dimanche 12 juillet 2009

Une vieille lecture me revient... à point nommé quand on envisage la jovialité de la science et de l'enseignement

Alain, Propos sur le bonheur, XCII


"Il n’est pas difficile d’être malheureux ou mécontent ; il suffit de s’asseoir, comme fait un prince qui attend qu’on l’amuse ; ce regard qui guette et pèse le bonheur comme une denrée jette sur toutes choses la couleur de l’ennui ; non sans majesté, car il y a une sorte de puissance à mépriser toutes les offrandes ; mais j’y vois aussi une impatience et une colère à l’égard des ouvriers ingénieux qui font du bonheur avec peu de choses, comme les enfants font des jardins. Je fuis. L’expérience m’a fait voir assez que l’on ne peut distraire ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes.
Au contraire, le bonheur est beau à voir ; c’est le plus beau spectacle. Quoi de plus beau qu’un enfant ? Mais aussi il se met tout à ses jeux ; il n’attend pas que l’on joue pour lui. Il est vrai que l’enfant boudeur nous offre aussi l’autre visage, celui qui refuse toute joie ; et heureusement l’enfance oublie vite ; amis chacun a pu connaître de grands enfants qui n’ont point cessé de bouder. Que leurs raisons soient fortes, je le sais ; il est toujours difficile d’être heureux ; c’est un combat contre beaucoup d’événements et contre beaucoup d’hommes ; il se peut que l’on y soit vaincu ; il y a sans aucun doute des événements insurmontables et des malheurs plus forts que l’apprenti stoïcien ; mais c’est le devoir le plus clair peut-être de ne point se dire vaincu avant d’avoir lutté de toutes ses forces. Et surtout, ce qui me paraît évident, c’est qu’il est impossible que l’on soit heureux si l’on ne veut pas l’être ; il faut donc vouloir son bonheur et le faire.
Ce que l’on n’a point assez dit, c’est que c’est un devoir aussi envers les autres que d’être heureux. On dit bien qu’il n’y a d’aimé que celui qui est heureux ; mais on oublie que cette récompense est juste et méritée ; car le malheur, l’ennui et le désespoir sont dans l’air que nous respirons tous ; aussi nous devons reconnaissance et couronne d’athlète à ceux qui digèrent les miasmes et purifient en quelque sorte la commune vie par leur énergique exemple. Aussi n’y a-t-il rien de plus profond dans l’amour que le serment d’être heureux. Quoi de plus difficile à surmonter que l’ennui, la tristesse ou le malheur de ceux que l’on aime ? Tout home et toute femme devraient penser continuellement à ceci que le bonheur, j’entends celui que l’on conquiert pour soi, est l’offrande la plus belle et la plus généreuse. J’irais même jusqu’à proposer quelque couronne civique pour récompenser les hommes qui auraient pris le parti d’être heureux. Car, selon mon opinion, tous ces cadavres et toutes ces ruines, et ces folles dépenses, et ces offensives de précaution, sont l’œuvre d’hommes qui n’ont jamais su être heureux et qui ne peuvent supporter ceux qui essaient de l’être. Quand j’étais enfant, j’appartenais à l’espèce des poids lourds, difficiles à vaincre, difficiles à remuer, lents à s’émouvoir. Aussi il arrivait souvent que quelque poids léger, maigre de tristesse et d’ennui, s’amusait à me tirer les cheveux, à me pincer, et avec cela se moquant, jusqu’à un coup de poing sans mesure qu’il recevait et qui terminait tout. Maintenant, quand je reconnais quelque gnome qui annonce les guerres et les prépare, je n’examine jamais ses raisons, étant assez instruit sur ces malfaisants génies qui ne peuvent supporter que l’on soit tranquille. "

lundi 29 juin 2009

Encore du soufre... en cuisine!

On nous dit que la chimie nous empoisonne, et j'ai déjà répondu que non, c'est plutôt la cuisine.
Ce soir, par hasard, j'en trouve une nouvelle preuve dans Le Livre d'or de la grande cuisine française, publié par les Annales en 1912 (réédition Philippe Sers, 1984). Page 15, dans la partie "Berri", j'y trouve cette recette de :

Fruits soufrés
N'avez vous pas regretté bien souvent qu'il soit si court le temps de fruits? En cueillant des prunes dorées, qui s'amollissent sous vos doigts, en soulevant la peau duveteuse d'une pêche savoureuse, en partageant une poire toute fondantes et juteuse, ou bien encore, dans les bois, tandis que l'odeur subtile des fraises montait jusqu'à vous, n'avez-vous pas désiré bien souvent en garder jalousement pour l'hiver? Écoutez-moi, si vous souhaitez -alors que cerises, abricots ou framboises sont en abondance- en mettre de côté pour la mauvaise saison.
Si ce sont des abricots que vous voulez conserver, coupez-les en deux, enlevez le noyau ; si ce sont des pêches, même opération, mais après les avoir pelées. Au contraire, choisissez de belles cerises, framboises et prunes, pas trop mûres, laissez-les entières, avec, aux cerises et aux prunes, un petit bout de queue. Coupez une mèche à soufrer en morceaux, que vous disposez sur une tôle , allumez le soufre et renversez dessus des bocaux à goulot pas trop large. Faites un sirop, à la proportion d'une livre de fruits frais cueillis, un demi-litre d'eau claire, un quart de livre de sucre cassé. Mettez votre sirop dans la bassine dorée et reluisante, sur un bon feu. Après un bouillon, versez vos fruits. Encore un bouillon. Retirez. Remplissez vivement les bocaux. Tenez d'un côté du goulot un morceau de parchemin, de l'autre, une mèche soufrée allumée. Lorsque la mèche s'éteint, le goulot est vide d'air. Appliquez très vite le parchemin et nouez comme pour les pots de confiture.

Le soufre qui brûle? Il faut être bien ignorant pour ne pas savoir qu'il engendre du dioxyde de soufre, que bien de nos concitoyens d'aujourd'hui récusent. On se plaint de maux de tête au moindre soupçon de soufre... mais j'aurais bien voulu doser les quantités considérables qui devaient contaminer les fruits soufrés.

Et puis le nom!

samedi 27 juin 2009

Art et science

Art et science ? Arts et sciences ? C'est une sorte de tarte à la crème, et pas un prix Nobel qui joue en amateur (voire très bien, on a le droit) d'un instrument de musique n'échappe à l'inévitable conférence sur ce thème.

Pourtant, je crois qu'il n'y a aucune relation.


Entendons-nous bien : je crois qu'il n'y a aucune relation entre l'art et la science, mais pas entre les artistes et les scientifiques, et je ne dis pas qu'il n'y ait pas des influences de l'un sur l'autre, et vice versa.

Je crois surtout qu'il faut clarifier l'affaire.



La croyance d'une union possible me semble aussi fautive que la confusion entre science et technologie, au moins dans le principe. Dans les deux cas, j'ai l'impression que la confusion résulte d' un idéalisme platonicien mal venu.

Science et technologies tout d'abord. La simple monosémie de la langue française doit conduire à penser que si les deux activités se recouvraient, il n'y aurait évidemment pas besoin de deux noms pour pour les distinguer. La seule existence de noms différents , c'est-à-dire de catégories distinctes, montre à l'évidence il s'agit de deux champs.
Ont-ils une intersection non vide ? Il faudra y regarder de plus près, mais l'analyse des spécificités de chaque champ conduit en réalité à distinguer les deux, comme cela fut montré lors des Cours de gastronomie moléculaire 2008 (le livre du cours devrait paraître -enfin!- le 25 août prochain, mais redisons la chose : la science, recherche des mécanismes des phénomènes, n'est pas la technologie, études des techniques en vue de leur transformation.

Art et science... Là encore, nous avons deux champs. Et il s'est trouvé des penseurs font (Henri Poincaré par exemple) pour dire qu'on ne faisait de science qu'avec art. Oui, mais quel art ? L'art du médecin ? L'art du cordonnier ? Le mot "art" a tant changé d'acceptions au cours des siècles que le débat est difficile si nous ne le simplifions pas un peu en définissant l'art comme cette activité qui veut produire de l'émotion.
L'art se distingue donc de la science qui, elle, se moque de l'émotion, et cherche les mécanismes des phénomènes, comme nous l'avons vu.

Que vient faire ce pauvre Platon dans toute cette affaire? Platon reste celui qui a proposé l'idée des Idées, celui qui, quand on le suit, nous pousse à écrire "Art", et non "art", "Science", et non "science".
La encore, commençons par la science et la technologie. Oui, la science et la technologie sont des champs distincts, mais oui, aussi, un même individu qui se livre à des activités scientifiques passe quasi nécessairement par des étapes techniques, ou technologiques. Lors d'une quête de mécanismes des phénomènes, un travail scientifique, donc, la mise au point d'une méthodes d'analyse, par exemple, relève bien souvent de la technologie, et non de la science. Pourtant, elle peut s'imposer, pour conduire à la découverte.

De même pour l'art et la science : on peut faire de la science avec art, comme disait Poincaré, et un(e) scientifique peut avoir un style (doit-il même?). Toutefois je propose d'imaginer le chemin de l'artiste comme un chemin, orienté tout entier vers la production de l'émotion ; à côté, sans croiser celui-ci, un autre chemin s'étend, tout entier dirigé vers la recherche des mécanismes des phénomènes.
Les chemins sont parallèles, si l'on veut, ils ne se coupent pas. En revanche, les êtres humains qui marchent sur ces chemins ont évidemment le droit d'en sortir, de faire un pas de côté, et de se retrouver. L'artiste peut avoir envie de s'inspirer de résultats produits par le scientifique. Il peut être aussi être inspiré par de tels résultats, comme on l'a vu à l'envi avec l'affaire des fractales.

Le scientifique, lui, peut aussi décider de se pencher sur le champ technique particulier que l'artiste met en oeuvre. Ce champ technique produit en effet une foule de phénomènes qui méritent considération, intérêt, étude. Et puis, comme on l'a vu, le scientifique, qui peut être technologue à ses heuers, peut avoir lui-même l'idée d'applications de ses travaux, ou des travaux de ses collègues. Cela le conduit à tendre à son ami artiste des objets technologiques ou techniques dont il sera fait artistiquement usage.

Et c'est ainsi que la science et l'art peuvent faire quelques pas ensembles. Chacun garde sa spécificité, ses méthodes, ses objectifs, mais les êtres humains se rencontrent.

"Si tu veux que les hommes s'entendent, fais leur faire des choses ensemble", disait Saint Exupéry.

vendredi 22 mai 2009

Les questions du jour

La cuisine moléculaire est-elle une cuisine chimique ?

