dimanche 20 octobre 2024

Comment étudier ?

Alors que j'épaule des étudiants de  Master 2 de physique-chimie, je les expose à des présentations faites soit par des universitaires, soit par des industriels... et ils auraient bien tort de croire que leur travail s'arrête à écouter le cours et à poser des questions. 

En réalité, chaque mot peut - doit ?- être l'occasion d'un approfondissement. 

Je prends un exemple, à savoir une diapositive qui vient d'être montré par un industriel et sur laquelle apparaissent des mots comme phospholipides, amylose, caséine, et cetera. Au fond, pour être prêts à travailler dans l'industrie, c'est-à-dire l'année prochaine pour nos étudiants de Master 2 de cette année, il y a lieu de bien savoir ce que tout cela signifie. 

Par exemple "phospholipides" :  de quoi s'agit-il ? Bien sûr, nos jeunes amis pourront aller sur wikipédia où ils trouveront des explications parfois très compliquées et donc incompréhensibles, et parfois complètement fausses. Ils ne pourront donc pas s'arrêter à cela, et ils devront chercher mieux. 

Où chercher ? Le fait est le nombre de publications scientifiques sont bourrées d'erreur, même quand elles sont publiées par des revues scientifiques ou technologiques de premier plan. 
Et c'est d'ailleurs une formation que nous donnons à nos étudiants de Master que de savoir évaluer un document qu'ils ont trouvé. 

Mais en réalité, rien ne peut leur épargner le travail de trouver beaucoup de documents et de les comprendre :  cela peut-être très long ! Par exemple j'ai passé presque 3 jours à lire des publications aussi récentes que possible, ou parfois très anciennes puisque je voulais les publications primaires, afin d'être en mesure d'expliquer à des lecteurs d'une revue de vulgarisation ce que sont les polyphosphates. Je suis désolé de dire que les premières pages apparaissant dans Google à ce sujet étaient complètement fautives, et d'ailleurs, je suis presque certain que les journalistes qui les ont produites n'ont pas compris ce dont ils parlaient. 

Bref, nos étudiants ont beaucoup de pain sur la planche puisque nous prononçons dans nos cours de nombreux mots de chimie ou de physique... qu'ils ont donc l'obligation d'explorer jusqu'à se faire une idée bien claire de ce dont nous parlons.

samedi 19 octobre 2024

La... recherche ?

 Alors que des amis industriels sont venus parler à nos étudiants, j'ai à nouveau rencontré la confusion entre recherche, recherche et développement, développement, recherche appliquée... 

Commençons par le mot développement, qui est un anglicisme qui signifie mise au point. Quand quand on cherche à faire un million de pizza par jour avec, sur chacune, quelques feuilles de basilic, il y a certainement lieu de faire une recherche pour savoir comment déposer les feuilles et car on ne les mettra pas à la main.
Il y a d'abord la recherche d'un procédé, qui est une recherche technologique, et ensuite une mise au point du procédé qui se fait sur la ligne de production. Dans les deux cas, il s'agit de rechercher mais pas avec la même profondeur et, au fond, on pourrait dire qu'il y a une recherche technologique globale pour la mise au point,  et une recherche technologique locale pour la mise au point. 

Mais la recherche technologique se distingue de la recherche scientifique, qui est  l'exploration des mécanismes. 

Et nous arrivons ici à cette question de la recherche scientifique  : elle n'est ni pure ni académique, mais simplement scientifique. 

Pour cette dernière, on cherche à faire des découvertes, à lever un coin du grand voile, comme le disait Albert Einstein et non pas à trouver des applications, des produits, des améliorations des technique. 

Il y a donc d'un côté la recherche scientifique, puis la recherche technologique dans la mesure où elle améliore les techniques, et cette recherche technologique peut être plus ou moins profonde. 

vendredi 18 octobre 2024

Évitons la naïveté si nous voulons faire de la bonne chimie

Au début de la cuisine moléculaire, j'avais invité les chefs à faire des perles d'alginate. A cette fin, je leur proposais d'acheter de l' "alginate de sodium" et un sel de calcium. Et c'est ainsi que les chefs ont commencé par utiliser du chlorure de calcium, bon marché mais très amer. J'ai aussitôt proposé de remplacer ce chlorure par du lactate de calcium qui contient également l'ion calcium, divalent, mais sans l'amertume du chlorure. 

