samedi 30 septembre 2023

La beauté est dans l'oeil qui regarde le sol

Il a plu, et les trottoirs luisent. Pourquoi ? 

Un microscope ou une loupe binoculaire s'imposent pour explorer cette question. Quand on regarde du bitume sec, on voit que la surface est très irrégulière, granuleuse, de sorte que la lumière qui arrive d'une direction, telle celle d'une lampe, est réfléchie dans toutes les directions par les diverses facettes du solide. Nous désignons cet effet par la « matteté ». 

En revanche, quand il pleut, l'eau vient combler les trous et former une couche dont la surface supérieure est très lisse, de sorte que seule la lumière venant dans la direction de la lampe est réfléchie, comme dans un miroir, toujours selon cette direction. Si nous regardons de côté, nous ne voyons rien, mais si nous regardons le sol dans la direction d'une lumière, nous voyons le reflet dans la direction de cette dernière. C'est cela, « luire », briller. 

 

En cuisine ? Les praticiens ont bien compris qu'une surface luisante est plus engageante qu'une surface matte, et c'est pour cette raison que nombre de pièces de banquets sont « glacées ». Pensons aussi aux œufs en gelée, pensons au nappage des gâteaux, où l'on dépose une couche qui gélifie (presque de l'eau, donc) sur la surface rugueuse produite par cuisson de la farine. Pensons à la dorure des croissants... 

Inversement, c'est l'évaporation de l'eau de surface des aliments cuits qui fait perdre l'aspect brillant, engageant, des mets, après quelques instants. Mon ami Pierre Gagnaire dit que ses plats ont une durée de vie de trois minutes, mais pourquoi ne pourrions-nous pas allonger cette durée (au moins pour l'aspect visuel) en brumisant un liquide, lequel pourrait être une « sauce » ?

Modèles, explications : les outils pour progresser

 
Dans des cours de Master, je fais valoir que les procédés et leurs effets peuvent s'apprécier de façon macroscopique. Plus exactement, si l'on veut comprendre les possibilités d'amélioration, donc de changement du procédé, et si l'on ne veut pas errer empiriquement dans l'infinité des possibilités, il y a lieu de "comprendre" ce qui se passe dans on effectue les opérations stipulées par le protocole, ou, plus généralement, mises en oeuvre.

Or la première "explication" des transformations macroscopique doit être microscopique.  
Par exemple, quand on coupe une carotte, la racine initiale est divisé en tronçon, par exemple, et cette division est un effet physique. Pour "comprendre" cette division, il y a lieu d'observer que la lame de certais couteaux est en forme de toit de maison renversé, et, pour d'autres, en forme ce V : dans le premier cas, il y a une compression, mais, dans le second, la coupe est plus franche. Et, finalement, dans les deux cas, le tissu végétal est séparé, la lame passant à travers une épaisseur plus ou moins grande de tissu, i.e. à travers un nombre de couches de cellules plus ou moins grand. Et cela s'accompagne d'une quantité plus ou moins grande de contenu cellulaire libéré : le tissu végétal est plus ou moins humide, et il brunit plus ou moins.

Cela étant, cette première explication mérite une explication... moléculaire : comment la lame du couteau divise-t-elle les cellules, et pourquoi la surface brunit-elle ? Là, la physique doit se fonder sur la chimie, sur la considération des molécules qui constituent les parois végétales, les membranes, les cellules.
Par exemple, le brunissement résulte du fait que des composés phénoliques sont libérés au côté d'enzymes catécholases, qui forment des composés mélanoidiques bruns. Bref, il faut de la chimie, pour comprendre les transformations du monde !

vendredi 29 septembre 2023

Les calculs de pH ? Aussi périmés que l'extraction de racines carrées à la main

Les calculs de pH aujourd'hui sont l'équivalent des extractions de racines carrées à la main, quand sont apparues les calculatrices.

 Quand j'étais collégien, en classe de sixième, nous n'avions pas de calculatrice électronique, et nous devions faire des calculs à la main. A ce stade de nos études, nous n'avions pas encore de règle à calcul, ni de table de logarithme. On nous enseignait donc laborieusement à calculer des racines carrées par un algorithme, pas très difficile d'ailleurs, qui rebutait la majorité des élèves, la séparation entre les littéraires et les scientifiques n'étant pas encore faite, à ce stade de nos études. Nous y avons passé des heures, parce que certains avaient le plus grand mal, et, une fois la découverte de l'algorithme faite, il n'y avait rien de grisant à effectuer mécaniquement ces calculs. 

