vendredi 26 octobre 2018

Oui, c'est bien moi qui ai le premier "décuit" des oeufs

Des élèves qui font un "travail personnel encadré" (TPE)  m'interrogent à nouveau à propos de la décuisson des oeufs. Qui l'a faite le premier ?

A ma connaissance, c'est bien moi, avec un article dont la référence est Hervé This. Can a cooked egg white be  uncooked ? The Chemical Intelligencer (Springer Verlag), 1996 (10), 51.

La question est de savoir pourquoi on me pose cette question... et la réponse est qu'un communiqué de presse malhonnête avait été émis par une université américaine il y a quelques années, quand des chercheurs de cette université ont surtout renaturé des protéines dénaturées... sans citer mon travail.
Mais, en réalité, il n'y a pas d'ambiguité, et la malhonnêteté  a été punie :  l'équipe qui est venue (bien) après moi a reçu le prix IgNobel... que ma discipline et, peut-être aussi, mon tour d'esprit me font risquer de recevoir.

Mais enfin, bref, c'est bien moi qui ait le premier décuit un oeuf. Pourquoi ? Comment ?

A l'époque, je m'étonnais de la cuisson des oeufs. Pensons au blanc, qui, de liquide, transparent et jaune-vert, devient opaque et blanc. Le fait que le blanc d'oeuf soit fait de 90 pour cent d'eau et qu'il ne perde pas de masse lors de sa cuisson montrait qu'il y avait une gélification. Et l'on savait que cette gélification était due aux protéines du blanc (les 10 pour cent restant).
Mais on avait deux gels possibles : physiques, ou chimiques. Les gels physiques sont ceux de gélatine, ou de pectine (dans les confitures). Ils sont "thermoréversibles", ce qui signifie qu'ils se défont si l'on chauffe, et se refont si l'on refroidit. En revanche, les gels chimiques sont thermostables : le blanc d'oeuf durcit, puis se dégrade quand on le chauffe, mais  il ne se reliquéfie pas.
Pourquoi ? J'avais alors analysé que les forces entre les protéines ne pouvaient être que de quelques types : van der Waals (des forces très faibles), hydrophobes (très faibles aussi), des liaisons hydrogènes (faibles), des "ponts disulfure" (plus fortes), des liaisons chimiques "covalentes", comme on en trouve entre les atomes des molécules, et des liaisons électrostatiques comme entre les ions des cristaux de sel.
L'analyse m'avait montré que les forces les plus fortes étaient vraisemblablement les ponts disulfures, et c'est cette hypothèse que j'ai testée expérimentalement.
L'idée est la suivante : quand des protéines qui portent des groupes sulhydrile, avec un atome de soufre S lié à un atome d'hydrogène H, se lient, la réaction est une "oxydation". L'inverse est une "réduction", et j'ai donc utilisé un (en réalité plusieurs) composé réducteur que j'ai simplement ajouté à du blanc d'oeuf. En quelques instants, après la formation d'une mousse que j'avais anticipée, le solide est devenu liquide : l'oeuf était décuit... mais surtout cette expérience montrait que les forces les plus fortes responsables de la coagulation étaient bien les ponts disulfure. Le gel qu'est le blanc d'oeuf était donc un gel chimique, même si les ponts disulfure sont des forces covalentes un peu particulières, plus faibles que des forces entre deux atomes de carbone.


jeudi 25 octobre 2018

Des TPE sur les oeufs

Je le disais hier : les TPE battent leur plein !
Reçu ce message, qui me permet de donner des réponses utiles à beaucoup, semble-t-il :





