mercredi 20 juillet 2022

Comprenons ce que nous disons !



On m'interroge (et pas sans arrière pensée) :

Dire qu’il y a une chimie du goût, n’est-ce pas une façon de légitimer un usage raisonné de la chimie aussi dans la fabrication des aliments ?

Oui, on m'interroge avec cette phrase et je pressens que mes interlocuteurs  voudraient que je réponde par l'affirmative.

... mais ils oublient que je sais lire et, surtout, que je m'interroge sans cesse sur le sens exact des mots.

Avant de répondre, il y a donc lieu de d'examiner la chose lentement : https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/comprenons-ce-que-nous-disons-et-ne-faisons-pas-porter-aux-sciences-le-chapeau-des-applications/

dimanche 17 juillet 2022

Comment éviter que les jaunes ne crèvent, quand on fait une galette de sarrasin ?

 

Commençons par le problème : en Bretagne on produit de telles galettes à partir de farine de blé noir, ou sarrasin, et d'un peu d'eau ou de lait, du sel. La pâte assez liquide est versée à la louche sur le bilic, c'est-à-dire une plaque épaisse de fonte, chauffée et préalablement graissée ; à l'aide d'une petite raclette, on fait une couche de pâte aussi mince que possible. Quand une face est cuite, on retourne la galette et l'on dépose au choix du fromage du jambon et de l'oeuf.

 

Il existe des galettes de différents types, mais celles à l'oeuf miroir doivent avoir le jaune intègre, non crevé, ce qui n'est pas facile, car lors des manipulations il arrive souvent que la mince pellicule qui entoure le jaune d'oeuf se rompe. Comment l'éviter ?

 La suite ici : https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/comment-eviter-que-les-jaunes-doeufs-ne-cassent-quand-on-fait-une-galette-de-sarrasin/

jeudi 14 juillet 2022

Intelligence artificielle et gâteau au chocolat

 Je reçois ceci : 


J'ai fait cette vidéo youtube qui peut vous intéresser je pense :https://www.youtube.com/watch?v=at32u-reCHU&t=1s .

 

Et effectivement, c'est intéressant. Je réponds : 

 

Bravo et merci. Je viens de le twitter... en observant toutefois que la cuisine, c'est moins une question de technique que d'art, et, mieux, d'amour.
Pour l'art (le bon, c'est le beau à manger, plus que le beau à voir, qui relève, lui, de la composante sociale), il n'y a pas de règle... et d'immenses débats à propos de "AI et art".
Et puis, ce que j'aime hic et nunc, ce n'est pas ce que j'ai aimé hier, ni ce que j'aimerai demain... notamment parce que mon humeur, mon appétit, ma compagnie ont été, sont, seront différents. Un nouveau travail en perspective ?
bien cordialement

 

A propos de "traditions culinaires"

 En cuisine, le traditionnel est-il  bon ?

Il y a une première difficulté, dans cette question : le "traditionnel" n'est pas bien défini, pas clair, de sorte que, dans une discussion publique de la chose, il y a le risque que chacun y mette ce qu'il y met... sans d'ailleurs bien savoir ce qu'il y met. 

 

Car, pour commencer,  le traditionnel des uns n'est pas le traditionnel des autres. Par exemple, le traditionnel des Alsaciens n'est pas celui des Provençaux, et, même, le traditionnel des Haut-Rhinois n'est pas celui des Bas-Rhinois. Mieux encore, dans mon village, il y  a une tradition des crécelles (Ratscha)  d'avant Pâques, qui n'existe pas dans les villages voisins, mitoyens. 


Bref, "le" traditionnel n'existe pas. De sorte qu'il ne peut être bon (les "carrés ronds" ne sont pas rouges, puisqu'ils n'existent pas). 


Supposons, pour simplifier, que le "traditionnel" soit notre traditionnel à nous, individu particulier ayant une histoire particulière. Qu'il soit bon ou non, peu importe, car il est traditionnel, et cela fait des millénaires que l'on sait qu'il est inutile de discuter des goûts, car chacun a les siens,  qui n'ont aucune valeur universelle. A quoi... bon en discuter ?

