Je reçois une demande d'un journaliste :
"Les événements au Fat Duck , la sortie du livre de J. Zipprick, la bagarre entre Ferran Adria et Santi Santamaria m'ont amené à préparer un article sur ce sujet.
J' ai trois questions rapides à vous poser.
1) Dans le N° de mars de Cuisine Collective vous écrivez :"D'une certaine façon, je suis lâche, puisque, la " cuisine moléculaire " étant attaquée, je ne prends pas directement sa défense ".
Pouvez vous m' expliquer plus les raisons de votre silence ?
2) En dehors de Pïerre Gagnaire avec quels grands chefs collaborez vous régulièrement aujourd'hui?
3) Que pensez vous de l'idée de faire figurer sur les menus les additifs alimentaires entrant dans les recettes comme sur les étiquettes des produits agro alimentaires employant les mêmes additifs ?
Merci par avance de votre réponse que j'espère courte."
A ces questions, voici une réponse :
1. je vous joins le numéro de la Cuisine collective. L'idée que je développe et que je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, puisque j'espère qu'elle va mourir : entendons nous, je ne veux pas revenir à une cuisine que j'estime passéiste, mais j'espère que les avancées de la cuisine moléculaire passeront le plus vite possible, pour que l'on n'ait plus à les promouvoir.
D'autre part, je ne peux pas être responsable de productions culinaires de la cuisine moléculaire, parce que la "généralisation" est une faute. De même que tous les Alsaciens ne sont pas disciplinés, que tous les Auvergnats ne sont pas avares, que tous les etc. il y a de la bonne cuisine moléculaire, et de la mauvaise. Comment vouloir prendre la défense de ce qui est mauvais?
Non, je me contente de dire que nous ne pouvons pas continuer à cuisiner comme au Moyen Age : debout (fatigant), dans la chaleur de gaz continuellement allumés (gaspillage terrible d'énergie, inconfort), dans le bruit (évidemment, pour éliminer des calories inutilement perdues, il faut des hottes puissantes), dans le stress...
Vite, passons la cuisine d'après demain.
(j'ajoute que je n'ai rien à vendre, et que, contrairement à ce que disent certains mal informés ou menteurs, je ne suis pas à la solde de l'industrie chimique, puisque (voir mon livre "La sagesse du chimiste"), je dis même qu'il faut bien distinguer la technologie et la science. Pour ce qui me concerne, je fais de la science (production de connaissances, gastronomie moléculaire et non cuisine moléculaire), et je ne fais de technologie que pour Pierre (ce qui est faux, voir plus loin).
2. Je ne collabore pas avec mon ami Pierre. D'abord, le mot "collaborateur"
est connoté, mais, surtout, je m'amuse beaucoup avec Pierre, à tenter des tas de voies nouvelles, et à montrer (entre mille autres choses) qu'il n'est pas vrai que la créativité culinaire est morte en France. Une invention par mois sur son site : ce n'est pas rien! Le mieux, c'est que "Rembrandt accepte de peindre des œuvres avec les couleurs que je lui fournis!". C'est un bonheur inouï. A noter qu'il n'a jamais été question d'argent entre Pierre et moi. Je répète que, pour ce qui me concerne, je n'ai rien à vendre.
Cela étant, les Cours de gastronomie moléculaire, les Séminaires INRA de gastronomie moléculaire, les Ateliers expérimentaux du gout, les Ateliers Science & Cuisine, les Rencontres Science, art et cuisine, et tout le reste est public et gratuit : tous les chefs sont invités, beaucoup viennent très régulièrement, et je distribue le petit savoir que j'ai le plus possible (phrase dangereuse sortie de son contexte : imaginons que l'on coupe à "je distribue le petit savoir que j'ai"?).
Ma plus belle récompense, ce sont les dizaines d'email que je reçois chaque jour de cuisiniers du monde entier, qui me remercient, et qui me demandent des conseils que je donne gratuitement. J'ai même décidé, en conséquence, de créer un "centre technique de la cuisine", sur le site d'AgroParisTech (le site y est depuis une semaine, en construction).
A noter que je fais œuvre muséologique, en mettant les 25 000 dictons culinaires que j'ai recueilli depuis 1980 en ligne, sur le site de l'INRA.
J'avance lentement mais surement.
3. La proposition de faire figurer les additifs ne me semble pas judicieuse pour de nombreuses raisons :
- d'abord, pourquoi le faire figurer? Si l'on ne fait pas figurer la gélatine, pourquoi faire figurer la gomme adragante, utilisée depuis des siècles en pâtisserie? Pourquoi faire figurer le glucose des pâtissier?
- la notions d'additifs est délicate, parce que, immédiatement, les produits sont soupçonnés. Faudrait-il alors faire figurer le sucre, de son vrai nom saccharose, qui résulte du même type de transformations que l'acide citrique
(E300) ou l'acide ascorbique (E330)?
- je crois que la cuisine traditionnelle est parfois bien pire que les additifs. Les plats anciens, considérés comme des "novel food", et soumis à la réglementation, ne seraient pas acceptés. Le noix muscade contient assez de myristicine pour tuer un adulte, par exemple. Devra-t-on aussi indiquer "noix muscade"? Le barbecue dépose des quantités de benzopyrènes, très cancérogènes : pourquoi ne pas les interdire?
Plus généralement, deux écoles s'affrontent : les "hygiénistes" et d'autres, qui pensent plaisir. J'ai peur que, par crainte de l'inconnu (plutôt que du dangereux), on ne verse dans une cuisine "saine"... et impossible.
Pardon, je suis un peu long... mais certaines questions nécessitent de la nuance.
Au fait, êtes-vous au courant que, avec Pierre, nous présentons à Hong Kong, les 20 et 21 avril, des plats "note à note"? Je crois que c'est quelque chose qui agitera des gens comme l'Allemand que vous citez (qui a écrit des choses fausses à propos d'Innicon, par exemple ; il a par exemple oublié de dire que ma participation à ce programme a consisté à explorer la salade de pommes de terre : on ne peut pas dire que ce soit très "vendu à l'industrie chimique"!).
Vive la connaissance.
Puis, quelques instants plus tard, j'ai ajouté :
Pardon, j’ai l’esprit d’escalier.
La vraie raison pour laquelle je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, c’est que cela ne sert à rien : ceux qui veulent l’attaquer n’écoutent pas mes arguments, et les autres n’ont pas à être convaincus.
Autant pisser dans un violon, donc, quand on veut défendre.
Et puis, défendre est une posture qui a perdu d’avance. Attaquons.
Donc ne défendons pas la cuisine moléculaire, avançons, encore et encore, dans des directions socialement, collectivement utiles. C’est l’idée du constructivisme culinaire, et de la cuisine note à note. C’est aussi l’idée de la science, où je suis plus dans mon élément : produisons des connaissances, afin que, ensuite, il soit décidé ou non (collectivement, démocratiquement) de leurs utilisations.
Evidemment, en chemin, quelques chiens aboient (Marianne !!! Le Canard enchaîné), mais pour ces quelques là, il y en a tant d’honnêtes, qui cherchent simplement à comprendre.
Ne sommes nous pas humains en proportion de notre capacité d’admirer ?
Vive la connaissance
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