vendredi 20 mars 2020

Il nous faut des publications scientifiques éclairées !

Il nous faut des publications scientifiques éclairées !

Je viens de publier aux Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France un article qui dit en substance que nous aurions raison de faire des revues scientifiques libres et gratuites,  avec une analyse critique (plutôt qu'une "évaluation") en  double anonymat, afin que   nous évitions les rejets d'articles, car cette pratique des refus est un gâchis pour l'ensemble de notre collectivité : les auteurs se désespèrent de voir leurs textes rejetés alors que ces derniers contiennent des données utiles à l'ensemble de la communauté.

C'est un fait, toutefois, qu'il y a de bons et de mauvais scientifiques. C'est un fait que les revues sont encombrées d'articles sans  nouveauté, ou bien dont les résultats sont mal établis, dont les expériences sont mal conçues ou mal conduites... Mais, au lieu de rejeter les articles, ne ferions-nous pas mieux de bien analyser les manuscrits, en vue d'aider les auteurs à progresser, soit dans leur pratique scientifique, soit dans leur rédaction d'articles scientifiques ?
Ma proposition est la suivante : ne rejetons pas les manuscrits, mais expliquons aux auteurs (et aux "rapporteurs") que les textes seront publiés dès que la qualité nécessaire sera atteinte, grâce aux échanges (anonymes, toujours anonymes) entre auteurs et rapporteurs,  alors le texte sera publié.
Bien sûr, la question de la nouveauté demeure, mais il est important que des collègues qui produisent un résultat déjà obtenu s'en aperçoivent, et qu'ils puissent corriger les pratiques erronées qui les ont conduit à cette reproduction sans doute involontaire. Bref, des collègues qui ont reproduit par mégarde un résultat déjà publié ne doivent pas voir leur manuscrit rejeté, mais doivent le retirer eux-mêmes, afin que cesse cette réputation de revues qui rejettent les textes.

J'insiste un peu sur la question de la formation des scientifiques : tous les collègues n'ont pas eu la chance d'être formés dans de bons laboratoires, ou d'avoir su se former eux-mêmes, et les publications scientifiques (terminologie à préférer à "revue", pour des raisons expliquées dans mon article)  ont donc un rôle de formation  essentiel :  les rapporteur doivent pouvoir donner des conseils aux auteurs, afin que finalement, si ces conseils sont suivis bien évidemment, les manuscrits soumis soient acceptés.

J'insiste aussi, dans mon article, pour observer que ni les auteurs ni les lecteurs ne doivent payer, dans toute cette affaire.
Les lecteurs, d'une part,  sont des contribuables, dont les contributions ont permis les travaux et les publications.
Pour les auteurs, d'autre part, il y aurait un conflit d'intérêt à payer pour être publier, et c'est la brèche dans laquelle des "revues prédatrices" se sont engagées. 
Bref, c'est aujourd'hui le rôle des académies, des institutions de recherche, des universités, de prendre en charge les publications scientifiques, au lieu de les confier à des éditeurs privé, comme cela se faisait par le passé.
Jadis et naguère, il y avait certainement le papier à payer, l'impression, la mise en page...  Mais aujourd'hui, avec le numérique, tout a changé  : plus de papier, plus d'impression ,une mise en page qui se fait quasi automatiquement, notamment quand les auteurs mettent en forme conformément à des modèles, des relecture qui sont faites par les rapporteurs, lesquels sont des collègues déjà rémunérés par ailleurs... Nous sommes donc dans un nouveau paradigme, et il est temps que l'on fasse disparaisse l'expression de "évaluation par des pairs" au profit de "analyse critique et conseils donnés aux auteurs". 

Vous lirez tout cela, et bien davantage dans :
Hervé This, L'analyse critique des manuscrits et les conseils donnés aux auteurs. A propos des publications : Klebel et al., 2020, Stern and O'Shea, 2019; Sarabipour et al., 2019; Inrae, 2016. Notes Académiques de l'Académie d'agriculture, 2020, 2, 1-14.

Et cela se trouve ici : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes

jeudi 19 mars 2020

Expliquer ou interpréter ?


Un ami me dit qu'il cherche à "expliquer" un phénomène, alors que vient aussi, dans la conversation, le terme "interpréter".

Quel objectif, pour une recherche scientifique  : interpréter  ? expliquer ?