 
Cela étant, dans la question, il y a aussi la difficulté du mot "bon". Dans le bon, il y a le sain, le non toxique, mais il y a aussi le « ce que j'aime ». Or nous aimons souvent ce que nous avons appris à manger quand nous étions plus jeunes, que cela soit sain ou non.
Pour l'Alsacien, le munster est bon, mais il ne l'est pas pour certains de nos amis asiatiques. Pour certaines populations, les scorpions grillés sont un régal, mais l'expérience m'a montré que mes collègues parisiens n'étaient pas prêts à en manger. D'un point de vue toxicologique, le munster ne présente pas de risque quand il a été « « bien fait », pas plus que les scorpions grillés quand ils ont été bien grillés. 


Reste alors la question  toxicologique : manger sain. Là, encore, difficile de généraliser. Il est vrai que certains groupes humains ont appris à rendre comestible des ingrédients qui ne l'étaient pas.
Par exemple, les haricots blancs contiennent des composés toxiques que la cuisson détruit. Le manioc, également, est toxique, quand il n'est pas préparé, et les êtres humains ont trouvé une façon traditionnelle d'assainir le tissu végétal. En revanche, il est de nombreux cas où l'humanité croit manger sainement parce qu'elle mange traditionnellement, mais s'intoxique sans le savoir. Dans nombre de remèdes dits fautivement "naturels", il est proposé des ingrédients dangereux.
Mais cela, personne ne veut le savoir. Et il y a aussi les cas où l'on mange du malsain en ne voulant pas le savoir (barbecue, par exemple).
 

Bref, bien des difficultés pour une simple question !

mercredi 13 juillet 2022

A propos de nos séminaires de gastronomie moléculaire

 Je m'aperçois que, dans la presse du déménagement de nos laboratoires à Palaiseau, j'ai omis de publier ici les résultats d'expériences effectuées lors de notre dernier séminaire. 


Les voici : 



2.1. Agnès Verboom, La Table, guide complet de la maîtresse de maison, Paris-Bruxelles, Administration du Moniteur des dames et des demoiselles (sd), p. 244 : « Sauce au beurre. Mettez 60 g de bon beurre frais dans une casserole et faites-le fondre à petit feu sans le laisser bouillir, sinon il tournerait en huile ».


On commence les expérimentations en plaçant environ 60 g de beurre dans une casserole et en chauffant (plaque à induction, environ 6/9). La casserole est « vannée » (agitée d’avant en arrière, comme quand on monte une sauce au beurre).

Alors que l’on s’attendait à une « clarification », avec la formation de deux phases, on voit au contraire un liquide homogène, de type émulsion, sans séparation : on se souvient que l’on peut obtenir une émulsion quand il y a plus de 5 % d’eau, ce qui est le cas, puisque le beurre en contient jusqu’à 18 %.

Quand le beurre est entièrement fondu, cet état subsiste (on se souvient que, quand une préparation blanchit, en cuisine, c’est souvent parce qu’il y a une mousse ou une émulsion).

On décide alors de pousser le feu pour observer la déstabilisation de cette émulsion.

Quand de la fumée apparaît au-dessus de la casserole, une odeur se fait sentir.

On voit l’ébullition de la préparation, avec formation d’une mousse blanche vers les bords de la casserole, mais l’émulsion demeure.


On décide alors de chauffer davantage pour faire tourner en huile.

Quand on obtient ce résultat, en se souvenant du séminaire sur la béarnaise rattrapée, nous décidons d’ajouter de l’eau (environ 3 cuillerées à soupe)… et nous voyons l’émulsion se former à nouveau !


Nous répétons l’ensemble des expériences en partant d’eau à laquelle nous ajoutons le beurre, et nous avons les mêmes résultats.


Puis nous répétons l’expérience sans eau, et sans vanner, et le résultat est le même.


On pousse alors le chauffage jusqu’à la formation d’un beurre noisette très soutenu. Et l’on ajoute de l’eau : l’émulsion se reforme spontanément.

Note : pour les questions de sécurité sanitaire du beurre noisette, voir Céline Niquet-Léridon, Philippe Jacolot, Claude-Narcisse Niamba, Nicolas Grossin, Eric Boulanger,

Frédéric J. Tessier. 2015. The rehabilitation of raw and brown butters by the measurement of two of the major Maillard products, N e -carboxymethyl-lysine and 5-hydroxymethylfurfural, with validated chromatographic methods, Food Chemistry 177, 361–368.