Les calculettes sont arrivées, et, les quatre opérations se sont bientôt accompagnées de l'extraction des racines carrées ; Il est alors apparu inutile de continuer à occuper des dizaines d'heures avec quelque chose d'aussi inutile que le fameux algorithmes, qui est donc tombé aux oubliettes, sauf à titre de curiosité, pour ceux qui aiment les mathématiques (et nous sommes bien peu !). 

 

Le calcul du pH pour des solutions ? L’expérience me montre quasi quotidiennement que les étudiants, cette fois au niveau universitaire, ont la même difficulté que les collégiens avec les raines carrées. Ces calculs sont d'ailleurs ennuyeux, car ils veulent faire calculer ceux qui préféreraient s'intéresser à la chimie (on a compris que j'utilise ici la distinction, faite par moi ailleurs, entre chimie et chimie physique). Leurs faiblesses en calcul les mettent en difficulté, alors même qu'elles détournent l'intérêt de l'objet considéré. 

L'objet considéré, c'est le pH de solutions. Quand on met un acide dans l'eau, que ce soit un acide dit faible comme l'acide acétique ou un acide fort comme l'acide chlorhydrique, ce qui compte, c'est d'abord de penser que cet acide est faible ou fort. S'il est fort, il se dissocie immédiatement quand on le met dans l'eau, libérant des protons qui vont s'hydrater. Si l'acide est faible, alors il y a un équilibre entre la forme dissociée et la forme non dissociée. 

Cet équilibre est caractérisé par une constante de dissociation, mais cette caractérisation doit évidemment venir bien après la connaissance du mécanisme lui-même. 

Aujourd'hui, les étudiants sont face à une double difficulté : (1) analyser le phénomène du point de vue physico-chimique, puis (2) poser les équations du phénomène et (3) les résoudre. Les points 2 et 3 posent tant de problèmes aux étudiants... qu'ils en oublie l'analyse du mécanisme chimique. 

Pourtant, l'analyse chimique des problèmes conduit très simplement aux équations... qu'un logiciel de calcul résoudra aujourd'hui aussi simplement qu'une simple calculette calculait une racine carrée. Faut-il donc passer des heures, voire des journées, à enseigner la résolution des équations établies pour déterminer l'usage d'une solution ? Plus j'y pense, moins j'en suis convaincu. De même que nous nous n'allons pas à cheval poster notre propre courrier, de même que nous n'utilisons plus des plumes d'oiseaux et de l'encre pour tracer des mots sur des peaux raclées, de même, je crois que les enseignants ne doivent pas céder au fétichisme ou à la nostalgie et qu'ils doivent proposer aux étudiants de focaliser leur intelligence sur la partie la plus intéressante de la chimie, à savoir la chimie, et non le calcul. Il semble plus intéressant d'enseigner le maniement des outils modernes de calcul, et d'éviter les contorsions calculatoires que l'on devait faire jadis, quand on calculait à la main. Et puis, reconnaissons quand même que, pour les calculs de pH par exemple, la détermination d'ordres de grandeur s'impose. Que signifie la constante de dissociation ? Voilà la seule vraie question, et donc la seule qui doive être évaluée. En tout cas, notre système est dans l'erreur s'il conduit aux étudiants à ne même plus savoir qu'un acide faible est un acide faible ! D’ailleurs, pour être honnête, les étudiants que je rencontre ont appris à faire des calculs, ils ont passé les examens... et ils ont oublié ce qu'ils avaient appris. A quoi bon, alors ? 

J'ajoute que, si le cas des calculs de pH est particulièrement intéressant, en ce qu'il relève d'un mécanismes j'ai identifié dans l'enseignement, il n'est pas exceptionnel. Ainsi, je m'amuse à demander aux impétrants s'ils connaissent la réaction de Diels-Alder, une des quelques réactions essentielles de la chimie organique. Je pourrais tout aussi bien poser la question pour les réactions de Grignard, de Cannizzaro : il y a ainsi quatre ou cinq réactions essentielles qu'il serait bon de connaître, et, surtout, de ne pas oublier ! 

