samedi 13 juin 2020

A propos de vitrification des sirops



Dan la série des changements d'état, il y avait donc ce passage de l'état liquide à l'état solide, que nous avons considéré à partir d'eau pure, tout d'abord, puis à partir d'eau salée. Dans le premier cas, il était question de solidification de l'eau, et dans le second, il y avait la précipitation du sel.
Pour ce second cas, j'avais annoncé que le sel cristallise sous la forme d'objets ayant des formes  régulières, des facettes planes, que l'on peut d'ailleurs explorer avec des méthodes physique tel des rayons X,  et l'on voit alors que les cristaux sont des réseaux, des empilements réguliers, comme des jeux de cubes,  des différents atomes, en l'occurrence les atomes de sodium et les atomes de chlore.
Avec la vitrification, il y a encore une solidification à partir d'un liquide, mais cette fois, il n'y a pas de cristaux réguliers.

Commençons par le mot vitrification  : on entend le mot "vitre", qui évoque le verre,  et il est vrai que le verre à vitres s'obtient quand on chauffe un mélange de différents minéraux, essentiellement de la silice, puis quand on le fait refroidir : on obtient alors les verres des vitres. Ce sont des matériaux transparents, mais qui n'ont pas des faces régulières.

On peut faire de même avec du sucre et de l'eau. Si l'on prend de l'eau, et qu'on y met du sucre, le chauffage commence dissoudre le sucre dans l'eau : à ce stade, on a des molécules de saccharose au milieu des molécules d'eau. Et tout cela bouge à une vitesse qui augmente avec la température.

Si l'on verse un peu de ce sirop sur un plan de travail froid (le "marbre" des confiseurs), alors le sirop s'étale et il reste généralement mou, liquide avec un peu de viscosité.

Si l'on continue de chauffer le sirop, la température monte : 105, 110, 115... Et si on le verse à nouveau sur le marbre, il se forme, après refroidissement, un matériaux solide,  vitreux, sans arêtes régulières, transparent.

Et si l'on porte à plus que 127 °C,  on obtient encore le même type de sol, mais il y a alors une recristallisation  rapide.

Les yeux ne suffisent pas le pour le voir, mais les rayons X permettent de voir les empilements d'atomes : dans un cristal, ces empilements sont réguliers, mais dans les verres de sucre précédents,  on n'en voit pas. La solidification rapide des sirops ne permet pas aux molécules de saccharose de bouger assez vite pour se répartir régulièrement à la surface de cristaux, de sorte qu'elles restent piégées dans des positions aléatoires. De même, avec de la silice, de l'oxyde de silicium, on peut très bien obtenir soit des cristaux et ça nous rappelle alors les cristaux de roche,  ou bien nos vitres. Le phénomène est le même,  très général.

Pourquoi se préoccuper de ces vitrifications en cuisine ? On en rencontre lors de la confection des meringues italiennes, préparations où l'on mélange un sirop de sucre à du blanc d'oeuf battu en neige.
Quand le  sirop et léger, qu'il y a encore beaucoup d'eau,  son refroidissement conduit à une espèce de pâte molle, et le battage permet de disperser le sirop conversion lentement sur le blanc en neige.
En revanche, quand on a chauffé davantage, et que le sirop est au stade où il aurait vitrifié sur le marbre, alors le verser dans le blanc en neige conduit à cette vitrification, et l'on récupère des morceaux durs, cassants, dans l' œuf battu, ce qui n'est pas le but. Il faut donc cuire les sirop correctement pour faire des meringue italienne et une température de 120 à 125 degrés convient parfaitement.


vendredi 12 juin 2020

Pour les jours qui viennent


Mon cours de gastronomie moléculaire de 2020 sera une série d'expérience de physique et, surtout, de chimie, pour bien montrer des effets utiles à tous les cuisiniers.

Nous terminerons par le plus important, ce que j'avais nommé les "14 commandements de la cuisine" dans mon livre Mon histoire de cuisine.

Que sont ces "commandements" ? Non pas des ordres, bien sûr, mais plutôt des idées très simples, essentielles, pour bien faire la partie technique de la cuisine.
Car on se souvient que la cuisine à trois composantes  : à savoir une composante technique, une composante artistique, une composante de lien social.

Dans ce cours de 2020, je ne discuterai que la composante technique, parce que là, déjà, il y a beaucoup pas dire... comme je m'en suis aperçu récemment lors d'un d'une conférence filmée de l'Académie de l'agriculture, puis d'un séminaire en ligne pour mon propre laboratoire.
Dans le premier, j'expliquais qu'il fallait arrêter de parler à tort et à travers de réaction de Maillard, et, dans le second, j'expliquais comment on peut utiliser la technique d'analyse qu'est la résonance magnétique nucléaire. Dans les deux cas, j'ai voulu faire du simple, du très simple, de l'extrêment clair... et j'ai eu le plaisir de constater, par de nombreuses réactions très positives, que j'avais bien plus rendu service que si je m'étais adressé à moi-même, que si j'avais voulu en imposer par mon savoir !

