lundi 22 mai 2023

La méthode scientifique nous porte.

Je retrouve un exemple merveilleux : celui des soufflés. C'est une très vieille histoire, puisqu'elle remonte aux années 1980. 

Tout commence avec un soufflé, et une recette qui stipule d'ajouter les jaunes d'oeufs deux par deux. L'expérience faite alors semble montrer qu'il y a une différence entre l'ajout des jaunes tous ensemble ou un par un, mais elle conduit surtout à des caractérisations de soufflés : nous mesurons alors la température dans les soufflés, et nous reconnaissons des lois d'augmentation de la température où apparaissent des phénomènes étranges, que nous cherchons à interpréter. En particulier, nous voyons un ralentissement de l'augmentation de température à un certain moment de la cuisson, au coeur du soufflé, et nous nous demandons si des couches froides ne viennent pas à la hauteur du thermocouple. 

Afin de mieux comprendre ces phénomènes, nous cuisons des soufflés dans des récipients transparents, et nous voyons alors des bulles monter à la surface et crever à la surface des soufflés dans le four. 

À l'époque, la théorie stipulait que les soufflés gonflaient parce que les bulles d'air se dilataient à la chaleur. De ce fait, on n'aurait pas dû voir des bulles monter et crever à la surface ! La simple observation des phénomènes montra que ces bulles étaient probablement des bulles de vapeur. 

Comment tester cette hypothèse ? La méthode scientifique recommande d'abord des quantifications, et c'est ce qui fut fait. Des soufflés furent pesés avant et après la cuisson, et une différence de 10 grammes apparut. Dix grammes de quoi ? Dans un soufflé, il y a de la farine, des oeufs, du lait, éventuellement du fromage. La farine et la matière grasse ne s'évaporent pas, mais l'eau, oui, surtout quand la température extérieure est supérieure à 100°. Or le lait, les oeufs sont composés de beaucoup d'eau. 

 

Nouvelle hypothèse, donc : les soufflés gonflerait ce que de l'eau s'évaporerait. Et l'ancienne théorie ? En réalité, les deux phénomènes ont certainement lieu simultanément, et il importe surtout de passer à l'étape du calcul afin d 'y voir plus clair. 

Un calcul élémentaire montre que l'évaporation de l'eau on permettrait d'obtenir 10 litres de soufflé. En revanche, l'application de la loi des gaz parfaits, ou même d'une loi plus exacte, ne montre qu'un gonflement de 30 % . 

L'affaire est vite réglée... Toutefois, par acquis de conscience, il avait fallu contrôler les paramètres d'applications de la loi des gaz parfaits, et notamment, mesurer la pression dans les soufflés. 

Cela fut fait et les expériences confirmèrent que l'augmentation de pression était faible, ce qui se comprend facilement, parce que si la pression dans le soufflé augmente, alors il gonfle, se détendant dans un milieu à pression atmosphérique. 

Pourquoi les soufflés ne font-ils pas finalement des dizaines de litres ? Rappelons-nous ces bulles qui crevaient à la surface : une bonne quantité de vapeur est perdue. Là, on peut alors s'interroger, et se demander ce qui se passerait si l'on imperméabilisait la surface. 

L'expérience a été évidement été faite, et l'on a vu des soufflés gonfler bien plus que par le passé, preuve que cette conclusion n'était pas insensée. Nous voilà donc avec une nouvelle théorie, un modèle réduit de la réalité, puisqu'il ne décrit que certains phénomènes, et nous devons maintenant continuer à l'améliorer. 

Pourquoi ? Un technologue pourrait chercher à faire de meilleurs soufflés, à mieux caractériser, simplement. Pour un scientifique, la question est surtout de considérer que le soufflé est sans intérêt, que c'est surtout le support de la réflexion en vue de découvrir des phénomènes inconnus, des mécanismes inédits... Pour le scientifique, dans son travail scientifique, la cuisine n'a aucun intérêt, et c'est seulement la perche tendue à la recherche de connaissances qui peut l'intéresser. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas considéré des soufflés, mais la question reste posée : en quoi une étude des soufflés peut être contribuer à reculer les limites de la connaissance ?

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages.

