vendredi 24 juillet 2020

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ?

1. On parle de clichés pour des expressions, mais il y a des idées (opinions ?) qui en sont : propagées sans analyse, sans réflexion, ne prenant leur force que de leur répétition, & révélées creuses dès qu'on les examine un peu. Par exemple, il serait bon d'avoir des questions, et ce serait d'ailleurs mieux que de ne pas en avoir.
Oui, poser des questions est bien... quand elles sont pertinentes, fructueuses, actives.

2. Car il y a des questions idiotes, et est idiot celui qui les pose, simplement pour le poser. Le jeux tout formel de poser des questions est insensé, quand ces questions sont sans intérêt, quand elles sont hors de cadre cohérent, sans objectif.

3. Il y a aussi des questions simplement informatives : combien de protéines dans un blanc d'oeuf ? Et la réponse peut être le nombre de protéines différentes (une vingtaine de sortes, pour les principales), ou le nombre de molécules de protéines (à raison d'une masse molaire moyenne de 45000, d'une masse de 30 grammes de blanc, d'une proportion de 10 pour cent de protéines, on calcule un nombre de molécules de protéines voisin de 1000 milliards de milliards), ou la proportion en masse des protéines (environ 10 %)...

4. Et inversement, il y a des questions éminemment positives, comme de s'interroger sur les non linéarités de la conduction électrique, ce qui a conduit à la découverte de l'effet Hall quantique.

5. Mais, surtout, j'ai l'impression que la question vaut mieux par ce qu'elle engendre que par elle-même, et qu'elle est plus intéressante quand on l'examine soi-même que quand on la pose aux autres. Au fond, pourquoi se reposer sur autrui pour avoir la réponse, alors qu'on peut avancer en la posant, en la triturant, la ruminant, la faisant sienne ?

6. Dans notre laboratoire, il y a ainsi écrit sur la porte : "Tu as une question, mais quelle réponse proposes-tu ?". Si je réponds à mes amis, c'est moi qui fait un bénéfice (parfois faible) de la réponse, au lieu qu'ils gagnent en autonomie.


jeudi 23 juillet 2020

N'oublions pas que nous avons ignoré

N'oublions pas que nous avons ignoré

Manifestement, les professeurs doivent prendre garde aux ignorances des étudiants... Mais immédiatement, à ces mots, je prends  une précaution :  quand on utilise ce mot d'"ignorance",  arrive souvent une critique de mépriser ceux à qui on l'applique. C'est là un mauvais procès,  l'emploi d'une connotation et non du sens réel du mot. Oui, on est ignorant de quelque chose que l'on ignore. L'ignorance, c'est le fait d'ignorer,  et ce n'est pas parce qu'on ignore quelque chose que l'on est complètement ignorant de tout ! Et être ignorant n'est pas être imbécile ; c'est seulement être ignorant, ce qui se soigne facilement.

Bref je reviens à mon point qui est de signaler que je m'étonne parfois d'ignorances d'étudiants qui sont par ailleurs studieux, attentif, précis.
C'est ainsi que, récemment, un étudiant m'a confié qu'il ignorait tout du mécanisme de l'olfaction. Bien sûr, était facile de l'éclairer à ce propos mais je m'étonne de cette ignorance particulière, et je dois prendre garde à mon étonnement.

Oui,  cet étudiant particulier s'intéresse à la cuisine, et je vois mal comment il a pu ignorer le mécanisme de l'olfaction. Mais si je suis dans cette incompréhension, d'autres étonnements du même type me menacent, et, surtout, je risque de tenir un discours inadapté aux étudiants. Manifestement, je ne sois pas préjuger des connaissances des étudiants, et il serait bon que je regarde en détails les référentiens, de la maternelle à l'université, sous peine de ne pas être compris, mais, surtout, de ne pas rendre le service de professeur que je veux rendre.