Mais c'est surtout le second ingrédient qui m'intéresse maintenant à savoir l'alginate de sodium. Très rapidement, des chefs variés sont venus m'interroger parce qu'ils avaient des résultats parfois très différents de ceux qui étaient indiqués dans les recettes. À l'analyse, il est apparu que le mot "alginate de sodium" décrivait insuffisamment le produit acheté, qui, certes, était bien "produit" extrait des algues, mais qui pouvait être bien différent selon le procédé d'extraction
 

Sans compter que certains fabricants diluaient leur poudre et, évidemment, réduisaient l'activité du produit  en proportions des bénéfices qu'ils faisaient sur le dos de leurs clients.  Interrogé, un de ces fabricant là m'a avoué qu'il ajoutait un excipient non pas pour réduire le coût de la matière mais pour faciliter la mise en œuvre : mouais...

Il y a d'autres cas, et, par exemple, je me souviens avoir vu une de mes expériences publiques rater alors que j'avais comme d'habitude mélangé dans les bonnes proportions de la poudre de blanc d'oeuf et de l'eau, que je chauffais. Ordinairement, on observe une coagulation, et si les proportions sont celles du blanc d'oeuf, on obtient comme un blanc d'œuf.
Mais ce jour-là, rien ne s'est passé normalement et à l'analyse il est apparu que cette "poudre de blanc d'oeuf" avait d'abord été cuite avant d'être réduite en poudre. Or cuite, séchée et réduite en poudre, elle ne pouvait plus coaguler comme une poudre de blanc d'oeuf dont les protéines auraient été encore quasi natives. 

Évidemment, selon la méthode de production, il y a tous les intermédiaires possibles, et l'indication poudre de blanc d'oeuf, ou alginate, et cetera, sur un paquet n'est absolument pas la garantie que l'on aura les effets que l'on souhaite.

Je ne parle pas des cas où ayant acheté des réactifs chimiques auprès de grandes sociétés chimiques, assortissent leurs produits d'un degré de pureté, j'ai reçu quelque chose d'autre que ce qui était commandé. Par exemple, du trichloroanisole annoncé avec 99,99 % de pureté s'est révélé être composé à 50 % seulement de ce composé, après analyse par résonance magnétique nucléaire, technique imparable.
Et je connais un grand laboratoire de chimie du CNRS qui, pendant presque un an, a eu des résultats complètement différents de ceux qu'il attendait parce que les réactifs achetés n'étaient pas ceux qu'ils voulaient utiliser. 

 

Bref, il y a eu lieu de se méfier des termes généraux : amylose, amylopectine, alginate de sodium, protéine de pois, polyphosphate... Dans le meilleur des cas, on aura quelque chose qui s'apparentera à ce que le mot désigne, mais la question de la pureté restera entière. Or il ne faut pas être naïf : la pureté absolue n'existant pas, comment nommer des produits qui ne sont pas purs ?

jeudi 17 octobre 2024

Merveilleux gestes de chimiste

 Parmi les gestes merveilleux du chimiste, il y a celui qui consiste à garder le bouchon du flacon que l'on a ouvert dans la paume de la main, à la partie inférieure, tandis que les doigts servent à tenir le flacon lui-même ou un autre objet : de la sorte, on ne dépose jamais le bouchon sur la paillasse, et  on évite ainsi 

- soit de contaminer le bouchon avec des composés présents sur la surface de la paillasse

- soit de contaminer la paillasse avec le bouchon. 


Un autre geste important et celui qui consiste à verser un liquide en le faisant couler le long d'une baguette de verre. La capillarité maintient le liquide contre la baguette, et évite que l'on renverse  du liquide sur la paillasse. 

Il y a ainsi foule de petit gestes que le chimiste peut apprendre et exécuter merveilleusement. N'est-ce pas le rôle des cours d'introduction à la chimique que d'enseigner ces gestes ?

Des anneaux dans le nez ?

Je me demandais pourquoi je n'aime pas les anneaux dans le nez. Dans notre groupe d'étudiants, il y en a eu deux qui ont un anneau dans le nez. Bien sûr, je respecte le choix de chacun tant qu'ils ne me gênent pas, d'autant que je n'aime pas me préoccuper des détails vestimentaires s'ils ne compromettent pas la sécurité (maitre mot, pour un laboratoire de chimie). 

