Lu ce matin dans le tome 4 des Correspondances d'Einstein (CNRS/Le Seuil), une lettre à Solovine où je trouve :
"Parmi les lectures que j'ai faites à ma soeur le soir, il y a eu celle d'écrits philosophiques d'Aristote. A vrai dire, cela a été une vraie déception ; si ce genre de philosophie n'était pas si obscur et si confus, il ne se serait pas maintenu aussi longtemps. Mais la plupart des gens ont justement un respect sacré des mots qu'ils sont incapables de comprendre ; quand ils peuvent comprendre un auteur, ils y voient un signe qu'il est superficiel."
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 21 juillet 2013
samedi 20 juillet 2013
Vive la loyauté !
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Je
viens de finir la lecture des inscriptions qui figuraient sur un
conditionnement de produit alimentaire et je suis bien désolé de
vous dire que c'était un immense baratin, encore pire que ce que
j'aurais pu attendre. Un énorme mensonge : on y parle de
nature, de produits naturels, alors que ce produit a été fabriqué,
et que le naturel est ce qui n'a pas fait l'objet d'intervention par
l'être humain... Bien peu d'ingrédients alimentaires sont naturels,
et aucun aliment n'est naturel.
Oui,
aucun aliment n'est naturel, parce que tous les aliments ont été
fabriqués. Tous ont fait l'objet de transformations par l'être
humain, dans les cuisines domestiques, dans les «laboratoires »
des artisans, dans les usines des industriels !
Allons
plus loin : j'invite tous mes amis honnêtes à militer très
activement contre l'utilisation abusive, déloyale du mot
« naturel » par les industriels ou les artisans de
l'alimentaire.
Certes,
bien souvent, l'emploi est simplement négligent ou ignorant, mais
qui me fera croire que les cabinets de publicité ou de marketing de
l'industrie alimentaire ignorent l'usage du mot « naturel » ?
D'ailleurs, s'ils utilisaient le mot « naturel »
fautivement par ignorance, ce serait encore plus grave !
Nous ne
devons pas tolérer le mercantilisme déloyal. Luttons, luttons en
écrivant aux services consommateurs des sociétés qui produisent ou vendent des aliments, luttons en écrivant aux
services de l'État, afin qu'ils sanctionnent les fautifs. Luttons
contre la déloyauté, la malhonnêteté !
Sur
ce conditionnement, il y avait également une confusion entre goût,
saveur, arômes. Cette confusion résultait à vrai dire d'un usage
très métaphorique des mots, que leurs auteurs auraient justifié,
sans doute, en invoquant le droit à un langage « poétique »...
Et il est vrai qu'un marchand disant « Ah mes belles oranges »
a le droit pour lui, car le « beau » est personnel. De
même, il justifierait son discours « mon produit donne de
l'énergie », car tout aliment ou ingrédient alimentaire,
stricto sensu, apporte de l'énergie.
Mais
on aura compris que, au delà des chicaneries, au delà de la mauvaise
foi, je revendique de la loyauté, plus de loyauté qu'il n'est
supporté de déloyauté aujourd'hui.
J'invite tous mes amis honnêtes
et loyaux à écrire au législateur pour réclamer plus de sévérité.
J'invite tous mes amis des associations de consommateur, tous mes
amis des ministères, en charge des produits alimentaires, tous mes
amis engagés dans l'action politique, tous mes amis engagés dans
l'éducation, à revendiquer, sinon pour nous-mêmes au moins pour
nos enfants, à réclamer qu'un grand ménage soit fait.
Même
pour les mots qui désignent le goût ? Oui, même pour ces
mots ! Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études
pour être en mesure de dire que le goût est ce que l'on ressent
quand on mange un aliment. Par exemple, quand on mange une banane, on
a un goût de banane : on ne me fera pas croire que les
publicitaires qui travaillent pour l'industrie alimentaire et qui,
souvent, sortent des grandes écoles de formation des ingénieurs de
commerce, ne sont pas capables de comprendre cela ?
Bref,
le goût est une sensation synthétique, qui englobe la perception de
la consistance, la perception des saveurs, des odeurs, du piquant et
du frais.
Les
saveurs ? Elles nous sont données par les cellules réceptrices des
papilles, réparties sur la langue.
