La vie est courte, alors que l' "art" est difficile
Il existe peut-être des personnes extraordinaires, mais je n'en suis hélas pas : je dois avouer que je suis toujours étonné de mes insuffisances en matière de rédaction.
Bien sûr, je connais l'orthographe et la grammaire, un peu de rhétorique, un peu de littérature, mais là n'est pas la question : discute ici la rédaction d'articles scientifiques.
Je veux d'abord témoigner de l'expérience de l'édition des articles scientifiques dans un journal scientifique dont je suis un des principaux responsables : pour ces textes, qui sont écrits par des spécialistes parmi les meilleurs de leur discipline, pour ces textes qui ont été évalués par des experts, qui ont fait l'objet d'un nombre très grand de relectures du point de vue scientifique, mais aussi du point de vue de la mise en page, de l'orthographe, de la typographie, et caetera, nous nous apercevons, à l'issue d'un processus d'édition très long et qui met des dizaines de personnes en action, qu'il reste des imperfections. Une coquille, un caractère fautif, un mot qui manque, et cetera.
Cela me ramène 40 ans en arrière quand je travaillais à la revue Pour la science et que nous avions 11 réécritures complètes de chaque article, nous étions toujours effarés de voir que, dans la revue finalement publiée, il restait des imperfections.
Voilà les faits. Et j'en arrive à nos propres articles scientifiques. On les écrit, on les construit, on les révise, on les corrige, et vient le moment où on les soumet à une revue.
Là, l'éditeur de la revue demande une expertise du manuscrit, généralement à deux spécialistes... et l'on constate alors que, malgré les efforts considérables de conception des articles, rédaction, préparation, il y a encore souvent un nombre notable d'imperfections.
Pas seulement des imperfections de détails, mais, souvent, des imperfections de fond, car, en réalité, il y a tant de choses à considérer qu'il est bien rare que nous pensions à tout. Et cela impose des passages répétés, des check-list bien faites, suivies scrupuleusement...
Oui, j'insiste parce que je suis frappé de voir combien cela est juste : on ne dira jamais assez combien la rédaction d'articles scientifiques est une chose difficile si l'on veut arriver à produire des textes qui méritent de rester comme des pierres solides sur lesquelles se fonde l'édifice de la science.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 13 décembre 2021
La publication scientifique mérite un soin immense !
dimanche 12 décembre 2021
Il y a lieu d'être simple et explicite ; non pas une fois, mais sans cesse, chaque fois, répétitivement...
Quand on explique un point scientifique, il y a lieu d'être simple et explicite, mais non pas une fois seulement. Non, sans cesse, chaque fois, répétitivement, et j'insiste parce que ce "répétitivement" nous oblige à nous... répéter. Or nous avons souvent le sentiment que nous perdons notre temps à cela. Pourtant nos efforts d'explication sont vains si nous oublions précisément de nous répéter, pour donner les "bases" sans lesquelles nous ne serons pas compris.
Je refais, pour moi, aujourd'hui, l'analyse de quelques épisodes récents, soit de séminaires, soit de cours à l'université, soit de présentations plus grand public, et je comprends que j'ai souvent tenu un discours trop compliqué, parce qu'il manquait ce qu'on peut nommer les bases.
Parfois, c'était simplement l'existence des molécules que mes interlocuteurs ignoraient.
Parfois c'était la constitution atomique des molécules. Et là, je faisais l'hypothèse implicite et erronée que cette constitution était sue dès le collège ; or si le collège a bien eu pour mission d'enseigner cette constitution, ce n'est pas une certitude que cet enseignement ait été reçu !
Parfois mes interlocuteurs ignoraient la composition chimique de certaines matières, alors cette composition me semblait "évidente" parce que je la connais depuis longtemps. Par exemple, je trouve "élémentaire" que le blanc d' œuf soit fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines... mais pourquoi d'autres que moi le sauraient-ils ?