L'olfaction, pour en arriver à ce petit point particulier peut résulter d'échanges entre un corps odorant et notre organisme, mais faut-il expliquer en toute généralité, ou bien sur un exemple ?
Prenons une feuille d'estragon et sentons-là : pas grand chose. Puis frottons là entre les doigts alors que la main et la feuille sont enfermés dans un sac plastique : rien non plus.
Enfin frottons devant le nez bouché, la bouche fermée : toujours rien.
Voilà qui donne l'indication que les doigts modifient la feuille, libèrent des "principes" qui vont dans l'air, et qui ont besoin du nez pour être perçus. Ce que les expériences précédentes ne disent pas, c'est que ces "principes" sont des molécules, et que ces molécules odorantes sont comme des clés qui peuvent aller dans des "récepteurs" (pensons à des serrures) : quand il y a cette liaison, les récepteurs donnent une information au cerveau, sous la forme d'un signal électrique, qui se propage dans des cellules allongées, terminées par des "axones".
Et, merveille de la biologie : il y a des myriades de récepteurs différents, pour détecter des dizaines de milliers de composés odorants particuliers. D'ailleurs, pour aller un peu plus dans les détails, on peut ajouter que c'est le "spectre" de composés odorants perçus (tous ensemble) qui fait une "odeur" ; que l'on change la nature moléculaire d'un de ces composés, ou bien la proportion des composés odorants d'un mélange, et c'est une tout autre odeur qui apparait.

Reste seulement ma question : comment en arrive-t-on à ignorer cela ? Je précise que je ne fais pas de supériorité, mais seulement que je fais état de mon incapacité à me souvenir de quand j'ai moi-même appris cela. Au fond, la question est : de quel référentiel, entre la maternelle et l'université, cela relève-t-il ?

mercredi 22 juillet 2020

A qui le statu quo profite-t-il ?

1. Je m'en amuse,  mais c'est en réalité un peu triste :  il y a maintenant un an, des étudiants avaient émis un brûlot, une analyse extraordinairement précise & caustique de leur formation. Cela m'a donné l'occasion de préparer des centaines de billets sur le blog qui se trouve à l'adresse suivante : https://hervethis.blogspot.com/2019/02/a-propos-detudes-superieures-defaut-de.html ou encore http://www2.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-connaissance-.html.

2. À l'époque, je m'interrogeais sur le fait que ce document  soit publié en juillet, alors que l'on pouvait prévoir que tout le monde s'éparpillerait dans la nature & que tout cela serait vite oublié. C'est bien ce qui s'est passé : nos amis sont partis en vacances, sur les plages, & leur coup d'épée a été donné dans l'eau.

3. Pas complètement, puisque d'innombrables billets de blog ont conduit à des analyses approfondies & à des  propositions, mais quand même, on n'a plus entendu parler de rien après l'été. Cette année, ils ont repris les cours comme d'habitude & rien n'a changé : ni du côté des étudiants, ni du côté des professeurs, ni du côté de l'institution ce formation. Les craintes  étaient justes.

4. Reste que la question demeure, que toutes les critiques qui ont été formulées, toutes les propositions qui ont été faites conservent une force absolue.
Il faut donc s'interroger sur la raison pour laquelle il n'y a pas eu plus d'effet. Bien sûr, l'année 2019-2020 a été un peu particulière, marqué par les vociférations des gilets jaunes, puis les grèves à l'occasion d'une possible réforme des retraites, &, ensuite,  la pandémie de coronavirus qui a complètement désorganisé les formations telles qu'elles étaient par le passé. Cette fois,  aucun de ces présentiels que je contestais n'était plus possible, de sorte que mon souhait de voir des étudiants étudier en autonomie a été exaucé. Pourtant, on a fait ça dans l'urgence, en bricolant des cours pour les adapter au système numérique dont on disposait : Team, Zoom, Skype, etc. On a remplacé des cours dans une salle par des cours à distance avec un écran, mais on a pas véritablement tiré parti des possibilités du numérique, on n'a pas réformé en profondeur la façon dans les études se font.

5. Que l'on ne compte pas sur moi pour baisser la garde, car  c'est en ancien étudiant assez remonté contre un système déplorable  que je  discute ici des questions de formation.

6. J'invite tous mes amis à regarder à l'étranger comment  sont organisées les formations,  & l'on s'apercevra d'une espèce de carcan terrible de notre Education nationale, de la maternelle aux études supérieures ! Avec des résultats pas si bons que cela, de surcroît.  Il y a lieu de beaucoup changer.

7. Mais je ne peux m'empêcher de penser que l'absence de changement convient parfaitement à beaucoup : professeurs,  institutions formation  ou étudiants.

8. Pour autant, il y a une véritable responsabilité à observer qu'il n'y a pas eu de changement, & que cela correspond à de la mauvaise foi de la part des trois groupes, qui se se plaignent sans rien faire. Je m'étonne qu'aucun des billets publiés n'ait suscité de réactions. Enfin, je m'étonne... Disons que,  lucidement, je sais parfaitement à quoi m'en tenir, hélas.


