dimanche 12 novembre 2023

Combien ?

Dans notre groupe de recherche, adjectifs et adverbes sont proscrits La science, ce sont les mots : nous avons déjà discuté la question plusieurs fois, mais je propose aujourd'hui une « recette » simple, pour nous mettre sur la voie de la science : éviter les adjectifs et les adverbes. 

D'ailleurs, dans notre groupe de recherche, ils sont interdits, nous les chassons, dans nos discours, dans nos écrits… car nous savons bien que « petit » ne signifie rien, sauf si l'on a une échelle de référence, auquel cas on peut dire « petit de combien » ; ou bien encore « important », qui ne signifie rien d'autre que « jugé important par certains », ce qui appelle une référence ; ou encore « bon », qui ne signifie rien d'autre que « j'aime », ce qui est idiosyncratique, sans intérêt général. 

 

Bref, nous pourchassons les adjectifs et les adverbes, et c'est peut-être un bon conseil à donner aux jeunes scientifiques ou technologues que de se doter progressivement d'une sorte de petit radar interne pour dépister les adjectifs, qui sont souvent utilisés comme des cache misères, ou comme des instruments de mauvaise foi, de pouvoir, etc. 

 

Plus positivement, je me souviens de ce moment merveilleux, dans un des séminaires de Jean-Marie Lehn, au Collège de France, où je me suis rendu compte qu'il y avait des recettes « robustes » (le rôti de porc) ou « fragiles » (la mayonnaise), et qu'il fallait alors inventer un paramètre quantitatif pour déterminer quantitativement cette robustesse (voir, par exemple Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078). 

Ou encore, ce moment extraordinaire (pour moi) où j'ai compris que le mot « bioactif » méritait une détermination quantitative, ce qui m'a conduit à une « théorie de la bioactivité » (Hervé This, Solutions are solutions, and gels are almost solutions, Pure Appl. Chem., http://dx.doi.org/10.1351/PAC-CON-12-01-01, 2012, pp. 1-20.). 

 

Bref, je ne saurais trop inviter mes amis à faire la chasse aux adjectifs et aux adverbes, qui doivent être remplacés par la réponse à la question « Combien ? ». Et c'est ainsi que la science est merveilleuse !

samedi 11 novembre 2023

Les commandements de la cuisine

 
Dans le livre  "Mon histoire de cuisine", je donne 14 commandements : 

1. Le sel se dissout dans l'eau (c'est une métaphore, voir le livre pour mieux comprendre) 

2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile (idem) 

3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau (idem) 

4. L'eau s'évapore à toute température, mais elle bout à la température de 100 degrés.

5. Le plus souvent, les aliments sont faits principalement d'eau (ou d'un autre fluide)

6. Les aliments sans eau ni autre fluide sont durs 

7. Certaines protéines (dans les oeufs, la viande, le poisson) coagulent. 

8. Le tissu collagénique se dissout dans l'eau quand la température est supérieure à 55 degrés. 

9. Les aliments sont des systèmes dispersés 

10. Certaines réactions (de Maillard, de Strecker, des oxydations, des caramélisations, des pyrolyses...) engendrent des composés nouveaux 

11. Quand une préparation blanchit, c'est souvent qu'il y a foisonnement ou émulsion 

12. La capillarité fait migrer les liquides 

13. L'osmose a lieu quand des liquides de concentrations différentes sont séparés par une membrane appropriée 

14. Les composés peuvent migrer par diffusion 

 

Evidemment le texte du livre est là pour expliquer en détail. Par exemple, quand on dit "le sel se dissout dans l'eau", cela signifie à la fois que le sucre, aussi, se dissout, et qu'il y a une valeur limite (pour le sel, le sucre, pas pour l'éthanol), par exemple. Bonne lecture

vendredi 10 novembre 2023

L'ajout de sel à du blanc d'oeuf que l'on bat en neige permet-il d'augmenter le volume de mousse formée ?

 
Dans de nombreux livres de cuisine, dans les recettes où il est prescrit de battre du blanc en neige, il est conseillé d'ajouter une pincée de sel ou une goutte de jus de citron. Est-ce efficace ? 

