dimanche 29 mai 2016

Faut-il manger des viandes cuites au barbecue ?

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :
"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut. Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.
Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes,  ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.
En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !
Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que pas la répétition des expositions.
D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.

 Je revendique surtout de la cohérence !

samedi 28 mai 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?

Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.
Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme", où nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée. Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande une chose : du travail, ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.

mardi 24 mai 2016

Coupes budgétaires dans la recherche !

Coupes budgétaires dans la recherche : huit grands chercheurs dénoncent « un suicide scientifique et industriel »


Un projet de décret a été présenté en commission des finances de l’Assemblée nationale, mercredi 18 mai, annulant 256 millions d’euros de crédits sur la mission « recherche et enseignement supérieur ». La commission doit se prononcer sur ce texte mardi. Dans une tribune, publiée par « Le Monde », sept Prix Nobel et une médaille Fields (une récompense équivalente pour les mathématiques), dénoncent « un coup de massue » et décrivent des mesures qui « s’apparentent à un suicide scientifique et industriel ».

 

 Hasards de l’actualité : nous avons appris le même jour que les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’Etat fédéral allemand ont augmenté de 75 % en dix ans, et que le gouvernement français annulait 256 millions d’euros des crédits 2016 de la Mission recherche enseignement supérieur (Mires), représentant un quart des économies nécessaires pour financer les dépenses nouvelles annoncées depuis janvier.

Au sein de ces mesures, on note que les principaux organismes de recherche sont particulièrement touchés, le CEA, le CNRS, l’INRA et Inria, pour une annulation globale de 134 millions d’euros.
Nous savons combien les budgets de ces organismes sont tendus depuis de longues années. Ce coup de massue vient confirmer les craintes régulièrement exprimées : la recherche scientifique française, dont le gouvernement ne cesse par ailleurs de louer la grande qualité et son apport à la R&D, est menacée de décrochage vis-à-vis de ses principaux concurrents dans l’espace mondialisé et hautement compétitif de la recherche scientifique. Exemple parmi d’autres, le gouvernement américain vient de décider de doubler son effort dans le domaine des recherches sur l’énergie.

Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années

Ce que l’on détruit brutalement, d’un simple trait de plume budgétaire, ne se reconstruit pas en un jour. Les organismes nationaux de recherche vont devoir arrêter des opérations en cours et notamment limiter les embauches de chercheurs et de personnels techniques. Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années.
Le message envoyé par le gouvernement n’incitera pas non plus la jeunesse à se tourner vers les métiers de la recherche scientifique et de la R&D en général.
Une analyse récente de la société Thomson Reuters plaçait trois organismes français, le CEA, le CNRS et l’Inserm, parmi les dix organismes publics les plus innovants au monde, illustrant ainsi le fait que notre pays dispose bien de la recherche de base et d’une R&D de qualité, conditions nécessaires pour mener à bien le redressement économique du pays.
Nous sommes encore loin des 3 % du PIB fixés comme objectif pour les dépenses de R&D par la stratégie Europe 2020, et nous n’y parviendrons pas en fragilisant à ce point les principaux organismes de recherche. Les mesures qui viennent d’être prises s’apparentent à un suicide scientifique et industriel.
Dans ce monde incertain, la qualité de notre recherche est un atout considérable. La recherche française est un des pôles reconnus de la science mondiale multipolaire et nous devons maintenir et consolider cette position enviable. Car il n’y a pas de nation prospère sans une recherche scientifique de qualité. Puisse le gouvernement français entendre cet appel.
Françoise Barré-Sinoussi (Prix Nobel de physiologie ou médecine)
Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel de physique)
Albert Fert (Prix Nobel de physique)
Serge Haroche (Prix Nobel de physique)
Jules Hoffmann (Prix Nobel de physiologie ou médecine)
Jean Jouzel (vice-président du groupe scientifique du GIEC, au moment où celui-ci reçoit le prix Nobel de la paix)
Jean-Marie Lehn (Prix Nobel de chimie)
Cédric Villani (médaille Fields)

dimanche 22 mai 2016

Quand le ver est dans le fruit...

