samedi 22 août 2020

A propos d'oignons glacés

1. On m'interroge sur une recette d'oignons glacés, où, après avoir mis les oignons avec eau (à mi hauteur des oignons), beurre & sucre, le cuisinier couvre les oignons d'une feuille de papier sulfurisé, sans expliquer pourquoi.

2. Le papier sulfurisé agit comme un mauvais couvercle, qui laisse partir de la vapeur d'eau, mais moins qu'un couvercle, maintenant les oignons dans de la vapeur à 100 °C, de sorte qu'ils cuisent  de toutes parts pendant tout le temps que le papier sulfurisé est présent. Puis on retire le couvercle, afin que l'eau s'évapore et que la graisse & le sucre viennent enrober les oignons.

3. A noter tout d'abord que nous avons fait un séminaire de gastronomie moléculaire (en juin 2016) sur le thème analogue des navets glacés... en montrant notamment que ce que disent certains cuisiniers est faux : le glaçage n'entre pas dans les navets.







4. A noter aussi que le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin, célèbre pour avoir popularisé le terme de gastronomie (la connaissance raisonnée à propos de l'alimentation humaine), a écrit des tas de choses fausses à ce propos : on consultera mon billet https://hervethis.blogspot.com/2017/12/les-epinards-absorbent-ils-le-beurre-non.html.

5. Et pour terminer : pourquoi s'ennuyer avec un papier sulfurisé, alors qu'un couvercle fait l'effet, associé à un bon réglage de la puissance de chauffage ? On n'est plus au Moyen-Âge, quand même ?

Soyons rationnels : déterminons l'objectif, puis choisissons les moyens techniques pour y arriver... en se souvenant que nous avons des fusées, des avions, des voitures, et que le char à bœufs est périmé !


vendredi 21 août 2020

À propos de merveilleux étudiants

1. Le ciel est bleu et il suffit de le regarder pour le voir ainsi. À propos des étudiants, pourquoi ne pas examiner les caractéristiques des "meilleurs" de nos jeunes amis ? C'est à la fois permettre aux autres de viser ce "bleu du ciel", &, pour moi, avoir le bonheur de souvenirs heureux.

2. Je me souviens d'un étudiant qui, quand les autres étaient partis, restait pour m'interroger sur les points scientifique qui le tracassaient. Jamais je n'ai eu des questions si difficile, de sorte que je devais travailler le soir, chez moi, pour être en mesure de lui répondre le lendemain matin... quand je le pouvais. Et, quand je ne le pouvais pas, j'avais le bonheur de lui dire que je ne savais pas répondre à sa question & qu'il y avait des pistes qu'il pouvait creuser par lui-même.
Quel bonheur !

3. Je me souviens d'un étudiant extrêmement ponctuel, rigoureux, attentif... Pas le meilleur de sa promotion, mais certainement en passe de le devenir : sa ponctualité n'avait d'égal que  sa régularité, le soin qu'il portait à son travail, son souci de bien faire les choses, du mieux qu'il pouvait, sans négligence.
Quel bonheur !

4. Très récemment, alors que j'ai envoyé une lecture à toute une promotion, il y a eu un  étudiant qui a répondu de façon extraordinairement détaillée, montrant sans prétention, simplement, qu'il avait bien lu le document, le commentant, posant des questions, proposant des réponses à des questions que je posais...
Évidemment, je lui ai répondu aussitôt, avec tout les autres en copie, afin qu'il serve d'exemple, & il a encore répondu, faisant état de nouvelles incompréhensions, donnant des arguments, posant de nouvelles questions...
Quel bonheur !

5. Je me souviens d'un étudiant qui, habitant pourtant loin, était le premier au laboratoire le matin & le dernier le soir. Celui-là était tout à fait remarquable, parce que non seulement il s'intéressait aux sciences, mais, de surcroît, il faisait du pain, du fromage, du yaourt, du miel, de la bière, du vin, du fromage...
Quel bonheur !

6. Je me souviens d'une étudiante qui semblait un peu "simple", parce qu'elle s'interrogeait sans cesse sur des points qui nous paraissaient être élémentaires, mais qui, en réalité, fixait ainsi ses idées de façon définitive, solide.
Quel bonheur !

7. Je me souviens d'un étudiant qui avait le chic pour mobiliser les connaissances qu'il avait eues auparavant. Et cela est essentiel, parce que, les études de chimie communiquant des "outils intellectuels", il était bien équipé... comme nous pouvions le voir. Il n'avait pas une grande "culture générale" scientifique, mais les bases pour explorer les questions qu'il se posait. J'oublie de dire qu'il était modeste, attentif et soigneux.
Quel bonheur !

8. Je me souviens d'une étudiante qui a commencé par tout ranger dans le laboratoire  :  à la fois le laboratoire lui-même, mais aussi les ordinateurs ! Elle entraînait les autres dans cette direction, & comme elle mettait le même enthousiasme dans ses apprentissages, il n'est pas étonnant qu'elle ait été une des meilleures de tous ceux qui sont venus depuis des décennies pour apprendre à mes côtés.
Quel bonheur !