# Dans le cadre du TPE de 1ère (épreuve anticipée du baccalauréat), mon groupe (3 élèves au total), a choisi de traiter le thème forme et matière. L’œuf avec les différentes formes qu’il peut revêtir en cuisine nous a de suite intéressés.
# Nous avons fait de nombreuses recherches internet (parfois infructueuses, ou peu précises), et le plus souvent celles-ci nous conduisent finalement à l’article de presse de l’INRA de mars 2013 (document sur lequel j’ai pu trouver vos coordonnées).
# J’ai également fait acheter par ma maman le livre « les œufs, 60 clefs pour comprendre » et celui-ci me ramène aussi à l’INRA.
# Votre expérience et vos connaissances en terme de gastronomie moléculaire nous aideraient précieusement.
# En effet, j’ai bien compris que cuisiner l’œuf, c’était faire de la chimie.
# Que différents paramètres température, air, pH… influençaient la structure des composants de l’œuf, notamment les protéines.
# Aussi, notre TPE devrait s’orienter sur les propriétés physico-chimiques de l’œuf qui font qu’il se transforme, avec une partie théorique et une partie expérimentale.
# Alors je viens vous solliciter afin de pouvoir obtenir des documents pertinents qui nous permettraient :
# 1/D’expliquer la formation de l’œuf, sa composition.
# 2/D’expérimenter la chimie des œufs, le but étant de reproduire au laboratoire (ou chez nous) des expériences et de réaliser une vidéo qui sera visionnée et notée par le jury final.
# (Par exemple, je vais réaliser votre recette de l’œuf parfait au lave-vaisselle !).
# 3/D’expliquer de manière claire et pédagogique la chimie des œufs, quels constituants se modifient.
# D’ailleurs, peut-être serait-il bien de tester au laboratoire comment « décuire un œuf » : à ce propose, j’ai pu lire que des scientifiques avaient tenter l’expérience.
# Bref, je suis preneuse de toute information !
# Je vous remercie par avance de l’attention que vous me porterez, et s’il faut que je sois plus précise dans ma demande, n’hésitez pas à me le faire savoir.



Je reprends en commentant point à point
 


Dans le cadre du TPE de 1ère (épreuve anticipée du baccalauréat), mon groupe (3 élèves au total), a choisi de traiter le thème forme et matière. L’œuf avec les différentes formes qu’il peut revêtir en cuisine nous a de suite intéressés.

C'est un excellent choix : fascinant de voir un oeuf liquide, jaune-vert, transparent, devenir solide, blanc et opaque ! D'autant que la composition d'un blanc d'oeuf est (assez) simple : de l'eau et des protéines.


Nous avons fait de nombreuses recherches internet (parfois infructueuses, ou peu précises), et le plus souvent celles-ci nous conduisent finalement à l’article de presse de l’INRA de mars 2013 (document sur lequel j’ai pu trouver vos coordonnées).

Pourquoi pas... mais cela m'étonne que vous n'ayez trouvé que cela. Je rappelle que l''on cherche en anglais sur Google Scholar, quand on  n'a pas de bases de données.


J’ai également fait acheter par ma maman le livre « les œufs, 60 clefs pour comprendre » et celui-ci me ramène aussi à l’INRA.

Oui, en France, l'Inra est essentiel. Savez vous qu'il y a une unité très spécialisée dans les oeufs à Nouzilly ? Les meilleurs spécialistes mondiaux.


Votre expérience et vos connaissances en terme de gastronomie moléculaire nous aideraient précieusement.

 Je fais de mon mieux.


En effet, j’ai bien compris que cuisiner l’œuf, c’était faire de la chimie.

Certainement pas : cuisiner, c'est cuisiner. Faire de la chimie, c'est faire de la science. Certes, cuisinier de l'oeuf déclenche des réactions entre des composés, mais la cuisine n'est certainement pas de la chimie : ce n'est pas une science de la nature !
Inversement, la recherche scientifique, notamment la gastronomie moléculaire, ce n'est pas de la cuisine : on ne prépare pas des aliments, mais on produit de la connaissance.


Que différents paramètres température, air, pH… influençaient la structure des composants de l’œuf, notamment les protéines.

Ca, c'est une phrase compliquée. Heureux de dire que je ne la comprends pas (je peux l'interpréter de mille façons différentes, mais ce n'est pas  à moi de deviner laquelle est la bonne).


 Aussi, notre TPE devrait s’orienter sur les propriétés physico-chimiques de l’œuf qui font qu’il se transforme, avec une partie théorique et une partie expérimentale.

Plus exactement, je vous renvoie vers mon site, où j'explique mieux que cela comment faire un TPE, en faisant l'exégèse des textes officiels.


Alors je viens vous solliciter afin de pouvoir obtenir des documents pertinents qui nous permettraient :
1/d’expliquer la formation de l’œuf, sa composition.

Voir le livre sur l'oeuf de M. Thapon et ses collègues chez Lavoisier Tec et Doc.


2/D’expérimenter la chimie des œufs, le but étant de reproduire au laboratoire (ou chez nous) des expériences et de réaliser une vidéo qui sera visionnée et notée par le jury final. (Par exemple, je vais réaliser votre recette de l’œuf parfait au lave-vaisselle !).

Mais sur le site d'AgroParisTech, il y a bien d'autres documents, notamment mon "Let's have an egg".