Oui, décidément, la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, comme disait l'astronome François Arago, mais mieux encore : c'est la condition de communications scientifiques réussies.

Et cela me conforte dans le choix que j'ai fait, pour le cours 2020 de gastronomie moléculaire : nous partirons d'expériences, qui nous conduirons à nos 14 commandements.

Reste à fixer la date, et prévoir de bien filmer tout cela, afin de le mettre en ligne.
Et puis, dans les jours qui vont suivre, faire des billets relatifs à chacune de ces expériences !

A propos de distillations



1. À propos de changement d'état, nous avons considéré l'évaporation mais nous ne sommes pas encore revenus à la liquéfaction d'un gaz.
Je le prends d'abord du point de vue de l'équilibre la système, puis dans une exception un peu différente.

2. Considérons d'abord un récipient en verre, empli à moitié d'eau (et le reste de l'air) que nos chauffons.

3. Progressivement, de l'eau qui s'évapore  entraîne l'air vers le haut, de sorte que le récipient sera bientôt pour partie plein d'eau et pour partie plein de vapeur d'eau.

4. Quand nous fermons le récipient, puis que nous cessons de chauffer, les molécules d'eau (il n'y a plus que cela dans le récipient fermé) se répartissent donc entre la phase liquide et la phase gazeuse.
Oui, dans le récipient, ce qui n'est pas de l'eau liquide est de la vapeur d'eau, et d'ailleurs sous une pression réduite, puisque, après avoir fermé le récipient, la vapeur s'est en partie recondensée en eau liquide, ce dont on pourra s'assurer en essayant de retirer le bouchon... et l'on n'y arrivera pas, car si l'on se souvient de l'expérience des sphères de Magdebourg, on saura qu'il faut deux attelages de chevaux puissants pour y parvenir. Voir par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=mrXxHBi0F8U.
Pour ceux qui veulent le calculer, il y a la pression atmosphérique à vaincre, et à appliquer la relation entre la force et la surface. Ici, les chevaux doivent lutter contre la pression atmosphérique, dont on sait qu'elle est égale à  100 000 pascals.

5. La raison du "vide" fait dans notre ballon, c'est que l'eau liquide prend environ mille fois moins de place que la vapeur : quand on refroidit, après avoir bouché, tout le volume de vapeur se réduit ensuite à un millière de lui-même. Du vide est donc créé.
Ou, plus exactement, s'installe alors, à la pression qui est celle du récipient clos, un équilibre, entre le liquide et la vapeur : des molécules s'évaporent, et d'autres viennent se condenser.

6. Proches de ces liquéfactions ou évaporations, parce qu'elles y interviennent, il y a a diverses méthodes de distillation  : simple, fractionnée,  sous vide, par entraînement  à la vapeur d'eau... Mais je propose d'en rester à l'expérience la plus simple, qui consiste à us surmonter ballon en verre d'une colonne, laquelle conduit à un réfrigérant. Le liquide s'évapore, monte dans la colonne, arrive dans le réfrigérant, et retombe à côté  : évaporation, puis liquéfaction.

7. Avec de l'eau salée, par exemple, on peut ainsi récupérer de l'eau parfaitement pure, car le sel ne s'évapore pas... Raison pour laquelle il est inutile de saler l'eau dans un cuit-tout à la vapeur.

8. Mais avec un mélange d'eau et d'éthanol (l'"alcool"), alors l'éthanol s'évapore dès 76 °C, et c'est lui qui part le premier, pour aller se condenser, formant un distillat plus concentré en alcool.
Dans ce cas, le distillat contient encore un peu d'eau, puisque l'éthanol qui a été évaporé a entraîné l'eau qui était en phase vapeur (on se souvient de la première expérience qu'il y en a toujours).

9. Bref, bien difficile de faire de l'alcool absolu, parfaitement pur. Et, en pratique, on le fait en éliminant l'eau à l'aide de métaux (tel le sodium) que l'on met dans l'alcool absolu.

10. Avec un mélange de plusieurs composés, la distillation fait un fractionnement : on part d'un mélange, et l'on obtient des "fractions". C'est d'ailleurs ce que nous avons déjà évoqué à propos de sel et de sucre : leur cristallisation conduit à la formation de cristaux "purs", par "cristallisation fractionnée".