Des amis me signalent qu'un journaliste qui ne me veut pas de bien (pourquoi ?) publie un article où il me cite. Effectivement, l'homme me cite... en indiquant que je serais "professeur de biologie moléculaire au Collège de France".
Il faut rectifier, tout d'abord : je ne suis pas professeur au Collège de France, d'une part ; ensuite, je ne suis plus au  Collège de France depuis 2006 (dix ans, donc : notre homme devrait travailler un peu avant d'écrire n'importe quoi) ; enfin je ne suis pas spécialiste de biologie moléculaire, mais je m'efforce de pratique la physico-chimie, ce qui est bien différent.
Bref, notre homme publie n'importe quoi, mais là n'est pas la question. La question que je propose de poser ici est une question générale, qui est de savoir quel crédit accorder à un texte où l'on voit de grossières erreurs ?

La question est générale, comme je viens de le dire : quand on lit un article et que l'on dépiste une erreur, ou quand on lit un devoir d'étudiant, ou quand on lit un livre, ou quand on écoute un discours, une présentation orale... Oui, si l'on voit que, au moins par moment, l'individu qui s'exprime en public dit n'importe quoi, pouvons-nous avoir confiance dans le reste ?
En principe, oui, bien sûr, une erreur factuelle, localisée, n'est qu'une erreur localisée, factuelle. Mais quand cette erreur est énorme, c'est quand même un signe que notre interlocuteur n'a pas fait beaucoup d'efforts, et la probabilité qu'il ou elle ait bâclé l'ensemble devient notable.
Surtout, il y a un doute, et l'ensemble du texte perd de sa crédibilité. De même, quand un ver est dans le fruit, il peut s'être logé au coeur, et n'avoir fait que des dégâts minimes... mais il peut aussi avoir rongé tout l'intérieur.

En écrivant ces mots, je tremble, bien sûr, que mes propres textes ne comportent des erreurs qui seraient considérées comme grossières par des amis plus savants que moi. Mon discours sera-t-il alors disqualifié ? Je tremble, aussi, rétrospectivement, car je me souviens d'erreur que je faisais, quand j'enseignais (et je fais peut-être encore des erreurs quand j'enseigne).
Par exemple, pour expliquer à des étudiants pourquoi l'huile ne se mélange pas à l'eau, je prenais la comparaison d'un sac empli de petits aimants et de petits morceaux de plastiques : les aimants auraient représenté les molécules d'eau, qui s'attirent assez fortement par des "liaisons hydrogène", tandis que les morceaux de plastique auraient représenté les molécules d'huile. Quand on secoue le sac, les aimants se groupent au fond, avec les morceaux  de plastique par dessus. Cette comparaison est fautive, car les molécules de l'huile (les triglycérides) sont quand même attirées par les molécules d'eau, par des "liaisons de van der Waals, mais c'est pour des raisons de désordre moléculaire qui diminue que les molécules d'huile ne se dissolvent pas dans l'huile. Mea culpa, pardon aux étudiants  qui ont été ainsi exposés à mes erreurs... qui me conduisent, plus que jamais,  à inviter les étudiants à ne pas se reposer sur des professeurs, à ne jamais accepter pour vrai que ce qu'ils ont pu vérifier, corroborer.

D'où cette maxime, "Tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire", que l'on peut rendre plus positive en "Dois-je croire au probable ?".

Vive les questions étiincelles

Le blog de Hervé This : http://www.agroparistech.fr/1-A-propos-de-ce-blog.html->http://www.agroparistech.fr


Quelle heure est -il ?  Sept heures trente-deux. Le dialogue a commencé, et il s'est arrêté. Ce n'était pas une bonne question pour encourager une discussion, telle que nous en souhaitons avec les amis. Et voilà pourquoi, si, effectivement, les questions appellent des réponses, il faut distinguer les questions étouffoirs et les question étincelles.




