vendredi 29 décembre 2017

A propos d'émulsions

Une question ? Une réponse... mais pour tous !

Bonjour, je suis une élève de première S et je dois bientôt rendre mon TPE. Mais je ne comprend pas certaines informations à propos de l'émulsion huile-eau-œuf.
Je n'arrive pas à savoir s'il se forme des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile (composée elle même d'oxygène) et la molécule d'eau. Si il existe des liaisons hydrogène, se font-elles entre les atomes d'oxygène de la tête hydrophile de la molécule d'huile et les atome oxygène des molécules d'eau?
Je profite évidemment de l'occasion pour répéter que, en sciences de la nature, il est essentiel d'utiliser de mots appropriés, d'une part, et je propose, d'autre  part, de bien "ingurgiter les questions, les ruminer", avant de répondre. Pour ce second conseil, il s'agit de  reformulation, et c'est souvent l'occasion de s'apercevoir que la  question était  mal posée. 

Ici, que  mon interlocutrice soit une "élève de première  S" me va bien, et je comprends bien ce qu'est les TPE, puisque je répète que j'ai mis sur mon site une analyse du travail qui doit être fait dans ce cadre (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/applications-pedagogiques/second-degre/tpe-et-tipe). 
Puis notre jeune amie m'interroge sur "l'émulsion huile-eau-oeuf". Là, c'est bien moins clair, car les émulsions sont des systèmes où l'on disperse un liquide dans un autre liquide, non miscible avec le premier. 
Si notre jeune amie pense à la mayonnaise, ce n'est pas une émulsion huile-eau-oeuf, mais une "émulsion de type huile dans eau" (la terminologie est consacrée... et on pourrait conseiller de donner une référence). Et, pour faire une telle émulsion, de nombreux "composés tensioactifs" peuvent être utilisés. 
Composés tensioactifs ? Ce sont des composés qui abaissent l'énergie interfaciale eau/huile, comme indiqué dans un de mes cours en ligne d'AgroParisTech (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours/Cours_sur_des_points_particuliers). 
Bref, l'expression "émulsion huile-eau-oeuf" n'est pas claire, et je devine que notre jeune amie ne voit pas clairement comment une mayonnaise se construit : 
- on part d'un jaune d'oeuf, qui est une phase aqueuse (type eau), avec des protéines et des phospholipides dispersés ou dissous
- on ajoute du vinaigre, c'est-à-dire une solution aqueuse d'acide acétique (et de divers composés minoritaires), ce qui produit au total une solution aqueuse (de l'eau plus de l'eau, ça fait de l'eau ; pensons à un sirop de sucre mélangé à de l'eau salée)
- enfin, on disperse dans ce mélange aqueux de l'huile, en fouettant, pour obtenir une dispersion de gouttes d'huile  dans la phase aqueuse. 

Ouf, voilà la première étape faite  : comprendre le système. Passons  à "Je n'arrive pas à savoir s'il se forme des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile (composée elle même d'oxygène) et la molécule d'eau."
Là, si notre jeune amie est à la veille de rendre son TPE, elle doit se faire du souci. Des liaisons hydrogène entre la tête hydrophile de l'huile et la molécule d'eau ? 
Il faut commencer par expliquer que les liaisons hydrogène sont des liaisons qui s'établissent entre un atome d'hydrogène d'une molécule (par exemple une molécule d'eau) et un atome d'oxygène  d'une autre molécule, parce que cet atome  d'oxygène, qui a deux liaisons covalentes avec un ou deux atomes d'une molécule, a aussi une paire d'électrons, qui, négativement chargés, peuvent interagir avec l'atome d'hydrogène, si celui-ci est partiellement privé de  son électron, par l'atome  lié à lui. 

Je  vois que  tout cela est un peu confus, parce que général, et je propose donc de considérer l'exemple de deux molécules d'eau voisines, que je nommerai E1 et E2. 
Considérons un des atomes d'hydrogène de E1. Il est lié à un atome d'oxygène, mais l'oxygène a tendance à "tirer la couverture à lui"  : l'électrion de l'atome d'hydrogène  que nous considérions est plus attiré vers l'atome d'oxygène. De sorte que cet atome, partiellement chargé positivement, est attiré par l'atome d'oxygène de la molécule d'eau voisine E2. 

Ce qui est gênant, dans la question de notre jeune amie, c'est qu'elle évoque la tête hydrophile de l'huile... alors que cette fameuse tête n'existe pas ! 
Les molécules de l'huile sont des "triglycérides,"  avec un squelette qui est un résidu de glycérol, trois atomes de carbone, liés chacun à un atome d'hydrogène et à un atome d'oxygène qui fait le lien avec des résidus d'acides gras. Les acides gras ? Une chaîne d'atomes de carbone tous liés à des atomes d'hydrogène, mais avec, à une extrémité, un groupe acide carboxylique -COOH, avec un atome de carbone lié à un atome d'oxygène (=O), d'une part, et à un groupe hydroxyle (-OH), d'autre part. 
Parlons donc d'une molécule de triglycéride : elle n'a pas de "tête hydrophile" ! Et c'est bien pour cette raison que l'huile n'est pas soluble dans l'eau. Et, par conséquence, c'est pour cette raison que, pour disperser de l'huile dans de l'eau, il faut des molécules "tensioactives", telles celles de l'oeuf : les protéines, tout d'abord, et, ensuite, les "phospholipides" que sont les lécithines et leurs consines variées. 