C'est un autre combat de lutter
contre la théorie fausse des quatre saveurs ; passons aux
arômes. Là encore, il y a déloyauté à nommer arôme tout autre
chose que ce qu'est un arôme : l'odeur d'une plante
aromatique ! Une viande n'a donc pas d'arôme, pas plus qu'un
fromage, un vin... Tout simplement, il y a l'odeur de la viande, il
y a l'odeur des fromages, mais il y a l'arôme de la ciboulette ou du
thym citron...
Là encore, j'invite le législateur à refuser
absolument l'emploi du mot arôme pour toute autre utilisation que
l'utilisation juste.
Il faut faire un grand ménage. Amis, luttons !
vendredi 19 juillet 2013
Pourquoi il est important de former les élèves ingénieurs à la physico-chimie
Des questions et des réponses
19 juillet 2013 La question
Une question qui revient souvent : celle des cloques sur les pâtisseries. Comment les éviter, sur un petit pain au lait, sur un croissant, par exemple ?
La réponse : Cette question est merveilleuse, parce qu’elle permet de montrer que des étudiants (bien) formés à la physico-chimie peuvent apporter une aide réelle à l’industrie et à l’artisanat alimentaires, ou à tous le monde culinaire. Oui, d’abord, une cloque sur une dorure, c’est disgracieux, et c’est le signe que le praticien a "mal" travaillé. Analysons : s’il y a une cloque, c’est qu’une cloque s’est formée. Si une cloque s’est formée, c’est qu’il y a une raison. Pour faire cloquer, il faut pousser une partie de pâte assez mince, à la surface. Quel est le "moteur" du gonflement ? Ce ne peux pas être la dilatation de l’air, car entre la température ambiante et la température de cuisson, le gonflement n’est que de 30 pour cent, environ. Pas assez pour une cloque. Un seul autre moteur possible, le plus souvent : l’évaporation de l’eau ! Un gramme d’eau fait un litre de vapeur, environ. Ce qui signifie qu’il suffit de 0,00001 g d’eau pour faire une cloque de 5 mm sur 5 mm (environ). De ce fait, il suffit de dépister le dépôt d’eau sous la forme de gouttelettes, lors du travail de la pâte, pour le produit particulier qui est concerné, afin d’identifier la cause du malheur... et de tout corriger ensuite.
On observera pour finir que, sans ces quelques notions de physico-chimie, il est bien difficile de résoudre le problème, parce que le nombre de paramètres mis en oeuvre est quasi infini. Sans piste de départ, on est bien démuni.
N’est-ce pas que les sciences quantitatives (ce que l’on nomme parfois les "sciences dures") sont belles ?
Vendredi 19 juillet 2013. Le TLF
Puisque la science
quantitative se fait avec des mots, le calcul formel étant fondé
sur le langage, les mots sont importants. Tel était notamment le
message de Condillac, puis de Lavoisier... et de bien d'autres.
Les mots : comment
les connaître bien ? Il y a des dictionnaires. Toutefois, que
valent des dictionnaires publiés par des sociétés d'édition
privées, qui n'ont en réalité que leur profit en vue ? Tous
ne sont pas médiocres pour autant... car les « auteurs »
sont des auteurs de livres, et non pas nécessairement des
mercenaires expédiant des tâches hâtivement. Toutefois
l'expérience récente d'un dictionnaire populaire qui définissait
fautivement la gastronomie moléculaire, et refusait de corriger son
erreur, me fait penser que la langue ne peut être confiée à des
sociétés privées.
Et c'est pourquoi j'invite
tous mes amis à consulter le Trésor de la langue française
informatisé, ou TLF, du Centre national de la recherche scientifique
et de l'Université de Lorraine. Il est en ligne... et il est
remarquable. D'autre, part, comme le sens des mots découle de leur
étymologie et de leur histoire, il me faut aussi vous conseiller le
site du Centre national de ressources textuelles et lexicales,
www.cnrtl.fr/etymologie,
également remarquable.
Deux outils essentiels
pour parler, écrire, penser, faire de la science !
jeudi 18 juillet 2013
Vive la technologie, surtout quand elle est bien enseignée.
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Dans un précédent
billet, je me suis efforcé de bien distinguer la technique, la
technologie et les sciences quantitatives.
La technique, c'est le
« faire ». Le cuisinier, par exemple, fait un geste
technique, il produit des plats, objets matériels. Toutefois la
matérialité n'est pas l'apanage de la technique, car un programmeur
fait également des gestes techniques, tout comme un médecin (ce
n'est pas moi qui le dis, mais le grand Claude Bernard : le
médecin doit soigner, produire des soins, malgré les prétentions).