Parfois les données de base qui manquaient à mes interlocuteurs étaient plus "avancées", qu'il s'agisse de la loi d'Ohm, de l'expression du potentiel chimique, de la valeur de l'intégrale d'une gaussienne...
Bref, je faisais des hypothèses mal ajustées, à propos des connaissances de base des personnes auxquelles je voulais expliquer quelque chose.
Or, pour nous adresser efficacement à nos interlocuteurs, il faut que nous soyons clairs, et ce mot me fait aussitôt revenir en mémoire cette phrase de l'astronome François Arago : "La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".
Cela a comme conséquence que chaque fois que nous expliquons un point scientifique, ce qui est constant pour un scientifique (avec des articles, avec des enseignements, et cætera), nous devons redonner ce que nous nommons les bases, car nous devons faire l'hypothèse qu'elle ne sont pas connues.
Bien sûr, redonner les bases allonge considérablement le discours et oblige à concevoir un long chemin explicatif avant d'arriver au point précis auquel nous voulons parvenir avec nos interlocuteurs.
Cela a aussi pour conséquence qu'il faut d'abord présenter clairement ce chemin, et l'on se souvient peut-être des cartes que j'avais proposées (https://hervethis.blogspot.com/2019/07/la-cartographie-mission-du-professeur.html).
Puis, le chemin présenté, il faudra le parcourir correctement avec nos interlocuteurs : assez lentement pour qu'ils puissent nous suivre, sans sauter une étape...
Sans quoi, nos entreprises explicatives sont inutiles.
Bref, je (me) propose de ne jamais oublier que nous risquons, à chaque explication que nous donnons, de faire l'impasse sur des informations sans lesquelles tout notre discours sera incompréhensible.
Plus positivement : parcourons lentement et régulièrement les chemins explicatifs... sans oublier de cueillir des fleurs en chemin, et de les offrir à nos amis qui nous accompagnent.
samedi 11 décembre 2021
Un pot-au-feu de poisson ?
Ce matin, une question :
Une question : ma femme ne voulant plus manger de viande et ayant la passion des pots-au-feu, je me suis mis à remplacer les pièces de bœuf par du poisson (l’arrête centrale de la raie, les têtes de congres et de crevettes sont ce que j’utilise le plus fréquemment).
Je me demandais si vous pouviez m’indiquer si la chimie d’un pot-au-feu de poisson est similaire à celle d’un pot-au-feu traditionnel? Je ne retrouve pas complètement le côté gélatineux dans mes pots-au-feu compatible “pescatarien”.
J' aperçois que souvent, des particularités diététiques de certains conduisent à l'obervation selon laquelle la seule cuisine classique ne permet pas de répondre bien à la question ; s'impose la connaissance chimique et physique des ingrédients, d'une part, et celle des transformations culinaires, d'autre part. C'est à dire : s'impose la gastronomie moléculaire.
En l'occurrence, la question est "intéressante" : et là, je ne suis pas en train, hautainement, de distribuer des bons points, mais, plutôt, de m'apercevoir que je dois réfléchir pour répondre de façon aussi fiable et utile que possible.
Voici une réponse
Le pot-au-feu est une préparation classiquement introduite (empiriquement ; même si nos aïeux n'étaient pas plus bête que nous, ils n'avaient pas nos connaissances modernes) pour optimiser les nutriments de la viande. Autrement dit, le pot-au-feu est une préparation essentielle depuis des siècles, pour cette raison.
En effet, une viande que l'on chauffe se contracte, ce qui exclut des jus, lesquels contiennent des nutriments.
Nos ancêtres n'étaient pas fous, et, alors que les aliments étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, ils ont bien vu que le rôtissage fait perdre des jus : jusqu'à un tiers de la masse initiale de la viande !
Et c'est pour cette raison qu'ils faisaient cuire la viande dans l'eau, ce qui permet d'avoir à la fois la viande et le bouillon, lequel contient des nutriments.
