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dimanche 26 février 2017

Des réponses que j'ajoute sur mon site

Cet après midi, un long message, qui pose des questions auxquelles je n'ai pas répondu dans mon site (je vais donc ajouter les réponses). Pour plus de clarté, je réponds après chaque question, que j'écris en italiques :


Bonjour Monsieur This
Tout d'abord permettez-moi d'exprimer toute mon admiration envers vos travaux passés et présents. Je réalise actuellement un tpe sur la Cuisine moléculaire et de ce fait j'ai pu découvrir tout ce que vous avez effectué depuis la création de la Gastronomie Moléculaire.
 
Pour ce qui est de l'"admiration", voir le billet récent ;-). 
D'autre part, quand on me parle de passé et de présent, pour ce qui me concerne, j'évoque immédiatement le futur : la question n'est pas de se contenter de ce que l'on fait, mais de mieux faire ce que l'on fera. 
Un tpe sur la cuisine moléculaire ? Pour ceux qui ne connaissent pas le signe, tpe signifie "travail personnel encadré", et cela se fait généralement en classe de première... mais c'est bien dommage que notre jeune ami ne fasse pas plutôt son travail sur la cuisine note à note.  
J'y pense : "cuisine moléculaire" ne mérite pas une majuscule, tant le nom est commun. On n'écrit pas la Peinture abstraite, mais seulement la peinture abstraite, par exemple.



Voici quelques questions que mes camardes et moi voudrions vous poser, si bien sûr vous acceptez d'y répondre.

Des "camardes" ? Je suppose bien sûr qu'il s'agit de camarades. Bénin. Cela dit, la phrase est étrange, au total. Allons, je la comprends... mais j'invite mes jeunes amis à faire simple : sujet, verbe, complément. 



1° Vous qui avez inventé la Gastronomie moléculaire, que pensez vous de l'usage de cuisiniers, scientifiques, chimistes? 

Ici, la phrase n'a plus de sens. Oui, j'ai introduit la "gastronomie moléculaire" (sans majuscule, pour la même raison que précédemment), mais que signifie "l'usage de cuisiniers, scientifiques, chimistes" ? Trop d'hypothèses sont possibles pour que je puisse répondre correctement. 
Mais je profite quand même de l'occasion pour dire que la gastronomie moléculaire, discipline scientifique qui ne se confond pas avec la cuisine moléculaire, laquelle est une technique, est l'étude des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. C'est une activité de scientifiques, donc pas de cuisiniers ni de chimistes (puisque les chimistes sont les techniciens qui produisent des produits à partir de réactifs). 


2° Y a-t il déjà eu de nouvelles notions introduites dans la gastronomie et cuisine moléculaire, dont vous ne partagez pas le point de vue?

Ici, nos amis confondent encore la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire. Et l'on ne peut pas partager le point de vue d'une notion ! Je suppose que nos amis voulaient demander : "Y a-t-il eu des pratiques de cuisine moléculaire que vous réprouvez" ? 
Et là, la réponse est oui : toute pratique qui met en danger la vie des convives est évidemment répréhensibles. L'emploi d'huiles essentielles, par exemple, doit se faire avec circonspection, et ces huiles essentielles doivent être très diluées. L'emploi de chalumeaux risque de déposer des quantités notables de benzopyrènes cancérogènes sur les aliments, de sorte que je préconise plutôt le pistolet décape peinture. Des cuissons prolongées  à des températures inférieures à 60 degrés me semblent risquées. Et, évidement, les accidents dus à de l'azote liquide (en Allemagne et en Angleterre) résultent d'une utilisation très répréhensible de la technique.


3° Comment vous est venue l'idée de la gastronomie moléculaire? Durant cette fameuse rencontre avec Monsieur Kurti, aviez-vous déjà eu cette idée ou bien est ce que ce fut le fruit de discussions avec lui qui vous a poussé à la créer ?
 
Là, je ne réponds pas parce que la réponse est déjà sur mon site. 
 
 

4°Vous dites vous-même dans vos blogs et interviews, que la Cuisine moléculaire tend à disparaître et que la nouvelle mode serait la cuisine note à note. Cela vous dérange-t-il de "passer à autre chose" si l on peut dire? 
 
 Je ne dis pas que la cuisine moléculaire tend à disparaître. Au contraire, elle est maintenant partout, parce que les fabricants de fours  domestiques ont doté leurs équipements de fonctions pour cuire à basse température, par exemple. Et les siphons sont en vente dans les supermarchés les plus populaires. 
Mais je dis aussi qu'il est temps d'avancer, et de passer à la cuisine note à note. C'est moi même, qui ai introduit la cuisine moléculaire, qui veut la remplacer par la cuisine note à note (que j'ai également introduite en 1994). 