Des collègues me répliquent que les étudiants qui ont oublié ces réactions en connaissent l'existence, qu'ils sauront les retrouver. Pourquoi pas, mais ce n'est pas ce que montre l'expérience. Oui, quelqu'un qui dispose d'internet peut taper « diels alder »... mais à condition qu'il connaisse l'orthographe du mot, et l'expérience, malheureusement, me montre que l'on ne trouve pas cette réaction si l'on écrit « dilssaldère ». 

A la réflexion, c'est surtout l'accumulation des strates qui noie nos amis les plus faibles en calcul (si l'on peut utiliser une métaphore aussi osée). N'y aurait il donc pas lieu d'identifier les éléments prépondérants des programmes scolaires ou universitaires, afin de nous assurer que ceux-là sont maîtrisés ? 

 

Les questions que je pose ne sont pas simples, mais naïves. D'ailleurs, elles s'assortissent de graves considérations politiques : la première étant de savoir ce que nos jeunes amis feront ultérieurement de ces notions ? Un peu d''analyse de la question indique aussi que la difficulté est l’hétérogénéité des amphithéâtres, des promotions. Bien sûr la culture n'est jamais inutile, mais le temps passé à apprendre certaines notions se fera toujours détriment d'autres. Je ne milite évidemment pas pour une spécialisation à outrance, mais je m'interroge sur les savoirs et les compétences que nous pouvons proposer à des groupes étudiants. 

Si ces étudiants ont des parcours différents, les uns devenant ingénieurs, les autres scientifiques et d'autres enfin banquiers, en vertu de quoi serait-il bon de leur donner le même enseignement à tous ? Les moyens modernes ne permettent-ils pas -vraiment- de construire des parcours un peu plus à la carte ? 

Poursuivons l'analyse : dans le schéma éducatif jusqu'ici considéré, on imaginait que le corps enseignant décide pour les étudiants des notions qu'ils devaient apprendre, retenir, maîtriser... Mais si l'on se décidait à accompagner les étudiants dans un parcours qu'ils se seraient choisi eux-mêmes ? Un étudiant qui apprend par lui-même, des matières qu'il a lui-même choisies, devient responsable de son savoir et de ses compétences, de sorte que nous éviterions cette espèce de lutte des classes idiotes, qui se poursuit depuis des siècles, entre les bons étudiants et les salauds d'enseignants, ou entre les bons enseignants et les paresseux étudiants. Quand on va dans le mur, il semble important de s'en apercevoir à temps : perservare diabolicum !

jeudi 28 septembre 2023

La quiche

Par une sorte de réflexe idiot, j'ai failli écrire « la quiche lorraine », mais je serais tombé dans la périssologie, une faute, donc, car la quiche est lorraine ! 

Dans ce billet, je propose d'examiner la raison pour laquelle il est bien peu utile d'avoir des recettes pour cuisinier, quand on a ce qu'il faut entre les deux oreilles. 

Analysons : une quiche, c'est de la pâte qui enferme une « migaine » coagulée. A ce stade, je ne peux m'empêcher de sourire, car, alors que je veux simplifier pour mes amis, j'utilise des mots comme « migaine », qui sont du patois lorrain. Rassurons-nous, il s'agit seulement d'un mélange d'oeufs, de crème, de lait, avec quelques lardons dedans. Nous y reviendrons. 

Je repars donc du début : une quiche, c'est une pâte avec une préparation coagulée par dessus (on dit « un appareil », en cuisine). Il faudra donc considérer deux parties : la pâte, d'une part, et la migaine d'autre part. 

Pour la pâte, nous savons tous qu'il y en a de sablées, brisées, feuilletées. Souvent, quand nous achetons une quiche, la pâte est feuilletée, parce que cela est le signe d'un travail plus élaboré, plus professionnel. Va pour la pâte feuilletée. 

La pâte feuilletée ? C'est tout simple. On commence par faire un pâte en mélangeant la farine et de l'eau. Combien ? Ne vous en faites pas : partez de farine, et ajoutez de l'eau en mélangeant, cuillerée par cuillerée. Vous obtiendrez une pâte qui ne colle plus aux doigts. 