La suite sur http://www.agroparistech.fr/Les-questions-sont-des-promesses-de-reponse-faut-il-tenir-ces-promesses-Vive.html

samedi 21 mai 2016

A propos de réactions de Maillard

Dans d'autres lieux, j'ai expliqué que j'étais un peu  fautif d'avoir exagérément promu  les "réactions de Maillard", au point que, aujourd'hui, des personnes des métiers de bouche, ignorant toute l'histoire, m'expliquent que les réactions de  Maillard sont responsables de tous les brunissements que l'on observe en cuisine. On met  dit aussi que ces réactions n'ont lieu qu'à haute température.

Pourtant... Pourtant, les réactions de Maillard n'incluent pas les caramélisations, qui ont également lieu à haute température. Pourtant les réactions de Maillard ont également lieu (hélas)  à température ambiante, étant notamment responsables de l'opacification du cristallin des personnes souffrant de diabète !

Et puis, qu'est-ce qu'une réaction de Maillard ? Même le milieu des sciences de la nature, notamment des sciences et technologies des aliments, ont des idées parfois bien vagues à propos des réactions de Maillard.
Là, à l'occasion du Colloque du 4 février 2016, consacré aux  "réactions et produits de Maillard", j'ai refais une histoire chimique des  réactions de  Maillard, et je crois que tout est clair : alors que les réactions des sucres et des acides aminés étaient connues dès Schiff, Maillard n'a découvert qu'une chose, à savoir que les mêmes réactions avaient lieu avec des  peptides ou des  protéines à la place des acides aminés.

Un texte précis est en ligne sur http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-3-maillard-products-and-maillard-reactions-are-much-discussed-food. 


Ref: Hervé This, 2016.  “Maillard   products”   and “Maillard reactions” are much discussed in food science and technology, but do such products   and   reactions   deserve   their name? Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France / Academic Notes from   the   French   Academy   of   Agriculture , 3, 1-10.

dimanche 8 mai 2016

Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant.

Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant" : Cette phrase est de Cicéron, au moins, et je dois avouer que je ne comprends plus très bien pourquoi elle figure sur mon mur.
Bien sûr, dans les discussions politiques sur la pollution, la toxicité des aliments, etc., il y a lieu de considérer

voir la suite sur  http://www.agroparistech.fr/Un-homme-qui-ne-connait-que-sa-generation-est-un-enfant.html

samedi 7 mai 2016

Ce qu'est la cuisine note à note, et ce qu'elle n'est pas

Hier, un ami m'envoie un message me disant  "Je fais un superbe diner chez un de tes fans, adepte du note à note, et naturellement je pense à toi.

Merveilleux... mais quel est ce cuisinier qui ferait de la cuisine note à note sans que je le sache ?

La réponse contient : "extraction des saveurs individuelles d'une recette, puis assemblage, comme une composition à partir des notes. Exemple : extraction de petits pois incorporée ensuite à une cuisson de crème d'oignons. "


Evidemment, je suis très heureux que mes travaux  inspirent ce chef, qui semble faire très bien... mais ce n'est pas cela, la cuisine note à note.

Je rappelle donc ce que c'est : il s'agit de faire des plats à partir de composés purs, tels l'eau, la cellulose, les sucres, les acides aminés, les protéines, les lipides, etc.
Or, quand on fait une extraction d'un goût de petit pois, par exemple en les macérant dans l'huile, ou même en les distillant sous vide, on récupère un mélange de composés odorants ou sapides, et l'utilisation de ce mélange n'est pas assimilable à l'utilisation d'un composé pur.
Bien sûr, il y a la cuisine note à note "pure", où l'on utilise des composés purs, et la "cuisine note à note pratique", où l'on utilise des mélanges de quelques composés, mais il ne faut pas trop dériver, sans quoi l'idée "note à note" est perdue.