 

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages. 
Commençons par le coup de buée : il s'agit de l'injection de vapeur que les boulangers font soit en début soit en fin de cuisson du pain. Pour le début de cuisson, ils disent que cela donne de la couleur, du brillant, et que cela favorise le gonflement parce que le coup de buée ralentirait le croûtage et permettrait donc que le pain gonfle mieux. 
En fin de cuisson, il y aurait une question de couleur et de brillant. 
Nous avons donc comparé différentes pâtes, pâte à pain, feuilletage, pâte à foncer, avec ou sans un coup de buée, en fin de cuisson, et nous avons comparé la couleur des produits obtenus : elle n'était pas différente. 
Évidemment, nous n'avons pas terminé la question et nous devrons poursuivre les travaux.
 
Pour ce qui concerne la question de l'eau dans le beurre du feuilletage, l'hypothèse était que plus il y a d'eau dans le beurre, plus le feuilletage gonfle. 
Habituellement, il y a un maximum de 18 % d'eau dans le beurre, mais rien ne nous empêche de malaxer du beurre avec de l'eau pour en faire entrer davantage. 
Et c'est ce que nous avons fait, pour comparer ensuite un feuilletage avec un beurre normal et un feuilletage avec un beurre additionné d'eau, les deux feuilletages étant ensuite cuits ensemble dans le même four.
Cette fois, nous avons observé que le feuilletage où le beurre avait été additionné d'eau avait plus gonflé que l'autre. 
 
En réalité, je ne tire pas de conclusion définitive de ces expérimentations, parce qu'il est bien difficile de faire des feuilletages tout à fait identiques, à un ingrédient prêt. D'autre part, nous avons comparé des feuilletages à  quantité de matière grasse égale, mais cela ne correspondait évidemment pas un volume de beurre égal. 
Bref, il y a lieu de poursuivre les explorations sur ces deux questions. 
 
À quoi bon, alors, avoir expérimenté ainsi ? Comme souvent, ces séminaires sont l'occasion de focaliser le questionnement, de le rendre public, de donner des résultats expérimentaux préliminaires et d'inviter chacun à poursuivre les expériences. 
J'espère toujours que nos amis seront ensuite obtenir d'autres résultats que nous pourrons partager.

dimanche 21 mai 2023

Dans la série des questions que pose la cuisine note à note, il y a celles qui sont relatives à l'odeur des aliments.

Jusqu'à présent, les composés odorants étaient dans les ingrédients de base, et l'on opérait évidemment quelques transformations, mais, comme pour la couleur dont je parle ailleurs, il avait surtout trois options : soit on conserve les composés odorants présents, soit on en crée de nouveaux, soit on en ajoute. 

 

Par exemple, la troisième façon correspond à l'utilisation des épices et des condiments. Le couvercle est une manière d'obtenir que les composés odorants demeurent dans les aliments. Pour la production de composés odorants, il y a la cuisson, notamment, ou les fermentations. 

 

La cuisson, elle, est très mal maîtrisée, et la chimie qui se fait reste très mal connue. On se débarrasse du problème en parlant de caramélisation, de réactions de Maillard, mais, au fond, le milieu est si complexe que l'on ignore complètement ce que l'on fait, sauf par une habitude des résultats. D'ailleurs, une habitude très approximative, car les ingrédients changent, les conditions de cuisson sont très mal maîtrisées, de sorte que l'on est bien en peine de savoir ce qu'il adviendra de l'odeur de l'aliment cuit. Les amis poètes me feront observer que c'est très bien ainsi, et je n'en disconviens pas, mais j'observe quand même les faits. Le « c'est très bien ainsi » est une manifestation de mauvaise foi, une manière de se justifier, au fond, si l'on est honnête intellectuellement ; une manière de vivre, d'encaisser les coups que le monde nous porte... 

 

Revenons à la question de mettre des composés odorants dans un plat de cuisine note à note. C'est très simple : il suffit de les mettre ! Comment ? C'est ce que l'industrie alimentaire, alliée à l'industrie des préparations odoriférantes (nommée fautivement industrie des arômes : un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, un point c'est tout !) a bien appris à faire. 

"Bien appris" ? Disons seulement "appris", avec toutes les limitations que l'industrie rencontre aujourd'hui. Il ne s'agit pas ici de dénoncer l'industrie alimentaire, car celle-ci est confrontée à des problèmes redoutables, tel le stockage des produits avant l'achat. La préservation des caractéristiques d'un aliment sur une longue durée est d'une difficulté considérable, et l'on doit aussi reconnaître honnêtement que l'industrie alimentaire doit non seulement donner l'odeur aux aliments, mais donner une odeur durable, ce qui conduit à des méthodes très particulières, qui ne sont pas celles de la cuisine.

