A propos de plagiat, les choses sont plus compliquées que ne le disent les vendeurs de logiciels anti-plagiat !
En effet, les résultats sont difficiles à interpréter, et souvent faux. De nombreux programmes font apparaître de faux positifs pour des phrases communes, des noms d'institutions ou des références. Et ils produisent aussi de faux négatifs, par exemple quand la source d'un texte plagié n'a pas été numérisée, contient des erreurs d'orthographe ou n'est pas accessible au programme.
Il y a quelques années, dans une école d'ingénieur que je ne citerai pas voulait acquérir de tels logiciels pour contrôler les devoirs des élèves, et je m'y étais fermement opposé, parce que, en réalité, je ne veux pas que les "collègues plus jeunes" (ma terminologie pour ce que le reste du monde appelle encore "étudiants") inventent des phrases ou des textes, et que je revendique qu'ils aient fait correctement la bibliographie, et qu'ils citent les textes consultés.
Plus généralement, dans les articles scientifiques, dans les rapports, dans les documents de thèse, etc., aucun fait ne peut tomber du ciel sans être référencé : une idée, une référence !
Certains estiment que le texte des auteurs cités ne peut être repris tel quel, mais je ne suis pas d'accord, car selon le bon principe condillacien (repris par Antoine Laurent de Lavoisier) qui veut qu'un mot soit homologue à une idée sans possibilité de synonymie, le changement du texte cité gauchit la pensée des auteurs cités !
Disons qu'il vaudrait mieux inviter à de l'intelligence, et, pour ce qui concerne les devoirs des élèves, par exemple, concevoir des exercices, des devoirs, des problèmes, des circonstances qui évitent la possibilité même du plagiat !
Une référence :
D. Weber-Wulff, Plagiarism detectors are a crutch, and a problem, Nature, Mars 2019, 567, 435.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 30 mars 2019
mardi 26 mars 2019
Disneyland, hélas !
Une idée me vient, alors que des collègues plus jeunes vont à Disneyland (ou world, je ne sais pas et cela ne m'intéresse guère de savoir) : je propose de toujours poser la question, lors des entretiens d'embauche : "Etes-vous déjà allé à Disneyxxx ?". Et l'on excluerait immédiatement ceux et celles qui y sont allés, car c'est le signe d'intérêts qui ne sont guère élevés !
Mais plus charitablement, je crois utile de rappeler - ou dire- à nos jeunes amis qu'il y a les oies que l'on gave, d'une part, et les gaveurs d'oies, de l'autre ; qu'il y a le "peuple" et ceux qui le dirigent...
Depuis au moins aussi longtemps que la Rome antique, il y a eu le pain et les jeux. En termes modernes, cela signifie qu'il n'y aura pas de révolution les soirs où des matchs de football seront retransmis à la télévision.
Il suffit de le savoir ;-)
Mais plus charitablement, je crois utile de rappeler - ou dire- à nos jeunes amis qu'il y a les oies que l'on gave, d'une part, et les gaveurs d'oies, de l'autre ; qu'il y a le "peuple" et ceux qui le dirigent...
Depuis au moins aussi longtemps que la Rome antique, il y a eu le pain et les jeux. En termes modernes, cela signifie qu'il n'y aura pas de révolution les soirs où des matchs de football seront retransmis à la télévision.
Il suffit de le savoir ;-)
lundi 25 mars 2019
Des connaissances peuvent-elles être "scientifiques" ?
Hier, à l'Académie d'Agriculture, lors d'une séance publique, deux intervenants ont dit l'expression "connaissance scientifique", et ma réflexion sur la méthode des sciences de la nature m'a conduit à m'interroger sur cette terminologie.
Qu'est-ce qu'une connaissance scientifique ? Et cela existe-t-il vraiment ?
Dans une telle circonstance, je crains immédiatement la faute du partitif, et aussi le cliché, série de mots que l'on répète sans l'interroger.
Une connaissance, je comprends bien de quoi il s'agit. Par exemple, un intervenant nous a montré des images de bois au microscope, et il nous a donc donné une nouvelle vision, une nouvelle description d'un objet dont nous avions une moindre connaissance : au lieu de voir simplement les fibres à l'oeil nu, nous avons pu comprendre qu'il y avait des cellules plus ou moins grosses selon les saisons, et également des canaux par où la sève peut circuler.