Luttons sans relâche contre le Ragnarok éventuel.

mardi 21 juillet 2020

Ne transmettons pas des erreurs à nos amis

1. J'ai fini par m'en apercevoir mieux encore, mais j'en ai eu la confirmation par des amis cuisiniers : malgré les efforts de l'inspection de l'Education nationale, l'enseignement de la cuisine reste fondé sur la reproduction de gestes du professeurs, et de répétitions, en vue d'arriver à des résultats "conformes".

2. Cette méthode s'explique par la connaissance insuffisante de la physico-chimie des transformations culinaires, et aussi par leur abstraction, qui en rebute plus d'un de ceux qui veulent de la pratique. Bref, on est dans la technique plutôt que dans la technologie.

3. Et la technique était dans le soin que l'on prend à exécuter, on reste sur des gestes anciens, des matériels anciens, des méthodes anciennes, au lieu d'être dans une démarche novatrice, créatrice...

4. Bien sûr, on peut proposer aux étudiants de découvrir des cuisines du présent... mais il faut  à cette fin que les professeurs y soient formés, qu'ils soient à la pointe technique. Le sont-ils ? Bien peu se sont lancés dans la cuisine note à note, et j'en vois pour signe que très peu de Français participent au Concours international de cuisine note à note.

5. Je vois aussi qu'il y aurait lieu d'épauler la reproduction (on n'y échappera pas, soyons lucides) par des invitations à critiquer la technique qu'ils apprennent. Le simple questionnement devrait contribuer, en termes d'ingrédients, de méthodes, d'ustensiles... Bref, il y a tout à faire !

lundi 20 juillet 2020

Mesurer les distances !

1. L'automne dernier, j'ai testé pour la première fois, avec des étudiants d'un master international,  un cours de gastronomie moléculaire conforme à cette analyse que j'avais faite l'été précédent, à savoir notamment que le cours était entièrement écrit,  que, professeur,  je m'étais donné comme rôle de donner de l'enthousiasme, d'indiquer ce qu'il était bon d'étudier, notamment à l'aide d'une carte de la matière, de faire des points d'étapes réguliers sur le chemin que mes jeune amis devaient emprunter.

2. Tout cela a assez bien fonctionné, mais j'ai observé que le temps réservé au professeur avait rapidement tendance à s'étendre à l'infini, au détriment du temps d'études par les étudiants, en autonomie. Entre le professeur qui cause, voyant l'immensité des notions indispensables à ses jeunes amis, & ces derniers qui aiment l'entendre causer, grappillant sans relâche des notions, méthodes, informations toutes indispensables, il y a tous les ingrédients pour faire déborder le vase.

3. J'ai conclu que le système élaboré nécessitait plus que ce que j'avais imaginé : il faut aussi que le professeur fixe des objectifs raisonnables, précis, notamment à propos de méthodologie ;  il y a lieu de laisser mille pistes ouvertes à côté des chemins que l'on aura effectivement parcouru. Pour le professeur, il y a ce  travail supplémentaire qui est, non pas seulement de baliser le chemin, mais aussi de bien mesurer le temps à accorder aux étapes que les étudiants doivent parcourir.

dimanche 19 juillet 2020

La très difficile question des diplômes


1. Faut-il donner les diplômes à tous les étudiants qui suivent un cours ? C'est ce qui a cours aujourd'hui pour le baccalauréat, qui ne fait plus qu'ouvrir sur l'université, où, là encore, chacun obtient la licence, ou la maîtrise, voire un doctorat, à condition de rester dans le système national (ce qui signifie d'avoir les moyens financiers de le faire).

2. Ce que je dis en (1) n'est que factuel. Et la conséquence est connue de tous : le baccalauréat, ou les autres diplômes universitaires français ne sont plus une garantie de compétence, de sorte qu'ils ne sont pas une garantie d'accès à des métiers, par des employeurs qui auraient confiance dans lesdits diplômes.

3. Je reste factuel -indispensable dans ces discussions politiquement minées- si j'observe que les institutions qui organisent des études (par exemple, les universités) reçoivent des étudiants, qu'ils doivent aider à étudier, et dont ils sont chargés (semble-t-il, mais je me trompe peut-être) de certifier les connaissances, compétences, savoir être, savoir faire...