 

Revenons donc encore à la cuisine note à note : en pratique, puisque l'on n'a pas ces problèmes de conservation en vue, il suffit d'ajouter à un aliment que l'on construit les composés odorants que l'on choisit. Cela semble simple, mais... mais on ne va quand même pas se fatiguer à faire des mélanges de  composés odorants afin de reproduire des odeurs connues ! Sans quoi l'utilisation d'extraits, d'oléorésines, de concrètes, d'absolues, de résinoïdes … répond entièrement à la question. 

Non, avec la cuisine note à note de nouvelles questions se posent. Par exemple la suivante, élémentaire mais non résolue : imaginons que, dans un aliment, nous mettions à la fois de l'octénol, composé à odeur de sous bois ou de champignon, et du citral, odeur de peau d'agrumes. Qu'obtiendrait-on ? Ce mélange ne se rencontre pas, à ma connaissance, dans des ingrédients alimentaires connus, de sorte que je ne sais pas le résultat qui sera obtenu, quelles que soient les proportions des deux produits. Sentirons-nous le champignon ? Ou l'agrume, ou bien une troisième odeur apparaîtra-t-elle, comme quand on met une goutte de pastis dans un fond de tasse à café et qu'une odeur de réglisse survient, ou comme quand on ajoute de l'eau de fleur d'oranger à des fraises et qu'un goût de fraises des bois survient ? Décidément, la question est passionnante. Comment prévoir l'odeur d'un mélange de deux ou plusieurs composés odorants ?

samedi 20 mai 2023

J'ai relu pour vous les écrits de Claude Bernard sur la médecine expérimentale.

 Je sais : notre rendez-vous à propos des lecture n'est pas le jeudi, mais le mercredi... mais Michel de Montaigne n'a-t-il pas donné l'exemple de ce type d'inconséquences ? Il l'explique même plusieurs fois. 

Bref, alors que sont attribués les prix Nobel (c'est ce qui justifie que je déroge à la règle que je me suis donnée), j'ai l'impression qu'il n'est pas inutile d'observer que ces prix sont donnés tout aussi bien pour des travaux scientifiques que pour des travaux technologiques. 

Claude Bernard, ce remarquable savant, fut un de ceux qui dirent parfaitement, justement, combien la pratique médicale diffère de la  physiologie. Je vous invite  à lire ou à relire Claude Bernard, qui écrit très explicitement que la pratique médicale est une technique. Il s'agit de « faire », de donner des soins, et l'on aura beau habiller tous les actes médicaux du nom d' « art », il n'en restera pas moins que, le matériau étant l'humain ou pas, il y a un travail technique à effectuer. D'ailleurs, les médecins que cette idées heurterait seraient en fait très méprisants à l'égard des autres techniques,  car dans tous les métiers techniques, l'objectif est l'être humain, qui est le destinataire final du travail. 

Claude Bernard ajoute que la recherche clinique est de nature technologique : il s'agit d'explorer la technique en vue de l'améliorer. Enfin, il y a la science, qui a pour nom physiologie. Les trois sont merveilleux quand ils sont bien faits.

La médecine est une technique, dit Claude Bernard

 J'ai relu pour vous les écrits de Claude Bernard sur la médecine expérimentale 

Pardon, j'ai manqué de publier ce billet, qui avait été écrit lorsqu'ont été attribués les  prix Nobel. Je proposais d'observer que ces prix sont donnés tout aussi bien pour des travaux scientifiques que pour des travaux technologiques. 

Claude Bernard, ce remarquable savant, fut un de ceux qui dirent parfaitement, et très justement, combien la pratique médicale diffère de la  physiologie. Je vous invite  à lire ou à relire Claude Bernard, qui écrit  explicitement que la pratique médicale est une technique. Il s'agit de « faire », de donner des soins, et l'on aura beau habiller tous les actes médicaux du nom d' « art », il n'en restera pas moins que, le matériau étant l'humain ou pas, il y a un travail technique à effectuer. D'ailleurs, les médecins que cette idées heurterait (c'est le plus souvent le cas ; pardon si je les heurte) seraient en fait très méprisants à l'égard des autres techniques, des autres « praticiens »,  car dans tous les métiers techniques, l'objectif est l'être humain, qui est le destinataire final du travail. Et des années d'étude ne changent rien à l'affaire. 