Mais où était la science dans cette affaire ? Certes il a fallu un microscope pour obtenir une telle l'image, mais le microscope est un objet ancien qui relève moins d'ailleurs de la science que la technique ou de la technologie. Certes il a fallu que quelqu'un ait l'idée d'utiliser le microscope pour regarder le bois afin de produire la description qui nous a été présentée... mais la connaissance n'a été scientifique que si ce quelqu'un était un scientifique, et pas si ce quelqu'un était un technicien ou un technologue. En l'occurrence, les connaissances qui étaient dites scientifiques étaient du naturalisme des siècles passés, et ces images auraient presque pu être produites par Antoni van Leuwenhoek.
Mais pour en revenir à la faute du partitif : il aurait fallu dire plutôt connaissance produite par des scientifiques, si cela avait été le cas. Au fait, toutes les connaissances ne sont-elles pas de produites par les scientifiques ? Non, car les grammairiens ont des connaissances qui ne relèvent pas des sciences de la nature, par exemple.
Une question pernicieuse : pourquoi nos intervenants, qui n'étaient pas scientifiques, ont-ils utilisé cette expression ? On devine que cela posait le discours, qu'il s'agissait d'un (mauvais) argument d'autorité !
Mais revenons maintenant au statut des sciences de la nature, et de leurs méthodes : il s'agit plutôt de réfutation que de démonstration. Que vaut alors une connaissance produite par un scientifique ? Sera-t-elle réfutée? Bien sûr, si l'on utilisait des techniques analytiques perfectionnées, on pourrait améliorer l'image qui nous a été montrée dans les détails, mais sans doute pas dans les grandes lignes, de sorte que l'image subsisterait malgré les réfutations successives.
Au fond, Henri Poincaré avait raison de dire que tout croire ou douter de tout sont deux attitudes également mauvaises. Les travaux scientifiques conduisent à des descriptions progressivement affinées, mais chaque stade conserve une certaine validité et quand je dis que la science produit des connaissances fausses, je me reprends généralement en disant que ces connaissances sont plutôt insuffisantes.
Je renvoie à des billets anciens ou j'évoquais la loi d'Ohm, relation de proportionnalité entre le potentiel électrique et l'intensité d'un courant : cette loi a été abattue par la découverte de l'effet hall quantique, Klaus von Klitzing ayant montré qu'il n'y a pas proportionnalité exacte, mais proportionnalité approchée : si on regarde de loin, on voit une ligne, mais si on regarde de très près, on voit une sorte d'escalier.
Le fait que la description en terme d'escalier soit faite par un scientifique récent ne change rien à l'affaire, du point de vue du principe. La connaissance donné par un scientifique récents ou par un scientifique ayant vécu il y a longtemps est du même type, c'est une connaissance produite par la science... et pas une connaissance scientifique.
Qu'est-ce qu'une connaissance scientifique ? Et cela existe-t-il vraiment ?
Dans une telle circonstance, je crains immédiatement la faute du partitif, et aussi le cliché, série de mots que l'on répète sans l'interroger.
Une connaissance, je comprends bien de quoi il s'agit. Par exemple, un intervenant nous a montré des images de bois au microscope, et il nous a donc donné une nouvelle vision, une nouvelle description d'un objet dont nous avions une moindre connaissance : au lieu de voir simplement les fibres à l'oeil nu, nous avons pu comprendre qu'il y avait des cellules plus ou moins grosses selon les saisons, et également des canaux par où la sève peut circuler.
Mais où était la science dans cette affaire ? Certes il a fallu un microscope pour obtenir une telle l'image, mais le microscope est un objet ancien qui relève moins d'ailleurs de la science que la technique ou de la technologie. Certes il a fallu que quelqu'un ait l'idée d'utiliser le microscope pour regarder le bois afin de produire la description qui nous a été présentée... mais la connaissance n'a été scientifique que si ce quelqu'un était un scientifique, et pas si ce quelqu'un était un technicien ou un technologue. En l'occurrence, les connaissances qui étaient dites scientifiques étaient du naturalisme des siècles passés, et ces images auraient presque pu être produites par Antoni van Leuwenhoek.
Mais pour en revenir à la faute du partitif : il aurait fallu dire plutôt connaissance produite par des scientifiques, si cela avait été le cas. Au fait, toutes les connaissances ne sont-elles pas de produites par les scientifiques ? Non, car les grammairiens ont des connaissances qui ne relèvent pas des sciences de la nature, par exemple.
Une question pernicieuse : pourquoi nos intervenants, qui n'étaient pas scientifiques, ont-ils utilisé cette expression ? On devine que cela posait le discours, qu'il s'agissait d'un (mauvais) argument d'autorité !