En revanche, je viens de m'apercevoir  que, quand je croise une personne qui a un anneau dans le nez, mon regard tombe sur l'anneau (il a sans doute été mis pour cette raison, car sinon, pourquoi l'aurait-on mis ?) et c'est ainsi que je comprends que si je regarde l'anneau, je ne regarde pas la personne dans les yeux. 

Or le regard dans les yeux et pour les primates, notamment l'espèce humaine, quelque chose de vraiment très important, et le détourner n'est pas sans conséquence dans la relation que nous créons avec l'autre. 

Au fond, derrière l'originalité de l'anneau dans le nez, n'y aurait-il pas  la volonté de ne pas regarder les gens dans les yeux, de détourner le regard des interlocuteurs ?  Une analyse bien naïve mais après tout, je suis quand même plus intéressé par les molécules qui elle, non généralement pas d'anneau dans le nez ;-)

Salades de lentilles, salades de pommes de terre

Dans le séminaire de gastronomie moléculaire d'hier, nous avons testé l'effet éventuel de l'ajout de vinaigrette sur les pommes de terre chaudes ou sur des lentilles chaudes, plutôt que sur les pommes de terre froides ou des lentilles froides.
Nous avions déjà considéré plusieurs fois la question, mais de façon un peu secondaire. Là, nous avons le voulu refaire la chose, non pas seulement sur les pommes de terre comme par le passé, mais aussi sur les lentilles puisque c'est une indication que nous avions trouvé dans des ouvrages professionnels.
Nous avons donc au moins pour une partie du séminaire, cuit des lentilles et des pommes de terre, dans de l'eau, départ à  froid ; puis nous avons divisé les lentilles cuites en deux moitiés, et divisé les pommes de terre en deux moitiés. Dans une des deux moitiés de chaque lot, nous avons ajouté immédiatement la vinaigrette, laquelle avait été réalisée à partir de vinaigre et d'huile. Évidemment, les quantités de lentilles, de pommes de terre et de vinaigrette étaient pesées pour chaque cas. Et nous avons ensuite organisé un test triangulaire pour détecter d'éventuels effets.

Je suis heureux de vous dire que nous avons le résultat : il y a très peu de différence, et la seule que nous ayons pu établir un peu était une perception un peu supérieure du vinaigre quand la vinaigrette était ajoutée à froid.
Mais en réalité, on conservera à l'idée que les différences étaient absolument minimes et en tout cas inférieures à ce que je nommerais l'effet sauce :  c'est-à-dire que la quantité de sauce ajoutée, quand elle diffère dans un lot dégusté, est prépondérante. C'est cette quantité différente éventuelle qui conduisait à des reconnaissances éventuellement erronées entre les lots à froid et à chaud.

Tout cela est donc bien clair : il y a très peu de différence entre l'assaisonnement à froid et l'assaisonnement à chaud pour les pommes de terre comme pour les lentilles. 

mercredi 16 octobre 2024

Pour verser sans renverser

Ce matin, je vois une vidéo où l'auteur renverse d'abord du jus d'orange sur la nappe, parce qu'il le verse d'un verre dans un autre. Puis il  explique qu'il y avait lieu d'éviter ce désagrément en faisant couler le liquide contre une cuillère que l'on tient par-dessus le verre. Et il conclut : " pourquoi n'ai-je pas su cela avant ?"
 

Oui pourquoi n'a-t-il pas su cela auparavant ? Ma réponse est qu'il n'a pas du bien d'écouter les cours de chimie ou d'introduction à la chimie qu'on lui a dispensés, où ce que ces cours n'ont pas fait leur travail, à savoir expliquer les gestes élémentaires de la chimie. 

Car il s'agit là effectivement d'un geste que l'on apprend dès le début, à savoir verser en faisant couler un liquide contre une baguette en verre, de sorte que la capillarité assure l'écoulement du liquide contre la baguette. 

Au fond, les gestes de la chimie sont souvent des gestes du quotidien, et l'on peut compter sur les chimistes pour avoir perfectionné ces gestes.
Vive la chimie (cette science merveilleuse qui ne se confond pas avec ses applications), bien plus qu'hier et bien moins que demain !