 

Il y a au moins 15 ans, nous avons voulu le savoir et, à cette fin, nous avons cherché un protocole expérimental bien pensé pour élucider la question. En substance, nous allons battu des blancs en neige avec un peu de sel, un peu plus de sel, encore plus de sel... 

Comment évaluer les résultats ? La mousse formée a une surface irrégulière, de sorte que, finalement, nous nous sommes aperçu qu'il était nécessaire de transvaser le blanc en neige formé dans un récipient transparent gradué. Toutefois ce transvasement induit des incertitudes sur le volume de la mousse. 

Cela étant, l'étudiante qui faisait l'expérience est venue un jour me voir avec une courbe qui semblait montrer une croissance du volume en fonction de l'ajout de sel, et elle m' a fièrement annoncé que l'ajout de sel contribuait à l'augmentation du volume de mousse. 

Hélas le graphique qu'elle me montrait était fautif de plusieurs façons, et, notamment, parce que les points de mesures n'étaient pas assorti de barres d'incertitude, soit des incertitudes estimées, soit des « écarts types » déterminés par la répétition de l'expérience au moins trois fois. 

 

Nous nous sommes donc attelés à la détermination de ces incertitudes, et avons observé que ces incertitudes étaient si grandes que l'on aurait tout aussi bien pu faire passer une courbe décroissante par les mesures. 

Bref, l'expérience effectuée, malgré tout le soin mis, les efforts consacrés, ne donnait pas la réponse à la question. En pratique, donc, il faut conclure qu'il est illégitime de prétendre que le sel augmente le volume de blanc en neige. 

 

Autrement dit, il est absolument exclu, intellectuellement interdit, de dire que le sel augmente le volume de mousse. Car on pourrait tout aussi bien dire que le sel diminue ce volume. Il faut donc trouver d'autres expériences pour explorer cette relation sur la quantité de sel et le volume de blanc en neige formée.

jeudi 9 novembre 2023

La difficile question de l'évaluation

Les êtres humains sont diversement constitués, et leurs réactions dans une circonstance particulière sont donc variées. Toutefois la question des évaluations est épineuse pour la plupart d'entre nous, je le sais d'expérience, de sorte que cette généralité mérite d'être discutée… paradoxalement à partir d'une expérience personnelle.
Le moi est haïssable, nous sommes bien d'accord, mais un cas personnel peut devenir au moins un exemple à partir duquel on peut essayer d'analyser. 

 

Personnellement, donc, je déteste l'évaluation, parce que, faisant de mon mieux, je vois mal comment je pourrais faire mieux que ce que je fais. Il est vrai, aussi, que je déteste l'idée de subir l'appréciation, parce que je ne vois pas dans mes évaluateurs des personnes qui auraient plus de compétences moi-même sur mon propre travail (je fais souvent l'hypothèse -évidente puisque je consacre tout mon temps à ma recherche, sans répit, vacances, etc.), de sorte que je suppose que leur compétence est moindre que la mienne, donc leur évaluation illégitime. 

Mais je sais que c'est là un défaut personnel, largement partagée par ailleurs, qui consiste à se croire le nombril du monde, et en conséquence, à mal réagir face à ces évaluations. 

Dans mon cas, j'ai proposé des tas de « gesticulations » pour me sortir de cette situation, à savoir proposer ma propre évaluation, accumuler les démonstrations d'honnêteté, de travail et de droiture, à défaut de pouvoir proposer des compétences, etc. 

 

Toutefois le billet d'aujourd'hui reprend en écho celui que j'avais proposé à propos d'étudiants qui devaient faire un rapport. 

Sortant d'une évaluation, ou d'un concours ce qui revient au même, je me suis aperçu, en cours d'audition, que le jury n'était pas malveillant et, surtout, qu'il posait des questions afin de bien comprendre mon activité. 

En conséquence, j'ai constaté que je m'étais mal exprimé, dans mon document initial, ou que la matière était complexe, de sorte qu'elle méritait des explications, des éclaircissements. 

 

Vous vous souvenez que j'avais discuté le cas d'un étudiant qui avait été mal évalué, parce qu'il avait proposé une sorte de publications scientifique, en guise de rapport de stage. 

Ce n'est pas ce qu'on lui demandait : il aurait dû expliquer ce qu'il avait fait pendant son stage à des gens qui ne connaissaient pas son sujet ; Il y avait erreur à croire acquise des notions que n'avaient pas ses interlocuteurs. 

