mardi 3 avril 2018

La découverte des molécules et des atomes

On dit parfois qu'Albert Einstein a découvert atomes et molécules. Ou le physicien Jean Perrin. Bref, les physiciens créditent les physiciens de cette découverte.

Pourtant, c'est oublier des images comme la suivante :




 Il s'agit d'une des figures de "La chimie dans l'espace", de Jacobus Henricus Van't Hoff, un texte paru en... 1875, soit bien avant qu'Einstein ne fasse ses travaux ou que Jean Perrin n'étudie le mouvement brownien.  Et vous avez bien lu le titre ! Quatre ans avant, d'ailleurs,  Van't Hoff avait publié un article où il représentent les atomes de carbone d'une molécule de glucose, en indiquant même les angles entre les liaisons chimiques, et les distances interatomiques.

Mais, plus généralement, la France était terriblement en retard, sur le reste du monde chimique, notamment depuis que Marcellin Berthelot s'était opposé à cette idée de molécules composées d'atomes. En France, il avait eu quelques opposants, avec Würtz, Gerhardt, Laurent, mais Berthelot et sa clique, qui verrouillaient les postes, considéraient avec retard que la théorie était abusive. D'ailleurs, alors que Berthelot se vantait d'être un pionnier de la synthèse organique, la France était très en retard de ce point de vue (et Berthelot n'était certainement pas le pionnier qu'il prétendait être).


Bref, il ne faut pas reconnaître à Perrin d'avoir montré l'existence des atomes, puisque les chimistes la connaissait déjà depuis plus de 40 ans !

dimanche 1 avril 2018

Peser est un jeu


Dans nos expériences, nous devons souvent peser... et ceux qui connaissent l'histoire de la chimie savent combien cela est un acte scientifique important. Antoine Laurent de Lavoisier, par exemple, utilisa des balances extrèmement précises pour ses déterminations essentielles ; il ne cessa de faire des bilans de matière !





Après lui, les pesées sont devenues un art, parce que l'on chercha à minimiser les erreurs. Il y eut les améliorations techniques, les compensations, les doubles pesées... Au point que l'on parle sans exagération de "gravimétrie" comme d'une science de la pesée.

Bien au-delà des connaissances rudimentaires de nos jeunes amis qui n'ont que quelques années de rares travaux pratiques, et qui, face à des balances électroniques, ignorent tout de... tout en ce qui les concerne. Et ce n'est pas de leur faute, si la pesée s'apprend, car une bonne pesée est tout aussi difficile que par le passé... d'autant que l'on pèse bien autant avec sa tête, en réfléchissant, qu'avec ses mains.

Il faut penser à tout. A éviter des courants d'air qui fausseraient les mesures, que ces derniers viennent des pièces où l'on manipule, ou bien des hottes aspirantes sous lesquelles se trouvent les balances. A l'horizontalité des balances : on s'assure  que la balance est sur un support bien stable, sans vibration. A la suite de quoi on règle deux molettes qui sont à l'avant de la balance et au-dessous d'elle, afin qu'une bulle d'air dans un niveau vienne au centre de ce dernier, lequel est repéré par un cercle.

Quand la balance est ainsi stable, on l'allume, et on commence par la contrôler, ce qui signifie que l'on pèse un étalon afin de vérifier que la balance donne des indications cohérentes. Si c'est le cas, alors on peut procéder à la pesée, avec tare et répétition de la mesure.

Pour nombre d'étudiants qui sont gavés d'images de télévision où l'on voit des accélérateurs de particules géants, bourrés d'électronique, ces pesées semblent bien prosaïques, bien rudimentaires, et de ce fait bien en deça des fantasmes scientifiques qu'ils avaient, de sorte que ces pesées ne sont pas toujours aussi bien faites que l'importance de leurs résultats le réclame.

Faut-il brandir cette "importance" ? Ou bien, ne peut-on apprendre à "jouer avec les balances", c'est-à-dire à les utiliser au maximum de leurs possibilités ? Je ne sais pas, mais ce que je sais, c'est que nous devons redonner à la pesée toute l'aura qu'elle mérite, car "donnée mal acquise ne profite à personne" !

Contenu


Pétition

Pétition d'avril :
Comme disait Aristote dans la Rhétorique, la littérature doit préférer l'impossible vraisemblable au possible invraisemblable.

samedi 31 mars 2018

Jamais de mesures sans estimation des incertitudes

Ce matin, je reçois une revue qui milite pour une filière alimentaire, et, notamment, intervient dans un débat public à propos d'un de ses produits. On comprend que, dans une telle circonstance, les arguments doivent être particulièrement forts.