3/D’expliquer de manière claire et pédagogique la chimie des œufs, quels constituants se modifient.
 D’ailleurs, peut-être serait-il bien de tester au laboratoire comment « décuire un œuf » : à ce propose, j’ai pu lire que des scientifiques avaient tenter l’expérience.

C'est moi qui ai fait le premier la chose, en 1997. Et mon texte est mis sur mon site.
D'ailleurs, j'y ai mis aussi d'autres choses sur l'oeuf, parce que ce TPE n'est ni le premier, ni sans doute le dernier.
Bon courage

mercredi 24 octobre 2018

Les TPE fleurissent... et confondent cuisine moléculaire et cuisine note à note

Paradoxalement, la floraison se fait au printemps... mais pour les travaux personnels encadrés, c'est en octobre que cela commence. Des lycéens se lancent sur des sujets afin de passer une épreuve anticipée du baccalauréat, en classe de Première.
Beaucoup s'intéressent à la "cuisine moléculaire", la confondant avec la gastronomie moléculaire et avec la cuisine note à note. Je leur explique la différence, et je réponds aux questions qui n'ont pas déjà leurs réponses sur mon site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/et-plus-encore/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses

Cela dit, je profite de ce blog pour répondre parfois de façon rénovée, et voici pour aujourd'hui :



- La cuisine moléculaire a-t-elle déjà envahi notre quotidien ?

Drôle de formulation : le mot "envahir" n'est-il pas connoté péjorativement ? C'est en tout cas ce que dit bien le dictionnaire (je recommande le seul bon : celui de la langue française informatisé du CNRS, en ligne gratuitement sur http://atilf.atilf.fr/) : "Pénétrer par force dans (un lieu) et (l')occuper pour s'en rendre ou en rester maître.".
La cuisine moléculaire n'a pas pour vocation de brusquer quiconque, mais, au contraire, d'aider les cuisiniers.
Rappelons sa définition :

La cuisine moléculaire, c'est la cuisine qui se fait à l'aide d'ustensiles modernes. 

Et, en effet, qui va travailler à dos d'âne, aujourd'hui ? Qui écrit encore en trempant une plume d'oie dans de l'encre ? Nous avons des outils modernes pour toutes nos activités ; alors pourquoi pas pour la cuisine ? C'est cela que j'avais voulu avec la cuisine : moderniser la composante technique, non pas pour changer la cuisine, mais pour en faciliter la réalisation.
Pas d'invasion, dans cette question : seulement une volonté de ne pas se comporter comme au Moyen-Âge, avec des pots en terre qui cassent, des aliments d'une sûreté douteuse (on ne doit pas oublier les danses de Saint Guy dues à l'intoxication par l'ergot de seigle, et autres causes qui faisaient mourir à l'âge de 30 ans), etc.

Répondons maintenant à la question plus juste : la cuisine moléculaire est-elle maintenant partout dans notre quotidien ?
Oui, la cuisson à basse température, qui se faisait initialement avec des thermocirculateurs de laboratoire, se fait maintenant dans n'importe quel four acheté en grande surface ; oui, on trouve des siphons partout et pour pas cher ; oui, des marchands de glace utilisent de l'azote liquide ; oui, on fume de façon moderne... Mais il reste du travail pour que s'introduisent nombre d'autres matériels utiles, telles des sondes à ultrasons pour faire des émulsions, des filtres pour clarifier, etc.



- Si non, pouvons nous l'envisager ?

Peut-on envisager un développement ultérieur ? Je l'espère bien. Ces temps-ci, on voit les imprimantes 3D apparaître... mais elles permettront de faire mieux que la cuisine moléculaire... à savoir la "cuisine note à note". Et cette dernière a bien commencé, avec alginates, agar-agar et autres gélifiants végétaux qui sont déjà dans les supermarchés... au point que certains cuisiniers utilisent la terminologie fautive de "gélatine végétale"  (impossible : la gélatine est animale, comme je l'explique ici : https://hervethis.blogspot.com/2018/09/gelatine-et-agents-gelifiants-pas-de.html).

Je répète la définition : la cuisine note à note est une "cuisine de synthèse", à savoir que les plats sont construits à partir de composés, et non pas de ces ingrédients traditionnels que sont les viandes, poissons, oeufs, légumes, fruits...

Mais, pour revenir à la question : je cherche à faire oublier la cuisine moléculaire pour faire advenir la "cuisine note à note"... tout en continuant à  développer la "gastronomie moléculaire" (rien à voir avec la cuisine moléculaire) dans les laboratoires du monde entier.