Mais revenons maintenant au statut des sciences de la nature, et de leurs méthodes : il s'agit plutôt de réfutation que de démonstration. Que vaut alors une connaissance produite par un scientifique ? Sera-t-elle réfutée? Bien sûr, si l'on utilisait des techniques analytiques perfectionnées, on pourrait améliorer l'image qui nous a été montrée dans les détails, mais sans doute pas dans les grandes lignes, de sorte que l'image subsisterait malgré les réfutations successives.
Au fond, Henri Poincaré avait raison de dire que tout croire ou douter de tout sont deux attitudes également mauvaises. Les travaux scientifiques conduisent à des descriptions progressivement affinées, mais chaque stade conserve une certaine validité et quand je dis que la science produit des connaissances fausses, je me reprends généralement en disant que ces connaissances sont plutôt insuffisantes.
Je renvoie à des billets anciens ou j'évoquais la loi d'Ohm, relation de proportionnalité entre le potentiel électrique et l'intensité d'un courant : cette loi a été abattue par la découverte de l'effet hall quantique, Klaus von Klitzing ayant montré qu'il n'y a pas proportionnalité exacte, mais proportionnalité approchée : si on regarde de loin, on voit une ligne, mais si on regarde de très près, on voit une sorte d'escalier.
Le fait que la description en terme d'escalier soit faite par un scientifique récent ne change rien à l'affaire, du point de vue du principe. La connaissance donné par un scientifique récents ou par un scientifique ayant vécu il y a longtemps est du même type, c'est une connaissance produite par la science... et pas une connaissance scientifique.
dimanche 24 mars 2019
La gastronomie moléculaire, c'est quoi ? Ce n'est pas quoi ?
Le flot des messages envoyés par des élèves en classe de première se tarit, parce qu'ils ont maintenant terminé et rendu leur travail, mais quelques attardés continuent d'écrire.
Par exemple, aujourd'hui :
Étant en élève de première S, j’ai dû comme beaucoup d’autres élèves travailler sur des travaux pratique encadrés. Le nôtre portait sur les phénomènes de dispersion dans les liquides, la mousse et la mayonnaise..
Nous nous sommes énormément aidé de vos travaux, et vous remercions..
Mais il nous trotte une dernière question, selon vous s’il on étudie la mayonnaise et la mousse ( émulsion, polarité, miscibilité et tensioactifs) de façon théorique, nous parlons de gastronomie moléculaire..
Mais si l’on effectue les recettes de mayonnaise et de mousse au chocolat dans le cadre de « test » comme vous avez pu le faire sur vos vidéos youtube, parlons nous de cuisine ou de gastronomie moléculaire ?
Nous hésitons énormément étant donné que la gastronomie moléculaire est la recherche des principes et phénomènes, tandis que la cuisine moléculaire est l’application théorique de ces principes.
J'avais initialement répondu :
Bonjour, et bravo pour votre distinction. Disons que la gastronomie moléculaire est l'étude (scientifique) des phénomènes qui se produisent quand on cuisine.
Et cuisiner, c'est préparer des aliments, à savoir des systèmes physico-chimiques qui sont destinés à la consommation humaine.
Si vous faites une mayonnaise, vous faites de la cuisine.
Si vous variez des paramètres de confection d'une mayonnaise en vue de voir le changement, vous faites de la technologie culinaire.
Si vous utilisez une sonde à ultrasons pour faire une mayonnaise, vous utilisez un ustensile nouveau, et vous faites de la cuisine moléculaire, c'est-à-dire de la technique.
Et si vous analysez la confection d'une émulsion qui se nomme mayonnaise, ou si vous testez une précision culinaire particulière, vous faites de la gastronomie moléculaire.
Je ferai un billet plus détaillé sur mon blog dans les jours qui viennent, notamment sur le dernier point, où je suivrai la méthode des sciences de la nature.
Bon courage
Mais reprenons.
La gastronomie moléculaire est donc la science qui s'intéresse aux phénomènes culinaires, en vue d'en chercher les mécanismes par la méthode classique des sciences, à savoir :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données de mesure en lois
- recherche de mécanismes, par introduction de concepts
- recherche de prévisions à partir du corpus théorique élaboré
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.
