mardi 9 janvier 2024

Tu lis trop vite

 
Tu lis trop vite : il y a dans cette déclaration une réminiscence d'une phrase de Jean-Anthelme Brillat-Savarin,  l'auteur de ce merveilleux livre intitulé Physiologie du goût qui éblouit les gourmands tous les pays depuis sa publication en 1825. Toutefois, avec le "Tu lis trop vite", je pense à des questions d'enseignement plutôt que de gourmandise, comme on le verra plus loin.
Mais d'abord considérons la phrase de Brillat-Savarin, qui apparaît à la fin de l'avant-propos de la Physiologie du goût : l'auteur se met en scène avec un de ses amis qui veut le convaincre de publier ce livre qui est en réalité déjà publié, première coquetterie littéraire d'un livre qui n'est presque que cela. L'auteur était  en réalité non point un "physiologiste", non pas un "docteur", comme il se présente à ses lecteurs, mais un avocat un juriste, conseiller à la Cour de cassation, et le dialogue qu'il nous livre dans cet avant-propos est une deuxième coquetterie d'auteur : il dit à son ami qu'il ne peut pas publier un livre si différent des affaires sérieuses dont il s'occupe d'habitude. Son ami le menace  : "Si tu ne publies pas ton livre, je dirais au monde ton plus gros défaut.  Et quel est-il, demande l'autre tremblant ? Tu manges trop vite !
Oui, manger trop vite,  c'est un des un des gros défauts des gourmands, qui manquent ainsi  d'humanité parce qu'ils ne savent pas prendre le temps d'apprécier les bonnes choses, d'en parler, de transformer de la matière en culture. On passe vite de la gourmandise à la goinfrerie à ce compte-là !

Et nous arrivons maintenant à la question des études. Dans de nombreux billets, j'ai discuté le fait que, pour apprendre quelque chose, et pour savoir quelque chose, il faut l'apprendre sept fois (environ), et je crois avoir bien compris, en analysant les échecs de mes jeunes amis et de moi-même, que ces échecs sont dus à un temps insuffisant passé sur les notions que nous étudions.  Quand nous lisons, quand nous lisons trop vide, donc, nous sautons un mot de temps en temps, de sorte que les notions que ces phrases transportent nous échappent et notre apprentissage se fait mal.
Oui, c'est un fait  que nous lisons trop vite. Souvent  des cours que nous voulons apprendre nous paraissent compliqués, parce que nous les lisons trop vite, parce que nous ne prenons pas le temps d'analyser correctement leur contenu.
Bien sûr il existe de mauvais documents d'enseignement, qui compliquent notre apprentissage. On voit nombre de documents d'enseignement recopiés les uns sur les autres, éventuellement avec des erreurs introduites par ceux qui ont recopié. On voit des documents d'enseignements que l'on a du mal à comprendre... parce que  ceux qui les ont produit ne les comprenaient pas... J'ai vu cela de nombreuses fois, à propos de mécanique quantique, à propos de spectrométrie de résonance magnétique nucléaire, à propos de chimie organique... et l'on n'y peut rien car il y aura toujours une proportion d'enseignants qui ne seront pas au niveau où on voudrait les voir, tout comme il y a une proportion d'étudiants qui ne sont pas au niveau où les professeurs voudraient les voir. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est d'apprendre et pour apprendre, il faut aller lentement.
Laurent Schwartz, mathématicien qui a reçu la médaille Field (l'équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), a bien raconté que, dans sa jeunesse, il était très lent à comprendre et à apprendre, et il a expliqué qu'il  lui fallait en effet mettre les notions nouvelles au milieu des précédentes, comme on place une pièce dans un puzzle en constitution. En revanche, a-t-il dit, une fois que la notion était insérée et solidement assujettie aux autres, alors il était extrêmement rapide et extrêmement efficace.
C'est bien là la question : il s'agit de lire lentement, afin d'appréhender tous les mots, de voir leurs relations, de voir le sens qu'ils recouvrent, de comprendre le sens qu'ils recouvrent, et cela ne se fait pas rapidement. On ne lit pas un manuel de physique ou de chimie "en passant", car il y a essentiellement du concept à bien intégrer, lentement. Il s'agit de lire, et certainement aussi de relire mais d'abord il faut lire lentement et relire lentement.
Oui, en général, on lit trop vite !

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