Il se dit beaucoup de bêtises à propos de la cuisine moléculaire. Par exemple, certains disent que toute cuisine est moléculaire, puisque les aliments sont tous faits de molécules. C'est méconnaître ce qui a été nommé « cuisine moléculaire » vers 2001. À l'époque, le monde confondait la science nommée gastronomie moléculaire et ses applications en cuisine. Pour bien distinguer la science, qui produit des connaissances, et la cuisine, qui produit des mets, l'expression "cuisine moléculaire" a été introduite. Elle ne signifie évidemment pas que l'on cuisine avec des molécules, puisque toute cuisine se fait ainsi. Sa vraie définition est : une cuisine qui utilise de nouveaux ustensiles, de nouveaux ingrédients, de nouvelles méthodes.
Par exemple, le monde culinaire "clarifie" les bouillons, ce qui signifie que l'on cherche à produire des liquides parfaitement limpides à partir de bouillons de viande qui sont troubles. À cette fin, la cuisine classique utilise des blancs d'œufs qu'elle fouette et qu'elle chauffe avec les bouillons. C'est du gâchis, puisque des filtres de laboratoire permettent de clarifier les bouillons mieux que le procédé classique, et sans gâcher de blancs d'œufs. Un exemple d'ingrédients « nouveaux » : la gélatine est utilisée comme gélifiant, par exemple dans les bavarois, depuis longtemps. Toutefois, de nombreuses populations, notamment en Asie, utilisent des gélifiants extraits des algues. D'ailleurs, la Bretagne connaît bien l'utilisation de tels gélifiants. Ces gélifiants sont « nouveaux » en cuisine, mais évidemment pas dans d'autres champs, telles la cosmétique ou l'Asie.
De nouvelles méthodes ? Le « chocolat Chantilly » introduit dès 1995, est une façon d'obtenir des mousses aux chocolat sans blancs d'œufs. On voit sur cet exemple que la question n'est pas de faire de la cuisine pour riches, mais, au contraire, de se préoccuper d'économie domestique. C'est cela, la cuisine moléculaire.
Rien à voir donc avec une « cuisine chimique »... qui d'ailleurs ne peut pas exister, car qu'est-ce qu'un "produit chimique" ? L'eau est-elle un produit chimique ? On l'utilise en cuisine, mais on l'utilise aussi dans les laboratoires de chimie. Pour autant, c'est toujours de l'eau, et ainsi de suite avec de nombreux autres composés : gélatine, acide tartrique, vitamine C, éthanol... A la réflexion, on ne devrait nommer « produits chimiques » que des produits qui sont utilisés par des chimistes. Rien à voir avec les « composés », qui, eux, peuvent être utilisé ou non par les cuisiniers. Il faut dire avec force que la chimie est une science et que, de ce fait, elle ne pourra jamais être en cuisine. En effet, la science produit des connaissances, tandis que la cuisine produit des mets. On ne mettra pas des connaissances dans les assiettes, mais des mets, qui auront été préparé par les cuisiniers.
La confusion résulte sans doute de l’usage souvent inapproprié du mot « naturel ». Est naturel ce qui est présent dans la nature. De ce fait, aucun de nos aliments n'est naturel, et il faut combattre un certain marketing industriel, auquel nous devrions refuser le droit d'utiliser le mot "naturel".


Quelle cuisine appréciez-vous personnellement ?


Amusant : la question a fait l'objet d'une discussion avec mes enfants, hier soir. Nous regardions un livre de cuisine de 1995, et nous étions étonnés de voir combien les recettes ressemblaient à celles des siècles passés. Tous les arts ont évolué, mais la cuisine était restée immuable, avant la cuisine moléculaire. Les mêmes poulets rôtis, les mêmes cassoulets, les mêmes poulardes farcies... Pourtant, il y a de la place pour le changement, cuisine moléculaire ou pas. Une préparation que j'apprécie ? Tout dépend de l'humeur, de l'heure de la journée, de la saison, de l'exercice physique que j'ai fait au nom, de l'activité que j'ai eue... Et puis, la cuisine n'est-elle pas d'abord de l'amour, avant d'être de l'art et de la technique ?
A côté de cuisines très modernes, surprenantes, j’adore la galette bretonne, complète, avec un bon jambon, avec un fromage qui ait du goût, suffisamment cuite, croustillante en surface et tendre plus au centre... Quel bonheur ! Une huître nature, une de ces toutes petites huîtres au goût de noisette... Une tranche de ce pain très noir de Fouesnant avec un peu de bon beurre salé, une goutte de citron... Quel bonheur ! A la réflexion, je ne suis pas délicat :je veux tout, le classique et le moléculaire à la fois.


La cuisine moléculaire est-elle un effet de mode ?


Oui, il ne se passe pas une journée sans qu'Internet ne nous révèle de nouvelles productions de cuisine moléculaire par un chef chinois, japonais, espagnol, russe... C'est un fait que la cuisine moléculaire est à la mode. C'est un fait aussi que Ferran Adria, en Espagne, est un cuisinier qui travaille dur et intelligemment : il n'est pas donc étonnant que ses productions soient tout à fait remarquables, éblouissantes. Est-ce de la cuisine ? Si l'on nomme cuisine l'activité qui consiste à produire des mets, alors sans hésiter, c'est de la cuisine. Est-ce une mode ? Certainement, mais il faut savoir que les modes passent. Depuis 1994, je ne cesse de me demander quel mode nouvelle succédera à la cuisine moléculaire. Et c'est ainsi que j'ai proposé le constructivisme culinaire, où il s'agit, en élaborant les mets, d'obtenir des sensations sur mesure. J'ai aussi proposé la cuisine « note à note », qui consiste à faire usage de composés pour élaborer les mets. Au-delà des modes, ces chantiers sont merveilleux parce que ce sont des invitations à travailler. En cuisine, il en va comme en littérature : l'écrivain est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, alors il cherche et il trouve mieux.

Travaillez-vous avec de grands chefs ?
Pierre Gagnaire est mon ami. Chaque mois, je produis « pour lui » une invention, une innovation, que je lui donne, et qu'il doit mettre sur son site Internet à la disposition de tous, gratuitement, accompagnée de recettes qui mettent en œuvre l'invention.
Autrement dit, c'est pour le monde entier de la cuisine que je travaille, et non pas seulement pour Pierre Gagnaire ou pour quelques chefs choisis. En réalité, depuis le 23 mars 1980, je ne cesse de travailler pour tout ceux qui cuisinent, à la maison, dans les restaurants, et pourquoi pas aussi dans l'industrie alimentaire. Aujourd'hui, agent de l'État (puisque je suis payé par l'INRA), je dois mon travail à la population française qui paye mon salaire et fait fonctionner mon laboratoire. Évidemment, je cherche de toutes mes forces à contribuer au développement du tourisme, au bon fonctionnement de l'industrie alimentaire, mais surtout, à l'économie domestique, pour chacun d'entre nous. Le chocolat Chantilly déjà évoqué est une façon de ne pas gaspiller inutilement des blancs d'œufs pour faire des mousses chocolat. Ce n'est qu'un exemple ; j'espère qu'il permet de comprendre que toute personne qui cuisine est mon souci essentiel.

mardi 19 mai 2009

Une bonne nouvelle

Je reçois ce matin une équipe de tournage de France 3, envoyée par la rédaction pour examiner ce qu'il en est d'une possibilité de danger de la cuisine moléculaire.

Le journaliste m'avoue que sa rédaction en chef risque d'être déçue : à part trois journalistes activistes, il n'y a pas de trace de problème!

dimanche 17 mai 2009

Enseignement et jovialité

Apprend-on mieux quand on est heureux ou ennuyé?
Ce serait bien... ennuyeux si des études rigoureuses montraient qu'il faut s'ennuyer pour bien apprendre... mais je doute que de telles études puissent survenir : quand on s'amuse à faire quelque chose, on le fait davantage, on y passe plus de temps... et il semble que ce soit là la clé du succès des entreprises, d'enseignement comme des autres : Labor improbus omnia vincit (un travail acharné vient à bout de tout).

Faisons donc l'hypothèse que la jovialité favorise l'apprentissage. La conclusion s'impose alors : il faut que l'étudiant soit heureux, que l'enseignant soit jovial.

D'où la question : comment nous y prendre pour faire des enseignements joviaux... alors que, parfois, une concentration soutenue est indispensable ("je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse", disait Jorge Luis Borgès)?

J'invite enseignants et étudiants à réfléchir collectivement à cette question, dont dépend le succès "scolaire" de tous ceux qui nous suivront.

mercredi 13 mai 2009

La "cuisine moléculaire" est morte, vive la Cuisine Rénovée

Les modes sont faites pour passer, mais les idées fortes restent.

Au début, il y avait (jusqu'en 2001 environ) la confusion entre la gastronomie moléculaire, qui est de la science, et l'application de cette science, sous la forme de nouvelles méthodes, de nouveaux ingrédients, et de nouveaux outils. Il fallut créer un nom en urgence, et la terminologie "cuisine moléculaire" s'imposa, avec d'ailleurs beaucoup d'incompréhension et de confusion, surtout de la part de ceux qui n'avaient pas fait l'effort de comprendre de quoi il s'agissait, ou de ceux qui ne savaient pas que le mot "gastronomie" ne signifie pas "cuisine d'apparant", mais "connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit" (Brillat-Savarin).

Puis, cette cuisine devint très à la mode... et elle se développe encore dans le monde entier.
Toutefois, sachant que les modes se démodent, il y a belle lurette que j'ai posé la question "Quelle cuisine après la cuisine moléculaire"?

C'est ainsi que furent proposés :
- le constructivisme culinaire
- la cuisine note à note.

Ces deux propositions sont belles, il n'y a pas de regrets à avoir, mais que les travaux sont difficiles, intellectuellement! Il y a beaucoup de travail à faire avant que l'on puisse donner des connaissances "clé en main".

En attendant, la cuisine moléculaire a atteint l'âge où une nouvelle génération de cuisiniers se met au travail, et n'a pas envie d'endosser les habits du grand père. Il y a le besoin d'une mode différente, et le mot "moléculaire" n'a sans doute pas sa place dans la terminologie utilisée, non pas que j'ai honte de la chimie que j'adore, bien au contraire (Vive la chimie, puisque c'est une science, productrice de connaissances, et, à ce titre, un honneur de l'esprit humain!), mais surtout parce qu'il est source de confusion : n'ai je pas vu des cuisiniers étoilés dire que toute la cuisine était moléculaire puisque tout est fait de molécules (ce qui n'est pas vrai, d'ailleurs, mais passons sur ce détail).

Il faut une terminologie positive, pour que la cuisine continue à se perfectionner, en se débarrassant des ustensiles vieillots, des pratiques périmées, des ingrédients contestables...
Quel nom proposer ?

Je vois surtout qu'il s'agit de "faire du ménage" dans cette "maison héritée de nos aïeux. Ne pas tout jeter trop vite, ne pas tout changer sans réflexion, mais quand même, rénover.

Rénover : les ustensiles, les pratiques, les méthodes, les ingrédients...


Au fait, pourquoi l'après cuisine moléculaire ne serait-il pas une rénovation de la "cuisine obscure" de nos anciens?

Vive la...

CUISINE RENOVEE

?

samedi 9 mai 2009

Un détail...important

Evidemment, notre monde souffre de la confusion entre "naturel" et "artificiel", mais, la confusion résulte aussi de la confusion entre le synthétique et l'artificiel.
Tout cela est discuté dans La sagesse du chimiste (Editions L'oeil 9), et je ne vais pas y revenir ici.
Toutefois, puisque ce blog est public, profitons-en pour discuter la question de "composé chimique".

L'eau est-elle un "composé chimique"? Tout dépend.
Si l'eau est bue, elle n'est pas un composé chimique, puisqu'elle est un composé (qui peut être) naturel.
L'eau peut être synthétique, quand elle résulte d'une synthèse, telle celle qui fut proposée par le grand Antoine Laurent de Lavoisier.
Enfin, elle peut être chimique... quand elle fait l'objet de l'étude d'un chimiste, et seulement dans cette circonstance.

Le corollaire, c'est que les composés chimiques ne seront jamais en cuisine. Dès qu'ils sortent du laboratoire de chimie, ce ne sont plus des composés chimiques, mais des composés.
Certains sont synthétiques, d'autres non, mais hors du monde de la chimie, aucun composé n'est chimique.
Et il est vrai, ainsi, que le soufre des volcans est naturel, tout comme l'arsenic.