Admettons que l'objectif de la science soit de produire des théories réfutables qui rendent compte des phénomènes, par un mouvement que j'ai trop décrit dans ce blog pour que j'y revienne aujourd'hui. Que fait-on alors : on explique, ou on interprète ?

On se souvient quand même que les sciences de la nature cherchent des équation qui décrivent les phénomènes, en rassemblant les données de mesure. Là, il n'y a ni explication ni interprétation.
Puis on induit des théories en introduisant des notions compatibles quantitativement avec les équations trouvées : ces notions n'expliquent rien, mais ce sont des objets qui sont compatibles avec le jeux d'équation établies, des objets qui permettent de rendre compte des phénomènes. Explication ? Pourquoi pas. Interprétation ? Certainement.
Mais on n'oublie pas que ces théories sont insuffisantes, de sorte que si explication il y a, elle est fautive. L'interprétation, elle, ne l'est pas.


Tout cela est bien général, et il nous faut des exemples.

Considérons celui de la structure "hexagonale" de la molécule de benzène. Ce composé fut d'abord  découvert lors de l'analyse du gaz de houille par le merveilleux physico-chimiste britannique Michael Faraday.
Puis les "analyses élémentaires" montrèrent qu'il y avait autant de carbone que d'hydrogène, , mais la tétravalence du carbone (chaque atome de carbone a quatre liaisons avec des voisins) posaient un problème, et  August Kékulé qui proposa une alternance de simples et de doubles liaisons sur une molécule cyclique, hexagonale.






Ce timbre de la Poste allemande célèbre la découverte de Kékulé

Nous avons là un "modèle" de la molécule de benzène, mais cette image n'est pas juste : c'est une explication fausse, et une assez bonne interprétation des propriétés du benzène. On voit, à nouveau, que la terminologie "interprétation" est plus prudente que celle d'explication.



Certes, la question "comment ça marche ?"  demeure, mais c'est la réponse qui est plus complexe que certains ne l'espèrent. Oui, la réponse déçoit ceux qui veulent du simple, mais elle ravit ceux qui sont prêts à s'émerveiller des mécanismes du monde.

mercredi 18 mars 2020

Les bonnes pratiques de la citation, dans les articles scientifiques

Préparant un guide de la rédaction d'articles scientifiques, je fais (évidemment) ma bibliographie, et je trouve ce conseil  : "Citer des publications du journal où vous publiez".

Ne le suivons surtout ce conseil scandaleux de malhonnêteté. C'est de la basse stratégie de communication, qui déroge aux bonnes pratiques de la citation. On ne doit pas citer des auteurs au hasard, mais bien plutôt parce qu'ils sont à l'origine des travaux ! Ceux qui ont donné ce pernicieux conseil ignorent-ils donc tout des règles de la profession de scientifique ? Ignorent-ils tout des consensus tels qu'énoncés par l'Association européenne pour les sciences chimiques et moléculaires (The European Association for Chemical and Molecular Sciences), qui a émis un  “Ethical Guidelines for Publication in Journals and Reviews” (voir http://www.euchems.eu/publications.html), ou encore des règles (identiques) données par l'American Chemical Society, avec ses   Ethical Guidelines to Publication of Chemical Research (http://pubs.acs.org/page/policy/ethics/index.html).
Mais c'est de “On Being a Scientist: Responsible Conduct in Research”* que je tire ce conseil plus juste :
"Researchers have a responsibility to search the literature thoroughly and to cite prior work accurately. Implied in this responsibility is that authors should strive to cite (and read) the original paper rather than (or in addition to) a more recent paper or review article that relies on the earlier article.“

*Committee on Science Engineering, and Public Policy; Institute of Medicine; Policy and Global Affairs; National Academy of Sciences; National Academy of Engineering. “On Being a Scientist: A Guide to Responsible Conduct in Research”: 3rd ed., Washington, DC, 2009.

vendredi 13 mars 2020

A propos des omelettes (suites)

Suite à mon billet d'avant hier, je reçois le message suivant : 

je viens de lire votre très intéressant billet sur la cuisson des omelettes. Si je
comprends bien ce que nous avez expliqué par ailleurs (à propos de la gélatine  ou des confitures)  une omelette c'est donc un gel. Mais contrairement à la gelée la transformation est irréversible.