Le technologie ? Il
suffit d'examiner les mots : techne, faire, et logos
signifie « étude », « connaissance »... La
technologie utilise le savoir, les connaissances, pour améliorer
les techniques. Là encore la définition n'est pas de moi : c'est
celle qui a été retenue pour la classe « Technologie et société
» de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de
Belgique.
Enfin, la science
quantitative ? Cette fois il s'agit de production de connaissances :
comme on l'a vu plusieurs, on recherche les mécanismes font des
phénomènes par une méthode nous avons eu l'occasion de décrire
font soigneusement.
Comment enseigner la
technologie ?
Prenons un exemple : la
recherche de gelée claire au goût de vin rouge. Si l'on prend un
vin tannique et et si on lui ajoute de la gélatine, un trouble
apparaît ; la gelée qui prend n'est pas claire. Comment
éviter ce désagrément ? Dans un tel cas, la connaissance des
phénomènes qui ont eu lieu donne plusieurs pistes. Notamment les
polyphénols des vins rouges, et plus spécifiquement les polyphénols
de la classe des tanins, ont la propriété de se lier aux
protéines. C'est cela qui est à l'origine du trouble : les
agrégats deviennent si gros qu'ils perturbent la propagation de la
lumière.
Autrement dit, puisqu'on
ne peut pas changer le vin, on pourrait changer l'agent gélifiant :
au lieu d'utiliser de la gélatine, qui est une protéine, on
pourrait utiliser divers polysaccharides : agar-agar,alginate...
La moralité de cette
affaire est claire : la connaissance des résultats scientifiques
permet l'action.
De ce fait, de jeunes
ingénieurs doivent être formés à la connaissance des résultats
scientifiques. Ils doivent apprendre à chercher des résultats...
mais la masse de connaissances où ils devront fouiller est
immense. Il faudra donc qu'ils apprennent à sélectionner les
connaissances qui répondront aux questions qu'ils se posent. Puis
viendra l'étape d'utilisation de ces connaissances, le retour à la
technique, le « transfert technologique ».
Au total, de jeunes
ingénieurs semblent avoir besoin d'au moins quatre compétences
essentielles : d'abord ils doivent apprendre à vivre en société,
dans cette société particulière qu'est le monde industriel, lequel
n'est pas déconnecté du monde général. Dans cette partie de
leur éducation, il devrait y avoir de l'éthique, mais aussi le
maniement du langage, c'est-à-dire -soyons simples- de
l'orthographe, de la grammaire, de la rhétorique, de la logique.
Pas grand-chose de neuf depuis Aristote ou Condillac !
D'ailleurs, je n'ai considéré ici que la langue française, mais il
y aurait lieu d'apprendre une plusieurs langues étrangères. Plus
généralement, regroupons toutes ces matières indispensables sous
le nom d'humanités. À côté, il doit y faut un enseignement qui
permette de sélectionner des résultats utiles... ce qui suppose
qu'il y aura eu un enseignement qui conduit à comprendre les
résultats des sciences quantitatives. Enfin, il faut un enseignement
du transfert technologique, le travail qui consiste à passer du
résultat scientifique à l'application.
Cette vision a des
corollaires, et, notamment, elle montre qu'il ne faut pas transformer
les ingénieurs en scientifiques. Les ingénieurs n'ont pas à
passer leur temps à chercher les mécanisme des phénomènes. Même
s'ils sont de remarquables ingénieurs de recherche, leur objectif
est technologique. Même si, au cours de leur des travaux
technologiques, des innovations surviennent, utiles à l'exercice de
la science, les ingénieurs ne semblent pas devoir faire de sciences
quantitatives pour autant. Par exemple, au Centre IBM de Zürich, il
y a quelques années, M. Rohrer et M. Binnig avaient mis au point un
microscope à effet tunnel. Il ne s'agissait pas d'aller explorer
les phénomènes, mais bien de mettre au point un microscope. La
science a largement fait usage de ces outils, comme Galilée fit
usage de la lunette, récemment intentée. Plus généralement, la
science utilise très fréquemment les innovations, les nouveaux
moyens d'observation, mais la science a ses objectifs et ses
méthodes, et la technologie en à d'autres.
Vive la technologie !
mercredi 17 juillet 2013
Assez avec les milles feuilles d'imbéciles !