Je pressens que ce type de questions ne fait que commencer, et je me souviens d'un numéro de la revue Thuries Magazine, du temps de la cuisine moléculaire, qui demandait aux cuisiniers ce qu'ils pensaient qu'était la cuisine moléculaire. Il y avait même des chefs qui disaient que toute la cuisine était moléculaire, parce que les aliments étaient faits de molécules. Je veux bien que les chefs aient de l' "autorité"... mais ils auraient dû quand même se rapprocher de la définition : "la cuisine moléculaire, c'est la cuisine faite à l'aide d'ustensiles modernes, à savoir ceux qui n'étaient pas dans les cuisines de Paul Bocuse en 1976, tels les thermocirculateurs, siphons, azote liquide, extracteurs variés...".

Vous allez voir que, de même, la "cuisine note à note" va être interprétée, alors que sa définition est claire : "produire des aliments à partir de composés purs".

jeudi 5 mai 2016

Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer.


Par les temps qui courent, une phrase comme "Quand  les lois sont mauvaises, il faut les changer" fait évidemment penser aux députés. En réalité, cette phrase qui est sur le mur de mon bureau concerne d'abord les sciences de la nature, car ces dernières fondent leurs théories sur des lois... qu'il faut  absolument changer, qu'il faut sans cesse changer !

Voir la suite sur http://www.agroparistech.fr/Quand-les-lois-sont-mauvaises-il-faut-les-changer.html

dimanche 1 mai 2016

Pardon, je suis insuffisant… mais je me soigne

Je me souviens d'étudiants qui s'énervaient, parce que je ne trouvais pas immédiatement  la solution à des problèmes qu'ils venaient me soumettre et que mes conseils les conduisaient à faire et à défaire. Ou alors, quand je corrigeais leur compte rendu, je ne trouvais pas immédiatement la bonne formulation pour rectifier la formulation fautive qu'ils avaient employée.  Dans les deux cas, j'aurais pu les envoyer paître,  parce que, après tout, leur travail, c'est leur travail, et non le mien, mais j'ai toujours jugé plus pédagogique de leur présenter mes excuses, et d'avouer mes insuffisances.

Oui, je suis insuffisant, au point que je l'ai affiché en très gros caractères sur les murs de mon bureau. Et je préfère de loin quelqu'un qui avoue des insuffisances, à quelqu'un qui est très sûr de lui  et qui fait n'importe quoi. Evidemment, comme il est bien trop facile de répéter "Je suis insuffisant", afin de justifier paresse et médiocrité, j'ai ajouté à  la fin de la phrase un "mais je me soigne » !
Se soigner,  en matière de calcul, en  matière de raisonnement, en matière d'écriture, c'est travailler beaucoup pour parvenir à s'améliorer.  Le grand chimiste Michel Eugène Chevreul disait « Il faut tendre avec efforts à la perfection sans y prétendre ». Dans cette phrase, la perfection n'est pas très importante, et l'essentiel, c'est le « avec efforts ».
Oui,  nous sommes tous insuffisants, puisque la perfection n'est pas de ce monde, et notre seul recours, c'est de nous soigner, de travailler, d'y mettre du soin, de l'application, des efforts… Au minimum, si nous n'avons pas obtenu le résultat que nous visions, nous aurons au moins fait quelque chose, et nous pourrons en rendre compte, tendre le fruit de nos efforts à nos évaluateurs… à qui nous pourrons d'ailleurs (sans impertinence, bien sûr) soumettre les questions que nous nous posions et leur demander s'ils auraient fait mieux que nous et comment.
Mais je dévie vers la difficile question des évaluateurs. Ici, pour nous recentrer, je propose que nous soyons nous-mêmes ces instances d'évaluation de notre travail.