Or voici le genre de schémas qui figurent dans un article, où un scientifique est invité à venir à l'appui de la profession qui se défend  :

 


C'est contre productif... parce que les données ne sont assorties d'aucune intertitude, mesurée ou estimée.
Expliquons.

Quand on donne une valeur, on s'expose évidemment à ce que nos interlocuteurs, s'ils n'ont pas un pois chiche à la place du cerveau, commencent par s'interroger sur la validité de la valeur, avant d'en chercher la signification. La question est la même qu'à propos de la "couleur d'un carré rond", discutée dans un autre billet : ne cherchons pas à caractériser ce qui n'existe pas !
En l'occurrence, les mesures ont été... mesurées, et c'est l'instrument de mesure qui détermine leur précision. Oui, précision, car le plus souvent, et surtout dans des débats tels que celui que j'évoque, il y a une estimation, et non pas une valeur exacte. Par exemple, dans l'article évoqué, il est question du nombre de fractures évitées : cela ne se mesure pas, mais s'estime seulement. Pour d'autres cas, on peut avoir des mesures, telle la mesure d'une masse, à l'aide d'une balance nécessairement imprécise. Ou bien des estimations à partir de déterminations sur des échantillons.

 Bref, la science veut que tout nombre soit assorti d'une estimation de l'incertitudes, soit que cette estimation soit égale à l'incertitude de l'instrument de mesure, soit qu'elle soit déterminée par la répétition de plusieurs mesures.

Evidemment, quand on communique les résultats des mesures, il y a lieu de donner ces estimations des incertitudes, sans quoi, d'ailleurs, il y a mensonge : on laisse penser que la précision est celle que l'on affiche. Et, d'ailleurs, c'est une bonne pratique que celle des chiffres, et que j'invite mes amis à découvrir sans tarder s'ils ont quelques doutes à leur propos.
Sur un diagramme, les points doivent avoir une taille égale à l'incertitude. Sur un histogramme, on doit faire figurer  des valeurs hautes ou basses. Et ainsi de suite.

Sans quoi, nous sommes en position de considérer sur les données fournies ne valent rien : imaginez qu'elles aient été obtenues par un incapable !

vendredi 30 mars 2018

Pour Pâques, des Lammala

En Alsace, pour Pâques, on sort un moule fait de deux moitiés tenues par des crochets métalliques, et qui reproduisent une forme d'agneau.Et l'on sert ces Lammala (agneaux), très délicats au petit déjeuner, au déjeuner, au goûter, au diner, bref, à toute occasion, même quand il n'y a pas de raison.

La recette ?
 Pour un agneau, voici :

1. Dans un premier temps, clarifier  3 œufs.
2. Faire blanchir les 3 jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et un sachet de sucre vanillé,  puis ajouter le zeste d'un demi citron.
3. Monter les 3 blancs d'œufs en neige, puis continuer de les battre avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée sel.
4. Mélanger délicatement les blancs en neige aux jaunes blanchis.
5. Ajouter 100 g de farine et 50 g de fécule (ou maizena) et mélanger délicatement ; certains ajoutent de la poudre levante... mais est-ce bien nécessaire ?
6. Beurrer généreusement le moule, le saupoudrer de farine puis le fermer   avec le crochet
7. Y verser la pâte.
8. Enfourner le Lamala à 180°C pendant 35 à 40 minutes.
9. Une fois la cuisson finie, patienter 5 minutes avant de  démouler (ne pas attendre le refroidissement complet).
8. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

lundi 26 mars 2018

La cuisine "traditionnelle" : un art populaire

La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, ai-je dit. Et je ne me renie pas :
- il y a certainement une question technique : tailler des légumes en brunoise, faire gonfler un soufflé, mouler des quenelles, parer un poisson...
- mais il y a la question de faire "bon", c'est-à-dire "beau à manger" : c'est là une question artistique
- et l'on cuisine pour autrui : à défaut d' "amour", qui est une volonté personnelle, il y a en tout cas du lien social, car ce n'est pas rien d'accepter de mettre dans notre corps une préparation d'autrui.


Tout cela étant dit, je reviens au deuxième terme, à savoir  la question de l'"art" culinaire, et de ses relations avec l'artisanat. Cette question me taraude depuis longtemps, car si certains cuisiniers sont certainement des artistes, avec cette volonté de produire du nouveau, bien souvent les cuisinières et les cuisiniers, domestiques ou de restaurant, restent étonnamment collés à des préparations anciennes, de sorte que l'on pourrait penser à de l'artisanat. Et là, la limite est floue, car bien des artisans veulent faire "beau", tout comme des artistes.