11. Et d'ailleurs, c'est le lieu de signaler que l'on peut aussi fractionner un mélange d'eau et d'éthanol en le refroidissant à des températures où l'eau congère : si l'on enlève le glaçon formé, il reste de l'éthanol concentré. C'est ce que font certains Canadiens... avec un résultat différent de la distillation dans du cuivre, où le métal réagit avec certains composés. Mais évidemment, on pourra aussi chauffer le mélange dans du cuivre, avant de le congeler... sans oublier que la loi interdit de faire ses petites distillations afin de produire de l'alcool.

mercredi 10 juin 2020

Cristallisation


Dans la série des changements d'état, il y a le passage d'une solution à un solide,  la formation de cristaux, ou cristallisation.
Rien de plus simple que d'explorer d'abord ce phénomène avec de l'eau salée. On met de l'eau dans une casserole ou dans une poêle, on ajoute du sel, et l'on chauffe :  l'eau chauffe d'abord doucement, s'évapore progressivement, et le sel se concentre. Quand la  concentration en sel dépasse la saturation, soit environ  300 grammes de sel par litre, le sel précipite sous forme de cristaux.  C'est cela la cristallisation du sel.

Cette définition donnée, nous pouvons  maintenant entrer plus dans les détails. Ainsi, si le chauffage est très lent, de l'ordre de l'évaporation de la solution en plusieurs heures, alors on obtient de gros cristaux, de forme parfaitement régulière. Parfois, ces gros cristaux peuvent être des monocristaux, avec une forme très simple, aux faces toutes planes.
En revanche, si l'on chauffe bien plus énergiquement, alors on obtient une myriade de tout petits cristaux, et pas cette belle cristallisation que nous avions précédemment : les atomes de chlore et de sodium qui étaient dispersés dans l'eau (le sel de table, c'est un assemblage de ces deux types d'atomes) n'ont pas eu le temps de diffuser dans la solution pour aller s'empiler correctement sur les cristaux déjà formés, et la cristallisation s'est faite un peu n'importe comment, partout dans la casserole, avec des cristaux en concurrence les uns avec les autres.

mardi 9 juin 2020

Pour les jurys de dégustation

Dans des jurys de dégustation, je suis régulièrement atterré par l'incohérence des grilles d'évaluation qui me sont proposés : tout est mélangé, saveur, goût, consistance, et j'en passe. D'ailleurs j'observe que les jurés qui sont à ma table ont des acceptions parfaitement différentes des mots du goût, et que les notations sont du grand n'importe quoi. C'est à la fois arbitraire, injuste, inutile puisque incohérent... et à réformer sans attendre !

Mais je propose quand même de partir de plus important avant d'arriver au détail. Le plus important, c'est d'observer que la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique. De ce fait, on devrait toujours commencer une évaluation séparée selon ces trois axes :  lien social, art, technique.
Ensuite, et seulement ensuite, il y a les perceptions, et celles-ci peuvent-être plus ou moins analytiques, mais, en tout cas, elles devront être fondées sur des données récentes de physiologie sensorielle humaine, ce qui signifie que le plat pourra être évalué de la façon suivante :
- d'abord l'aspect visuel, avec les couleurs, les textures visuelles (rugueux, lisse, et cetera)
- puis les odeurs anténasales : ce que l'on sent quand le plat est sous notre nez, sans que l'on déguste;
- puis je propose que les jurés commencent par se pincer le nez avant de mettre en bouche la première bouchée ; mastiquant le nez bouché, ils ne percevront que la saveur, qu'ils pourront noter ;
- et, libérant le nez, ils auront la sensation complémentaire de l'odeur rétronasale, due aux molécules odorantes libérées par la mastication de l'aliment ; à noter que l'odeur rétronasale peut être différente de l'odeur anténasale
- ils pourront aussi noter la consistance, qui n'est pas la texture : la consistance, c'est la consistance, alors que la texture est individuelle, puisqu'elle dépend de celui qui mastique
- il pourra y avoir une analyse du piquant et du frais, ce que l'on nomme les sensations trigéminales
- et on pourra, si l'on veut, évaluer les températures
 - et, enfin, la totalité, c'est le goût.

Les voilà, les cases d'une évaluation bien faite, dans des conditions d'évaluation culinaire !

Plus de cohérence pour des dégustations


 Allons-y voir de plus près à propos de dégustation.

Je sais que les jurés, dans les comités de dégustation, ont des idiosyncrasies qui engendrent l'incohérence : ils confondent le goût,  la saveur, l'odeur, l'arôme, parfois la flaveur, et ainsi de suite. Et, surtout, ils ne s'entendent pas sur les sensations qu'ils ont quand ils dégustent. Je propose donc, quand il y a un jury de dégustation, de toujours commencer par quelques petites expériences qui mettront tout le monde d'accord.