Clarifions!

dimanche 3 mai 2009

Les chiens aboient

Des amis me signalent livres ou articles qui attaquent la cuisine moléculaire.

Je crois la défense très inutiles : aux échecs, c'est une position perdue. Il faut toujours attaquer... quand on est engagé dans la guerre.

Une autre position consiste à dire que les chiens aboient, et que la caravane passe.
De toute façon, la réfutation des croyances est une mission impossible : on ne combat pas la foi par la raison.

Je propose plutôt de nous émerveiller, puisque nous sommes humains en proportion de notre capacité d'admirer (pensons aux pauvres chiens dont je parlais, dans cette optique!).

Emerveillons-nous que la gélatine, l'oeuf, les protéines laitières, divers polysaccharides extraits de végétaux ou d'algues puissent rendre de l'eau solide. La gélification est un merveilleux processus!

Emerveillons-nous que l'acide ascorbique (du jus de citron, mais aussi à l'état pur) puissent prévenir le brunissement des pommes, bananes, avocats... coupés.

Emerveillons-nous autant que nous pouvons... et posons-nous la question, avec Voltaire :
"N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas. Il faut être prudent mais non pas timide." (Voltaire, Pensées détachées de M. l'abbé de Saint-Pierre).

Cette phrase est une invitation à tous les amis qui me lisent, à combattre ceux qui aboient. Eux, qui ne sont pas attaqués, auront une vraie voix dans un débat confisqué par quelques journalistes qui ont peur.

Soyez assurés que, de mon côté, je ne perds pas un moment pour produire de la connaissance et la diffuser (gratuitement, contrairement aux journaux, qui doivent vendre du papier).

Vive la connaissance ! Vive la raison !

Militons!

Alors que je trouve dans La Revue (des Toques blanches internationales) un extraordinaire article qui fait état de la difficulté (impossibilité?) de cultiver professionnellement des fruits sans utiliser de pesticides (La Revue, N°72, p. 13 : Fruits et légumes : la production française en danger, par E. Uminsky), je comprends que Voltaire avait bien raison, quand il écrivait :

N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas. Il faut être prudent mais non pas timide.
(Pensées détachées de M. l'abbé de Saint-Pierre)

Alors que s'agitent quelques ayatollahs de la "nature" ou du "terroir", ne devrions-nous pas nous mobiliser pour montrer combien la chimie est belle?

lundi 27 avril 2009

Pour les saveurs des acides aminés

Pour les saveurs des acides aminés Une partie du monde oriental a contaminé une partie du monde occidental avec l’idée de la saveur « umami »… et je suis en partie responsable de la diffusion de cette idée fausse de l’umami. 

Voilà pourquoi je cherche aujourd’hui à me rattraper en proposant une idée plus juste. 

 

L’umami est le nom qui a été donné il y a environ un siècle par un Japonais qui, par fermentation, a obtenu de l’acide glutamique. La saveur de cet acide aminé n’étant ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère, il a donné le nom d’umami, « délicieux ». 

A la réflexion, l’idée d’une saveur nouvelle n’était pas extraordinaire, puisque le bicarbonate de sodium, ou l’éthanol, ont aussi des saveurs qui ne sont ni salées, ni sucrées, ni acides, ni amères. Toutefois, le Japonais en question était un homme d’affaire avisé, qui, pour vendre son composé (ou plus exactement du monoglutamate de sodium), a payé des études. 

On a alors dit que cette saveur était celle du dashi, le bouillon que les Japonais produisent par infusion courte d’algues de type kombu dans de l’eau, ce qui fait passer en solution deux acides aminés : l’alanine, et l’acide glutamique. Mais alors, l’umami est-elle la saveur du dashi, ou bien celle de l’acide glutamique, ou encore celle du monoglutamate de sodium ? Car ces saveurs sont différentes. 

 

La confusion commence ici. Elle se poursuit quand on cherche l’umami dans les fruits de mer, la tomate ou le parmesan, qui contiennent également de l’acide glutamique. La tentation est alors grande de faire penser que tous ces produits sont « bons » parce qu’ils ont la saveur umami. 

Ouais… J’invite à goûter les divers acides aminés, et à observer leurs intéressantes saveurs. Et si l’umami est la saveur de l’acide glutamique, j’invite à penser que ni le dashi ni le monoglutamate de sodium n’ont stricto sensu la saveur umami. 

D’ailleurs, pourquoi nommer umami une saveur qui est celle de l’acide glutamique ? La saveur de l’acide glutamique, c’est… la saveur de l’acide glutamique. Tout comme la saveur de la tyrosine (un autre acide aminé) est la saveur de la tyrosine, et ainsi de suite pour les divers acides aminés.

La science doit être considérablement revalorisée

La science doit être considérablement revalorisée

Dans notre monde, la valeur des choses est souvent –c’est un fait, une constatation, pas une volonté personnelle- la valeur financière. Un tableau de Picasso vaut cher ? L’œuvre est donc importante.
Pour l’activité des « travailleurs », également, sont en balance l’intérêt intrinsèque du travail, son intérêt extrinsèque, des intérêts concomitants. Un emploi particulier n’attire pas ? Il faudra payer cher des individus pour qu’ils le fassent. Les candidats à un poste sont nombreux ? L’employeur pourra faire la fine bouche, et imposer de bas salaires.

Et la science, dans tout cela ? C’est un fait que les salaires des scientifiques (on observera que je parle des scientifiques, pas des « chercheurs ») ne sont pas élevés (par rapport aux salaires des industriels) : cela n’incite pas notre collectivité à considérer que les productions des scientifiques sont importantes socialement, économiquement. De ce fait, les connaissances produites par la science risquent de moisir dans des publications scientifiques, et les scientifiques eux-mêmes ne sont pas incités à publier les résultats de leurs travaux.

Ma proposition : payer beaucoup plus les scientifiques !

« Démontré scientifiquement » est un oxymoron

« Démontré scientifiquement » est un oxymoron

Nous entendons un interlocuteur dire que quelque chose a été « démontré scientifiquement » ? Méfiance !!!!

Méfiance, parce que la science ne cherche pas à démontrer, et que la démonstration est l’apanage des mathématiques. La science, elle, ne fait que réfuter des théories qu’elle sait être insuffisantes. On ne peut pas « démontrer » l’existence des atomes ou des molécules, par exemple, mais on peut seulement corroborer l’idée de leur existence, par des expériences qui établissent plus ou moins fermement l’idée de l’existence d’entités –atomes ou molécules- auxquelles on prête des propriétés qui évoluent selon l’état de nos connaissance. Ainsi, alors que l’atome a été d’abord considéré comme une sorte de système solaire miniature, avec des électrons tournant autour du noyau, quelques travaux de physique quantique ont montré que les propriétés des atomes ne s’expliquaient pas par ce modèle.
Ce qui est pire, c’est que c’est souvent dans des champs bien compliqués que l’expression « démontré scientifiquement » est employée ; pis encore, c’est bien souvent l’industrie qui utilise cette expression, pour affirmer des faits qui, évidemment, sont en faveur de la prétendue qualité de ses produits.
Je ne dis pas ici que l’industrie ne produit pas des produits de qualité (bien que la qualité soit toute relative), mais je dis ici que la science est bien souvent prise en otage par une certaine industrie, qui parle à son aise des démonstrations faites par des scientifiques, afin de vanter ses productions. Cette industrie est alors soit malhonnête, soit ignorante de ce qu’est la science.

Apprenons nous-mêmes, enseignons à nos enfants à ne pas tomber dans le panneau de la prétendue « démonstration scientifique », puisqu’il n’existe pas de démonstration scientifique !

Que dire alors, de faits qui auraient été étudiés ? Si un fait est établi (aux exceptions près de la règle), alors il est établi, pas démontré. Si le fait a été établi avec rigueur, alors il a été établi « rigoureusement ».

Pourrait-on admettre qu’un fait soit établi scientifiquement, s’il a été établi par un scientifique. Non, impossible, puisque le scientifique ne cherche pas à établir des faits, mais à réfuter des théories et à proposer des mécanismes qui contribuent à l’explication des phénomènes sans en donner le mot final.

Je propose donc de nous limiter à « établi rigoureusement ».

Quand on aura tout changé (ingrédients, façons de cuisiner, de manger, etc. ), que pourrons-nous proposer de plus ?

Depuis des décennies, je propose de questionner ce que nous mangeons. Récemment, par exemple, je proposais d’asseoir les cuisiniers, au lieu de les laisser debout, dans le stress, dans le bruit et dans la chaleur. Il y a une dizaine d’années, je proposais de remplacer tous les systèmes de chauffage par des systèmes plus efficaces énergétiquement que ceux que nous avons, afin d’éviter de chauffer l’atmosphère du Globe au lieu de ne chauffer que les aliments. Il y a une vingtaine d’années, j’ai proposé d’introduire en cuisine des composés purs, aux goûts inédits. Récemment, j’ai aussi proposé de changer la façon de servir, en salle ; et les ustensiles utilisés pour manger (assiettes, verres, couverts…).
Et ainsi de suite. Il y a donc du pain sur la planche, parce que proposer un changement n’est rien ; il est bien plus difficile de proposer positivement un changement. La question est : on remplace… mais par quoi ?

Evidemment, puisque je pose ici cette question, c’est aussi que j’ai proposé des réponses. Je ne suis pas en reste, et l’on trouvera dans les centaines d’articles publiés depuis 1980 une foule de propositions positives.

Ici, la question est toutefois : que ferons-nous quand nous aurons tout changé ?

samedi 18 avril 2009

Alerte : L'eau est faite de molécules qui bougent !

Alors que nous introduisons la "danse des molécules" dans les écoles, par les Ateliers expérimentaux du goût, je viens de constater, en discutant avec des étudiants engagés dans des études scientifiques, dans des établissements variés (I.U.T., Universités, Grandes Ecoles), que l'idée que l'eau soit faite de molécules qui bougent dans le vide est très peu répandue (quelques pour cent, pas plus).

J'insiste, parce que cette constatation est bouleversante, pour ceux qui connaissent la structure de la matière, et qui n'ont même pas idée que l'on puisse ignorer des choses "si élémentaires" :
- le questionnement a été poussé, pour tous les étudiants interrogés
- le questionnement a porté à ce jour sur 27 étudiants
- je me suis assuré que les questions étaient bien comprises

Parfois, l'idée est que l'eau est une "substance".
Parfois, l'idée est que l'eau est faite de molécules, mais il n'est pas clair que ces molécules soient comme de petits objets identifiés de type "boule de billard".
Parfois, l'idée est que les molécules soient comme des grains, mais immobiles.
Parfois, l'idée est que les molécules -grains matériels- soient dans l'air.

Bien sûr (je m'empresse d'ajouter ;-) ), c'est la faute des étudiants, qui sont -toujours- insuffisants, qui n'ont jamais assez travaillé, de sorte que nous recueillons dans les laboratoires le fruit de leur paresse, de leur négligence...
Mais je sais aussi que ces mêmes étudiants deviennent des enseignants, et que la paresse ou la négligence atteint la même proportion d'individus ( là encore : ;-) ; d'ailleurs, je ne crains pas de me mettre dans la catégorie des négligents... mais j'essaie de me soigner).

Ce billet n'est donc pas une critique. La vie est la vie, et nous devons faire avec nos insuffisances.
En revanche, ne devrions-nous pas nous demander si, au lieu de faire résoudre des équations, et d'insister sur ce point, nous ne devrions pas D'ABORD donner la clé d'interprétation du monde moléculaire, à savoir que, pour un fluide, les molécules sont comme des boules de billard qui bougent dans le vide, avec des vitesses d'autant plus grandes que les corps sont chauds ?