On recommence l’expérience, en fouettant à l’aide d’un petit fouet de cuisine, et, cette fois, on obtient une consistance bien plus « liée », notamment quand on augmente la proportion de beurre.



Une discussion a lieu à propos de la terminologie : le produit réalisé est-il un « beurre fondu », ou une « sauce au beurre », un « beurre émulsionné »  ? On devra examiner les sources historiques.


En pratique récente, en tout cas, ce produit était souvent destiné à un poisson : de l’eau et du jus de citron étaient salés, additionnés de piment de Cayenne, et montés au beurre.

Enfin, il reste à examiner le produit au microscope, pour savoir s’il est une simple émulsion, ou bien une émulsion foisonnée.




2.2. Elle, 7 août 1998, propose des pêches ébouillantées, puis mises dans l’eau glacées, et pelées. Elles sont ensuite pochées pendant cinq à douze minutes : « Couvrez la casserole de papier sulfurisé, afin qu’elles ne noircissent pas ».


On commence par discuter le terme « pocher », qui a été mal utilisé : on ne doit parler de pochage que quand la cuisson forme une poche (œuf poché, par exemple). Ici, le texte dénote de l’incompétence, car les pêches sont seulement bouillies, aucune partie corticale n’étant formée par une coagulation, par exemple. C’est ainsi que l’on pourrait parler de pêche au sirop, si la cuisson se faisait dans du sirop, de pêches au vin si la cuisson était dans du vin, etc.


Puis on discute du protocole expérimental à mettre en œuvre, en comparant les pêches aux tomates ou aux poivrons.


Pour les tomates, nous avions établi qu’un ébouillantage pendant 20 secondes donnait les meilleurs résultats et il est apparu que la technique du grill pour les poivrons, était à la fois longue, coûteuse et imparfaite : la peau des poivrons ne noircit pas partout, et elle reste adhérente dans les parties concaves. Certains (Pierre Gagnaire, La cuisine des cinq saisons) préconise l’utilisation d’un économe, et Yolanda Rigault procède au micro-ondes, en enveloppant les poivrons dans un linge, mais H. This a testé la même méthode que pour les tomates, pendant le même temps, et obtenu d’excellents résultats.

On décide donc que l’on fera une expérience préliminaire, pour les pêches :

- peler à vif : difficile pour les pêches blanches ou jaunes dont nous disposons ; cela emporte de la chair

- peler après 5 secondes dans l’eau bouillante : c’est déjà mieux, car on peut peler sans retirer de chairs

- ébouillantage pendant 10 secondes, puis eau froide : la peau s’enlève très bien

- ébouillantage pendant 20 secondes, puis eau froide : encore mieux.



Puis, un nombre suffisant de pêches étant pelées, on prépare deux casseroles avec de l’eau bouillante. Dans chaque casserole, on place deux pêches, et l’on couvre une casserole avec un système lamellaire fait de papier absorbant et d’un sac plastique.


D’abord, on cuit à petite ébullition pendant 5 minutes.

On retire alors une pêche de chaque casserole (non couverte, couverte) et l’on compare la couleur : aucune pêche n’a noirci !

On goûte les deux pêches : elles sont insuffisamment cuites, et, en tout cas, on ne distingue pas d’autre différence qu’une différente de goût/maturité.


Puis on prolonge le pochage couvert vs non couvert pour les deux pêches restantes, et on les sort après 16 minutes. Cette fois, les deux pêches sont bien cuites : un couteau s’enfonce bien.

Au goût, on ne voit pas de différence… mais surtout, il n’y a aucun noircissement pour aucune des pêches testées !


De sorte qu’il y a lieu de s’interroger : comment le journaliste de la revue Elle ose-t-il proposer un remède à un problème qui n’existe pas ?



mardi 12 juillet 2022

Quand le politique se fait mousser

Un homme politique a déclaré aujourd’hui qu’on pouvait faire une tonne de mousse avec un gramme de savon. Qu'en penser ? 

 Considérons que c'est avec des très grosses bulles qu'on a le plus de volume, de sorte que la plus favorable situation est celle d'une mousse qui serait réduite à une seule bulle, avec autour deux couches monomoléculaires de composé tensioactif, plus de l'eau. Soit r le rayon de la bulle, la surface à couvrir est 2 fois 4 pi r².