Il s'agit tout d'abord de prendre au fond de la main une ou deux pincées d'herbes de Provence.
Sentons-les : il y a une légère odeur, qui vient de l'avant du nez, de sorte que l'on a donc l'odeur anténasale.
De l'autre main, on se bouche le nez et, le nez restant pincé, on met les herbes de Provence en bouche. On mastique et l'on sent alors comme du foin, c'est-à-dire une consistance, mais rien d'autre, pas de goût en quelques sorte. C'est que les herbes de Provence n'ont pas de saveur. Continuons à mastiquer un peu, puis, d'un coup, libérons le nez... et tout d'un coup, le goût apparaît car des molécules odorantes des herbes de Provence, libérées par la mastication, sont remontées vers le nez par les fosses retronasales, ce canal de communication entre le nez et la bouche, à l'arrière de la bouche. Quand on libère le nez, on sent donc l'odeur retronasale, qui ne se confond pas avec l'odeur anténasale qui est pourtant due aux mêmes molécules, mais dans des proportions différentes.
Finalement, les herbes de Provence ont une odeur mais pas de saveur, et le goût des herbes de Provence, la sensation synthétique que l'on a quand on mange, se résume donc à cette odeur rétronasale.
Observons pour terminer ici que l'odeur (anténasale) des herbes de Provence est leur "arôme".

Faisons maintenant la même expérience avec du sucre. En approchant le creux de la main de la bouche, on ne sent aucune odeur  : le sucre n'a pas d'odeur anténasale. Puis, le nez pincé, nous mettons le sucre en bouche et nous percevons parfaitement du sucré :  il y a donc une saveur sucrée au sucre.
Si nous libérons maintenant le nez, aucun changement ne se produit, car le sucre n'a pas non plus d'odeur retronasale.
Finalement le goût du sucre se réduit à sa saveur sucrée. Il en serait de même pour le sel et pour quelques autres composés.

Mais passons maintenant à du jus d'orange. Cette fois, nous percevons une odeur anténasale, mais, quand nous buvons le nez pincé, nous sentons plusieurs saveurs : de l'acide, du sucré... Si nous libérons le nez, nous percevons des odeurs rétronasales, et la totalité fait le goût du jus d'orange.

Passons au vinaigre. Cette fois nous sentons clairement une odeur, mais de surcroît, nous avons une espèce d'irritation du nez,  car à l'odeur se superpose une sensation dite trigéminale, ce qui recouvre les piquants et les frais.
Si nous mettons une cuillère de vinaigre dans la bouche avec le nez pincé, nous sentons une sensation acide, une saveur acide,  mais si nous libérons le nez, alors une odeur retronasale s'ajoute et finalement, le goût du vinaigre tient à tout cela : de la saveur, de l'odeur et du trigéminal.

J'oublie volontairement les autres sensations : de consistance, de température, visuelles, auditives (important pour le croustillant), et ainsi de suite.

vendredi 5 juin 2020

Les compétences ? Pensons à une répartition gaussienne



Oui, à propos de compétences, je me suis laissé aller à dire à des amis que, pour une tâche particulière, il n'y avait pas que des bons, loin de là.
Est-ce grave ? Est-ce juste ?

Une répartition utile pour penser est décrite par une "gaussienne", une courbe en forme de cloche qui exprime, en substance, qu'il y a beaucoup de personnes autour de la moyenne (moyennement compétents, pour une tâche particulière), très peu de très mauvais, et très peu de très bons.

J'ajoute aussitôt que cette compétence ne concerne qu'une tâche particulière, et que tel qui est peut-être très incompétent en mathématiques, par exemple, peut-être excellent en géographie, et vice versa.

La courbe gaussienne, la répartition gaussienne, est une loi "universelle", car elle correspond aux situations pour lesquelles de nombreux facteurs déterminent le résultat. Et elle ne vaut que pour une "dimension" particulière... alors que j'ai souvent dit que l'être humain n'est pas un ustensile, pas réductible à une compétence particulière, contrairement à une cruche qui ne peut contenir que de l'eau.

 L'instruction ? Son objectif, au delà des questions de valeurs, de savoir vivre, de savoir être, c'est quand même, pour des compétences qui sont dans le référentiel, de décaler la courbe gaussienne d'un groupe vers plus de compétence. Et sans céder pour autant sur d'autres fronts : les valeurs, par exemple. 

Est-ce grave d'observer  ou de de souvenir de cette courbe gaussienne pour la compétence des différents individus que nous rencontrons ? Non. Car le ciel est bleu : ce qui nous intéresse, ce sont ces gens merveilleux, qui s'évertuent à faire plus, mieux. Pas nécessairement plus que les autres, car la  vertu est sa propre récompense, mais faire plus soi-même.
Au fond, ce sont ceux là que j'admire, et en disant cela, c'est moi que je critique : moi qui ne fait jamais assez, qui me trouve paresseux, veule, égoïste, mesquin, petit... Mais pardonnez-moi :  j'essaie de m'améliorer.