(oui, je sais, il y a des tas de hic : la nature quantique du monde, les interactions intermoléculaires qui dévient les molécules de leur ligne droite, etc., mais ne faut-il pas faire simple avant de faire compliqué? Et puis, Richard Feynman a bien utilisé l'image!).

Ne pourrions-nous conditionner la délivrance du diplôme de baccalauréat scientifique à la capacité d'avoir compris cette idée ? Ou, pour être moins répressifs, commencer les enseignements suivant le baccalauréat par un rappel de cette idée?

lundi 13 avril 2009

En pleurer, ou en rire?

Dans un magazine culinaire paru en avril-mai 2009, je lis un article sur la Coulée de Serrant :

"Le vigneron a choisi de lui appliquer strictement tous les principes de la biodynamie. Ses raisins sont gorgés de sèves naturelles, le terroir s'exprime pleinement, la nature incante sa magie sans entrave. Sans aucun apport chimique ni de synthèse, ses vignes approchent souvent les 90 ans et se portent comme des charmes. L'enherbement est naturel, le désherbement est assuré par un troupeau de moutons. Le compost fourni par une dizaine de vaches nantaises. Des ruches assurent la bonne pollinisation de la flore locale. Les maladies de la vigne sont essentiellement prévenues et guéries par des tisanes".

Jusque là, on se dit simplement qu'il y a faute du journaliste :
- "gorgés de sèves naturelles" : jusqu'à présent, je n'ai pas vu comment faire autrement
- la nature "incante" sa magie? il faudra que je réfléchisse longuement à l'usage de cette expression
- pas d'apport chimique ni de synthèse : là aussi, il faudra qu'on m'explique
- la vigne se porte comme des charmes : et si les charmes se portaient comme la vigne?
- des maladies prévenues par des tisanes... allons.

Mais le mieux est à venir : la dernière phrase est la suivante :

"Même le soufre provient de volcans"

Ici, les chimistes se gondolent, et ils peuvent s'arrêter de lire.

Pour les autres, il faut prendre le temps d'expliquer que le soufre, élément chimique que l'on se procure sous la forme d'une poudre jaune, sert à "mécher" les tonneaux : on le brûle, afin de produire du dioxyde de soufre, lequel protégera les vins (mais donnera parfois mal au crâne, quand on voit des vins blancs).
Seul hic, ce dioxyde de soufre, produit par la réaction du soufre avec l'oxygène, est formé par le méchage en quantités incontrôlées! Je n'invite d'ailleurs personne à respirer du dioxyde de soufre : on s'intoxique.
En très petites quantités, le dioxyde de soufre est autorisé comme additif, mais son usage est de plus en plus réglementé, parce que l'on se dit qu'il y a mieux à faire.
Entre cela et le sulfate de cuivre utilisé pour traiter les vignes, je vois bien "la nature qui s'exprime pleinement" (rigolade).
Et puis, tant qu'on y est, pourquoi ne pas accepter en biodynamie, par exemple, l'arsenic : c'est un produit "naturel", comme le soufre, puisqu'il existe sous forme native dans le sol ; et, tant qu'on y est à marcher sur la tête avec la biodynamie, pourquoi ne pas mettre dans les vins de l'hydrogène arsenié, que l'on obtiendrait à partir de l'arsenic (mais utilisé comme gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale)?

lundi 6 avril 2009

La science ne doit pas faire peur

La science fait peur? C'est la preuve que ceux qui ont peur n'ont pas compris la nature de la science.
La science est l'étude des phénomènes, par la méthode dite scientifique, que je ne veux pas détailler ici.
La science produit donc des connaissances. Comment ferait-elle peur, alors?

Ce qui peut faire peur, ce n'est pas la connaissance de la structure de l'atome, mais la bombe atomique que l'on peut construire avec cette connaissance. Et cela, ce n'est pas de la science, ni même de la "technoscience" (une chimère qui n'existe que chez ceux qui veulent se donner le plaisir de démolir quelque chose qui n'existe pas, sans doute pour paraître plus glorieux) ; c'est de la technique (on "produit" la bombe), qui devient possible en raison de la technologie.
C'est donc la technique, ou la technologie qui peuvent faire peur : pas la science!

Luttons contre l'umami. Faisons la promotion des saveurs des acides aminés.

La théorie des quatre saveurs, encore nommées quatre saveurs "de base" est fausse : n'importe quelle personne capable de se documenter un peu s'en aperçoit avec un minimum de recherche bibliographique, car cela fait des décennies que l'on sait la fausseté de cette théorie. 

Ceux qui savent l'erreur tombent hélas dans l'idée qu'il y aurait une cinquième saveur, qui aurait été nommée umami. Je dois toutefois les détromper : il faut lutter contre cette idée, qui a été largement accréditée par des vendeurs de monoglutamate de sodium. 

Invité à visiter un des plus importants fabricants de "dashi", à Tokyo, j'ai assisté à la confection de ce bouillon : des algues kombu sont arrosées d'eau chaude, de sorte que deux acides aminés soient extraits, l'alanine et l'acide glutamique. On m'a dit que la saveur de ce bouillon était la saveur umami. 

Soit : c'est donc que cette saveur n'est pas élémentaire, puisqu'elle est le mélange de la saveur de l'alanine et de l'acide glutamique. 

En corollaire, il faut admettre que la saveur du monoglutamate de sodium, qui n'est pas celle de l'acide glutamique, n'est donc pas la saveur umami! 

 

Au total, la saveur umami n'a donc pas de raison d'exister. En revanche, les acides aminés ont des saveurs toutes différentes. C'est une bonne nouvelle pour les cuisiniers, dont le piano s'enrichit de nouvelles touches.

Chassons le "démontré scientifiquement" car il est usurpé

Entendons-nous un "Démontré scientifiquement"? C'est la preuve que notre interlocuteur n'a pas bien compris ce qu'est la science, ou que l'on nous ment.
En effet, la science ne démontre rien, puisqu'elle ne fait que réfuter des théories qu'elle sait être insuffisantes. Quelqu'un qui croit que la science démontre ignore donc la vraie nature de la science... ce qui est pardonnable. Il y a également la confusion entre les mathématiques, qui, elles, démontrent effectivement, et la science : la confusion est également pardonnable.
Ce qui est impardonnable, c'est l'usage abusif que certains font de la science, de son "autorité", pour vendre leur camelote.

dimanche 5 avril 2009

Encore des questions

Je reçois une demande d'un journaliste :
"Les événements au Fat Duck , la sortie du livre de J. Zipprick, la bagarre entre Ferran Adria et Santi Santamaria m'ont amené à préparer un article sur ce sujet.
J' ai trois questions rapides à vous poser.
1) Dans le N° de mars de Cuisine Collective vous écrivez :"D'une certaine façon, je suis lâche, puisque, la " cuisine moléculaire " étant attaquée, je ne prends pas directement sa défense ".
Pouvez vous m' expliquer plus les raisons de votre silence ?
2) En dehors de Pïerre Gagnaire avec quels grands chefs collaborez vous régulièrement aujourd'hui?
3) Que pensez vous de l'idée de faire figurer sur les menus les additifs alimentaires entrant dans les recettes comme sur les étiquettes des produits agro alimentaires employant les mêmes additifs ?
Merci par avance de votre réponse que j'espère courte."


A ces questions, voici une réponse :
1. je vous joins le numéro de la Cuisine collective. L'idée que je développe et que je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, puisque j'espère qu'elle va mourir : entendons nous, je ne veux pas revenir à une cuisine que j'estime passéiste, mais j'espère que les avancées de la cuisine moléculaire passeront le plus vite possible, pour que l'on n'ait plus à les promouvoir.
D'autre part, je ne peux pas être responsable de productions culinaires de la cuisine moléculaire, parce que la "généralisation" est une faute. De même que tous les Alsaciens ne sont pas disciplinés, que tous les Auvergnats ne sont pas avares, que tous les etc. il y a de la bonne cuisine moléculaire, et de la mauvaise. Comment vouloir prendre la défense de ce qui est mauvais?

Non, je me contente de dire que nous ne pouvons pas continuer à cuisiner comme au Moyen Age : debout (fatigant), dans la chaleur de gaz continuellement allumés (gaspillage terrible d'énergie, inconfort), dans le bruit (évidemment, pour éliminer des calories inutilement perdues, il faut des hottes puissantes), dans le stress...
Vite, passons la cuisine d'après demain.
(j'ajoute que je n'ai rien à vendre, et que, contrairement à ce que disent certains mal informés ou menteurs, je ne suis pas à la solde de l'industrie chimique, puisque (voir mon livre "La sagesse du chimiste"), je dis même qu'il faut bien distinguer la technologie et la science. Pour ce qui me concerne, je fais de la science (production de connaissances, gastronomie moléculaire et non cuisine moléculaire), et je ne fais de technologie que pour Pierre (ce qui est faux, voir plus loin).

2. Je ne collabore pas avec mon ami Pierre. D'abord, le mot "collaborateur"
est connoté, mais, surtout, je m'amuse beaucoup avec Pierre, à tenter des tas de voies nouvelles, et à montrer (entre mille autres choses) qu'il n'est pas vrai que la créativité culinaire est morte en France. Une invention par mois sur son site : ce n'est pas rien! Le mieux, c'est que "Rembrandt accepte de peindre des œuvres avec les couleurs que je lui fournis!". C'est un bonheur inouï. A noter qu'il n'a jamais été question d'argent entre Pierre et moi. Je répète que, pour ce qui me concerne, je n'ai rien à vendre.
Cela étant, les Cours de gastronomie moléculaire, les Séminaires INRA de gastronomie moléculaire, les Ateliers expérimentaux du gout, les Ateliers Science & Cuisine, les Rencontres Science, art et cuisine, et tout le reste est public et gratuit : tous les chefs sont invités, beaucoup viennent très régulièrement, et je distribue le petit savoir que j'ai le plus possible (phrase dangereuse sortie de son contexte : imaginons que l'on coupe à "je distribue le petit savoir que j'ai"?).
Ma plus belle récompense, ce sont les dizaines d'email que je reçois chaque jour de cuisiniers du monde entier, qui me remercient, et qui me demandent des conseils que je donne gratuitement. J'ai même décidé, en conséquence, de créer un "centre technique de la cuisine", sur le site d'AgroParisTech (le site y est depuis une semaine, en construction).
A noter que je fais œuvre muséologique, en mettant les 25 000 dictons culinaires que j'ai recueilli depuis 1980 en ligne, sur le site de l'INRA.
J'avance lentement mais surement.

3. La proposition de faire figurer les additifs ne me semble pas judicieuse pour de nombreuses raisons :
- d'abord, pourquoi le faire figurer? Si l'on ne fait pas figurer la gélatine, pourquoi faire figurer la gomme adragante, utilisée depuis des siècles en pâtisserie? Pourquoi faire figurer le glucose des pâtissier?
- la notions d'additifs est délicate, parce que, immédiatement, les produits sont soupçonnés. Faudrait-il alors faire figurer le sucre, de son vrai nom saccharose, qui résulte du même type de transformations que l'acide citrique
(E300) ou l'acide ascorbique (E330)?
- je crois que la cuisine traditionnelle est parfois bien pire que les additifs. Les plats anciens, considérés comme des "novel food", et soumis à la réglementation, ne seraient pas acceptés. Le noix muscade contient assez de myristicine pour tuer un adulte, par exemple. Devra-t-on aussi indiquer "noix muscade"? Le barbecue dépose des quantités de benzopyrènes, très cancérogènes : pourquoi ne pas les interdire?
Plus généralement, deux écoles s'affrontent : les "hygiénistes" et d'autres, qui pensent plaisir. J'ai peur que, par crainte de l'inconnu (plutôt que du dangereux), on ne verse dans une cuisine "saine"... et impossible.

