Dans un précédent
billet, j'ai essayé de montrer comment les objectifs et les chemins,
les méthodes, de la science et la technologie étaient différents.
Je donne ici un autre
exemple en même temps qu'un ingrédient culinaire : le sel glace.
L'histoire -vraie- est la
suivante. Un jour, Pierre Gagnaire se plaignait à moi que le sel de
Maldon déposé sur les viandes captait l'eau de celles-ci, formant
une flaque, entre le moment ou le sel était déposé au passe, et
le moment où l'assiette arrivait sur la table.
Le sel de Maldon ? C'est
un sel assez remarquable, coûteux, qui se présente sous la forme de
petites plaquettes, avec un croustillant étonnant. Ce sel étant
utilisé pour ses particularités de consistances,il était
évidemment indispensable que le croquant initial soit préservé.
Comment en aider mon ami ?
Analysons : le sel, c'est du sel, c'est-à-dire un matériau qui se
dissout très bien dans l'eau, et qui peut même, par un phénomène
nommé « osmose » (il faudra que j'explique, une autre
fois), tirer l'eau des viandes. Pour éviter que ce sel tire l'eau et
s'y dissolve, il semble donc nécessaire de ne pas mettre le sel au
contact des viandes. Mais alors, comment déposer le sel ? Une
barrière s'imposait. Une barrière aussi mince que possible. De
quelle nature ? Les chimistes distinguent bien les matériaux
« hydrophiles », tels le sel, et les matériaux
hydrophobes... dont le prototype est l'huile.
L'huile ! Et si l'on
trempait le sel dans l'huile, avant de le déposer sur la viande ?
De la sorte, il se recouvrirait une couche d'huile qui préviendrait
la dissolution.
Le test prit quelques
instants seulement, et il fut évidemment positif. De sorte que,
aujourd'hui, Pierre Gagnaire a, dans ses restaurants du monde entier,
de petites coupes pleines de sel et d'huile.
Pour moi, ce travail n'est
rien, car j'ai mis en œuvre des idées d'un élève de Collège, et,
surtout, il n'a pas conduit à une découverte, le seul véritable
objectif des travaux scientifiques. Autrement dit, on n'aura pas le
prix Nobel avec une proposition du type de celle que j'avais faite.
Cela, c'était le versant
sciences quantitatives ; en revanche, du point de vue technique,
la proposition a été jugé extraordinaire, puisqu'elle résolvait
un problème véritablement ennuyeux.
Pierre Gagnaire a souvent
dit à la presse que cette proposition est ma plus belle découverte.
Je n'en suis pas sûr, mais ce que je veux conclure, c'est que la
science quantitative et la technologie ou la technique sont des
activités bien séparées, différentes.
Je ne mets pas l'une
d'elles plus haut que l'autre, car on ne peut guère comparer des
pommes avec des poires : il y a de bonnes pommes, et de
mauvaises, et il y a de bonne poires, et de mauvaises. Les critères
pour classer les pommes ne sont pas ceux pour classer des poires.
Or pour évaluer des
activités, scientifiques ou technologiques, ou encore techniques, ne
faut-il pas aussi faire usage de critères ?
Il faut des critères
particuliers pour la techniques, et d'autres pour les sciences
quantitatives.
Vive la technologie !
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