Ce que l'on ne sait guère, c'est qu'il vaut mieux mettre cette pâte au frais sans quoi elle se rétracte. C'est ce que nous ferons, en mettant la pâte dans une une feuille de plastique transparent, afin qu'elle ne sèche pas, ne croûte pas. Puis nous la sortirons après environ une heure, et nous l'étalerons en une galette un peu épaisse. Dessus nous déposerons du beurre malaxé pour qu'il soit mou : une masse comprise entre la moitié de la masse de pâte et la masse de pâte complète. Nous posons une sorte de disque de beurre sur le disque de pâte, et nous replions la pâte par-dessus le beurre pour l'envelopper comme une lettre dans une enveloppe. Puis, l'aide d'un rouleau à pâtisserie, nous étendons l'ensemble de sorte qu'il soit environ trois fois plus long que large, et nous le replions en trois. Nous le tournons d'un quart de tour, et nous recommençons l'opération d'allongement et de repliement. Puis nous remettons la pâte dans le film, et nous remettons au frais, sans quoi, surtout en été, le beurre risque de fondre exagérément et de fuir tous les côtés. Après une demi-heure à une heure de repos de la pâte au frais, nous reprenons l'ensemble, nous l'étendons trois fois plus long que large, nous plions en trois, nous tournons d'un quart de tour, nous étendons trois fois plus long que large, nous replions... et nous filmons, nous remettons au frais. Là, nous avons fait quatre tours. Il ne reste que deux tours à faire, juste avant la cuisson. Je n'explique donc pas comment on fera ces deux derniers tours, puisque j'ai déjà expliqué cela deux fois, mais je me limite à préciser que, finalement, nous étendrons la pâte à la taille du moule, un peu épaisse si nous voulons la voir gonfler considérablement, et très mince si nous voulons éviter le gonflement, ce qui est le cas pour une quiche. 

Pourquoi le gonflement aurait-il lieu ? Parce que la pâte contient de l'eau, et que l'eau qui s'évapore prend plus de volume que l'eau liquide ; comme la vapeur est entre des feuillets de beurre, les feuillets de pâte se séparent avant de sécher. D’ailleurs, pour éviter un gonflement excessif, on a coutume de piquer la pâte avec une fourchette, ce qui soude les couches, mais conserve une consistance feuilletée. 

La cuisson ? Un four à 180° pendant 30 à 50 minutes fait l'affaire. Faites donc des essais : vous identifierez les paramètres qui vous conviennent, et votre entourage sera ravi de participer à des expérimentations qui se concluent toujours par la dégustation. 

 

Reste l'appareil, la migaine, la préparation qui coagule. 

Nous avons vu qu'il s'agit de lait et de crème, c'est-à-dire d'eau et de matière grasse, mélange auquel on ajoute de l'oeuf, c'est-à-dire de l'eau et des protéines. À la cuisson, les protéines coaguleront, fixant l'ensemble dans une sorte de grand filet, de sorte que l'eau restera dans le réseau, tout comme les morceaux de lard qui, eux, contrairement aux molécules d'eau, sont bien visibles à l'oeil nu. Le lard ? C'est de la poitrine fumée, que vous aurez ou non fait rissoler par avance ; c'est une question de goût. 

A ce stade, il faut évoquer différentes écoles. Il y a ceux qui mettent la migaine dans la pâte, directement, et ceux qui cuisent d'abord la pâte "à blanc", sans garniture, afin qu'elle soit bien cuite, et qui, dix minutes avant la fin de la cuisson, ajoutent la préparation afin qu'elle reste tendre. 

Les bons cuisiniers lorrains ont l'habitude de dire que la quiche est prête quand elle se met à gonfler. C'est en effet le signe que la coagulation a eu lieu, et que la vapeur qui voudrait s'échapper est bloquée par la migaine juste coagulée. 

Ah, j'ai oublié nombre de détails : muscade, sel, poivre... mais rappelez-vous que je ne suis pas cuisinier. Si j'ai de bons maîtres, je propose surtout ici d'analyser la composante technique de la cuisine. Pour la partie artistique, je vous renvoie aux artistes... Mais attention : aux artistes, et non pas aux techniciens. 