De même pour mon dossier de concours : oui, je travaille ; oui je place bonté et droiture parmi les qualités les plus grandes. Oui, j'essaie de contribuer à l'avancement des connaissance, au bien être de la collectivité qui m'emploie, etc., mais c'est une erreur, une légère erreur que ne pas expliquer bien l'ensemble des travaux, leur articulation, leur cohérence... 

Ainsi le jury m'a demandé comment il était possible que je puisse mener de front recherche, enseignement, communication : la question était légitime, et la réponse simple à donner (quand on fait 105 heures par semaine sans prendre de vacances, on peut faire bien plus.... que si l'on faisait moins). La question était légitime, la réponse était simple, et le fait qu'il y ait eu question prouve que le dossier envoyé n'était pas clair, au moins de ce point de vue. 

Un autre exemple : souvent, je réponds à des demandes d'institutions variées. Un ministre qui m'invite à développer la science dans les écoles, un recteur qui me convie à des formations, l'ambassadeur qui propose une série de conférences à l'étranger... Le jury a posé la question de savoir quelle était ma stratégie face à des demandes en nombre excessives. Cette activité ne nuirait-elle pas à la production scientifique ? La question est légitime la réponse était facile à donner, puisque, évidemment, je me suis posé depuis longtemps la question de savoir comment réagir à ces demandes, moi qui propose de toujours placer la méthode avant la réponse, la stratégie avant la tactique, pour prendre une métaphore guerrière que je n'aime pas. Quand une demande me parvient, elle est analysée, passé au crible d'un certain nombre de critères, le premier temps étant l'utilité sociale, en accord avec les missions qui me sont confiées, au moins tel que j' interprète la lettre de mission qui m'a été donné. 

Ce n'est pas une injure que l'on me fait de m'interroger sur la façon de répondre à ces demandes, et il est plus intelligent de considérer que, puisque cette question épineuse est lancinante, j'aurais dû l'anticiper et en donner une réponse simple dans le dossier écrit. Évidemment, on ne peut pas tout prévoir, surtout quand le nombre de pages du dossier écrit que l'on soumet est limité, mais en tout cas, je retiendrai – et je propose à mes amis (vous, donc) de le considérer aussi- qu'il y a une sorte de devoir d'explication, d'éclaircissement, qui s'impose avant tout. 

 

Au fond, si nous n'avons rien à cacher, montrons tout, n'est-ce pas ?

mercredi 8 novembre 2023

Qu'est-ce qu'un bon enseignant ?

 
Qu'est-ce qu'un bon enseignant ? Répondre à la question  serait naïf, parce que les mathématiciens savent bien que l'on ne peut discuter des propriétés d'un objet que si celui-ci existe. 

Je ne dis pas, ainsi, qu'il n'existe pas de "bon enseignant", mais qu'il n'existe pas "un bon enseignant", mais plutôt des bons enseignants ;-) (chers amis qui lisez ce blog, n'oubliez pas que je pourrai ajouter un smiley après presque chaque phrase). 

 

Bref, qu'est-ce qu'un bon enseignant ? Quelqu'un qui "explique" bien ? Quelqu'un qui fait travailler et apprendre ? Quelqu'un qui connaît bien la matière considérée ? 

J'ai déjà proposé de relire le Paradoxe du comédien, de mon ami Denis Diderot, mais je me répète : lisons le Paradoxe du comédien, et transposons vers l'enseignement. 

 

Toutefois, ici, ce n'est pas la question que je veux discuter. Je propose plutôt d'examiner la question de la relation entre l'enseignement et la recherche (scientifique, puisque c'est en réalité le champ qui m'importe. 

Je répète que l'université sélectionne les enseignants sur leur recherche, ce qui froisse certains, qui se décarcassent pour les étudiants, au détriment de leur production scientifique. Est-il donc juste de promouvoir de bons scientifiques pour faire de l'enseignement ? 

Ma réponse tiendra dans l'évocation de la "montagne du savoir" (scientifique), élaborée par nos prédécesseurs. Les étudiants n'auront pas le temps de tout retracer, mais, surtout, ils devront être, dès leurs études (courtes) terminées, en position de prolonger les travaux de production de connaissance. 

