Hier soir, j'ai grillé des cubes d'agneau qui avaient été trempés dans une sauce tandoori. Une sauce tandoori ? C'est un mélange d'épices avec paprika, cannelle, sel, cumin, piment, coriandre … La liste est longue, je m'arrête là. Les morceaux de viande avaient donc été trempés dans du yaourt où l'on avait dispersé cette poudre ; ils étaient enrobés de cette préparation, posés sur une plaque et mis directement sous le gril. Après quelques minutes, une odeur agréable a empli la cuisine, alors que les morceaux de viande avaient bruni... et qu'ils avaient les pieds dans du liquide. Pourquoi ce liquide ?
Bien sûr, le yaourt, c'est essentiellement de l'eau, puisque c'est du lait qui a été gélifié, et que le lait est principalement composé d'eau. Le yaourt peut être dégradé par la chaleur, relâchant son eau.
Est-ce la vraie raison ? Pour le savoir, il faudrait faire l'expérience avec des morceaux d'agneau, sans yaourt, et... l'expérience n'a plus rien de comparable, puisque les morceaux de viande ne sont alors plus cuits dans les même conditions !
Nous avons là un exemple typique de la difficulté de concevoir des expériences qui puissent être identiques en tous points, à l'exception d'un seul paramètre. Passons, et supposons que nous trouvions une expérience convenable ; il est vraisemblable que nous verrons à nouveau ce liquide, parce que l'on sait par ailleurs que les viandes chauffées se contractent. Pourquoi les viandes chauffées se contractent-elles ? Les viandes sont des faisceaux de fibres nommées fibres musculaires, reliées entre elles par du tissu collagénique. Les viandes qui contiennent beaucoup de ce tissu collagénique se contractent plus à la cuisson et celles qui en contiennent moins, et la pesée d'eau où l'on a chauffé une viande très collagénique montre bien que cette viande se contracte et expulse du jus : la viande pèse moins après cuisson, et le "bouillon" pèse plus.
Mais pourquoi cette contraction tissu collagénique ? Le tissu collagénique est un assemblage en de petites fibrilles, du collagène, lequel est un assemblage de brins polypeptidiques, un mot à rallonge pour dire que la molécule est un enchaînement de résidus d'acides aminés. Comment, lors du chauffage, ces arrangements sont-ils perturbés ? Je m'arrête là, parce que la discussion serait très longue, dépassant de beaucoup le cadre d'un petit billet de blog.
C'est à cela que je voulais arriver : partant d'une observation quasi insignifiante, l'esprit curieux se lance immédiatement dans une immense promenade au royaume des mécanismes, de la science quantitative. Tout tient dans « l'esprit curieux » : la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, et la curiosité est dans l'esprit de celui qui contemple les phénomènes du monde, également. Et si l'on n'est pas curieux ? Alors je propose de s'entraîner à simplement décrire les phénomènes, comme le stipule la méthode des sciences quantitatives. On observe une transformation, on la décrit, avec des mots, et l'on discute ensuite ces mots. Ce « travail nous conduira immanquablement à nous interroger sur le fonctionnement du monde.
NB : des revues scientifiques viennent de publier que l'exercice de la science était corrélé à de la moralité supérieure à la moyenne. Voilà qui devrait répondre aux reproches que certains ont fait, lors des débats éthiques, et voici ce qui devrait satisfaire Faraday, qui disait que l'exercice de la science quantitative améliorait l'esprit.