4. Si on le décide collectivement, on peut vouloir supprimer la certification : supprimer la sélection, n'est-ce pas semblable à supprimer la certification ?

5. D'autant que coordonner des études et certifier sont des  choses indépendantes.

6. Mais cela n'empêchera pas qu'il y aura des étudiants ayant des connaissances, des compétences, des savoir faire, des savoir être, et des étudiants qui n'ont pas ces acquis.

7. Autre hypothèse : on conserve les diplômes comme des certifications de compétences (plus connaissances, savoir faire, savoir être...), et alors ils ne sont pas de simples certificats de participation à des cursus  que l'institution a organisés.

8. Mais avons-nous le droit de le faire ?  Dans notre monde moderne, il y a des mobilités des populations : nos diplômes sont contraints par des accords internationaux.

9. Et sans oublier également que les études conduisent à des emplois, pour lesquels les connaissances, compétences, savoir être ou savoir faire ne sont plus des mots abstraits, mais de réels, solides réalités : face à une tâche (considérons une synthèse moléculaire, ou bien la direction d'une équipe, ou encore la soudure de deux tuyaux), on sait le faire ou on ne sait pas le faire, et aucune démagogie ne supprimera ce fait.

10. Ce qui conduit à observer que, pour des métiers, il y a des obligations de résultats ou de moyens... mais la question des compétences est alors la même : on sait obtenir les résultats ou pas, on sait mettre en oeuvre les moyens ou pas. Et la présence à des cours n'est pas suffisante.

11. D'ailleurs, la présence à des cours n'est rien : on peut parfaitement y dormir, ou écouter sans rien comprendre, si l'on n'a pas les bases pour le faire. De sorte que de telles certifications de présence sont nulles et non avenues.

12. Surtout, je crois que nous devons réclamer des définitions claires : de quoi parlons-nous quand nous discutons des diplômes ?

samedi 18 juillet 2020

Savoir manger, c'est manger en gastronomie

1. Et si savoir manger, c'était manger de façon analytique ? Les dysfonctionnements alimentaires,  qu'il s'agisse d'obésité ou de d'anorexie, mais aussi les mille déviations possibles, semblent être associées un manque de réflexion  ou de rationalité : on mange, mais on ne se demande pas ce que l'on mange ni pourquoi l'on mange.

2. J'ai l'impression que l'on gagnerait, à ce propos, à évoquer,  analyser et synthétiser.

3. Analyser d'abord, bien sûr, parce que c'est seulement quand l'analyse a été faite que la synthèse peut l'être. L'analyse, c'est de ne pas manger, mais de s'interroger sur ce que l'on mange, par exemple si l'on est face à un œuf dur mayonnaise, suivi d'un steak avec des frites, puis de camembert avec du pain,  et d'une mousse au chocolat (pour ne pas évoquer le repas anthologiques des Barbouzes).
Pour chaque élément, on peut donc s'interroger : s'interroger sur le plat lui-même, puis, remonter de la préparation finale aux ingrédients, puis des ingrédients à leur production, sans oublier le raisonnement qui a conduit à utiliser certains ingrédients particuliers pour obtenir une telle préparation.

4. Considérons donc cet objet qu'est l'œuf dur mayonnaise. Quand est-il apparu  dans l'histoire de la cuisine ? Comment le produit-on ? Quelles sont les variations régionales, locales, particulières aux cuisiniers ? Et pour l'oeuf dur mayonnaise, il y a l'oeuf dur, et la mayonnaise. Pour chacun, à nouveau les questions précédentes... mais aussi mille questions "gastronomiques" : historiques, donc, géographiques, mais aussi chimiques, physiques, biologiques, littéraires, artistiques (au sens de l'art culinaire)... & j'en oublie ! Là, il est la question de la cuisson des oeufs durs & celle de la préparation de mayonnaise.

5. Pour la mayonnaise, par exemple, il y a lieu de s'intéresser aux circonstances de son apparition, sans doute empirique à partir de la rémoulade. Mais il faut aussi  considérer sa confection, et s'interroger sur sa redondance avec l' œuf dur.

6. Et puis, il y a les ingrédients qui la constituent : l'oeuf, mais aussi le vinaigre, ce qui suppose d'avoir du raisin et du vin. Et l'huile, qui suppose d'en disposer même dans les régions les oliviers ne sont pas présents.



Je m'arrête dans l'analyse, parce que ma démonstration est faite : manger, c'est manger en culture, en "gastronomie" !