Claude Bernard ajoute que la recherche clinique est de nature technologique : il s'agit d'explorer la technique en vue de l'améliorer. 

Enfin, il y a la science de la médecine, qui a pour nom physiologie. Les trois sont merveilleux quand ils sont bien faits. Il est amusant de rapprocher, d'ailleurs, la médecine de la chimie : médecine et chimie sont des techniques. La technologie est de nature différente, et si la physiologie est la science de la médecine, c'est la physico-chimie (pour ne pas dire la physique) qui est la science de la chimie ! Et je répète : technique, technologie, science sont des activités merveilleuses quand elles sont bien faites !

Si vous voulez vous lancer dans la cuisine note à note (et je n'ai aucun intérêt financier)

 

Qui anime KITCHEN LAB ? Il s’agit de Pasquale Altomonte & Dao Nguyen.

Pasquale est chef-entrepreneur et artiste culinaire. Il a participé à plus de 40 concours (Bocuse d’Or, Trophée Passion, Cuisinier d’Or, Swiss Finger Food, etc.). Dao est docteure en sciences pharmaceutiques et passionnée de cuisine. Coachée par Pasquale, elle a participé à l’émission MasterChef en réalisant un plat 100% œuf. Ensemble, ils ont remporté le concours international de cuisine Note à Note en 2022.


Que propose KITCHEN LAB ?

Des formations intensives en sciences & cuisine pour permettre d’explorer et d’approfondir un large éventail de techniques scientifiques utilisées en cuisine, afin de créer des plats innovants et multisensoriels !

Des notes alimentaires pour créer des cocktails hors du commun, des plats extraordinaires et pour sublimer les mets. Quinze notes alimentaires sont disponibles : amande, lard, banane, riz basmati, concombre, fleur, herbe coupée, citron-cola, champignon, pêche, ananas, popcorn, pomme de terre, pluie, fumée.


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Il suffit d’envoyer un courriel à kitchenNlaboratory@gmail.com


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Who is behind KITCHEN LAB? This is Pasquale & Dao.

Pasquale is a chef-entrepreneur and culinary artist. He has participated in more than 40 competitions (Bocuse d'Or, Trophée Passion, Cuisinier d'Or, Swiss Finger Food, etc.). Dao is a doctor in pharmaceutical sciences and passionate about cooking. Coached by Pasquale, she participated in the MasterChef show by making a 100% egg dish. Together, they won the international contest for Note by Note Cooking in 2022.


What does KITCHEN LAB offer?

Intensive training in science & cooking to explore and deepen a wide range of scientific techniques used in the kitchen, in order to create innovative and multi-sensory dishes!

Food notes to create extraordinary cocktails, extraordinary dishes and to sublimate dishes. Fifteen cooking notes are available: almond, bacon, banana, basmati rice, cucumber, flower, cut grass, lemon-cola, mushroom, peach, pineapple, popcorn, potato, rain, smoke.


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Qu'est-ce qu'une thèse ?

 Qu'est-ce qu'une thèse ? La « vraie » acception du mot "thèse" est :  une proposition ou théorie que l'on tient pour vraie et que l'on soutient par une argumentation pour la défendre contre d'éventuelles objections.
Les ministres ont beau édicter des lois qui encadrent les moments de recherche nommés thèse, il n'en restera pas moins que l'on aura raison de se raccrocher à la définition que j'ai rappelée plus haut. Soit on a une idée initiale que l'on passe trois ans à étayer, soit on obtient une telle idée après trois ans de travail, peu importe. Ce qui compte, c'est que l'on fasse état d'un travail, sous la forme d'une « thèse que l'on soutient ».
Tout en découle naturellement : ayant cette idée, il s'agira de montrer en quoi les travaux l'ont étayée, par exemple. Cela se fera par écrit, et par oral.
Par écrit, tout d'abord : le document de thèse est une façon de démontrer à l'Université que l'impétrant est capable d'accéder à l'enseignement supérieur, qu'il sait écrire un livre.
Par oral : il s'agit cette fois de faire une « leçon », en soutenant oralement la thèse, c'est-à-dire en la présentant clairement, et en sachant répondre aux questions que le jury posera.