S'ils restent à des notions des siècles passés, il y a peu de chances qu'ils puissent produire beaucoup de nouveauté : comme disait Lewis Carroll, dans notre monde il faut courir très vite pour rester à la même place. 

 

Bref, c'est seulement si les étudiants maîtrisent les connaissances les plus modernes qu'ils ont des chances de pouvoir produire de la nouveauté. Il faut donc les aider à être très vite "au sommet"..., et, à cette fin, il faut bien connaître le sommet, et maîtriser les outils intellectuels relatifs à ce sommet.
Le mathématicien Emile Borel (1871-1956) produisait des mathématiques lors de ses cours, et deux de ses étudiants notaient, pour ensuite produire des livres d'enseignement ensemble. Quel merveilleux exemple ! 

 

De même que la recherche scientifique semble notamment être de l'enseignement à de jeunes chercheurs, ne peut-on considérer que l'enseignement est de la recherche en compagnie de "jeunes amis" ?

mardi 7 novembre 2023

La cuisine note à note continue de se développer

 Il y a quand même des moments plus importants que d'autres. Notamment quand fut publié en anglais mon livre sur la cuisine note à note. 

L'éditeur pensait que ce livre serait un succès. Commercialement, je m'en moquais un peu, mais la perspective que ce livre puisse servir de support à un développement international de la cuisine note à note me semblait essentiel. 

 

Et conformément à l'usage anglosaxon, l'éditeur a demandé à des "vedettes" des commentaires. Je trouve un peu humiliant d'être jugé ainsi (disons que je me moque des commentaires, et que je suis assez grand pour savoir ce que vaut ma production), mais je ne suis pas  resté insensible à l'amitié que m'ont faite les personnes sollicitées

lundi 6 novembre 2023

Les tests de QI mesurent en réalité... la naïveté et l'ignorance des mathématiques

 Un, deux, quatre, huit... Quel est le suivant ? Vous avez dit seize, mais, en réalité, il fallait répondre en 1013. 

Un autre : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21... Et le suivant ? Vous avez répondu 34, ayant observé que chaque terme est la somme des deux termes précédents, et vous avez tort : il fallait répondre 1013. 

Alors, encore un autre : 1, 2, 4, 6, 3, 4, 6... Quel est le suivant ? Je sais que vous avez répondu 1013, mais réponse était 724. 

 

Analysons. Dans tous ces cas, qui sont analogues aux questions posées dans les tests de QI, on veut éprouver notre sens logique. Mais c'est ignorer que, par une suite finie de points, on peut faire passer un nombre infini de courbes, et que la multiplication par deux pour le premier cas, ou la suite de Fibonacci pour le deuxième exemple, etc., ne sont que des cas très particuliers qui ne sont ni plus simples n'est plus logique que d'autres. Par une suite infinie de points, on peut faire passer un nombre infini de courbes et toutes peuvent avoir leur justification. 

 

C'est là une leçon que la nature donne régulièrement aux scientifiques qui font des mesures : la nature n'a pas toujours choisi la solution la plus simple, la plus logique (de notre point de vue), et nous devons bien scruter les phénomènes pour rechercher les mécanismes. 

 

Mais je m'égare. Pour en revenir aux tests de QI, nous sommes en droit de répondre ce que nous voulons à ces tests... du moment que nous savons justifier notre réponse, mais il faut savoir que cette réponse sera très idiosyncratique, et qu'il vaut mieux répondre au hasard, puisque le nombre de réponses possibles est infini. 

En pratique, je doute (mais c'est sans doute une présomption idiote de ma part, pardon si certains sont éclairés) que vos examinateurs sachent que leurs tests sont naïfs à ce point. Évidemment, lors d'un entretien d'embauche, il vaut peut-être répondre quand même par la réponse attendue, mais vous n'y perdrez par si vous expliquez pourquoi la question ne teste que la connaissance de certaines régularités élémentaires, alors que vous êtes bien au-dessus de cela. Et puis, si votre interlocuteur se vexe, ce sera la meilleure démonstration qu'il ne vous mérite pas, qu'il ne faut absolument pas aller travailler avec cette personne, qui joint la naïveté à l'ignorance et à un amour-propre exagéré. 

 

Ne travaillons jamais avec des salauds !