Pardon, je suis un peu long... mais certaines questions nécessitent de la nuance.
Au fait, êtes-vous au courant que, avec Pierre, nous présentons à Hong Kong, les 20 et 21 avril, des plats "note à note"? Je crois que c'est quelque chose qui agitera des gens comme l'Allemand que vous citez (qui a écrit des choses fausses à propos d'Innicon, par exemple ; il a par exemple oublié de dire que ma participation à ce programme a consisté à explorer la salade de pommes de terre : on ne peut pas dire que ce soit très "vendu à l'industrie chimique"!).

Vive la connaissance.




Puis, quelques instants plus tard, j'ai ajouté :
Pardon, j’ai l’esprit d’escalier.

La vraie raison pour laquelle je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, c’est que cela ne sert à rien : ceux qui veulent l’attaquer n’écoutent pas mes arguments, et les autres n’ont pas à être convaincus.

Autant pisser dans un violon, donc, quand on veut défendre.

Et puis, défendre est une posture qui a perdu d’avance. Attaquons.

Donc ne défendons pas la cuisine moléculaire, avançons, encore et encore, dans des directions socialement, collectivement utiles. C’est l’idée du constructivisme culinaire, et de la cuisine note à note. C’est aussi l’idée de la science, où je suis plus dans mon élément : produisons des connaissances, afin que, ensuite, il soit décidé ou non (collectivement, démocratiquement) de leurs utilisations.

Evidemment, en chemin, quelques chiens aboient (Marianne !!! Le Canard enchaîné), mais pour ces quelques là, il y en a tant d’honnêtes, qui cherchent simplement à comprendre.

Ne sommes nous pas humains en proportion de notre capacité d’admirer ?

Vive la connaissance

vendredi 3 avril 2009

Ronchonner, pas râler

Assez d’être négatif. Assez, avec les râleries. D’ailleurs, « râle »… on pressent le bruit d’un mourant ! Non, soyons débonnaires, et contentons-nous de ronchonner.

Tiens, au lieu de s’énerver à voir que la France (et le Monde !) a peur de la science, pourquoi ne pas nous demander, en bon père de famille, débonnaire, pourquoi le peuple (nous en faisons tous partie) a peur ?
Et si la confusion entre science et technologie était en cause ? Oui, il y a la science, qui produit des connaissances. Les scientifiques sont dans leur laboratoire, et ils ne font de mal à personne.
Là où les choses se compliquent, c’est que des individus qui font office ou profession de technologie utilisent ces résultats, et en font usage. La connaissance, qui était « pure »… se transforme alors en quelque chose qui est le meilleur ou le pire ! Par exemple, Pierre et Marie Curie ne faisaient de tort à personne, en explorant la structure de l’atome… mais on en a ensuite fait des bombes ou du nucléaire civil.
Les bombes, évidemment, c’est moins bien que l’électricité dont nous ne pourrions plus nous passer.
De même, des chimistes ont exploré les réarrangements d’atomes dans leurs laboratoires, et des individus – que je me refuse à nommer des chimistes, puisqu’il faisaient alors œuvre de technologie, et non de science- en ont fait des gaz de combat. Pour être juste, il faut avouer que ces mêmes connaissances ont servi à faire des médicaments, d’ailleurs !

Bref, je propose de bien distinguer les sciences et la technologie (d’ailleurs, je récuse absolument le terme de « technosciences » : ce n’est pas parce que ce mot existe que l’activité elle-même existe ; pensons à « carré rond »). Ce qui fait peur, ce n’est pas la science, mais ses applications. Socialement, ne gagnerions nous pas à bien faire comprendre que la science ne peut pas faire peur, mais que la technologie doit être bien encadrée, éthiquement ?
Cela aurait notamment l’avantage de faire comprendre que nous devons décider des applications de la science, qui, elle, n’est que la science, une production de connaissances, l’honneur de l’esprit humain, en quelque sorte.

Je me suis trompé

Ces temps-ci, on voit combien une erreur a de conséquences néfastes :
- parce que la confusion entre science et technologie était masquée par l’enthousiasme juvénile qui nous animait, Nicholas Kurti et moi, il y a 20 ans, nous nous retrouvons aujourd’hui avec une terrible confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire ; j’en suis à devoir faire le missionnaire afin de rectifier, inlassablement ; on peut dire que je suis puni !
- parce que j’ai écrit jadis que la réaction de Maillard était absolument merveilleuse, je ne parviens plus à faire entendre des vérités importantes, à savoir que l’on devrait plutôt parler des réactions de Maillard que de la réaction de Maillard, à savoir que je ne parviens plus à faire entendre que bien des réactions de brunissements non enzymatiques ne sont pas des réactions de Maillard, à savoir que bien d’autres réactions contribuent au bon goût de la croûte du pain, du brun du rôti (à bas, littéralement, la réaction de Maillard !)
- parce que j’ai dit jadis que la chimie de la cuisine, j’entends aujourd’hui dire que la cuisine, c’est de la chimie, alors que ce n’est pas vrai !

Si les deux premières fautes sont vénielles, la dernière est grave. Prenons le temps de rectifier.

Si la cuisine était de la chimie, alors cela signifierait que l’être humain qui effectue des transformations moléculaires fait de la chimie, et il faudrait conclure que respirer, c’est de la chimie, ou vivre, simplement, puisque notre organisme est une sorte de gros ensemble complexe de réactions entre molécules.
De ce fait, la chimie serait TOUT, et ce serait grande prétention.
Non, il faut reconnaître plutôt que la chimie est une science, et, de ce fait, le cuisinier ne fera jamais de la chimie… puisqu’il fait de la cuisine. Je répète : le cuisinier effectuera des opérations qui conduiront à des réarrangements d’atomes, mais il ne fera pas de chimie, puisque son objectif n’est pas d’étudier les mécanismes des transformations, mais de mettre en œuvre ces transformations.
De même, on doit comprendre que l’on ne mettra jamais de chimie en cuisine. Impossible, puisque la chimie est une science… et que la cuisine est une production. Certes, on pourra trouver des applications de la science en cuisine, mais on ne mettra pas de science en cuisine. La gastronomie moléculaire, de ce fait, n’est pas la chimie en cuisine.

Pardon, c’est ma très grande faute si je me suis trompé. Je suis donc bien insuffisant, mais ceux qui me connaissent savent que je me soigne… en travaillant. J’espère seulement que ma naïveté et ma simplicité intellectuelles ne me conduisent pas, aujourd’hui, à faire d’autres erreurs que nous serons beaucoup à regretter.

samedi 28 mars 2009

Mon idée de la cuisine

Mon idée de la cuisine ? Tout ce qui est humain est imparfait, donc doit être perfectionné.
La science peut y contribuer, en apportant de la connaissance.

Des faits :
1. La cuisine ancienne a produit des choses merveilleuses
2. Mais elle a aussi produit des scories
3. Elle fait notamment un usage déplorable de l’énergie
4. La cuisine ancienne n’est pas une garantie de sécurité sanitaire
5. La cuisine ancienne fait usage d’ustensiles qui n’ont pas évolué depuis des siècles (sauf exception)
6. Une question essentielle, et trop oubliée : l’économie domestique
7. La tradition n’est pas une garantie

Une volonté :
1. Puisque toute chose humaine (y compris nos aliments) est imparfaite, il est de notre devoir de perfectionner (la cuisine)
2. Il faut travailler (science) pour contribuer à ces améliorations : la liberté de choisir s’oppose à l’asservissement





Des faits :
1. La cuisine ancienne a produit des choses merveilleuses
Oui, l’oreiller de la Belle Aurore est une merveille. Oui la béarnaise est une sauce enchanteresse. Oui, la sauce mayonnaise est succulente, et bien meilleure que la sauce rémoulade. Oui, un vrai beau feuilletage est une pièce d’orfèvrerie. Oui, un lièvre à la royale façon Sénateur Coutaux est un régal. Oui, oui, oui…

2. Mais elle a aussi produit des scories
Non, les haricots verts ne sont pas plus verts s’ils sont cuits sans couvercle. Non, les sauces mayonnaise ne doivent pas contenir de moutarde, sans quoi elles ont un savorisme particulier. Non, les compotes de poires ne rougissent pas dans les casseroles en cuivre étamé. Non, les règles féminines ne font pas tourner les mayonnaises. Non, les blancs en neige ne montent pas mieux quand on les bat toujours dans le même sens. Non, non, non…

3. La cuisine ancienne fait notamment un usage déplorable de l’énergie :
Une casserole sur une plaque à gaz ou à électricité (sauf induction) gaspille jusqu’à 80 pour cent de l’énergie consommée : on chauffe les pièces, principalement, ce qui n’est pas grave, en hiver, mais devient du gaspillage quand le chauffage est arrêté (environ 6 mois de l’année pour la France) !
Ce qui n’est pas grave du point de vue individuel le devient du point de vue collectif : 20 millions de foyers (pour la France), chaque jour, font un gaspillage considérable.
A noter que la question de l’énergie n’est pas la seule que l’on doive prendre en compte. Il faut aussi tenir compte des « matières », par exemple.

4. La cuisine ancienne n’est pas une garantie de sécurité sanitaire
Une noix muscade contient assez de myristicine pour tuer un homme en bonne santé.
Les viandes grillées (barbecue) sont chargées de benzo[α]pyrènes, cancérogènes avérés.
Les réfrigérateurs ne sont que rarement à 4°C.
Le pain est porteur d’acrylamide, molécule dangereuse.
La pomme de terre contient de la solanine, alcaloïde toxique.
La girolle contient de l’ammanitoidine, principe toxique de l’ammanite phalloïde.
Les aliments fumés sont responsables de cancers qui atteignent les populations des pays du Nord de l’Europe.
Etc.


5. La cuisine ancienne fait usage d’ustensiles qui n’ont pas évolué depuis des siècles (sauf exception)
Les casseroles existent depuis au moins le moyen-âge. Sont-elles les plus efficaces pour leur fonction (quelle est-elle ?) ?
Si les bassines en cuivre sont efficaces pour les confitures (et elles le sont), c’est parce qu’elles libèrent des ions cuivre… toxiques.
Les fouets existent depuis des siècles. Ce ne sont pourtant pas des ustensiles efficaces pour foisonner ou pour émulsionner.
Les chinois sont des ustensiles inefficaces du point de vue de la filtration, opération pour laquelle ils sont employés.


6. Une question essentielle : l’économie domestique
Socialement, nous souffrons de l’ignorance culinaire de la population (je ne me mets pas en dehors du groupe).
Par exemple, nos concitoyens privilégient les viandes à griller (coûteuses), et délaissent les viandes à braiser (accessibles).
Par exemple, puisqu’un blanc d’œuf permet de faire un mètre cube de blanc en neige, c’est un gaspillage domestique que d’utiliser 10 blancs d’œufs pour faire une mousse au chocolat pour une famille.
Au total, il me semble donc indispensable d’œuvrer pour contribuer à l’œuvre d’économie domestique.

7. La tradition n’est pas une garantie
L’esclavage était traditionnel, mais il n’était pas admissible.
La tradition, en cuisine, c’est d’être debout, dans le bruit et dans la fournaise.