Mon boulanger pâtissier, cédant à une mode idiote, fait maintenant ses mille-feuilles en mettant les couches verticalement.
Cela fait "original", à la mode, mais c'est imbécile, parce que l'on se fend le palais !
Je le savais, mais j'ai voulu m'en assurer : et je confirme !
(en plus, cet homme fait une chiboust fade, sans intérêt ; bref, il est médiocre, du point de vue du goût)
Moralité : réfléchissons, quand on cuisine !
PS. La question m'est posée : pourquoi se fend-on le palais ? La réponse figurera dans un billet à suivre, sur le "génie des feuilles"
Cela fait "original", à la mode, mais c'est imbécile, parce que l'on se fend le palais !
Je le savais, mais j'ai voulu m'en assurer : et je confirme !
(en plus, cet homme fait une chiboust fade, sans intérêt ; bref, il est médiocre, du point de vue du goût)
Moralité : réfléchissons, quand on cuisine !
PS. La question m'est posée : pourquoi se fend-on le palais ? La réponse figurera dans un billet à suivre, sur le "génie des feuilles"
Vive la technologie : le sel glace
Dans un précédent
billet, j'ai essayé de montrer comment les objectifs et les chemins,
les méthodes, de la science et la technologie étaient différents.
Je donne ici un autre
exemple en même temps qu'un ingrédient culinaire : le sel glace.
L'histoire -vraie- est la
suivante. Un jour, Pierre Gagnaire se plaignait à moi que le sel de
Maldon déposé sur les viandes captait l'eau de celles-ci, formant
une flaque, entre le moment ou le sel était déposé au passe, et
le moment où l'assiette arrivait sur la table.
Le sel de Maldon ? C'est
un sel assez remarquable, coûteux, qui se présente sous la forme de
petites plaquettes, avec un croustillant étonnant. Ce sel étant
utilisé pour ses particularités de consistances,il était
évidemment indispensable que le croquant initial soit préservé.
Comment en aider mon ami ?
Analysons : le sel, c'est du sel, c'est-à-dire un matériau qui se
dissout très bien dans l'eau, et qui peut même, par un phénomène
nommé « osmose » (il faudra que j'explique, une autre
fois), tirer l'eau des viandes. Pour éviter que ce sel tire l'eau et
s'y dissolve, il semble donc nécessaire de ne pas mettre le sel au
contact des viandes. Mais alors, comment déposer le sel ? Une
barrière s'imposait. Une barrière aussi mince que possible. De
quelle nature ? Les chimistes distinguent bien les matériaux
« hydrophiles », tels le sel, et les matériaux
hydrophobes... dont le prototype est l'huile.
L'huile ! Et si l'on
trempait le sel dans l'huile, avant de le déposer sur la viande ?
De la sorte, il se recouvrirait une couche d'huile qui préviendrait
la dissolution.
Le test prit quelques
instants seulement, et il fut évidemment positif. De sorte que,
aujourd'hui, Pierre Gagnaire a, dans ses restaurants du monde entier,
de petites coupes pleines de sel et d'huile.
Pour moi, ce travail n'est
rien, car j'ai mis en œuvre des idées d'un élève de Collège, et,
surtout, il n'a pas conduit à une découverte, le seul véritable
objectif des travaux scientifiques. Autrement dit, on n'aura pas le
prix Nobel avec une proposition du type de celle que j'avais faite.
Cela, c'était le versant
sciences quantitatives ; en revanche, du point de vue technique,
la proposition a été jugé extraordinaire, puisqu'elle résolvait
un problème véritablement ennuyeux.
Pierre Gagnaire a souvent
dit à la presse que cette proposition est ma plus belle découverte.
Je n'en suis pas sûr, mais ce que je veux conclure, c'est que la
science quantitative et la technologie ou la technique sont des
activités bien séparées, différentes.
Je ne mets pas l'une
d'elles plus haut que l'autre, car on ne peut guère comparer des
pommes avec des poires : il y a de bonnes pommes, et de
mauvaises, et il y a de bonne poires, et de mauvaises. Les critères
pour classer les pommes ne sont pas ceux pour classer des poires.
Or pour évaluer des
activités, scientifiques ou technologiques, ou encore techniques, ne
faut-il pas aussi faire usage de critères ?
Il faut des critères
particuliers pour la techniques, et d'autres pour les sciences
quantitatives.
Vive la technologie !
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