Je suis content que vous fassiez un billet la-dessus parce que ça fait longtemps que je me demande ce qui se passe lorsqu'on cuit un bifteck. Ce ne sont pas les m^emes protéines (actine et myosine si je me souviens bien d'un billet précédent) mais j'imagine que là encore les protéines s'attachent les unes aux autres pourdonner un steack cuit).


Et ma réponse, qui n'a pas tardée : 

 
Merci de votre message. Oui, un oeuf qui cuit est un gel, et un gel (assez) irréversible (en tout cas, quand on se limite aux moyens culinaires (en laboratoire, j'ai décuit des oeufs, comme je l'explique dans un article publié en 1997). 
Oui, à l'intérieur des fibres musculaires (actines, myosines) d'une viande, la "cuisson", c'est notamment la coagulation de ces protéines, et le même type de "gélification", d'où un durcissement (du steak bleu au steak bien cuit).
bonne journée

Une molécule est une molécule



Ce matin, plusieurs questions, mais en voici une en particulier, qui mérite un commentaire public :


J'ai une question par rapport aux molécules synthétiques vs naturelles. Je sais que les propriétés physiques ainsi que l'odeur et le goût des molécules synthétiques vs naturelles sont identiques ex linalool synth vs naturel. Qu'en est-il de leurs activités biologiques et de leur propriétés toxicologiques ? Pouvez-vous me diriger vers des articles et références qui étudient cette question ?

Ici, je sais d'expérience qu'il y a la question des mots, qui est source de confusions. Une molécule, c'est donc un tout petit objet, fait d'atomes de divers éléments, liés par des forces interatomiques (une sorte de pléonasme que cet adjectif). Les éléments considérés, ici, sont principalement le carbone, l'hydrogène et l'oxygène. Et pour ces trois éléments, les atomes sont faits d'un "noyau", assemblage de protons et de neutrons, avec autour des électrons, comme la terre autour du soleil.
Les effets biologiques des molécules ? Une molécule a un effet si elle a un "récepteur", à savoir si l'organisme comporte une molécule agissant comme une serrure vis à vis de la molécule bioactive, qui est comme une clé. Et la disposition des atomes est donc très essentielle. Donc tout est simple, au premier ordre. Et une molécule est entièrement déterminée par ses atomes, leur disposition. 
Maintenant, il peut y avoir des effets qui sont au niveau du détail des détails. Par exemple, certains atomes d'hydrogène peuvent avoir dans leur noyau, en plus du proton, un neutron, et c'est ce que l'on désigne par "deutérium". Les propriétés chimiques sont quasi identiques, mais des outils de mesure très sensibles voient des différences... et c'est ainsi qu'une entreprise française d'analyse a fait son succès commercial en devenant capable de détecter du sucre ajouté dans les vins, pour des chaptalisations ou pour des fraudes. Mais, je le répète, c'est un détail au regard de la question posée.

Maintenant, synthétique et naturel ? Une molécule naturelle, c'est une molécule qui se trouve dans la nature, fabriquée par les plantes ou par les animaux, voire par les éléments (la chaleur, la foudre, etc.). En revanche, une molécule synthétisée, c'est une molécule qui a été... synthétisée, à savoir qu'on a rassemblé des atomes d'une certaines façon pour faire la molécule. Et, évidemment, si l'on même les mêmes atomes organisés de la même façon, on obtient la même molécule, qui ira ouvrir les mêmes serrures !