D'ailleurs, à ce stade, je crois me souvenir que j'ai évoqué cette question, différemment, dans deux livres :
1. Les précisions culinaires, pour la partie historique
2. Mon histoire de cuisine, pour la partie technique
De surcroît, un pot-au-feu bien conduit, pour lequel on évite le "coup de feu", permet de valoriser des viandes dures, parce que la cuisson lente, à basse température, dissout progressivement le collagène, enrichissant le bouillon en protéines, peptides, acides aminés, tandis qu'il évite la contraction de la viande. Finalement, on récupère une viande tendre et juteuse, mais aussi un bouillon qui a beaucoup de saveurs, notamment en raison des acides aminés et des peptides.
Pour le poisson
Évidemment, pour du poisson, on peut cuire dans de l'eau et l'on récupérera de même du poisson cuit et du bouillon.
Toutefois, le problème, avec le poisson, c'est que les chairs contiennent bien moins de tissu collagénique que les viandes, raison pour laquelle le poisson est si tendre.
On n'aura donc pas intérêt à cuire longtemps les tissus musculaire dans l'eau, sans quoi ils se déferaient.
Si l'on veut un équivalent du pot-au-feu, je crois qu'il faut séparer les opérations :
1. Constituer par avance un bon bouillon, bien gélatineux, notamment en cuisant des arêtes et des têtes dans de l'eau avec une bonne garniture aromatique. Il faudra charger le bouillon de matières susceptibles de libérer de la gélatine... ou utiliser de la gélatine de poisson... ou de viande.
La cuisson devra être longue, car c'est cette longue cuisson qui non seulement fait l'extraction de la gélatine, mais, aussi, l'hydrolyse de cette dernière, en peptides et acides aminés.
2. Puis on se limitera à pocher le poisson dans le bouillon frémissant.
Sans oublier de bien cuire la garniture aromatique.
Et de confectionner tous les merveilleux à côtés du pot-au-feu : par exemple, en Alsace, on broie des carottes cuites avec moutarde et oeuf dur, on dispose des mirabelles au vinaigre, etc.
mardi 7 décembre 2021
Du vinaigre à partir de vin ? Certainement pas ainsi
Dans le livre Trucs de cuisinier par Bernard Loiseau et Gérard Gilbert. Editions Marabout, 1996, on lit, page 233 :
"Vinaigre (de vin) en quelques minutes
On peut très bien faire du vinaigre avec du vin. L'astuce consiste à réduire le vin aux 3/4 sur feu vif, de manière qu'il s'épaissit tout en restant liquide. Selon la quantité et la qualité du vin on peut éventuellement ajouter une pincée de sucre pour chasser l'acidité".
Pour comprendre pourquoi cette indication est fausse, il faut savoir que le vin est principalement fait d'eau et d'un alcool nommé "éthanol", à raison de 10 à 15 pour cent. Et que le vinaigre est principalement fait d'eau et d'un acide nommé "acide acétique".
L'éthanol est un composé dont la molécule a la formule CH3CH2OH, où les lettres C, H, O représentent respectivement des atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène.
L'acide acétique, lui, est un composé dont la molécule a la formule CH3COOH, différente, donc.
Pour la confection du vinaigre, elle se fait par une "oxydation" due à des micro-organismes, qui utilisent le dioxygène de l'air (formule O2) pour transformer l'alcool.
Lors d'une réduction, telle qu'elle est proposée plus haut, on ne fait certainement pas du vinaigre, mais seulement un vin réduit. L'éthanol s'évapore dès 70-80 dégrés, et l'acide acétique qui est parfois présent en très petite quantité est également évaporé.
D'autre part, le sucre ne « chasse pas l’acidité », mais il réduit l’acidité perçue en bouche.
Bref, tout faux !
lundi 6 décembre 2021
Pour de la pâte feuilletée tendre
La pâte feuilletée peut être délicieuse, quand il y a assez de (bon) beurre dedans, mais, malgré la forte proportion de beurre, elle peut être "dure", difficile à couper.