Et, pour terminer, rappelons que la cuisine, c'est d'abord du lien social, avant d'être de l'art ou de la technique. La vraie question est de savoir comment donner du bonheur à nos amis. Faire une quiche, c'est bien, mais nos amis percevront-ils tout le mal que nous nous sommes données pour eux ? Cela peut apparaître si l'on a bien déposé la pâte, si l'on évité que le fond charbonne, si l'on a une surface légèrement brunie, si la quiche paraît gourmande, avec assez de lardons, coupés de la bonne taille, soigneusement désossés... Et puis, il y a tout le reste : le plat où la quiche est placée, la nappe sur laquelle le plat est posé, les couverts soigneusement disposés, le couteau avec sa lame vers le convive, et la fourchette à la française, avec les dents vers la nappe, au lieu de montrer des pointes agressives à nos vis à vis. Il y a la lumière, la couleur, l'environnement sonore, le moelleux des coussins ou la bonne assise des chaise. 

Bref, une quiche, c'est bien plus qu'une quiche, et c'est seulement si l'on a bien dit je t’aime que nos amis le percevront clairement, et qu'ils auront toutes les bonnes raisons de nous aimer en retour. La quiche ? Une occasion de ne pas manquer d'établir de merveilleuses relations entre les individus. J'aurais pu dire cela de n'importe quel plat, et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.

mercredi 27 septembre 2023

L'auto-organisation


En 1987, le prix Nobel de chimie à été attribué au chimiste français Jean Marie Lehn et à deux de ses collègues pour leurs travaux sur la chimie supramoléculaire. 

De quoi s'agit-t-il ? Normalement, en chimie, on forme des molécules nouvelles en coupant et en établissant des liaisons dites « covalentes », qui résultent de la mise en commun d'une paire d'électrons, entre deux atomes. Toutefois, dans les années 1980, les chimistes ont étudié la possibilité de former des assemblages de plusieurs molécules à l'aide de liaisons plus faibles que les liaisons covalentes : des ponts disulfures, des liaisons hydrogène … 

Ces assemblages ont été nommé supermolécules, et la chimie qui les forme et les étudie a été nommée chimie supramoléculaire. Il est tout à fait remarquable d'observer que, avant cette chimie supramoléculaire, les bibliothèques étaient pleines de livre sur les « complexes » de diverses sortes. Tout cela a été balayé par la chimie supramoléculaire, qui donné un cadre général à la description de ces divers objets. 

 

Ce qui est le plus merveilleux, c'est que cette chimie permet d'envisager la création d'objets nouveaux, et, notamment, d'objets capables de s'assembler spontanément, de se dissocier et de se réassembler selon les circonstances chimiques. Notamment, Jean-Marie Lehn et ses collègues ont conçu et réalisé des molécules en formes de parts de tartes, avec des bords « collants ». Si l'on met de telles molécules dans une solution, elles diffusent, puis s'assemblent par les bords. Si l'angle au centre de ces molécules n'est pas un sous-multiple de 360°, alors les parts de tarte forment une structure hélicoïdale, identique à la capside de certains virus ! 

Voilà pourquoi la chimie supramoléculaire me semble si importante, et voilà pourquoi l'étude de chimie mérite que l'on réserve un chapitre particulier à cette chimie des forces faibles, qui conduit à l'étude de l'auto-organisation, un chapitre de la chimie qui se développera considérablement au XXIe. Militons pour que Jean-Marie Lehn reçoive un deuxième prix Nobel !

A propos de crème pâtissière

 
On m'interroge  à propos de crème pâtissière... en me donnant une recette qui comporte de la maïzena : c'est manifestement une recette moderne, mais, pour ce qui me concerne, je cherche toujours à avoir une idée fondée des recettes, et je consulte les livres anciens pour trouver la plus ancienne, car selon la règle internationale, c'est celle-là qui doit s'imposer. Et quand une recette s'en écarte, il faut le dire.
Bref, c'est dans le traité de pâtisserie de Pierre Lacam (1878), que j'ai trouvé ma plus ancienne recette de crème pâtissière, ainsi libellée : "500 gr. de farine et 8 œufs dans une casserole, puis les détremper avec 1 litre et 1/2 de lait, sel. La cuire 20 minutes sur le feu. "
Là,  l'ordre est très clair : farine, oeufs, lait. Pas de fioriture.