Cela dit, on peut répondre plus subtilement que cela à la question de notre interlocuteur, parce que l'on peut synthétiser avec des niveaux de précision variés, parce que la question des "impuretés" est essentielle : les composés extraits de produits naturels ne sont pas accompagnés des mêmes "impuretés" que les produits de synthèse (parfois plus purs que les produits naturels).
Par exemple, notre correspondant parle de linalol, qui est un composé odorant présent dans de nombreux végétaux. Parler du linalol au singulier, c'est une erreur, parce qu'il y a divers linalols, et que le (S)-(+)-linalol n'a pas la même odeur -donc pas les mêmes effets biologiques que le (R)-(-)-linalol. Mais une molécule d'un de ces deux linalols est une molécule de ce linalol-là, quoi qu'il arrive. Et la question "isotopique" précédente (l'hydrogène vs le deutérium) ne se pose pas, du point de vue de l'odeur.
En revanche, quand on a un de ces deux linalols dans une matière végétale, elle n'est pas seule, et aucune  plante n'a donc l'odeur de ce linalol particulier. Puis, si l'on extrait ce composé, il n'est plus "naturel", mais d'origine naturelle... et son extraction ne permet généralement pas de l'avoir pur ! De sorte qu'il y a des "impuretés"... et que ces impuretés peuvent être essentielle. C'est ainsi que le mélange des deux limonènes R et S n'a pas d'odeur quand il est fraîchement obtenu par distillation... et que cette odeur de Citrus n'apparaît qu'ensuite, sans doute  due aux impuretés, plutôt qu'aux limonènes.
Pour les composés de synthèse, il y a également des impuretés, qui résultent du procédé de préparation, et il n'est d'ailleurs pas dit que ces impuretés soient plus abondantes ou plus dangereuses, bien au contraire : les opérations de synthèse étant mieux contrôlées que les extractions (qui partent de mélanges complexes), il est possible qu'il y ait bien moins d'impuretés.

Enfin, mon interlocuteur me parle d' "activités biologiques et propriétés toxicologiques" : amusant, car les effets toxicologiques sont des activités biologiques, non ? Car je fais l'hypothèse, vu les composés qu'il discute, que ce sont de toutes petites quantités de composés qui sont considérées ici, de sorte que l'on est bien dans le cadre des clés et des serrures, des composés bioactifs et de  récepteurs. Là, les impuretés sont essentielles, car elles peuvent avoir des récepteurs, que les composés soient d'origine naturelle ou synthétisés, et quelqu'un qui fait bien son travail, d'extraction ou de synthèse, se préoccupe de cela.
Mais finalement, une molécule est une molécule, n'est-ce pas ?

jeudi 12 mars 2020

Même pour une simple omelette


Même pour une simple omelette je m'aperçois qu'il y a lieu de  donner des explications.
Oui, depuis quelques semaines, je me suis mis à expliquer les transformations qui surviennent lors de la préparation des certains plats compliqués : cassoulet, soufflé, etc. Mais c'est souvent bien compliqué, et des amis me demandent des explications pour des choses bien plus simples, en quelque sorte : les omelettes.
D'ailleurs, je m'aperçois que je suis tombé dans un travers d'analyse insuffisante : j'ai privilégié des recettes "intéressantes" à des recettes utiles (à mes amis).

Pour une omelette, donc,  il s'agit de battre de l'oeuf, et de chauffer l'oeuf battu. Là,  les informations de base sont les suivantes : le blanc d'oeuf est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines, tandis que le jaune est fait de 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides (disons de "graisse"). Au total, il y a donc beaucoup d'eau avec des protéines, et un peu de graisse.
La graisse  n'étant pas soluble dans l'eau, elle est nécessairement dispersée sous la forme de gouttelettes. Et elle n'intervient pas notablement lors  de la cuisson.
On peut donc ne considérer que le chauffage de l'eau et des protéines, comme si la graisse n'était pas présente  : elle ne changera que la consistance plus ou moins crémeuse, en fin de cuisson.

De l'eau et les protéines  ?  Il faut imaginer un ensemble de billes pour représenter les molécules d'eau au milieu desquelles flottent des pelote de laine, pour représenter les protéines.


Quand on chauffe tout cela, les molécules s'agitent de plus en plus vite, et les pelotes se déroulent. Mais la différence entre des pelotes de laine et des protéines, c'est que les protéines déroulées s'attachent et  forment une espèce de toile d'araignée dans toutes les directions, emprisonnant les molécules d'eau. C'est cela qu'il faut apprendre à voir, quand on regarde une omelette  : un filet souple qui emprisonne les molécules d'eau.










Évidemment, si l'on agite l'omelette (avec une fourchette, on peut casser  localement le filet, ce que l'on nomme un réseau : on forme alors des morceaux d'omelette. Et si l'on agite bien plus vigoureusement, on peut aller jusqu'à l'oeuf brouillés.
Mais en tout cas, voilà la description générale du phénomène.

mercredi 11 mars 2020

De l'importance du geste


Aujourd'hui, je rapproche la question du chlore de celle de la crème chantilly. Oui le chlore ne se mange pas, contrairement à la crème chantilly, mais ces deux produits suscitent le même type d'observations, comme nous le verrons.