- Si on ne parle pas d'une invasion dans notre quotidien, certains produits issus de la cuisine moléculaire se trouvent-ils dans nos placards, et lesquels ?

Répondu plus haut.



- La cuisine moléculaire peut-elle être considérée comme une porte de secours vis à vis des pénuries alimentaires ?

Non, la cuisine moléculaire n'est pas une "porte de secours", mais un progrès technique, et non, elle ne contribue pas à la "sécurité alimentaire" (le fait de produire suffisamment d'ingrédients alimentaires, à ne pas confondre avec la "sûreté sanitaire"). C'est la cuisine note à note, dans le cadre du Projet Note à note, qui vise à contribuer à l'alimentation mondiale de demain.



 - A l'inverse, les produits nécessaires à la cuisine moléculaire peuvent-ils tomber en pénuries ?

 Oublions la cuisine moléculaire, puisque nos amis confondent et parlons de cuisine note à note : les composés peuvent-ils manquer ? La réponse est oui : le marché international des protéines se tend, ces temps-ci, et il peut parfaitement y avoir des pénuries d'ingrédients : polysaccharides, protéines, acides aminés, lipides... et même eau !



-Est-elle financièrement, à la portée de tous ?

Je décide de répondre à la question qui se poserait sur la cuisine note à note : et la réponse est évidemment oui !



 -Peut-elle contourner les allergies ? Ou en engendrer ?

Contourner une allergie ? J'aurais dit "éviter". Et la réponse est oui, pour la cuisine note à note : si l'on construit un plat à partir de composés, il est très facile de ne pas y mettre un composé allergène !  Engendrer des allergies ? 
Pourquoi pas.



- Peut-elle avoir un impact positif sur nos organismes ?

La cuisine note à note peut-elle avoir un impact positif sur nos organismes ? Je l'espère !



-Peut-elle avoir un impact négatif sur nos organismes ?

Un impact négatif ? Si l'on met trop de sel dans un plat, c'est mauvais, n'est-ce pas ? Si l'on utilise un ingrédient toxique, ce n'est pas bon non plus !



- La cuisine moléculaire reviendrait-elle plus coûteuse à long terme que la cuisine traditionnelle ?

Au contraire  !


 - Avec n'importe quelle recette, peut-on produire plus avec moins de matières premières ?

Pas certain de bien comprendre la question. Je passe.



 - Retrouve-t-on exactement les mêmes goûts, textures, odeurs qu'avec la cuisine traditionnelle ?

D'abord, la cuisine note à note permet de faire infiniment plus de goûts que la cuisine traditionnelle !



- Vous avez confectionné les repas pour Thomas PESQUET, leur confections doit répondre à plusieurs critères : compacité, légèreté, nutritif, la saveur, etc... pour chacun des astronautes en fonction de leurs poids, leurs sexes et leurs besoins particuliers. Cela ressort-il de la cuisine moléculaire ? Et si oui comment ?

Je n'ai pas confectionné les repas de Thomas Pesquet. Où avez-vous lu cela ?

mardi 23 octobre 2018

La publication scientifique peut-elle être confiée à des éditeurs privés ? Non ! Et nous en avons la preuve.

Une fois de plus, une revue américaine publie un mauvais article et publie simultanément un éditorial qui dit que cet article est mauvais. Drôle de pratique, non ?

Pourquoi font-ils ainsi ? Sachant que le monde est plein de mauvaise foi, je ne vais pas chercher à le savoir, mais je pressens des explications du style "il ne faut pas censurer", et autres. Qui sont de mauvaises raisons, car la dite revue ne se prive pas de refuser des articles quand cela l'arrange.
Non, plus prosaïquement, je crois que la revue fait un coup de publicité, tout comme quand Nature avait publié l'article de Jacques Benveniste sur la prétendue et inexistante mémoire de l'eau, et que, simultanément, ils avaient envoyé une commission d'enquête en France, afin de prouver qu'il y avait eu fraude.
Tout cela n'est guère conséquent, tout cela est en réalité malhonnête. Et il est vrai que la revue dont je parle vient d'être citée dans la terre entière, par les pour et par les contre... le sujet concerné étant un sujet éminemment politique. Donc l'éditeur est content : son facteur d'impact va grimper, et il vendra plus sa salade. Mais, derrière tout cela, se pose la question de la science, qui est donc publiée encore souvent par des éditeurs privés. Au fond, pourquoi les institutions scientifiques confient-elles la publication de leurs résultats à de telles sociétés privées... qui s'engraissent d'ailleurs avec abonnements, vente d'articles... alors que leur apport est quasi inexistant ,
 Pour ceux qui ne le savent pas, je rappelle que les comités éditoriaux sont constitués de scientifiques bénévoles, tout comme le sont les rapporteurs. Au mieux, l'éditeur fait un vague travail de secrétariat.