Je crois que cela tient à la détrempe qui, classiquement, se fait à partir de farine, de sel et d'eau. Le frasage contribue à donner une dureté qui se retrouve ensuite dans les feuillets qui se forment à la cuisson.
D'où l'idée de mettre du beurre dans cette détrempe, comme dans la pâte feuilletée inversée.
Donc deux possibilités :
1. On part de 200 g de farine, avec 100 g de beurre, on sable, on sale et on ajoute juste assez d'eau pour faire une pâte friable, que l'on ne travaille pas trop. Puis on ajoute 100 g de farine à 200 g de beurre. Et l'on utilise les deux masses pour faire les tours, en posant le beurre fariné sur la détrempe beurrée
2. On fait un feuilletage inversé, avec la pâte farinée sur le beurre fariné, et des tours en nombre approprié.
Je m'étonne quand je vois un professeur de cuisine se désabonner de la liste distribution qui envoie les comptes rendus les séminaires de gastronomie moléculaire.
Décidément je m'étonne quand je vois un professeur de cuisine se désabonner de la liste distribution qui envoie les comptes rendus les séminaires de gastronomie moléculaire. Je ne parviens pas à m'y faire, et je ne comprends pas.
Oui, je m'étonne, car nos séminaires sont des occasions d'expérimenter à propos d'idées qui sont classiquement transmises dans le milieu des métiers du goût (cuisine, pâtisserie, charcuterie, etc.), et nous avons très souvent l'occasion de voir les "précisions culinaires" réfutées. Rien que pour les derniers séminaires, nous avons observé l'influence des alcools sur les sabayons, mais pas celle des acides. Nous avons vu que l'utilisation d'oeuf dans les pâtes à foncer n'avait pas les résultats prétendus. Nous avons vu que le sel et le sucre ne gênent pas les fermentations. Nous avons vu que l'utilisation de bouchons de liège n'attendrit pas les poulpes. Et ainsi de suite !
Autrement dit, les informations contenues dans les comptes rendus des séminaires permettent à des professeurs d'enseigner des choses justes, plutôt que des choses fausses.
Un professeur qui se désabonne de la liste de distribution qui envoie nos résultats expérimentaux sera-t-il au courant desdits résultats ? Comment fera-t-il pour enseigner des choses justes plutôt que des choses fausses ? Car, à ma connaissance, il n'y a pas d'autre endroit que nos séminaires pour faire nos tests.
Bref, je me moque que nos collègues soient ou non abonnés, mais ma question est : comment pourront-ils enseigner des choses justes ? Et j'ose pouvoir faire l'hypothèse que c'est un de leur soucis principaux (et, heureusement, j'en connais beaucoup pour qui ça l'est effectivement !).
dimanche 5 décembre 2021
Combien de beurre dans la pâte ?
Combien de beurre dans la pâte ?
On a pas assez dit que la pâte feuilletée était une merveilleuse invention pour ajouter du beurre dans la pâte.
Quand on fait une pâte à foncer (le nom juste pour les pâtes dont on fait des tourtes ou des tartelettes, par exemple, on mélange farine, beurre, sel et eau.
Il y a notamment l'écueil de la formation de gluten, quand le procédé est mal pensé, à savoir quand on met d'abord l'eau avec la farine : l'eau vient ponter des protéines du gluten la farine, et cela fait un réseau qui emprisonne les grains d'amidon et où le beurre vient ensuite se disperser.
Habituellement, on arrive pas enfermer beaucoup de beurre avec la pâte, parce que la boule de pâte ne se tient plus, sauf si le beurre est bien froid... mais on se souvient que le réfrigérateur est d'invention moderne.
La pâte feuilletée est cette idée merveilleuse qui consiste à enfermer le beurre dans une poche de pâte, ce qui permet d'en mettre bien plus.
Évidemment, à partir d'une certaine quantité, il y a le risque que le beurre qui fond lors de la cuisson ne s'écoule par les bords de feuilletage, surtout si ceux-ci ont été découpés, mais quand même, finalement on sert une préparation très beurrée, donc délicieuse si le beurre est bon.