lundi 9 décembre 2019

Encore des questions à propos de soufflés

A propos de soufflés, je reçois le message suivant :

Bonjour Professeur
Je souhaiterais faire un soufflé que je congèlerais après l'avoir dressé. Pouvez-vous aussi me renseigner sur le temps de cuisson sachant qu’en général je le cuis à 210° C, 10 minutes : je pensais partir à 180° pendant 15 minutes.
Cordialement

 
Et voici ma réponse

Je suppose que vous pensez à congeler avant la cuisson ? Si c'est le cas, il y a vraiment une question de taille, pour adapter la cuisson.
Cela étant, soit vous attendez la décongélation avant de cuire, soit vous n'attendez pas.
Si vous attendez, alors même cuisson que d'habitude, évidemment, mais si vous n'attendez pas, il faudra effectivement que ce soit moins chaud (pourquoi pas 180°C) et plus long : pour le temps, on ne peut pas le calculer a priori, parce que cela dépend de tas de paramètres, notamment des moules. Il faudra effectivement 5 à 10 min de plus pour de petits soufflés.
 
Mais SURTOUT, pour de bons soufflés, il  faut que ce Pierre Gagnaire nomme "les trois règles de Hervé", et qui sont effectivement le résultat de mes travaux. 

J'y pense : il y a en ligne, sur le site d'AgroParisTech, le compte rendu du séminaire où j'avais fait gonfler des soufflés sans battre les blancs en neige, et, d'autre part, si vous le souhaitez, je peux ajouter votre adresse email à la liste de distribution que j'utilise pour diffuser les comptes rendus des séminaires. C'est gratuit.

bon dimanche

dimanche 8 décembre 2019

Preuves, démonstrations

La preuve, nous dit cet excellent Trésor de la langue française informatisé (TLFi, gratuit, en ligne), c'est "ce qui est susceptible d'établir la vérité, la réalité de quelque chose".
Et l'on voit immédiatement la difficulté. La question de la vérité étant très difficile (et celle de la Vérité serait pire), on pourrait vouloir se poser d'abord la question de la réalité, de l'existence. Mais même là, les choses sont bien difficiles : l’illusionnisme nous montre bien combien nos sens les plus fondamentaux peuvent nous tromper. Certes, je sens le mur quand je fonce dedans, mais, en colère ou dans des états de conscience modifiée, je ne sens plus la douleur. Or quand sais-je que ma conscience n'est pas modifiée ?
Au fond, les prestidigitateurs rendent aux scientifiques un service immense, parce qu'ils font bien comprendre que, parfois, nous sommes abusés par nos sens : nous voyons des phénomènes qui n'existent pas, des pièces de monnaie qui disparaissent, ou, au contraire, des colombes qui sortent de chapeaux. Tout cela doit nous rendre extrêmement prudents quand nous discutons de "preuves" ou de "démonstrations".
En matière criminelle, on nous parle des preuves, mais les a-t-on jamais vraiment ? S'agit-il de preuves absolues, ou bien simplement d'indications ? J'observe en passant que l'expression "preuve absolue" me semble bien périssologique. De manière juridique aussi quand on demande des preuves de la possession d'un bien d'une identité, la question des preuves se pose, et l'on n'a souvent que des indications plus ou moins probables. Et même les méthodes les plus modernes, à savoir les tests ADN, peuvent se tromper.
Toute la question repose sur le fait que nos sens sont faillibles, que nos instruments de mesure sont imprécis : tout cela anéantit la possibilité de preuve ailleurs qu'en mathématiques.
Reste à savoir maintenant si l'on peut faire une "démonstration", en sciences de la nature. Là, il faut considérer que le mot "démonstration" désigne d'abord l'action de montrer, avant d'avoir le sens (approché) de preuve mathématique. D'ailleurs, cette observation, assortie de l'idée qu'il ne doit pas exister de synonymes, laisse penser que la démonstration mathématique n'est pas la preuve.
Plus généralement, nous arrivons à cette question terminologique : soit on définit la preuve comme une justification irréfutable, parfaite absolument rigoureuse ; soit on considère qu'il s'agit simplement d'arguments. Dans la première acception, la preuve n'est qu'en mathématiques, et pas en sciences de la nature. Mais dans la seconde acception, on doit évidemment admettre qu'il y a des preuves.
Bref, on aurait donc bien un intérêt à se situer soi-même dans un discours qui utilise le mot "preuve" ou à demander à nos interlocuteurs de se situer de même, sans quoi nous risquons l'incompréhension mutuelle.

Quant à la "vérité"... Je la laisse à ceux qui pourront me la définir correctement !