Une volonté :
1. Puisque toute chose humaine (y compris nos aliments) est imparfaite, il est de notre devoir de perfectionner (la cuisine)
Nous pouvons perfectionner les ustensiles, en les concevant en fonction de leur usage.
Nous pouvons perfectionner les ingrédients (produits végétaux ou animaux sont d’ailleurs « perfectionnés » par des siècles d’agriculture et d’élevage… mais pourquoi s’arrêter à ce stade).
Nous pouvons perfectionner les méthodes : la cuisine n’est pas née toute armée de la cuisse de Jupiter (la mayonnaise est apparue au XVIII e siècle), de sorte que je vois mal pourquoi on ne pourrait pas continuer à innover).
Si la tradition, en cuisine, c’est d’être debout, dans le bruit et dans la fournaise, pourquoi ne chercherait-on pas à asseoir les cuisiniers, à supprimer la pénibilité de la cuisine ?


2. Il faut travailler (science) pour contribuer à ces améliorations
La science produit des connaissances nouvelles, que la technologie utilise afin de perfectionner la technique.
Pour la cuisine, la science nommée « gastronomie moléculaire » doit travailler, afin de produire des connaissances qui seront utiles aux cuisiniers.

mercredi 25 mars 2009

En réponse au Canard enchaîné

Paris, le 25 mars 09

Chers Amis du Canard


Merci de la publicité que vous me faites, ainsi que quelques autres revues « réac » : chaque fois qu’un journaliste de votre équipe me cite (pas signé : un peu de lâcheté de sa part ?), des tas de gens me téléphonent, m’écrivent, m’émèlent pour me dire qu’ils savent bien que je n’ai rien à vendre et que c’est insensé que des revues qu’ils estimaient disent du mal de moi.

Cela étant, vous êtes malhonnêtes, en me citant entre guillemets : j’ai surtout dit que, il n’y a pas si longtemps, j’étais revenu de Tunisie avec tout un groupe qui est revenu avec une diarrhée qui nous a vidé pendant deux semaines. D’autre part, je suis allé récemment dans un restaurant que j’aime bien, boulevard Edgar Quinet, à Paris, en famille, et nous avons tous été malades le lendemain (je n’ai pas alerté la presse : je ne suis pas un chien qui aboie).

Au total, je suis beaucoup plus inquiet des pratiques « traditionnelles » (je rappelle que la tradition n’est pas une garantie : l’esclavage était traditionnel, et on ne peut pas dire que c’était quelque chose de merveilleux). Par exemple, les barbecue déposent sur les grillades des benzopyrènes cancérogènes… mais personne ne veut le savoir ! Et la noix muscade contient assez de molécules toxiques pour tuer (une noix pour un adulte)… mais on n’en parle pas non plus ! Bref, je comprends que le journaliste d’investigation (un pléonasme ?) fasse son travail, mais j’aimerais qu’il le fasse un peu décemment.
Je rappelle que je n’ai rien à vendre (contrairement à vous, qui devez vendre du papier). Ce qui pose la question d’une certaine éthique de la presse.

Désolé, cela fait deux fois que je vous prends en flagrant délit de mauvais travail.


Vive la connaissance !

mardi 24 mars 2009

Questions de sécurité

Je reçois cette belle question :

Que pensez vous des problemes de Blumenthal (fermeture de son restaurant...400 clients pretendants avoir été intoxiqué ?)
La cuisine 'moléculaire' est elle plus risquée en terme d'hygiène que la cuisine classique ?
Le dosage des produits doit il être aussi regardé en apport des rosques d'intoxication ?


Et voici ma réponse :

Un point, tout d'abord : on ne convainc pas des gens qui ne veulent pas être convaincus.
Donc je ne m'adresse à vous que parce que je suppose que vous êtes bienveillants, et intéressés honnêtement (contrairement à quelques journalistes dont l'a priori est sidérant, vu leur métier qui devrait être d'investigation).

Les faits, d'abord :
Un client a rapporté un virus de voyage, et il l'a transmis à une quarantaine de personnes.
Quand Heston Blumenthal a annoncé qu'il offrirait un repas à toute personne ayant été malade dans son restaurant (une vraie erreur!), alors 400 personnes environ se sont signalées.
Le restaurant a été fermé (ce qui est courageux), il est aujourd'hui réouvert... et fonctionnera de la même façon qu'avant, parce qu'il n'y a pas lieu de changer.

L'analyse : la cuisine moléculaire, c'est une cuisine qui fait usage de nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes.
Comparons donc l'ancien et le nouveau.

L'usage de chinois, où les micro-organismes vont se loger entre les mailles, le barbecue, qui dépose des benzopyrènes cancérogènes sur les aliments, la noix muscade, dont la myristicine peut tuer, la pomme de terre, dont la peau contient de la solanine toxique, le gaz, avec ses risques d'explosion, les tuyaux en plomb, qui causent du saturnisme, les conserves avec le risque de botulisme, et je m'arrête là tant il y en a.
Il est important que la tradition n'est pas une garantie de sécurité, au contraire :
- d'une part, l'esclavage est traditionnel... et il n'est pas bon
- d'autre part, nombre d'aliments traditionnels confectionnés ne passeraient pas les tests de sécurité s'ils tombaient sous le coup des "novel food".
- la modernité augmente l'espérance de vie d'un trimestre par an tous les ans

La cuisine moléculaire? Aucune raison qu'elle soit plus dangereuse.
Oui, l'azote liquide est à -200°C, et l'on perdrait des yeux si l'on avait des projections dans l'oeil... mais c'est la raison pour laquelle, de la même façon qu'on ne fait pas sortir le gaz pendant des heures avant d'y mettre le feu, on met des lunettes quand on manipule l'azote liquide. Ce n'est pas plus dangereux que de courir avec un couteau pointe en l'air!!!!!!
Les alginates et autres gélifiants? Les populations asiatiques en utilisent depuis des millénaires... et elles ne sont pas moins bien que nous! D'ailleurs, pourquoi la gélatine serait-elle saine, à ce rythme?
Les "additifs"? La catégorie est hétérogène, mais le E460 est de la chlorophylle certainement plus pure que le vert d'épinard préparé dans les cuisines!.
Et puis, au fond, il faut regarder cas par cas. Savez vous, par exemple, que la première opération de la production du sucre (lequel ne fait peur à personne) est nommée "défécation" (quel joli mot!), et consiste à verser de la chaux dans le mélange d'eau et de betterave broyée, afin de faire sédimenter les particules? Pourquoi ne s'inquiète-t-on pas de la chaux utilisée, qui, il faut le dire, n'est pas plus "naturelle" que la carotte ou le navet?

Bref, vous avez raison de vous interroger, et je vous remercie de me donner l'occasion de dire ici que la cuisine moléculaire n'est ni mieux ni moins bien que la cuisine classique.
Bien faites, la cuisine classique et la cuisine moléculaire sont parfaitement acceptables. Mal faites, elles sont toutes deux dangereuses.

C'est pour cette raison qu'il faut DAVANTAGE de chimie, c'est à dire de connaissance (puisque la chimie, ce ne sont pas des produits, mais une science, donc une activité de recherche de connaissances, que l'on peut ensuite distribuer aux praticiens pour qu'ils en fassent bon usage).

Vive la chimie!!!!

dimanche 22 mars 2009

Un site, enfin!

La fonction d'un blog, c'est d'émettre des messages réguliers, sur un thème.
En revanche, la fonction d'un site, c'est notamment de procurer des informations variées, organisées non pas chronologiquement, mais fonctionnellement.
Un tel site vient d'être créé à l'adresse : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
N'hésitez pas à le visiter et à m'indiquer des modifications qui vous sembleraient nécessaires.

dimanche 8 mars 2009

Vient de paraître


Nous sommes bien d'accord : les scientifiques doivent produire des connaissances, et non perdre leur temps à faire de l'épistémologie, ce qui est une activité de philosophes.
Ce n'est pas que la philosophie soit moins bien que la science, mais simplement que la science est la science, et la philosophie la philosophie. Si l'on est scientifique, c'est pour faire de la science.

Pour autant, il y a des choses qui méritent d'être dites, sur la pratique de la science, ses "raisons". Je propose quelques idées dans le livre qui vient de paraître :
La sagesse du chimiste

Hervé This


Chapitre 1.
La chimie, entre sagesse et folie
Le chimiste sage sait la nature de son activité
La chimie est une science expérimentale
La chimie n’a pas toujours été ce qu’elle est
A la conquête des airs
Des goûts et des couleurs
Le cycle des transformations, symbolisé par le phénix ?
La science n’est pas technologie, même si elle a des applications
Le chimiste sait manier le langage de sa science
Questions de mots
Au bout des doigts, l’esprit
Manipuler !
L’amélioration de l’esprit
Au début était l’expérience

Chapitre 2.
La chimie transforme la matière
La chimie, fille du canon
La chimie n’est pas une collection de papillons
Oui, les molécules sont belles… parce que leur structure détient les clés de leur réactivité
Les leçons de l’évolution
Et dans l’enseignement


Chapitre 3.
Ascétisme et rigueur ?
Sans compter… le calcul
De l’expérience à la loi
La pureté
L’existence indémontrable des molécules

Chapitre 4.
Le chimiste sage sait les limites de sa science
La biologie n’est pas la chimie, puisque celle-ci n’est pas la biologie
La chimie, science modeste

Chapitre 5.
Le chimiste est fou parce qu’il vit dans un autre monde
Mais il y a une composante artistique
Et une composante d’amour


Chapitre 6
La chimie n’est pas la cuisine
La cuisine n’est pas de la chimie
Le chimiste sage n’admet pas l’argument d’autorité
Qui doit cuisiner : le cuisinier ou le chimiste ?
Ne pas manger dans les laboratoires

Chapitre 7.
Et demain ?
L’albumine n’existe pas
La fin d’une spécificité organique
La création de la vie ?

Bibliographie

Apprendre dans une école d’ingénieurs ?

Soyons simples, avant de tout compliquer. Une école d’ingénieur forme certainement des cadres, des banquiers, des hommes politiques… mais elle forme aussi des ingénieurs ! D’ailleurs, si les écoles d’ingénieurs conduisent à des postes de responsabilité importants pour la vie de la nation, n’est-ce pas, surtout, parce que sortent de ces écoles des personnes qui ont voulu acquérir, en travaillant, des connaissances opératives, des méthodes rationnelles, donc applicables dans de nombreux aspects de la vie de la nation ?
La question est compliquée. Abandonnons-là pour l’instant, et revenons au constat : les écoles d’ingénieurs forment des ingénieurs. De quoi s’agit-il ?
_____
Pour la partie « technique » du métier d’ingénieur, il y a de nombreux aspects, mais, a priori, il s’agit d'abord d’orchestrer la production et d’innover, afin que cette production se fasse dans des conditions modernes.
Oui, on peut travailler le métal à la main, mais une société qui ferait ainsi serait submergée par la concurrence, laquelle utiliserait des machines. Survivre dans le monde industriel, c’est innover… d’où l’emphase mise sur ce mot « magique » dans le monde industriel.
Une conclusion s’impose alors aux écoles d’ingénieurs : puisque les ingénieurs devront innover, qu’enseigner aux futurs ingénieurs ? A innover, notamment.
_____

Considérons les relations (simples) de la technique, de la technologie, de la science.
La technique, c’est le faire, la production : le mot techne, en grec, signifie « faire ».
La technologie (il suffit de lire le mot pour comprendre), c’est l’étude de la technique… évidemment en vue de son perfectionnement, de sa rationalisation.
La science, enfin, c’est la science, c’est-à-dire la recherche des mécanismes des phénomènes, par l’usage de la méthode scientifique.
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Observons que la technologie n’est pas la technique (ce qui semble clair), mais qu’elle n’est pas non plus la science.
Pourquoi, alors, les élèves ingénieurs pratiqueraient-ils la science ? La méthode de la « formation par la recherche » (tarte à la crème de l'enseignement supérieur) doit être questionnée.
Une métaphore pour commencer : l’expérience professionnelle conduit à donner des réflexes, fondés précisément sur la confrontation répétée avec des situations analogues, reconnues comme telles. En gros, on se fait des « cals » pour éviter les ampoules.
Du coup, imaginons que les élèves ingénieurs pratiquent la science au cours de leurs études, ils auraient des cals appropriés à la science (recherche des mécanismes)… mais pas à l’innovation ! Et c’est un fait que, personnellement, mes enseignants à l’ESPCI nous ont plus d’une fois répété que nous apprendrions ensuite, sur le tas. A quoi bon, alors, suivre des enseignements qui ne forment pas aux compétences nécessaires ?
Révisons la question de la science dans les écoles d’ingénieurs. S’il faut innover, il faut des connaissances pour innover, et une méthode pour transformer ce savoir en techniques, méthodes… C’est là une des branches de la technologie : le transfert technologique. Bien sûr, si l’on dispose de connaissances anciennes, il y a fort à parier que d’autres, avant nous, auront fait le transfert innovatif. Il faut donc transmettre aux étudiants des connaissances nouvelles, de pointe, afin qu’ils puissent ensuite en faire des applications innovantes, modernes.
Conclusion : c’est la science la plus moderne qu’il faut que les écoles d’ingénieurs transmettent aux étudiants.