5° Tout le monde sait que l'excès mène à la perte. Se nourrir exclusivement de chocolat, être trop isolé, consommer trop d'alcool... Pourtant il y a bien eu des excès d'utilisation des additifs alimentaires par des restaurateurs de cuisine moléculaire. Quel est votre avis  : pensez vous que les intoxications alimentaires des clients de ces quelques restaurants ne sont pas du tout dues aux additifs alimentaires? ou bien que ces cuisiniers font un mauvais dosage? 

Y a-t-il eu vraiment des excès d'utilisation d'additifs ? Je vous invite à ne pas croire ce que disent ou écrivent tous les journalistes, car j'ai d'innombrables exemples de mensonges. Par exemple, les convives malades chez Heston Blumenthal, en Angleterre, avaient été intoxiqués... par des huîtres ! Pas par des additifs. 
Donc avant d'interpréter, assurons-nous des faits ! 


6°Vous êtes originaire d'Alsace.(mes ancêtres aussi::)Esashiss isch bombisch ! Avez vous revisité des plats alsaciens avec la cuisine moléculaire?(bien sur je sais bien que vous êtes physico-chimiste et non cuisinier, mais la question est tentante!)

Je ne cesse de cuisiner en mêlant le nouveau à l'ancien, car pourquoi se comporter comme au Moyen-Âge ? Et je suis heureux de vous annoncer que mon prochain livre donnera précisément des recettes de cuisine alsacienne modernisée. 
Cela étant, c'est surtout mon ami Pierre Gagnaire qui a fait le mieux : une choucroute enfin "construite". C'était merveilleux ! 



7°Nous avons tenté de joindre des restaurants de cuisine moléculaire en région parisienne...aucun de ceux mentionnés sur internet n'en est un...merci informations erronées et temps perdu ! Pourriez vous nous en conseiller  un ? 

Dans la plupart des  restaurants, vous trouvez des cuissons à basse température. Vous trouvez mes "oeufs parfaits", vous trouvez des mousses faites au siphon. Mais je ne saurai pas vous conseiller : je vais rarement au restaurant, parce que j'ai du travail et que : 
- je cuisine bien
- pourquoi aller dans un restaurant médiocre quand je sais ce que mon ami Pierre Gagnaire sait faire ? 


8° Beaucoup d'aspects de cuisine moléculaire sont introduits dans les familles: émulsions pour la mayonnaise, les mousses au chocolat... Est ce que selon vous l’agar-agar énormément utilisé en cuisine moléculaire pourrait devenir un ingrédient indispensable (hypocalorique, et pouvant remplacer l’œuf)?

Remplacer : non. S'ajouter. Par exemple, la gélatine a des propriétés intéressantes : elle fond à la température de la bouche. L'agar-agar a des propriétés particulières. L'oeuf a des propriétés particulières. Pourquoi voudriez vous que nous marchions sur une jambe quand nous en avons deux ? 


Il y a tellement d autres questions que j'aurais aimé vous poser... mais à ce moment là ce serait du harcèlement!
 
Surtout, il y a des milliers de réponses sur mon site. Etes vous allé voir ?  


Je vous remercie infiniment pour tout ce que vous faites. Vous trouvez toujours des nouvelles choses et ne vous maintenez pas juste sur ce que vous avez antérieurement effectué ! Vous êtes réellement un exemple à suivre, pour nous, élèves en classe de scientifique !!!

Un exemple ? Pas sûr : je me lamente de ne jamais en faire assez, de ne pas être assez intelligent, de ne pas être assez courageux... et d'avoir perdu beaucoup de temps, quand j'étais étudiant. 
Mais je travaille, car comme on dit en Alsace 
"Mir isch wàs mir màcht"
(nous sommes ce que nous faisons).

dimanche 12 juin 2016

Questions et réponses

1. Comment avez-vous découvert le concept de cuisine moléculaire/quel a été l'élément déclencheur de la cuisine moléculaire ?