Cela est intolérable, et c'est pour cette raison que nous avons créé les Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France : une revue publique, gratuite pour les auteurs comme pour les lecteurs, avec une évaluation propre, en double aveugle, et l'idée d'aider les auteurs à perfectionner leurs articles : ceux-ci ne sont jamais refusés, mais acceptés seulement quand la qualité scientifique "académique" est atteinte.
Et, pour une telle revue, l'idée de publier un article qu'on dézinguerait dans un éditorial est inimaginable, bien sûr !

Je vous présente la quercétine

La quercétine ? Par ces temps d'inquiétude alimentaire justifiée, il faut discuter, expliquer. Et je crois qu'il n'est pas difficile de faire mieux que Wikipedia, dans le cas de la quercétine, parce que ce site commence ainsi:
" La quercétine ou quercétol est un flavonoïde de type flavonol présent chez les plantes comme métabolite secondaire. Le quercétol est le plus actif des flavonoïdes et de nombreuses plantes médicinales doivent leur efficacité à leur fort taux en quercétol. Les études in vitro et in vivo ont montré que c'était un excellent anti-oxydant."
Bien incompréhensible, n'est-ce pas : nos amis ignorent ce qu'est un flavonoïde, un flavonol, parfois un métabolite, un antioxydant...

Faisons différemment, en commençant par observer que la quercétine est un composé des plantes. Un métabolite, certes : c'est-à-dire un composé organique (la molécule contient principalement des atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène) intermédiaire ou issu du métabolisme ; on réserve ce terme  aux petites molécules, par opposition aux grosses molécules connues sous le nom de polymères (tels les pectines, les protéines, etc.).
Ainsi on trouve la quercétine dans l'oignon rouge, plus d'ailleurs que dans l'oignon jaune ; la  teneur en quercétine est plus forte dans la couche la plus extérieure, jusqu'à 200 milligrammes (soit 0,2 gramme) par kilogramme d'oignon. Mais on trouve aussi la quercétine dans bien d'autres ingrédients alimentaires, tels les câpres (1,8 gramme par kg !), la livèche (presque autant), le piment (0,5 g/kg), le chocolat (0,25 g/kg), la myrtille (comme pour l'oignon, le cassis (5 fois moins), le broccoli, le thé vert, la cerise et le vin rouge (seulement 8,3 milligramme par litre).
C'est un flavonoïde : cela signifie que la molécule est d'un type particulier, avec des atomes de carbone (représentés par la lettre C) comme répartis aux sommets de la figure suivante :



 Ici, pour ceux qui ne savent pas de chimie, les lettres H désignent des atomes d'hydrogène.
Et le fait que ce soit un flavonol réside dans des particularités de la molécules, qui est la suivante :


Mais voici la formule de la quercétine :



On voit que des groupes "hydroxyle" (-OH), fait d'un atome d'oxygène et d'un atome d'hydrogène sont attachés à certains atomes de carbone de la molécule, et cela donne des propriétés particulières. "Anti-oxydantes", notamment : cela signifie  que la quercétine inhibe des oxydations du vivant, ces réactions qui produisent des espèces réactives nommées radicaux libres. Mais ne croyons pas que la quercétine soit dépourvue de dangers pour autant : tiens, voici le flacon que j'ai au laboratoire :



D'ailleurs, quand on goûte la quercétine en solution, on lui trouve une saveur amère comme la naringine du pamplemousse. Et on évitera de préter à la molécule des effets constamment bénéfiques : elle est décommandée chez les personnes souffrant de diabète, par exemple.

lundi 22 octobre 2018

A propos de Helmholtz


Au sortir de la lecture du dernier numéro d'Alliage, où figure un dossier un peu ésotérique sur Helmholtz, je retiens qu'il y a, à propos de la musique, la même confusion qu'à propos de la cuisine : entre la technique et l'art.