9. Je me souviens d'un étudiant honnête : bien sûr, les autres l'étaient aussi, mais celui-ci avait une honnêteté intellectuelle très particulière, en ce sens qu'il ne cachait jamais ses ignorances au groupe ou à lui-même, &, au contraire qu'il se posait des questions, sur la base de ses ignorances avouées ; il osait s'afficher en retard sur le groupe de celles & ceux qui étaient avec lui, mais en réalité, il ne balayait pas la poussière sous le tapis. Non, au  contraire, il questionnait, questionnaire questionnaire & j'espère lui avoir montré que cette voie était la bonne, surtout quand on apprenait soi-même à répondre aux questions que l'on se posait.
Quel bonheur !

10. Je me souviens d'un étudiant, indien, qui savait apprendre pour se souvenir et non pas pour oublier, et cela fait évidemment toute la différence, parce qu'il se souvenait ! Il lui restait à apprendre, notamment de la méthodologie, mais sur un socle si solide que cela était facile.
Quel bonheur !

11. Je me souviens d'un étudiant, russe celui-là, qui avait des compétences mathématiques telles que le reste pouvait s'élaborer facilement.
Quel bonheur !

12. Évidemment, à côté de ceux-là, il y a tous les autres,  qui n'ont pas nécessairement démérité, mais qui n'avaient pas toujours ces caractéristiques extraordinaires, si extraordinaires que l'on voit clairement en quoi elles contribuent  à des formations réussies.  Souvent, il y a une question de focalisation, & c'est la raison pour laquelle je m'efforce tant de transmettre une passion brûlante à tous mes amis. Beaucoup arrivent déjà très intéressés, mais quand on parvient à porter cet intérêt à un niveau encore supérieur, alors c'est gagné.
Il y a , pour tous de toute façon, à montrer la beauté des choses  :  des gestes expérimentaux, des calculs, des acquis scientifiques, technologiques, techniques, artistiques, humanistes... du passé, des questions ouvertes pour le futur, des voies que l'on peut explorer...

S'émerveiller de tout ce qui est merveilleux : il s'agit d'une façon de vivre la science qui me semble essentielle, et en tout cas idiosyncratique.


jeudi 20 août 2020

Pas d'équation pour l'empesage de l'amidon



On m'interroge à propos de l'empesage de l'amidon, et l'on me demande quelle en est l' "équation chimique". La réponse est : puisqu'il n'y a pas de modifications moléculaire, il n'y a pas de modification chimique ; les produits sont identiques aux réactifs.
Expliquons

Considérons une pâte, telle une pâte à pain ou une pâte à tarte. Il y a principalement : des "polysaccharides", des protéines, de la matière grasse, de l'eau.

Les polysaccharides sont initialement dans des granules d'amidon, avec des couches concentriques faites de deux sortes de composés :
- des amyloses : polymères linéaires du glucose
- des amylopectines : polymères ramifiés du glucose
Ici, je ne stipule pas la forme du glucose, ni plein d'autres caractéristiques, parce que cela ne sera pas utile pour la discussion, mais si l'on voulait aller plus loin, on le pourrait largement.
Puis il y a des protéines, notamment ce que l'on nomme le "gluten", mais également bien d'autres sortes. Les protéines, on le sait, sont des polymères dont les monomères sont des résidus d'acides aminés. Et ces protéines ont pour nom gliadines, ou gluténines, par exemple.
La "matière grasse" : en réalité, on utilise souvent du beurre, lequel apporte jusqu'à 18 % d'eau, plus des protéines et d'autres composés (tel ce sucre élémentaire qu'est le lactose), et, enfin et surtout, des "triglycérides", composés faits d'un résidu de glycérol (un "manche de peigne") et de trois résidus d'acides gras. Il y a environ 400 sortes de résidus d'acides gras, d'où un très grand nombre de combinaisons, pour engendrer une foule de triglycérides différents, tous mêlés.

Quand on chauffe, que se passe-t-il ?

Initialement, les granules d'amidons sont secs, mais quand l'amidon est chauffé en présence d'eau, l'amylose s'en échappe, se dissolvant dans l'eau, tandis que les molécules d'eau s'insèrent entre les molécules d'amylopectines et font gonfler les granules d'amidon. Il est souvent dit que des températures supérieures à 80 °C sont nécessaires pour cela.

Pour les triglycérides, ces molécules sont assez résistances. Certes, elles s'oxydent dans les huiles chauffées, mais -dans les conditions culinaire- cela ne change guère le comportement physique des graisses.

L'eau ? Elle s'évapore en partie, d'autant plus que la cuisson est plus longue. Son évaporation se fait à toute température (même à la température ambiante), mais l'ébullition a lieu à 100 °C dans les conditions habituelles de pression (niveau de la mer), plus bas quand on va en altitude. Surtout, sa présence limite la température des pâtes cuites : dans les conditions de pression où la température d'ébullition de l'eau est de 72 °C, la température des pâtes ne dépasse pas 72 °C.