 L'élément déclencheur, pour la gastronomie moléculaire comme pour la cuisine moléculaire, a été un soufflé au roquefort que j'ai fait le 16 mars 1980. La recette disait d'ajouter les jaunes d'oeufs deux par deux, dans la béchamel au fromage. Ayant jugé que ce conseil était sans intérêt, j'ai mis les jaunes tous ensemble... et coup de chance, sans que cet ajout particulier n'ait rien à voir à l'affaire, le soufflé a été raté. La semaine suivant, j'ai refait le soufflé, et j'ai mis les jaunes un par un. Je sais aujourd'hui que cela ne change rien, mais, par chance, le soufflé a été réussi.
Le 24 mars 1980, j'ai donc décidé d'exploré toutes ces "prévisions" (trucs, astuces, dictons, on dit, proverbes...). J'en ai 25 000 aujourd'hui, dont beaucoup testées... et nous en explorons tous les mois, lors de nos "séminaires de gastronomie moléculaire" (on peut recevoir les invitations, et aussi les comptes rendus, en demandant à icmg@agroparistech.fr ; c'est gratuit).
Au même moment, mon laboratoire étant dans ma cuisine, je me suis dit qu'il serait bon de rénover les techniques culinaires, et j'ai commencé à proposer aux cuisiniers d'utiliser des objets de laboratoire. C'est cela, la "cuisine moléculaire", dont le nom a été donnée (par moi, en réponse à un journaliste qui m'interrogeait) en 1999, pour distinguer de la gastronomie moléculaire, qui, elle, est une activité de physico-chimie, réservée aux scientifiques.
A noter que le nom de "gastronomie moléculaire", et l'identification de cette nouvelle discipline, ont été introduits en 1988. A noter aussi que la cuisine moléculaire, ce n'est (évidemment pas)  "cuisiner avec des molécules", parce que tous les aliments sont faits de molécules.


2. Concrètement comment l'avez vous appliquée à la cuisine? Pierre Gagnaire a-t-il dès le début collaboré avec vous?

Comme dit plus haut, j'ai commencé à utiliser des ustensiles de laboratoire pour cuisiner dès  1980. Et je dois vous dire que le milieu professionnel français a été très lent à accepter l'idée.
Dès les années 1990, je montrais des utilisations de l'azote liquide pour faire des sorbets, mais aucun chef ne s'y mettait (sauf André Daguin, puis Philippe et Christian Conticini, ou encore Raymond Blanc !). Il a fallu un programme européen, dans les années 2000, pour que je puisse convaincre des chefs, notamment Ferran Adria, Heston Blumenthal et d'autres.
Pour Pierre Gagnaire, la chose est plus compliquée, parce qu'il ne fait pas de cuisine moléculaire, pas plus qu'il ne fait de cuisine note à note. Il a été l'un des premiers à tester les techniques de cuisine moléculaire, et il a clairement été le premier chef à servir un plat de cuisine note à note, mais il fait du Pierre Gagnaire.
Avec Pierre, notre première rencontre date sans doute de 1996, mais nous avons vraiment commencé nos explorations communes (je lui donne environ une  nouvelle invention par mois, et il la met en art culinaire) en 1999.


3. Quel a été l'élément déclencheur de la cuisine note à note (rappelez ici l'année exacte)?

Ce fut la rédaction de la conclusion de l'article "Physics and chemistry in the kitchen", pour le numéro d'avril 1994 de Scientific American. Depuis plusieurs années, j'utilisais des composés dans les aliments et les boissons, mais j'ai soudain compris que l'on pouvait généraliser la chose... et c'est ce que j'ai écrit, moitié par conviction, moitié par provocation, dans la fin de mon article.
# Rétrospectivement, je ne comprends même plus pourquoi j'avais hésité... mais il est vrai que, à l'époque, j'ai reçu des lettres d'injures.


4. Nous observons dans plusieurs pays - notamment la France - un vrai retour à la "bonne bouffe", des produits locaux, de saison, artisanaux qui s'inscrivent dans la philosophie "Slow food". On a l'impression que les gens se battent pour un retour au goût et aux bons produits. Quelle place tient la cuisine moléculaire et note à note dans cette réalité?

Les retours nostalgiques ne m'intéressent pas particulièrement. En art, il y a tout le temps ce retour aux Classiques, mais l'art moderne, lui, avance sans se soucier des nostalgiques, des craintifs, des timorés. La nature ? Un fantasme qu'un certain marketing malhonnête utilise. D'autant qu'aucun aliment n'est "naturel", puisque :
- les ingrédients (carottes, animaux, etc.) sont parfaitement artificialisés (sélectionnés, cultivés)
- est naturel ce qui ne fait pas l'objet d'un travail humain ; alors les plats... sont tous artificiels.


5. Comment vous voyez l'avenir de la cuisine moléculaire et de la cuisine note à note? Comment cette dernière  va-t-elle se développer? Y a-t-il des pays où publics plus "réceptifs" que d'autres?

La cuisine note à note  est l'exact équivalent de la musique électroacoustiquee, de la musique de synthès... qui est aujourd'hui partout ! Et je la présente, pays après pays. Elle est enseignée à des jeunes cuisiniers en France, au Danemark, au Japon, au Portugal, en Espagne... Et de plus en plus de gens s'y intéressent. Il faut donc attendre encore quelques années, et la tendance explosera.