Helmholtz et d'autres (Cornu, Mercadier) ? Ils se sont intéressés au "tempérament", à la musicalité, à savoir cette possibilité d'associer une note avec une autre, par exemple un do avec un do une octave plus haut, ou bien un do avec un sol. Derrière cela, il y avait Pythagore, et l'importance de nombres pour régir le monde : en effet, l'octave est à une fréquence double, et elle s'harmonise bien, car cette fréquence double s'entend dans les "harmoniques" du son le plus bas de l'accord. La quinte ? Les fréquences fondamentales sont dans le rapport de deux à trois, le plus simple, et l'accord est considéré comme consonant... par la musique occidentale.
Et les musiciens de débattre à l'infini de ces questions des musicologues ou des acousticiens, car le beau, en réalité, ne connaît pas la gamme, ni le tempérament, sauf quand il s'est déjà imposé culturellement.

De même pour la cuisine, où le beau à manger est le bon ! On ne répétera pas assez que ce n'est pas une question technique, mais une question de culture, d'habitude. Ceux qui sont habitués à manger du munster mangerons du munster, et les autres rejetteront ce fromage comme détestable, car hors de leur culture. Les appariements ? Des objets de culture !
Bien sûr, il y a des cas particuliers, comme quand on boit un vin astringent en mangeant de la viande, qui apporte les protéines qui se lient au tannins, au lieu que ces derniers fassent précipiter les protéines salivaires, ou le sucre qui permet de supporter l'acidité, comme dans les framboises, dont le pH peut être aussi bas que deux, par exemple, mais c'est quand même un détail !

La leçon est simple : ne confondons pas les questions artistiques et les questions techniques !

samedi 20 octobre 2018

La direction scientifique ?

Chers Amis,

Ce qui suit est une réflexion par quelqu'un qui se méfie de la poutre dans son
oeil, de sa tache aveugle. Quelqu'un qui sait que les conclusions ne peuvent
être bonnes que si les prémisses le sont, et quelqu'un qui n'est pas assez fou
pour être assuré de ses propres certitudes. Quelqu'un qui n'a pas toujours su
que l' "excellence" pouvait être dans le collectif, et non seulement dans
l'individuel. Donc de quelqu'un qui vous invite à contribuer à améliorer les
réflexions qu'il propose.

La question, c'est celle d'une "direction scientifique".

Commençons par l'objectif, ou, mieux, les objectifs. Le travail principal de la
direction scientifique n'est-il pas que la science se fasse activement, et bien
? Dans cette hypothèse, il y aurait donc une question d'explication (qu'est-ce
que la bonne science ?), mais aussi d'encouragement, de soutien et d'évaluation.
Examinons les questions les unes après les autres, en nous souvenant que chacun, dans un groupe, n'a pas les mêmes besoins : pas de loi générale, donc, qui empêtrent certains.

1. Pour l'explication, il faut donc que nous sachions ce qu'est la "bonne"
science. Et, à défaut de le savoir soi-même, pourquoi ne pas organiser un
séminaire, afin que la réflexion soit partagée ? Cela nous éviterait de nous
gargariser de mots creux tels qu'"excellence", dont on a même vu une femme
politique déclarer imbécilement que "c'est le meilleur" ! Et nos institutions
d'enchaîner avec les pôles d'excellence, les centres d'excellence, les voies
d'excellence, les recherches d'excellence, et j'en passe... d'autant que je
n'avais pas eu de réponse, naguère, quand j'avais demandé à un "Directeur" ce
qu'était la bonne science.
Bref, un peu de modestie ne messied pas, quand il est question de contenu, comme d'ailleurs quand il est question de communication, car pourrions-nous nous regarder dans la glace si nous étions comparés à tant de "Minables de la langue de bois pour qui s'imposent avec des paroles verbales" (une catégorie que je propose de bien identifier, afin de nous en méfier) ?
Et reste la question lancinante de la "bonne science" : question difficile, question constante, question qui doit empêcher les bons scientifiques de dormir,
ou, du moins, qui doit être leur souci constant... car il vaut mieux bien dormir
pour être efficace dans nos travaux scientifiques.