Les protéines : il y a en a plusieurs sortes, qui peuvent ou non coaguler selon leur composition moléculaire. Dans le lait, par exemple, certaines coagulent (la "peau"), et d'autres (les caséines) non, en tout cas quand on chauffe.

L'eau ? C'est de l'eau, qu'elle soit ou non chauffée.


La chimie de l'affaire ?

Pour les polymères, il peut y avoir des "hydrolyses", et il y en a d'ailleurs, comme on s'en aperçoit en utilisant de la liqueur de Fehling (bleue) ajoutée à de l'eau de cuisson des nouilles : après une longue cuisson, le changement de couleur, du bleu au rouge, indique l'apparition de glucose libre. Pour les protéines, aussi, il peut y avoir des hydrolyses, mais il faut savoir que l'attaque des protéines par des acides très vigoureux prend des journées. Et les chimistes ont un ordre de grandeur en tête : chaque diminution de 10 °C correspond à un doublement du temps de réaction.


Mais finalement, 72 °C ?

Evidemment la question a été étudiée, comme on s'en aperçoit en quelques clics sur Google Scholar, avec les bons mots clés. Et, par exemple, dans Olkku (1978), on lit que la température initiale de gélatinisation d'amidon de blé est de 58 °C, avec une fin de transition à 64 °C. L'hydrolyse, elle, est décrite par Goni et al. (1997), par exemple.
L'oxydation des lipides ? Elle est rapide à haute température, mais elle a lieu même à la température ambiante, quand il y a de la lumière : c'est le rancissement, qui dépend des conditions, et s'accroît notamment en présence de fer.
Bref, il faut y regarder de plus près.


Goni I, Garcia-Alonso A, Saura-Calixto F. 1997. A starch hydrolysis procedure to estimate glycemic index, Nutrition Research, 17(3), 427-437.

Olkku H. 1978. Gelatinisation of starch and wheat flour starch-a review, Fd. Chem. (3), 293-317.

Le paradoxe artistique

1. Dans mon livre intitulé "La cuisine c'est de l'amour de l'art de la technique",  je fais état du "paradoxe artistique de la Grèce antique" : l'art était (évidemment ?) porté aux nues par les Grecs, qui s'émerveillaient notamment que des dessins de grappes de raisins aient été si bien rendues que des oiseaux s'y faisaient prendre, mais ils récusaient l'art, parce que c'était un double éloignement du réel (je ne redonne pas toute la discussion qui est dans mon livre).



2. Là, aujourd'hui, la discussion est différente,  mais je retrouve un paradoxe : d'un côté, je m'émerveille que des artistes (même étymologie qu'artisan) puissent créer des choses aussi remarquables, aussi subtiles, aussi fines, aussi merveilleuses que les mélodies de Jean-Sébastien Bach, les peintures de Martin Schongauer, les textes de Gustave Flaubert...  ; de l'autre, je vois dans ce qui nous émeut un mouvement animal tel que celui qui fait dire "C'est beau" à des milliards d'humains qui observent un rond rouge (le soleil couchant) dans le ciel.

3. Cela me gêne, non pas d'être comme tous les humains, mais que ce "c'est beau" soit si analogue au "c'est bon" que l'on dit quand on mange du gras et du sucre : je ne peux m'empêcher de voir là un diktat de mon corps, au détriment de mon esprit. Et pourtant, je le répète, quel superbe travail que celui des plus grands artistes ! 

4. D'ailleurs, je ne suis pas méprisant de la composante animale de l'humain, puisque, de toute façon, elle est constitutive, mais comment ne pas être plus heureux qu'on puisse la maîtriser ! D'ailleurs, c'est bien cela que je reconnais aux grands artistes : cette capacité de recréer de la "beauté", que ceux qui la perçoivent soit manipulés ou non par leur composante animale.

5. Du côté de la réception, j'entends qu'il peut y avoir de la culture, et que, précisément, il ne soit pas inné d'aimer certaines perspectives, certains courants qui, précisément, échappent vers le haut à de l'art "primitif". Et il y a cette discussion à propos de sensiblerie et de sensibilité... mais je propose plutôt que l'on me parle de culture, du travail d'apprentissage de l'appréciation artistique. Aimer l'art ? Et si cela revenait à l'apprendre afin de le connaître ?

6. Dans le doute, je me réfugie dans ma passion pour les sciences, qui, elles, ne me semblent en rien "animales". A propos de mathématiques, par exemple, on parle de l' "honneur de l'esprit humain". A quoi servent-elles ? A quoi servent les sciences de la nature ? A obtenir un peu d'honneur, quand notre animalité nous tire vers l'animal. Et là, je n'y vois pas de paradoxe qui me mettrait en danger. M'aidera-t-on en me réfutant ?