6. Vous aimez cuisiner? Si oui, vous êtes plutôt cuisine terroir, moléculaire ou note à note? Si non, vous aimez bien manger?

Je cuisine depuis  que je fais de la chimie : à l'âge de six ans, et, dans ma famille alsacienne, on boit et on  mange tout le temps. Alors que je n'avais guère d'argent, j'ai conduit mes enfants dans des restaurants étoilés dès l'âge de deux ans (chez Michel Bras, ils s'en souviennent encore). Mais j'aurais tendance à dire aujourd'hui que si je très bon en technique culinaire (je sais faire plus de 40 litres de blancs en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf, je sais cuire des soufflés sans battre les blancs en neige, et je fais une invention par mois au minimum), je suis un nul artistique... surtout quand je me compare à mon ami Pierre Gagnaire, qui est un superbe artiste.
Et puis, il y a cette question sociale, où je ne suis pas bon non plus.
En réalité, je préfère de beaucoup les calculs, les équations, l'activité scientifique en général (sans quoi, d'ailleurs, cela fait longtemps que j'aurais ouvert un restaurant !).

Est-ce que j'aime manger ? Manger  : le mot est compliqué, et confus. J'aime à la passion manger et boire en excellente compagnie, et j'ai ce concept des "belles personnes", ceux qui me surprennent à chaque mot, qui me font voir des aspects du monde que je ne soupçonnais pas. Cela peut être un goût, mais aussi un livre, une idée...
Cuisine de terroir, moléculaire ou note à note ? Je crois que  là n'est pas la question. La vraie question, quelque soit l'époque, la technique, c'est de faire "bon", et c'est pour cette raison que j'ai fait un livre intitulé  "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".

jeudi 24 mars 2016

4. Êtes-vous déjeuner ou dîner ?

C'est pour moi, non pas une question de goût personnel, mais une question de contingence, car on doit d'abord se souvenir que je travaille beaucoup, peut-être excessivement. Ayant bien diné, je n'ai pas faim le matin, et, à midi, il m'arrive souvent, au laboratoire, de ne pas déjeuner, parce que je n'ai pas le temps, que j'ai beaucoup de choses à faire.  Cela m'arrange un peu, parce que j'ai quelques kilos en trop, mais il faut alors que je dîne. Dîner se fait alors en famille ; c'est un bon moment, on se détend, on parle, on fait des efforts pour s'intéresser à ceux que l'on aime.  Et puis, après les repas, on est un peu assoupi. Autant cela serait gênant après  le déjeuner, autant je ne fait de tort à personne en dormant pendant la nuit ! D'ailleurs, j'ajoute que  des moralisateurs nous signalent qu'il faut manger peu le soir, sans  quoi  le  sommeil est perturbé... mais je me demande si nous n'avons pas ce travers terrible de toujours ériger en loi générale ce qui ne vaut que pour nous.

Ce qui me conduit à prendre du recul sur ce paragraphe : en répondant à la question, j'ai indiqué un choix qui n'a aucun intérêt général, et j'ai donné des raisons qui ne valent que pour moi. Laissons faire chacun, d'une part, et, d'autre part, pourquoi  me pose-t-on des questions dont je crois qu'elles ne conduisent pas à des réponses éclairantes ? A moins que je n'en sois maintenant à faire le constat de mon insuffisance  : je n'ai pas réussi à faire quelque chose d'intéressant à partir d'une question un peu faible  !
Allons, il est temps de se reprendre... par exemple, en m'interrogeant sur la raison pour laquelle une telle question est posée. Je ne vais pas refaire le coup de l'alternative où l'on veut m'enfermer et dont je veux  sortir (en parlant du petit déjeuner, du goûter, du souper...). En revanche, je vois que la question veut mettre mon interlocuteur dans une certaine intimité, que, au fond, je refuse, parce que je ne crois pas ma petite personne suffisante pour mériter cet intếret. Il y a quelques années, quand Marie-Odile Monchichourt m'avait interrogée, en vue d'un livre sur mes rapports personnels avec la science, j'avais réécrit les réponses données pour leur conférer plus de généralité. C'était la même difficulté, et, au fond, le même mécanisme de réponse : au lieu  de donner un détail idiosyncratique, je m'étais  efforcé de trouver un peu de généralité dans l'affaire.
A contrario, pourquoi refuserait-on d'ouvrir sa porte à des amis ? En réalité, je ne refuse pas, mais j'aimerais tant qu'ils ne soient pas déçus, une fois entrés !