2. Pour l'encouragement, il y a peut-être un saut conceptuel à passer
d'encouragement à animation, comme cela est si souvent fait. Et je propose de
distinguer les deux, tout en observant que les deux peuvent être personnels ou
collectifs, par groupes, équipes, laboratoires, institutions... Nous ne pouvons
pas nous payer le luxe de négliger un de ces axes.
Mais commençons par les scientifiques individuels, car ce sont quand même eux
qui font la science, quoi qu'on en dise, et, surtout, quoi qu'en disent ceux
qui, pour des raisons variées (souvent d'organisation) préfèrent des groupes que
des individus, oubliant que le théorème de Fermat ne fut démontré qu'au prix
d'un travail individuel isolé, que la théorie de la relativité fut le travail d'un homme, que Gauss et tant d'autres (Newton, Faraday, etc.) furent des savants isolés, individualistes...
Bref, du point de vue individuel, il y a des soutiens en termes intellectuels ou matériels. Bien sûr, en termes matériels, il y a des sous ou des sous indirects (un bureau agréable, un laboratoire propre...), mais je laisse la réflexion selon ces axes à d'autres, pour me consacrer ici à la question du soutien intellectuel. Et la question : comment aider un scientifique à penser mieux ?
Certainement en discutant avec lui sur les points qui l'intéressent. Je vois le directeur scientifique comme quelqu'un qui irait parler à chacun, pour savoir ce qu'il fait, pour comprendre pourquoi il le fait, pourquoi ce qu'il fait est bien, etc... et l'on ne manquera donc pas, ici, de renvoyer vers la question de l'évaluation, qui n'est pas, on le dira, une question de sanction d'une qualité, mais de compréhension d'un travail. D'ailleurs, je déplore que nos évaluations scientifiques ne soient généralement que la production un peu convenue de nos
résultats, avec un rapport fait par un collègue : pour un scientifique ouvert, seule compte la bonne compréhension de ce que nous faisons, et je compte sur mes interlocuteurs pour me révéler des taches aveugles, ou me faire comprendre des idées sous-jacentes que je n'aurais pas perçues.
Mais on peut aussi encourager des groupes : et là, c'est la cohérence du groupe
qui est en question, avec cette préoccupation : comment l'augmenter ? Comment l'augmenter afin que le travail de chacun soit perfectionné ? Bien sûr, là encore, il y a à organiser des flux de discussions entre les membres du groupe... en évitant de penser que des réunions soient la panacée... car elles
prennent du temps sur la recherche.
Dans notre groupe de gastronomie moléculaire, nous avons mis en place des systèmes variés, tels les "bonheurs du matin" ou encore les "emails du soir" :
c'est l'occasion pour chacun de faire les indispensables synthèse personnelles
tout en partageant avec les autres. Il n'y a pas d'évaluation, mais seulement de
la réflexion sur l'activité, laquelle réflexion ne doit d'ailleurs pas être
encombrante, sans quoi elle n'est pas faite, les scientifiques considérant qu'il
s'agit d'une tâche administrative supplémentaire.
Mais je termine avec cette question d'encouragement en rappelant ce dont il
s'agit, en un mot : encourager nos amis !

L' "animation" ? Ayant vu tout ce qui précède, je crois qu'elle n'est qu'une
réponse bien convenue, et peu appropriée. Il semble plus judicieux de la diviser
en encouragement et soutien, que je discute maintenant.