Commençons par la crème chantilly dont la confection n'a jamais été traditionnelle dans ma famille. Ce fut une de ces petites victoires personnelles que d'arriver à faire ma première crème chantilly. Pourtant, rien de plus simple : on prend la crème, on la fouette, et elle monte en chantilly ; disons en crème fouettée, qui devient de la crème chantilly quand on ajoute du sucre. Bien sûr, quand il fait chaud, il vaut mieux avoir refroidi la crème et le récipient, avoir éventuellement ajouté des glaçons. Mais en règle générale, c'est tout simple. D'ailleurs, si je me répète, je ne parviens pas à ajouter grand chose à ce que j'ai déjà dit. Voyons : on prend une jatte (s'il fait chaud, on refroidit cette dernière) ; on y met de la crème, si possible fleurette;  on fouette, et après un temps compris entre 22 secondes et plusieurs minutes, on voit que les bulles ont une taille  qui diminue et, surtout, que la consistance change. C'est tout : quand on fouette de la crème, on a de la crème fouettée, et si l'on sucre, on obtient de la crème chantilly.
Qu'ajouter ? Que si l'on a pas de crème fleurette, mais seulement la crème épaisse, alors on ajoute un peu de lait à la crème épaisse, mais pas trop sans quoi la préparation reste liquide même si l'on fouette longtemps.
Bref, malgré mes contorsions intellectuelles, je ne parviens pas à rendre les choses compliquées :  rien de plus simple que de fouetter  de la crème pour faire de la crème fouettée, qui devient de la crème chantilly si on l'a sucré, ce qui contribue d'ailleurs un peu plus de fermeté.

J'ajoute maintenant un point supplémentaire : je me souviens qu'il y a quelques années, le directeur commercial d'une grosse société alimentaire m'avait téléphoné pour me dire que mon livre Révélations gastronomiques, qui contenait les prescriptions pour obtenir une crème fouettée, n'était pas complètement suffisant, puisque, malgré la lecture attentive du livre, il n'avait pas réussi à faire une crème fouettée. Il était amical et nous décidâmes que j'irai chez lui pour dîner et lui montrer comment faire cette crème chantilly. Ensemble, nous avons donc pris une jatte, déposé de la crème dedans et je lui ai proposé de fouetter devant moi. Au bout d'un moment,  alors qu'il avait obtenu une crème bien fouettée, il continuait à fouetter, de sorte que je lui ai fait observer qu'il fallait s’arrêter, puis qu'il avait le résultat qu'il escomptait. Et c'est alors qu'il m'a demandé  : "Parce que c'est ça,  la crème chantilly ?"  Oui, il croyait qu'il devait obtenir la consistance des crèmes chantilly en bombe, qui sont bien différentes des véritables crèmes chantilly. En réalité,  il ne savait pas voir  qu'il avait obtenu le résultat visé, mais il savait faire la crème chantilly.





J'en viens maintenant à la question du chlore : c'est un gaz vert, toxique, qui fut étudié par les chimistes du 18e siècle, et liquéfié pour là pour la première fois par Michael Faraday. Je parle du chlore parce que je viens de retrouver dans une biographie de Faraday tout une discussion sur l'instruction, et notamment le fait que tous les livres du monde, avec toutes les descriptions qu'il faut, ne sauraient remplacer le fait de voir un jour du chlore véritablement.
C'est donc la même question que pour la crème fouettée  : on sait la chose, mais, tant qu'on ne l'a pas vue, il nous manque quelque chose. Cela nous rapproche d'une discussion préalable à propos des travaux pratiques, dans les études scientifiques, et le fait que ces séances pratiques sont en réalité indispensables, même pour des personnes qui comprennent parfaitement. Tant qu'on a pas appris à garder le capuchon d'une bouteille entre la paume de la main et les derniers doigts, tandis que les  autres doigts  servent à  verser, tant qu'on n'a pas pris l'habitude de ne jamais rien poser sur le premier carreau d'une paillasse, tant qu'on n'a pas appris à ne pas se toucher le visage avec les gants, tant que...  Et bien, on ne sait pas le faire ! D'ailleurs, il en va de même pour la bicyclette, nager, monter à cheval, jouer de la musique : il faut de la pratique, et aucune théorie n'est suffisante.
Bref, je suis dans les traces de Faraday : il ne suffit pas de savoir tous les beaux principes, et il faut expérimenter !