffrent plus que les autres de tels cancers. La conclusion devrait s'imposer : limitons les viandes grillées au feu de bois, les produits fumés. 

Pourtant, chacun de nous conclut plutôt : « Après tout, je ne mange pas tant de ces produits, et je ne risque donc rien ». Les pommes de terre ont sous les trois premiers millimètres sous la surface des alcaloïdes toxiques ? « Oui, mais la peau croustillante, c'est si bon. Et puis, cela se saurait s'il y a avait un risque. Et puis je mange ainsi toujours et je ne suis pas mort ». 

J'ai déjà considéré de telles questions, et je n'y reviens pas : la preuve;-) Non, je veux plutôt examiner ici la question de l'estragole, également nommé méthyl chavicol, ou, mieux : 1-allyl-4méthoxybenzène. C'est le composé odorant principal de l'estragon, que l'on trouve aussi en abondance dans le basilic, par exemple. Déposé en petite quantité sur des cellules de foie de rat, le composé conduit à la cancérisation de ces cellules. Et les experts ont conclu que l'estragole est tératogène et génotoxique, même en petites quantités. Il a été conclu que la consommation de produits contenant l'estragon ne présentait pas de risque significatif de cancer, mais les experts ont préconisé de réduire au maximum l'exposition des populations sensibles (enfants, femmes enceintes ou allaitant). [http://ec.europa.eu/food/fs/sc/scf/out104_en.pdf] 

Voici donc le fait. Notre mauvaise foi nous conduira à accepter volontiers la décision... si nous ne sommes pas une femme enceinte... et si l'estragole ne provient pas de l' «  industrie », cette activité qui nous fait vivre et que nous désignons comme le diable. Enfin, je dis « nous »... mais on a compris que j'hésite à me mettre dans cette collectivité. J'y pense : quelle sera votre décision, à propos de la consommation future d'estragole ?