Qu'est-ce qu'une thèse ?
Chaque école doctorale
émet ses documents pour le dire... mais leur consultation ne me convainc
pas. Souvent, il est plus question de forme administrative que de
contenu scientifique, et l'on balance entre "une thèse, c'est trois ans
de travail dans un laboratoire" et "une thèse, c'est trois publications
au minimum".
Pourtant, l'AERES statue, et les membres
des comités de visite ont chacun leur idée, plus ou moins fondée.
Pourtant, le statut des doctorants, qui n'est pas celui des étudiants,
montre bien que l'on est "grand" quand on commence sa thèse, et qu'il
est terrible de voir que nombre d'étudiants qui s'inscrivent en thèse
comptent sur leur directeur de thèse pour se laisser transformer en
machine à faire des expériences.
Je propose que l'on dise d'abord qu'un doctorant, c'est un chercheur.
Je propose que l'on impose à ces chercheurs d'être "grands", autonomes.
Je propose que, de ce fait, le rôle des directeurs de thèse ne soit pas celui de garde-chiourmes.
Je
propose... que chacun mette un commentaire derrière ce billet, pour
que, collectivement, nous arrivions à quelque chose de raisonnable.
En attendant, permettez-moi de vous livrer un extrait d'un courrier reçu d'un jeune docteur :
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"Je
n'ai malheureusement pas pu retravailler le manuscrit pour en faire une
vraie thèse, même si j'aurais réellement souhaité le faire. Cette
question de ce que doit être une thèse est effectivement cruciale.
"Je
crois qu'il y a beaucoup de maîtres de conférences et de professeurs
qui ont parfois beaucoup de mal à remettre en cause les techniques
traditionnelles. Le rôle des encadrants est je pense aussi important,
pour faire profiter le thésard de leur expérience, en les prévenant
quand ils vont dans le mur, sans esprit de compétition, et surtout en
acceptant de s'impliquer dans le suivi des travaux, et pas uniquement
pour s'assurer que leur nom apparaît sur les publications.
"Enfin,
il y aussi quelque chose d'assez malsain (je trouve) qui consiste à
considérer comme de la recherche une simple constatation, sans chercher à
en trouver les causes. Si le but de la thèse est de générer le plus de
résultats possibles sans autres forme d'investigation, est-ce réellement
la peine d'avoir un master ou un diplôme d'ingénieur?
"Si ma
soutenance un peu houleuse peut faire prendre conscience de certaines
choses à mon université, ce sera déjà ça. Je suis bien sûr assez
désabusé par mon expérience scientifique, et j'ai hâte de continuer sur
un nouveau projet de recherche pour le faire "dans les règles"."
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Ce qui m'alerte, dans ce message, c'est surtout que ce n'est pas le premier de ce type que je reçois.
Analysons calmement :
1.
"Je
n'ai malheureusement pas pu retravailler le manuscrit pour en faire une
vraie thèse, même si j'aurais réellement souhaité le faire. Cette
question de ce que doit être une thèse est effectivement cruciale." :
Il
y a la question : qu'est-ce qu'une "vraie thèse"? Cette question se
pose du point de vue de la forme et du point de vue du contenu ; ou
plutôt non : du point de vue du contenu, d'abord, et du point de vue de
la forme ensuite.
Les règles administratives actuelles
considèrent que l'on nomme thèse aussi bien un travail scientifique et
un travail technologique. Cela pour le contenu.
Pour la forme, de
récentes expériences m'incitent à penser que la thèse "idéale", en
2010, serait composée de 100 pages, pas plus, avec une masse
considérable d'annexes.
Oui, 100 pages et pas plus,
parce que les membres des jurys, soit parce qu'ils ont la flemme de lire
des pavés, soit parce qu'ils craignent le copier-coller, soit parce
qu'ils veulent honnêtement que le doctorant fasse preuve d'esprit de
synthèse, les membres du jury, donc, recommandent des documents
synthétiques.
Cependant, je suis personnellement très
opposé à une thèse qui serait si brève, parce que les revues (de chimie)
réduisent les nombres de pages, de sorte que l'on ne peut plus donne
dans les publications les informations nécessaires à l'évaluation de ce
qui est écrit. Où le faire, si on ne le fait plus ni dans les
publications, ni dans les thèses?
C'est la raison pour
laquelle je préconise de très volumineuses annexes... où les "Matériels
et méthodes" seront très détaillés.
2.
"Je
crois qu'il y a beaucoup de maîtres de conférences et de professeurs
qui ont parfois beaucoup de mal à remettre en cause les techniques
traditionnelles. Le rôle des encadrants est je pense aussi important,
pour faire profiter le thésard de leur expérience, en les prévenant
quand ils vont dans le mur, sans esprit de compétition, et surtout en
acceptant de s'impliquer dans le suivi des travaux, et pas uniquement
pour s'assurer que leur nom apparaît sur les publications"
Ici,
il y a beaucoup à dire, mais oui, je ne vois pas de raison pour
laquelle le corps des maitres de conférences et des professeurs soit
particulièrement épargné par la loi qui veut que, dans tout corps, il y
ait une gaussienne (ou une autre courbe mieux appropriée) de soin, de
travail, de gentillesse, d'honnêteté...
Et tout en découle!
3.
"Enfin,
il y aussi quelque chose d'assez malsain (je trouve) qui consiste à
considérer comme de la recherche une simple constatation, sans chercher à
en trouver les causes. Si le but de la thèse est de générer le plus de
résultats possibles sans autres forme d'investigation, est-ce réellement
la peine d'avoir un master ou un diplôme d'ingénieur?"
La
"recherche"? Trop vaste sujet. Parlons de la science. Oui, la science
n'est pas réductible à l'observation des faits, puisque l'on ne répétera
jamais assez qu'elle comporte les étapes suivantes :
- observation du phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- synthèse des données en lois
- recherche (quantitative) de mécanismes (proposition de théories, modèles)
- prévision expérimentale fondée sur la théorie élaborée
- test expérimental (quantitatif) de la prévision (quantitative)
- retour à l'infini.
Donc,
oui, mille fois oui, la science n'est pas la constatation ! Et oui, si
la thèse est une thèse de science, le but n'est pas la productin de
résultats, mais le chemin scientifique parcouru... en vue de soulever un
coin du grand voile.
4.
"Si ma
soutenance un peu houleuse peut faire prendre conscience de certaines
choses à mon université, ce sera déjà ça. Je suis bien sûr assez
désabusé par mon expérience scientifique, et j'ai hâte de continuer sur
un nouveau projet de recherche pour le faire "dans les règles".
Attention,
mon cher ami : comment être désabusé par une expérience scientifique?
En réalité, de même que la beauté est dans l'oeil qui regarde, à nous
d'avoir le feu qui fait la science chaque jour plus belle, au lieu de
compter (un peu paresseusement) sur l'université, le directeur de
recherche, etc. Nous sommes grands, nous tenons sur nos deux jambes,
quand nous sommes en thèse!
Le nouveau projet? Il faudra le mener
dans cet esprit d'autonomie, qui ne considère pas les circonstances,
mais le travail lui-même.
La science est merveilleuse, et ce n'est pas son environnement qui la fait plus ou moins belle. Elle EST belle!
Vive la connaissance!
PS. Et oui, j'y reviens, jamais des commentaires n'auront été si nécessaires, pour un billet.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité
sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)