Ce n’est pas suffisant, bien sûr : il faudra enseigner la méthode de transfert. Qui peut l’enseigner : des personnes qui la connaissent bien, ou des personnes qui ne la connaissent pas bien ? Les premières, semble-t-il ! Or les premières sont des personnes qui ont du succès, qui ont fait leurs preuves dans ce transfert. Ce sont les ingénieurs les plus remarquables que les écoles d’ingénieurs doivent inviter, en leur demander de formaliser leurs connaissances, de proposer un savoir théorisé, et non seulement des exemples.
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Cette réflexion s’assortit d’une réflexion sur les stages. Où faire des stages, quand on est élève ingénieur ? Si le métier d’ingénieur est dans le transfert technologique et l’innovation, alors il faut sans doute avoir fait un stage où l’on découvre des techniques de pointe, scientifiques, afin de pouvoir faire du transfert, ultérieurement, mais il faut aussi un stage industriel, où l’on découvre non pas le monde industriel, comme une tarte à la crème le dit parfois, mais plutôt du transfert !

Merci de bien vouloir m'aider à corriger des idées simples ("tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui est juste est inutilisable").

dimanche 15 février 2009

Les sciences appliquées sont comme des carrés ronds : elles n'existent pas!

Je sais, il y a des centres d'enseignement et de recherche scientifique et technologique nommés INSA, en France, et il y a des chaires de "sciences appliquées", ou "applied sciences", en France ou à l'étranger, mais quelle confusion!

S'il y a science, il y a recherche des mécanismes des phénomènes, et non pas application, tandis que, s'il y a application, il y a application, et non pas science, mais technologie. Les sciences appliquées n'existent donc pas, alors qu'il y a des applications des sciences.

Le constat est terrible : que penser de tous les endroits universitaires ou apparentés, où traîne le mot "science appliquée"? Suis-je un petit esprit, de ne pas pouvoir accepter l'idée des sciences appliquées, ou bien ai-je raison de suivre ce grand ancien qu'était Louis Pasteur?
Je livre quelques unes de ses observations à ce propos :

« Souvenez vous qu’il n’existe pas de sciences appliquées mais seulement des applications de la science".
Pourquoi le goût de la vendange diffère de celui du raisin, Comptes rendus du Congrès viticole et séricicole de Lyon, 9-14 septembre 1872, p. 45-49 (séance du 11 septembre 1872), in Œuvres complètes, tome 3, p. 464. Masson, Paris, 1924.

« Une idée essentiellement fausse a été mêlée aux discussions nombreuses soulevées par la création d’un enseignement secondaire professionnel ; c’est qu’il existe des sciences appliquées. Il n’y a pas de sciences appliquées. L’union même de ces mots est choquante. Mais il y a des applications de la science, ce qui est bien différent. Puis, à côté des applications de la science, il y a le métier, représenté par l’ouvrier plus ou moins habile. L’enseignement du métier a un nom dans toutes les langues. Dans la nôtre, il s’appelle l’apprentissage, que rien au monde ne peut remplacer ».
Œuvres complètes, Tome 7, p. 187 :Note sur l’enseignement professionnel, adressée à Victor Duruy, 10 nov 1863.

« Non, mille fois non, il n’existe pas une catégorie de sciences auxquelles on puisse donner le nom de sciences appliquées. Il y a la science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit à l’arbre qui l’a porté ».
P. 215, Pourquoi la France n’a pas trouvé d’homme supérieur au moment du péril, paru dans le Salut public, Lyon, mars 1871, et dans la Revue Scientifique, 22 juillet 1872, 2 e série, in Œuvres complètes tome 7.

On me fera remarquer que Pasteur était un esprit bien peu jovial, mais, si la jovialité m'est excessivement chère, il faut quand même reconnaître que ce n'était pas le dernier des imbéciles.
Etait-il excessivement pointilleux ? Ces questions de langage sont-elles futiles ? Cette fois, c'est le grand Antoine Laurent de Lavoisier que j'invite à relire :

L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».
Lavoisier A. L., Traité élémentaire de chimie, Cuchet, Paris, 1793

Convaincu ? Si oui, merci de m'aider à lutter pour que l'on cesse de berner nos jeunes esprits. Mettons fin aux "sciences appliquées"... puisqu'elles n'existent pas!

mardi 3 février 2009

Un outil pour la science : les feuilles protocoles

Dans une démarche de "qualité", nous avons mis au point un outil quotidiennement utilisé, et nommé "feuilles protocoles". Il s’agit de fichiers où le travail est guidé précisément, à toutes les étapes, du titre à la signature attestant légalement du travail.

Ce document a été posé sur le site de l'Equipe INRA de gastronomie moléculaire, au Laboratoire de chimie analytique d'AgroParisTech : http://www.agroparistech.fr/Un-outil-de-travail-pour-la.html

A télécharger et à utiliser sans modération !

samedi 31 janvier 2009

Contre le cahier de brouillon, pour le cahier propre!

Dans ma collection de "méthodes pour devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui", j'ai recueilli celle-ci, de Jean-Claude Risset, une de ces belles personnes que je vous souhaite de rencontrer (il est notamment l'auteur de travaux à l'IRCAM et à Marseille, avec notamment un "escalier d'Escher musical" : l'avez vous déjà entendu?) :

la vie est trop courte pour mettre les brouillons au propre


S'il a raison (et si je pose la question en hypothèse, c'est simplement de façon rhétorique), ne devrions-nous pas bannir les cahiers de brouillon, dès l'école?

Le fait est que de nombreux étudiants qui viennent au laboratoire -et moi-même, qui suis un étudiant comme eux... puisque j'étudie- ont un "cahier de brouillon", qui sera jeté, emportant dans la tombe des poubelles des tas d'informations importantes ; qui donnera la mauvaise habitude de faire mal, les textes, les calculs...

Un cahier, oui ; un cahier propre si possible, encore mieux ; un cahier de brouillon, décidément, non : pour ce qui me concerne, je refuse désormais l'idée.

samedi 17 janvier 2009

Please don't confuse Molecular Gastronomy and Molecular Cooking!

Dear Friends

After the publication of a "reflection" in IFT Magazine, I was invited to comment this :
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"Those of you that know me always know that I take the position of the chef with the deep appreciation of our food science counterparts...but did all chefs start off stupid babbling fools with no intent goals to create no methods beyond creating emotion? I defer to a comment made in the article; Science is an activity which produces knowledge while art produces emotion. You probably cannot blend science and art as these activities have different methods and goals. Have not chefs over the decades gained and passed on volumes of knowledge of food to the predecessors for more knowledge to be gained and so on the path goes! My goal is to create fantastic tasting food, my counterpart uses their scientific creativity to bring that food in a manufactured arena vs the food service kitchen with the same net results. I ask you where do our goal and methods deviate. I may not be a scientist but I know if I put acid in a cream base it will curdle ...is there not a scientific reason there? Does my technologist counterpart not know that if they freeze milk without stabilization that the net result will be a mealy finish...something not wanted in culinary? We are here for a reason through all the differences in opinions we need each other and we find that balance to create foods the world has not seen in the past 15 to 20 years. So in closing I will ask you Herve when I read this statement "I defined molecular cooking as a culinary trend using ‘new’ tools, ingredients, and methods. Molecular gastronomy is science and science only". When dinning this style do you ask your friends if they want you to make reservations for eight at the bench in the lab...science is science after all!"
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My point-by-point answer was the following :

If I am invited to comment (whereas I decided some time ago that it was useless to discuss such matters, because people often hear only what they want to hear), I would say :


Original Sentence : Those of you that know me always know that I take the position of the chef with the deep appreciation of our food science counterparts...

Comment : I am happy that chefs are proud to be chefs, and that scientists are proud to be scientists. These are different activites. For the first one, technique and art are the key, including a good sense of « love », because you have to love people to make them happy through food.

Science is an activity based on the hypothetical-deductive method, including calculations, producing models (theories) that you try to refute. You produce only knowledge, not emotion.




Original Sentence :
but did all chefs start off stupid babbling fools with no intent goals to create no methods beyond creating emotion?

Comment : sorry, but my understanding of English is not enough to be sure that I understand really what is said there. Let me add only that I prefer to good technician to a poor artist, and a good artist to a poor technician. I prefer a good scientist to a bad cook, but a good cook to a bad scientist. Who can oppose this ?




Original Sentence : I defer to a comment made in the article; Science is an activity which produces knowledge while art produces emotion. You probably cannot blend science and art as these activities have different methods and goals. Have not chefs over the decades gained and passed on volumes of knowledge of food to the predecessors for more knowledge to be gained and so on the path goes!

Comment : I don’t understand « gained and passed on volumes of knowledge of food ». the issue is « volumes of knowledge of food ». sorry, my poor English. Let’s change this discussion list for French, and it will be easier.




Original Sentence : My goal is to create fantastic tasting food

Comment : of course, but the interesting question is « what ca nit be ? ». In my book, Cooking, a quintessential art, I am trying that cooking is first love, then art, and technique last. A poor sandwich with very good friends is better than a meal at Pierre Gagnaire’s with awful people (I had it once, because of students of mine that I cared about)



Original Sentence: my counterpart uses their scientific creativity to bring that food in a manufactured arena vs the food service kitchen with the same net results.

Comment :
your counterpart ? scientific creativity ? I object the words. But I object mainly about « bring food in a manufactured arena » : this is technology, not science. May I repeat after the main scientists of the world, past and present, that technology is not science, but rather the application of science ? We have to fight such faulty expressions such as « applied sciences ». This does not exist, like « round square ». If it is science, it’s not applied (I am not saying that there is no possibility of application, please read carefully. I am noly saying that the scientific actifivy is not applying. This is technology, remember the etymology of the word : techne, means doing, and logos means study ; technology improves technique (and art) through the use of knowledge produced by science (and not only).



Original Sentence:
I ask you where do our goal and methods deviate. I may not be a scientist but I know if I put acid in a cream base it will curdle ...is there not a scientific reason there?