3. Pour le "soutien", donc, je propose de considérer que la seule la question du
chercheur individuel est de savoir comment son environnement lui permet de
produire mieux en termes de production scientifique. Autrement dit, sa question
est : comment l'environnement aide-t-il à faire des découvertes ?
À cette fin, les scientifiques ont besoin de temps, d'équipements, d'aide et,
surtout d'intelligence, laquelle peut s'interpréter en terme d'information et en
termes de méthode, je crois.
Avec le mot "aide", s'introduit la notion de groupe, d'équipe, de laboratoire...
et la place de la direction scientifique... On n'oubliera pas, même quand les
vaches sont maigres, que les scientifiques peuvent être utilement aidés par
l'administration, pour les décharger de tâches qui prennent sur leur temps, par
des techniciens qui entretiendront les équipements, les feront fonctionner...
afin que les scientifiques puissent se concentrer sur les tâches qui sont leur
apanage, à savoir la création de notions, de concepts...
Moi directeur scientifique (c'est évidemment une mauvaise paraphrase
humoristique que je fais là), je m'efforcerais de toutes mes forces d'éviter les
"lois" qui veulent punir les mauvais élèves, mais qui en réalité sont inefficaces et font peser des charges supplémentaires sur les bons élèves. Je m'évertuerais également à réduire le plus possible les charges administratives qui, il faut le redire très vigoureusement, nuisent à l'activité scientifique.
On comprend bien que les institutions veulent pouvoir faire état d'une activité
bien encadrée, rassurante, fonctionnarisée, en vue des contribuables qui financent la recherche ou en vue de ceux qui représentent lesdits contribuables,
mais ce n'est pas en gonflant l'administration que l'on y parviendra. Et je crois que le directeur scientifique doit protéger les scientifiques, de ce point de vue.
Mais soyons plus positif, et envisageons méthodes et idées. C'est là que les institutions répondent souvent par des "séminaires". Commençons avec eux, en
observant qu'il peut y en avoir plusieurs sortes :
- des séminaires de formation pour les jeunes scientifiques, soit sur des
méthodes, soit sur des connaissances, soit sur des techniques... ;
- des séminaires de type recherche en cours, où l'on expose un cheminement
inachevé en invitant les collègues à discuter le travail ;
- des séminaires de résultats, pour partager du bonheur.
En matière de séminaires, je vois que nous sommes très souvent trop longs : une heure, c'est vraiment beaucoup par rapport à la durée d'une journée de travail ! Et c'est ce qui nous fait hésiter à y aller. Pourquoi n'utiliserions-nous pas plutôt le format des conférences TED, où l'on doit donner le meilleur de soi-même en un quart d'heure ou vingt minutes ? Cela se glisserait facilement dans une de ces pauses tels que les laboratoires britanniques en organisent encore : à 10 h 30 ou à 14 h.
Bien sûr, il y a au moins deux écueils connus, pour les séminaires :
- les collègues qui communiquent mal... et qu'il faut donc aider, et d'abord en
évitant de les placer dans des situations où ils sont condamnés à l'échec, tout
en condamnant l'auditoire à l'ennui ;
- les collègues qui n'ont jamais "rien à présenter" et qui, de ce fait, absorbent l'énergie du groupe au lieu de l'accroître. Là, le directeur scientifique a évidemment un rôle à jouer. Car quiconque a travaillé peut présenter les mille résultats de son travail, et, a contrario, les personnes qui ne travaillent pas n'ont rien à présenter... mais il faut faire alors le constat qu'elles n'ont pas travaillé, s'interroger sur les raisons de cette inactivité et chercher les moyens d'y pallier sans laisser ces collègues sombrer.
Mais à propos d'animation scientifique, je vois que nous sommes souvent dans le dogme, c'est-à-dire que nous répétons des structures (les séminaires, donc) que nous avons déjà vu faire sans les questionner, et, partant, sans les améliorer.
J'ai évoqué le fait que les séminaires sont souvent des séances un peu longues,
sont prises sur notre temps de recherche, de sorte que nous hésitons à y aller,
ou bien que, plus directement, nous n'y allons pas.
Ce sont donc des animations de façade, et il faut absolument trouver à la fois
les causes de l'échec et une solution au problème. Dans cette affaire, il y a
certainement lieu de bien analyser l'objectif. Or l'objectif, c'est de faire que
toute personne soit chauffée à blanc en vue de la recherche scientifique. Bien
sûr, le directeur scientifique peut partager son enthousiasme, mais pourquoi ne
pas utiliser toutes les compétences, tous les enthousiasmes des membres de
l'équipe ? On doit s'assurer que le langage utilisé est compréhensible par tous,
sans quoi ceux qui ne comprennent pas s'ennuient et ne viennent plus aux séances suivantes. On comprend que la règle d'interrompre chaque fois que l'on ne comprend pas s'impose absolument.

Une autre idée : et si, au lieu de se limiter à des exposés, on organisait des
séances structurées, où, par statut, on s'interrogerait sur les relations d'un
travail avec d'autres travaux, sur les prolongements, sur les applications ?
D'ailleurs, on aurait raison de dépasser nos amis anglais, qui se limitent à du
thé ou du café pendant la pause : pourquoi ne pas aller jusqu'au champagne, si
l'heure s'y prête ? A des gâteaux ? Bien sûr, on évitera que ces séances
scientifiques ne dégénèrent en agapes oiseux, comme je l'ai vu parfois faire, et
l'on s'assurera que la science est bien au coeur de l'affaire.

4. Pour l'évaluation, j'en ai parlé ailleurs beaucoup, signalant qu'un écueil
constant est de confondre évaluation et sanction. L'évaluation est une tâche objective, et les mesures qui peuvent être prises derrière cette dernière ne sont pas de l'évaluation, mais relèvent de la sanction, qu'elle soit d'ailleurs
positive ou négative.
Je veux des évaluations stimulantes !