Où se met la limite ? Pour l'artisanat, souvent le beau se limite à du  "bien fait", mais dans certains artisanats, il y a plus : ce tour de main personnel qui fait échapper à la reproduction selon des canons strictement professionnels. Notamment, en cuisine, on voit bien le cuisinier ou la cuisinière ajouter sa "patte" : une écorce d'orange ou de pamplemousse dans une blanquette, un croûton grillé dans une daube, quelques raisins secs dans un ragoût...
De quelle nature est cette activité, alors ? Comment se situe-t-elle par rapport à l'art ? Si le bon est le beau à manger, alors c'est bien de beau qu'il est question en cuisine. Mais le beau relève-t-il seulement de l'art ? Je crois qu'une piste est l'idée d'art populaire.

Une petite recherche montre que ce que l'on qualifie d'art populaire s'applique aux objets de la vie quotidienne soit fabriqués artisanalement, soit fabriqués par le public, le "peuple".
Dans un texte, j'ai vu que les fondateurs du Musée National des Arts et Traditions populaires de Paris (1937) avaient initalement voulu le nommer « Musée du Folklore » ; ils oeuvraient  dans la continuité des éditeurs et des auteurs de l'Encyclopédie, dont la véritable innovation fut de mêler des sujets parfaitement scientifiques à des sujets plus techniques, ce que Denis Diderot nommait les « arts mécaniques », dont il voulait une description ethnographique : avec d'Alembert, Diderot insista pour que des dessinateurs représentent en détail les machines et les gestes des ouvriers, interrogent les maîtres artisans.
Dans le même esprit, André Thouin (1747-1824), qui fut jardinier du roi et professeur d'agriculture, fit fabriquer des modèles réduits d'outillages et de machines agricoles. Puis, à la Révolution,  l'abbé Grégoire (Henri Grégoire, 1750-1831) explora les patois et mœurs des gens de la campagne », afin d'accélérer les échanges entre la ville et la province.
A la Révolution française, la fin de l'Académie royale marque la fin des premières études folkloriques institutionnelles en France, tandis que la vogue des voyages conduit à des accumulations de souvenirs, observations et témoignages. Le baron Isidore Taylor (1789-1879) publie, de 1820 à 1863, vingt-quatre volumes de Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France, où il décrit les monuments, les mœurs des populations et les costumes régionaux. La vie paysanne est également attestée par des peintres et par des écrivains (Millet, Balzac, George Sand...).
D'autres pays ne souffrent pas du coup d'arrêt de la Révolution française. Par exemple, l'Allemagne élabore le concept de Volk (« peuple »), accompagné du Volkstum, « pensée et sentiment populaires », et du  Volkskunde, « culture populaire ». Ici, le terme « populaire » évoque le peuple non pas comme la partie de la population exclue de la culture dominante, mais dans une acception historique.
En Angleterre, on parle de « folklore » (de folk, « peuple », et de lore, « savoir ») : ici, le mot « peuple » désigne les classes populaires de la société. Le terme « folklore » ne sera adopté par la France qu'un demi siècle plus tard.
Et, à la fin du 19e siècle, les études folkloriques fleurissent, portées par les nationalismes :  littérature orale, musique, artefacts… En France, Paul Sébillot, Pierre Saintyves et Charles de Sivry,  niment la Revue des traditions populaires, publiant un Folklore de France.
Enfin la culture populaire est  vraiment reconnue en 1937, avec la création à Paris du Musée National des Arts et Traditions populaires. Les objets considérés comme œuvres de la culture populaire appartiennent à tous les domaines, et l'on distingue que les productions populaires ont deux sources : la fabrication domestique et le savoir-faire des artisans. Après plus de 70 ans d'existence, il a fermé en 2005, et ses collections ont été transférées au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM), qui a ouvert le 7 juin 2013 à Marseille.

Tout cela est éclairant : je propose de distinguer de l'art culinaire savant, et de l'art culinaire populaire, dont relèvent l'artisanat et le beau que nous produisons dans nos cuisines, à la maison. Et j'en reviens à des définitions que je donnait naguère : dans un cas, il y a l'oeuvre unique, alors que, dans l'autre cas, il y a la répétition avec des variations, mais selon des canons pas remis en cause (une blanquette, c'est du veau revenu, avec lait, crème, champignons de Paris ; du coq au vin, c'est du coq avec du vin, garniture aromatique...).