Comment : sorry, but I have the feeling (indeed I know) that you make a mistake here. When you use scientific knowledge, you don’t make science. If you know that your cream curdles through acidity, you don’t make science, but only use knowledge to understand something that happened. Science is very different : it would be starting from this phenomenon, trying to understand the mechanisms of curdling, not because you want to understand the mechanisms, but rather because you want to discover mechanisms.

A comparison : if you light the lights on, and you know that this is because of electrons, you don’t make science. You just know something about the world.



Original Sentence: Does my technologist counterpart not know that if they freeze milk without stabilization that the net result will be a mealy finish...something not wanted in culinary?

Comment :
same comment than above. The question is that science is an activity of looking for the mechanisms of phenomena, not predicting the result of a process ! Moreover, let’s us remember that science is not just proposing mechanisms, but rather trying to refute proposed mechanisms through calculation (generally differential equations). The so called « experimental method » does not mean to make experiments, alas ! It means a whole scientific process that it would take to long to explain here.

Indeed, I have to add that there is no superiority in science over technique. Let’s stress this point again. Someone doing well is wonderful.

And finally, there is a big confusion in education (does it mean the same than teaching, in English ?) : science courses are generally courses where you learn the result of science, not courses where you do science ! And in my idea, it is stealing the name, and creating confusion.



Original Sentence:
We are here for a reason through all the differences in opinions we need each other and we find that balance to create foods the world has not seen in the past 15 to 20 years.

Comment : Indeed I am not sure that we need each other. I could work very well without the cooks, but it’s a bigger pleasure to work with friends. In this meaning, yes, we need each other, but only for the pleasure of having wonderful friends.

May I tell you that in my daily collaboration with Pierre Gagnaire, who is probably one of my very best friends, Pierre never goes in the science area, and I never go into the artistic field. Indeed, I have the feeling that art and science have really nothing in common, because their objectives are completely different. As a scientist, I don’t care about the happiness of the guest through food, and I can tell you taht Pierre does not care about differential equations, or the Diels Alder mechanisms. We have our own way, but we meet because we are friends, and we are friends because we discover (let’s say I) wonderful, marvellous characteristic into the other.



Original Sentence: So in closing I will ask you Herve when I read this statement "I defined molecular cooking as a culinary trend using ‘new’ tools, ingredients, and methods. Molecular gastronomy is science and science only". When dinning this style do you ask your friends if they want you to make reservations for eight at the bench in the lab...science is science after all!

Comment : again, there is no relationship between my quotation and the second part of the argument. Is it because there is this awful confusion about cooking and gastronomy ? I have to say again that gastronomy is not cooking (I don’t speak of « molecular gastronomy » here, but only gastronomy ). This is a big mistake. The word gastronomy means knowledge, not cooking, contrary to a wrong idea.

Finally, let me say that I did my best, because your langage is very difficult for me. Please be indulgent, and be sure that my only idea is to contribute to the advancement of cooking, but mostly in clarifying things. And I have the feeling that contributing to explaining wha science is and is not is important. Many of my ideas are developped in my books, where the translation was done (I hope) by people that can better than me write the English words. Sorry, I can be accurate (and this is important for this kind of debates) only with French. But please be sure that I am VERY PRECISE in French.

And to finish, let’s drop the question of science, technology, etc. The main question is « how best say « I love you » through food ?

Happy new year to all, congratulation for being chefs : you are artists who love others. Isn’t it a wonderful job ?

Le Cours 2009 de gastronomie moléculaire

Les précisions culinaires

Cours de gastronomie moléculaire 2009

19 et 20 Janvier 09, AgroParisTech, Paris

Hervé This


« Tout objet est une manifestation d’une catégorie générale qu’il nous reste à inventer. Travaillons : nous pouvons trouver plusieurs catégories ».



Jour 1
Sessions Horaires Temps d’enseignement Exemples analysés
Notions considérées
Jour 1, accueil 9h00-9h15 Introduction : les promesses de ce cours

Jour 1, session 1 9.15-9.30 Introduction
9.30-10.15 Corps de la session Etat des lieux, à partir d'un fouillis de temps etc. que j'enchaîne assez longuement, définitions (dictons, adages, maximes, tours de main, trucs, astuces, mode d’emploi…)
10.15-10.30 A suivre…
Pause 10.30-10.45
Jour 1, session 2 10.45- 11.00 Introduction
11.00-12.45 Corps de la session Un peu d’ordre, des catégories

12.45-13.00 A suivre…
Déjeuner 13.000-14.00
Jour 1, session 3 14.00-14.15 Introduction
14.15-15.45 Corps de la session Quelle est l’importance des précisions ? (statistiques)
15.45-16.00 A suivre…
Pause 16.00-16.15
Jour 1, session 4 16.15-16.30 Introduction
16.30-17.45 Corps de la session Question de méthodologie : comment organiser les tests des précisions
17.45-18.00 A suivre…


Jour 2 :
Jour 2, accueil 9h00-9h15
Jour 2, session 5 9.15-9.30 Introduction
9.30-10.15 Corps de la session L’hypothèse de la robustesse, exploration de l’hyperespace des recettes
10.15-10.30 A suivre…
Pause 10.30-10.45
Jour 2, session 6 10.45- 11.00 Introduction
11.00-12.45 Corps de la session Sémiologie
12.45-13.00 A suivre…
Déjeuner 13.000-14.00
Jour 2, session 7 14.00-14.15 Introduction
14.15-15.45 Corps de la session L’écriture culinaire
15.45-16.00 A suivre…
Pause 16.00-16.15
Jour 2, session 8 16.15-16.30 Introduction
16.45-17.45 Corps de la session Précisions et innovation
17.45-18.00 Conclusion La gastronomie moléculaire comparative et les précisions du futur


La méthode des diverses sessions :

La méthode de la Session 1 :
1. On part d’une recette de Carême.
2. On observe qu’elle suscite une foule de questions d’ordres variés.
3. On se détermine pour la composante technique de la cuisine.
4. On examine une recette moderne.
5. On distingue trois parties : définition, précisions, parties techniquement inutile.
6. Cette distinction impose une série d’études vers lesquelles on renvoie (chapitres suivants).
7. On applique la distinction à des recettes de Carême, tirées de ses divers livres.
8. La considération d’un seul auteur étant insuffisante, on examine divers auteurs, de diverses époques, sur un thème : les confitures.
9. Se posent alors des questions d’échantillonnage.
10. Et surtout des questions de typologie des précisions.


La méthode du chapitre 2 :
1. On commence par un examen terminologique, pour bien comprendre ce qu’est une précision.
2. Puis, considérant que le vocabulaire usuel est insuffisant pour établir une typologie des précisions, on examine une recette de mire-poix, de Carême.
3. Apparaissent alors des précisions relatives aux outils et aux ingrédients, pour la partie technique.
4. Quelques pas en arrière du travail conduisent à se demander quel espoir de découverte suscite un tel travail, d’une part, et si la distinction entre précision et définition est légitime.
5. L’examen des parties artistiques et de lien social (chez Carême et Gagnaire) conduisent à penser que le « techniquement inutile » a des fonctions : par exemple d’explication.
6. Mais l’attribution des trois champs reste difficile, comme on le voit avec une recette d’esturgeon à l’impériale de Carême.
7. La première question posée est : qu’est-ce qu’une recette ? On voit à ce propos que, chez Carême, le texte n’est pas tout artistique : les ingrédients suffisent à distinguer les recettes.
8. On est conduit à affiner la typologie initiale.
9. Toutefois, la recherche est ainsi chaotique. On tente une chronologie sur la sauce hollandaise.
10. On observe un allongement, avec le temps, alors que la définition ne change pas.
11. Puis on passe à une histoire détaillée de la mayonnaise. Elle donne une foule d’enseignements.
12. On cherche alors à dater une recette dont l’attribution est douteuse.
13. Pour cela, on dresse un tableau des premières apparitions des précisions.
14. On situe également la recette de Joseph Favre, dont on connaît la date.
15. Et l’on propose de généraliser l’idée aux adages.


La méthode du chapitre 3 :
1. On commence par chercher des statistiques de répartition des définitions, précisions, tierces parties dans des recettes des livres de cuisine les plus anciens
2. Puis on croise les données.
3. Le travail montre que cette piste ne produit guère de résultats, sauf dans des cas très particuliers.


Méthode du chapitre 4 :

1. Partant de la recette de mire-poix de Carême, on commence par se demander que tester
2. Puis on se pose la question de comment organiser les tests
3. Un test doit être fait plusieurs fois, mais combien de fois ?
4. La question nous renvoie à la méthodologie de l’analyse, et, notamment, à des considérations statistiques
5. Pour certains tests, de l’analyse sensorielle s’impose
6. A propos de haricots verts, nous sommes conduits à un critère de décision, pour le choix des précisions à tester.
7. Mais des cochons de lait rôtis nous montrent qu’il faut être prudent, et garder l’esprit ouvert
8. On termine par l’examen de plusieurs tests, dont on tire chaque fois un enseignement général
9. Puis par une classification des précisions, en termes de justesse, avec une appréciation de cette classification


Méthode du chapitre 5
1. On part de la recette de hollandaise de Madame Saint Ange, parce qu’elle évoque la difficulté de réalisation
2. On examine les types d’échec, en matière de technique culinaire, et l’on voit des cas bien différents
3. On systématise la recherche, en analysant les divers cas, et en cherchant une typologie plus générale
4. On est conduit à la question de la « fragilité » des recettes…
5. … et à la notion quantitative de robustesse.
6. On calcule la robustesse partielle de quelques recettes
7. Le concept est alors utilisé pour examiner la question des précisions
8. On conclut sur la généralité du procédé aux autres arts chimiques


Méthode du chapitre 6 :
1. La considération des adages faux conduit à la nécessité d’une sémiologie des précisions culinaires
2. On examine méthodiquement les adages faux, en vue d’identifier des types
3. On observe des effets de la pensée magique
4. Et des cas où des interprétations rationnelles fautives ont été proposées
5. Il reste quelques cas qui ne tombent dans aucune catégorie
6. Mais on ne voit nulle part d’influence de la théorie des humeurs
7. Il reste des chantiers importants qui sont cités


Méthode du chapitre 7
1. On commence par observer que les parties de définition sont souvent bien plus développées que les parties de précision.
2. Puis on observe que le livre est un objet de communication, et l’on s’interroge sur sa fonction
3. On distingue des livres documentaires et des livres de fiction
4. Pour la transmission technique, on évoque la gestion rationnelle des projets
5. Puis on discute de protocoles et de bons d’économat
6. On introduit des bons d’économat différents pour les ingrédients, matériels et méthodes
7. Sur l’exemple d’une sauce kientzheim, on discute la possibilité de scinder les bons d’économat pour tenir compte de la différence entre la définition et les précisions
8. Considérant que la cuisine, c’est du lien social, de l’art et de la technique, on évoque la possibilité de distinguer ces trois entrées dans des recettes qui feraient une différence entre définition et précisions
9. Mais on montre quand même que la précision absolue est un fantasme
10. Et l’on conclut ( ?) en évoquant rapidement des formes littéraires


Méthode du chapitre 8
1. On commence par distinguer des savoirs
2. Puis on fait l’exercice de reprendre un texte ancien…
3. … afin de produire des variations de toutes sortes, à tout propos
4. On conclut que la question de l’innovation n’a pas d’intérêt si elle se limite à la question du nouveau, puisque chaque mot peut conduire à une innovation
5. On distingue alors de l’innovation fondée sur la définition (Ifd) et de l’innovation fondée sur les précisions (Ifp).
6. Et l’on évoque la question de la robustesse des recettes


Méthode du chapitre 9
1. On évoque la gastronomie moléculaire comparative
2. On discute la question des précisions du futur