Là, oui, pour les protéines ou les phospholipides, il y a une partie hydrophile (qui établit des liaisons, notamment  des liaisons hydrogène) avec les molécules d'eau, et des liaisons faibles avec les molécules d'huile. 
Par exemple, quand on fouette de l'huile dans une solution de protéines, on obtient des gouttes d'huile dispersées dans l'eau, avec les protéines déroulées à l'interface, les parties électriquement chargées ou hydrophile venant au contact de l'eau, et les parties non chargées et hydrophobes venant dans l'huile. J'ai mis des schémas de cela dans mes livres, par exemple "Les secrets de la casserole", ou "Révélations gastronomiques". 

Bref, pas de tête hydrophile des "molécules d'huile"... sans quoi il n'y aurait pas besoin de composés tensioactifs pour faire des émulsions !
















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mercredi 27 décembre 2017

Pour des confitures

Cet après midi, d'un correspondant :

Cherchant des informations sur l'intérêt des casseroles en cuivre, je découvre votre article sur le site espace-sciences  : http://www.espace-sciences.org/archives/bassines-en-cuivre-et-confiture. 
Malheureusement, il me laisse un peu perplexe, surtout votre dernière proposition d'expérience : faire deux confitures avec dans l'une un apport de sulfate de cuivre qui provoque le gel de la confiture, ce qui amène à la conclusion que le cuivre favorise la prise des confitures.
Je me demande plus particulièrement :
- quelle est la participation du souffre apporté par le sulfate ? (en dehors de probablement rendre la confiture immangeable ?  ;-) )
- est-ce que le cuivre joue un rôle de catalyseur (et donc se retrouve intégralement en fin d'expérience, par exemple après décantation), ou nécessite-t-il d'être dissous dans la confiture ? Votre phrase "le cuivre a réuni ces molécules" me laisse penser que nous serions dans le second cas, mais alors est-il raisonnable de penser que la cuisson dans une bassine en cuivre arracherait suffisamment de cuive aux parois pour participer efficacement à la prise ?

Merci à notre ami de me donner l'occasion d'apporter des précisions.

Oui, l'expérience décrite est merveilleuse, et je la redonne : on prend deux récipients en pyrex (pour lesquels il n'y aura pas d'échange avec le contenu), et l'on y chauffe, par exemple au four à micro-ondes, des quartiers d'orange avec un peu d'eau  et de sucre (c'est une expérience, pour l'instant). Puis, on ajoute une cuillerée de sulfate de cuivre (surtout ne pas le consommer !) dans un récipients, on chauffe alors à nouveau  les deux récipients, et on laisse refroidir.
On obtient alors, quand les quantités ont été bien choisies, des résultats parfaitement différents : quand on n'a pas de sulfate de cuivre, la préparation reste coulante, mais, avec le sulfate de cuivre, on a un gel ferme (et bleu  ; surtout ne pas le consommer !).
Cette expérience montre que des "ions divalents" comme le cuivre peuvent "ponter" les pectines (imaginons des fils qui flottent dans l'eau apportée par l'orange), ce qui renforce le réseau, contribue à la fermeté du gel.

Cela étant, pour répondre à notre ami, ce n'est pas tant le soufre qui est dangereux que le sulfate de cuivre, et sans doute plus l'ion cuivre que l'ion sulfate. Pour expliquer un peu, partons du sulfate de cuivre : il se présente sous la forme de cristaux d'un joli bleu.
 Résultat de recherche d'images pour "sulfate de cuivre"

Quand on met ces cristaux dans de l'eau, ils se dissolvent, libérant des atomes de cuivre (Cu) qui ont perdu deux de leurs électrons (raisons pour laquelle on les nomme des ions Cu2+), et des groupes faits d'un atome de soufre (S) lié à quatre atomes d'oxygène (O), plus deux  électrons ; ce sont ces derniers qui sont les ions sulfate (SO4 2-).



Les pectines, elles, sont des molécules dont on peut simplifier la description en indiquant qu'elles sont faites par la répétition, des milliers de fois, d'un sucre particulier qui est nommé acide galacturonique. Et ces molécules portent des groupes "acide carboxylique" faits d'un atome de carbone (C), lié à deux atomes d'oxygène, dont un est lié à un atome d'hydrogène (H).
Selon l'acidité du  milieu, ces groupes peuvent ou non se repousser, mais pour que les pectines se lient et forment l'architecture de la gelée, il faut que ces groupes n'aient pas perdu leur atome d'hydrogène (d'où l'ajout utile de jus de citron dans les confitures, par exemple)... ou bien que des ions "divalents", comme l'ion cuivre, pontent les pectines.



 

Cela étant, j'avais fait l'expérience décrite plus haut parce que j'avais également vu, dans une bassine en cuivre bien propre, où des framboises avaient été laissées quelques dizaines de minutes, que le cuivre avait été considérablement attaqué. Il passe donc du cuivre en solution, quand on cuit dans des bassines en cuivre, ce que l'on savait sans doute dans le temps, puisque l'on recommandait formellement de ne jamais laisser séjourner les confitures dans les bassines en cuivre.
Mais, surtout, je propose de remplacer les ions cuivre par d'autres ions divalents... et le calcium fait l'affaire ! Oublions le cuivre en cuisine !

Le cuivre joue-t-il un rôle de catalyseur ? Un catalyseur est un corps qui déclenche une réaction, mais se retrouve non consommé par la réaction, quand celle-ci a eu lieu. Ici, le cuivre participe à la réaction : il est "consommé" dans le pontage des pectines, de sorte que non, ce n'est pas un catalyseur. Donc oui, mon correspondant a raison de penser que le cuivre est dans la confiture... hélas, puisque le cuvire est toxique !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)