Avec 1 g de savon, en supposant une masse molaire de phospholipide de 200 g, on a 1/200 mole, et donc un nombre de molécules de 6e23/200, soit 3e21.
En supposant une surface moléculaire de 4x0.15e-9m x20 x0.15e-9m, 2e-18 m², on obtient une surface possiblement couverte par les molécules de phospholipides d'environ 6000 m2.
Soit 3000 m2 pour une face, et un rayon de 15 m pour la bulle.
Mais comme la mousse, c'est de l'air, qui compte pour presque 0 par rapport avec l'eau, la masse est réduite à celle de l'eau.



En revanche, on peut prendre le problème différemment : une mousse, c'est de l'air dans un liquide. Si on fait une ou plusieurs bulles dans un énorme volume d'eau, c'est formellement une mousse... et ça peut peser des tonnes... à condition d'être tordu.

 

Bref, il y en a qui causent trop. 

 

 

Faut-il vraiment accepter les modes hurluberlues ?

Je viens de nouveau de voir des individus (le mot n'est pas suffisamment péjoratif) qui préconisent de manger cru, en invoquant mille raisons aussi bizarres que fausses. Et ces personnes se disent "coach alimentaires"... alors que je les vois très ignorantes des questions chimiques qu'elles osent discuter publiquement : quelle impudence ! quelle malhonnêteté !


Mais, oublions ceux-là, et pensons à nos amis. Au fond, pourquoi préparer des ingrédients alimentaires avant de les cuire ?  La question est très générale,  et il est souvent bon de fixer les idées  par un exemple. 


Considérons des pommes de terre. Sorties de la terre, elles emportent un peu de cette dernière  avec elles, et, pour peu qu'elles aient été stockées pendant quelque temps, elles sont hérissées de petits bourgeons un peu vert. Appartenant à la famille des Solanacées, elles contiennent des alcaloïdes toxiques dans les deux à trois premiers millimètres sous la surface. Vertes ou pas ! Ces alcaloïdes ont évidemment une fonction, qui n'a rien à voir avec notre plaisir de manger des pommes de terre : ils assurant la protecction des tubercules contre les agresseurs du sol. De surcroît, les pommes de terre contiennent des pesticides naturels, ces derniers étant également là pour la protéger. 

Tiens, j'y pense : pour donner à mes amis la possibilité de vérifier ce que je dis, je les invite à consulter une publication toute récente à ce propos : 

Sebastian Baur, Nicole Bellé, Hans Hausladen, Sebastian Wurzer, Laura Brehm, Timo D. Stark, Ralph Hü cklhoven, Thomas Hofmann, and Corinna Dawid. Quantitation of Toxic Steroidal Glycoalkaloids and Newly Identified
Saponins in Post-Harvest Light-Stressed Potato (Solanum tuberosum
L.) Varieties, https://doi.org/10.1021/acs.jafc.2c02578

 

Prenons les choses à rebours : il faut peler la pomme de terre pour éliminer pesticides et alcaloïdes, mais aussi pour éliminer les bourgeons, également riches en tels composés, et, enfin,  pour éliminer la terre, qui porte avec elle des micro-organisems potentiellement pathogènes... sans compter qu'elle crisserait sous la dent de façon désagréable.
Il faut donc commencer par nettoyer et peler la pomme de terre,  mais cela est vrai pour l'ensemble  des ingrédients alimentaires : carottes, oignons, viandes, poissons. Dans certains cas, ce sont des composés de l'intérieur qui sont toxiques, telles les lectines hématoaglutinantes des haricots blancs, ou bien le manioc quand il n'a pas été bien traité, qui contient des glucosides cyanogéniques. Parfois, la toxicité est moindre que celle de l'acide cyanhydrique, tel le raffinose, sucre de la patate responsable de flatulences importantes.
Bref, les métabolites secondaires des plantes sont  bien hasardeux, et l'on se reportera donc avec intérêt à la séance publique, podcastée, que nous avions organisée à l'Académie d'agriculture de France le 9 décembre 2009.

On n'oubliera pas, enfin, que la cuisson tue les micro-organismes pathogènes éventuels, en même temps qu'elle change la texture et qu'elle donne du goût.