Puis, avec Joseph Favre, une indication importante est donnée : "Crèmes pâtissière : terme générique embrassant toutes les crèmes liées sur le feu et usitées pour les entremets et les pâtisseries. " Nous devons conclure que Favre n'est pas légitime.

Mais viennent Darenne et Duval, en 1911, qui indiquent : Darenne et Duval, 1911 :
"Crème pâtissière. — 5oo gr. sucre en poudre travaillé dans une terrine avec 12 jaunes d’œufs, ajouter ensuite 100 gr. farine, vanille. un grain de sel, un litre de lait bouillant ; faire donner un bouillon sur le feu en remuant à l’aide d’une spatule pour éviter d’attacher.  Débarrasser pour l’usage et beurrer la surface pour empêcher la formation d’une croûte."
Cette fois, et seulement cette fois, le sucre est présent. D'ailleurs, cette fois aussi vient la précision culinaire de fouetter les jaunes avec les sucres, afin de faire un ruban, une préparation qui blanchit parce qu'elle est "foisonnée" (plein de bulles d'air dispersées dans le liquide où le sucre se dissout), ce qui donnera à la sauce plus de moelleux.

Ainsi, quand mon interlocuteur se demande s'il faut mettre la maïzena ou la farine avant ou après le ruban, je commence par observer que la question est la même, pour la farine et pour la maïzena, car ces deux matières sont principalement faites d'amidon, même si la farine contient aussi des protéines.
Et, n'ayant pas fait d'expérience pour l'établir expérimentalement, j'ajouterais personnellement ces ingrédients après le ruban, car je ne vois pas comment ils l'amélioreraient.
Mais rien ne vaut une expérience... Enfin, une série de plusieurs expériences, car un seul test ne vaut pas grand chose. Il faudra diviser les ingrédients en deux moitiés égales, pesées, et comparer :
- un mélange de jaune et sucre qu'on aura battu (pendant un temps déterminé, avec une machine régulière), avant d'ajouter la farine ou la maïzena
- un mélange de farine/maïzena et jaune, auquel on ajoutera le sucre avant de battre à l'identique.
D'ailleurs, il faut sans doute dédoubler ces expériences, en les faisant d'une part pour la farine, et d'autre part pour la maïzena.
Et, comme je l'ai indiqué plus haut, il faudra répéter ces comparaisons plusieurs fois, avant de pouvoir commencer à tirer des conclusions.

mardi 26 septembre 2023

La merveilleuse histoire du sotolon.

Sotolon, qu'est que cet animal étrange ? 

Ce n'est pas un animal mais un composé, une lactone, c'est-à-dire un composé dont les molécules comprennent des atomes groupés en cycle pentagonal, avec quatre atomes de carbone et un atome d'oxygène ; sur ce cycle, s'attachent des groupes moléculaires variés. 

Le sotolon a une odeur puissante, qui dépend de sa concentration. Selon les cas, on sent (dans le désordre) la noix, la levure, le curry, le vin jaune, le porto, la brioche, le champagne, le fenugrec... 

De fait, il est présent dans tous ces produits, notamment, et il fut découvert il y a quelque années qu'il est également présent dans le vin jaune : ce composé semble produit par l'autolyse des levures, la dégradation de ces dernières qui survient quand elles meurent. 

Pas étonnant, alors, qu'on le trouve dans le pain, la brioche, le champagne, etc., puisque des levures meurent dans tous ces aliments et boissons. 

Cette observation est une clé pour le praticien : plus il mettra en œuvre de levures qui mourront, plus il favorisera la production de ce goût merveilleux qui est celui du sotolon. Une brioche ? Faisons la fermenter, puis, quand la fermentation s'arrête, rabattons la pâte, c'est-à-dire travaillons la afin que les levures restantes se retrouvent au contact de nutriments frais, et que le gonflement se produise une deuxième fois. J'ai dit deuxième et non seconde, parce que l'on aura compris qu'il n'est pas inutile de battre à nouveau afin de favoriser une troisième fermentation, une quatrième, etc. Et c'est ainsi que les pâtes fermentées prendront un goût merveilleux, pas réductible au sotolon, mais où celui-ci jouera une partie essentielle.