Par exemple, imaginons que nous nous intéressions à la mayonnaise. Chercher s'il est vrai que la moindre trace de blanc fait rater la sauce est une expérience préliminaire qui permet d'identifier ou non un phénomène. En l'occurrence, le test montre que nous n'avons pas à nous demander si la moindre trace de blanc fait rater la sauce... parce que le blanc ne fait pas rater la sauce. Cette expérience préliminaire fait donc partie de la gastronomie moléculaire : on fait l'expérience en vue de comprendre les mécanismes, pas pour faire à manger (cuisine) ni pour perfectionner la sauce (technologie).
Un dernier commentaire : nos jeunes amis croient que "la gastronomie moléculaire est la recherche des principes et phénomènes, tandis que la cuisine moléculaire est l’application théorique de ces principes". Ce n'est pas juste.
La gastronomie moléculaire n'est pas la recherche des "principes et phénomènes", mais la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent quand on cuisine.
D'autre part, la cuisine moléculaire n'est pas l' "application théorique de ces principes", mais la forme de cuisine qui fait usage de matériels venus des laboratoires, essentiellement d'ailleurs des laboratoires de chimie : thermocirculateurs, azote liquide, etc.
Par exemple, aujourd'hui :
Étant en élève de première S, j’ai dû comme beaucoup d’autres élèves travailler sur des travaux pratique encadrés. Le nôtre portait sur les phénomènes de dispersion dans les liquides, la mousse et la mayonnaise..
Nous nous sommes énormément aidé de vos travaux, et vous remercions..
Mais il nous trotte une dernière question, selon vous s’il on étudie la mayonnaise et la mousse ( émulsion, polarité, miscibilité et tensioactifs) de façon théorique, nous parlons de gastronomie moléculaire..
Mais si l’on effectue les recettes de mayonnaise et de mousse au chocolat dans le cadre de « test » comme vous avez pu le faire sur vos vidéos youtube, parlons nous de cuisine ou de gastronomie moléculaire ?
Nous hésitons énormément étant donné que la gastronomie moléculaire est la recherche des principes et phénomènes, tandis que la cuisine moléculaire est l’application théorique de ces principes.
J'avais initialement répondu :
Bonjour, et bravo pour votre distinction. Disons que la gastronomie moléculaire est l'étude (scientifique) des phénomènes qui se produisent quand on cuisine.
Et cuisiner, c'est préparer des aliments, à savoir des systèmes physico-chimiques qui sont destinés à la consommation humaine.
Si vous faites une mayonnaise, vous faites de la cuisine.
Si vous variez des paramètres de confection d'une mayonnaise en vue de voir le changement, vous faites de la technologie culinaire.
Si vous utilisez une sonde à ultrasons pour faire une mayonnaise, vous utilisez un ustensile nouveau, et vous faites de la cuisine moléculaire, c'est-à-dire de la technique.
Et si vous analysez la confection d'une émulsion qui se nomme mayonnaise, ou si vous testez une précision culinaire particulière, vous faites de la gastronomie moléculaire.
Je ferai un billet plus détaillé sur mon blog dans les jours qui viennent, notamment sur le dernier point, où je suivrai la méthode des sciences de la nature.
Bon courage
Mais reprenons.
La gastronomie moléculaire est donc la science qui s'intéresse aux phénomènes culinaires, en vue d'en chercher les mécanismes par la méthode classique des sciences, à savoir :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données de mesure en lois
- recherche de mécanismes, par introduction de concepts
- recherche de prévisions à partir du corpus théorique élaboré
- tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.
Par exemple, imaginons que nous nous intéressions à la mayonnaise. Chercher s'il est vrai que la moindre trace de blanc fait rater la sauce est une expérience préliminaire qui permet d'identifier ou non un phénomène. En l'occurrence, le test montre que nous n'avons pas à nous demander si la moindre trace de blanc fait rater la sauce... parce que le blanc ne fait pas rater la sauce. Cette expérience préliminaire fait donc partie de la gastronomie moléculaire : on fait l'expérience en vue de comprendre les mécanismes, pas pour faire à manger (cuisine) ni pour perfectionner la sauce (technologie).
Un dernier commentaire : nos jeunes amis croient que "la gastronomie moléculaire est la recherche des principes et phénomènes, tandis que la cuisine moléculaire est l’application théorique de ces principes". Ce n'est pas juste.
La gastronomie moléculaire n'est pas la recherche des "principes et phénomènes", mais la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent quand on cuisine.
D'autre part, la cuisine moléculaire n'est pas l' "application théorique de ces principes", mais la forme de cuisine qui fait usage de matériels venus des laboratoires, essentiellement d'ailleurs des laboratoires de chimie : thermocirculateurs, azote liquide, etc.
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