dimanche 17 mai 2015

Comment apprendre


Dans un autre billet, j'ai expliqué que j'avais finalement compris que la question de l'enseignement n'était pas celle de l'enseignement, mais celle de l'apprentissage, par les étudiants. J'ai proposé de diviser la question en "quoi apprendre ?" (et pourquoi ?), et en "comment apprendre". 

Comment apprendre ? Voilà une question extraordinairement difficile, et, comme souvent, je propose de commencer par quelque chose de simple, de pratique. Un jour, un de mes fils est rentré de l'école primaire avec une récitation à apprendre. Je lui ai demandé si le professeur lui avait dit comment apprendre  cette récitation, et il m'a dit que non. J'ai donc fait un mot à ce collègue en lui disant que j'avais demandé à mon fils de ne rien apprendre, tant qu'il ne saurait pas comment faire. Après tout,  cette école-là ne me convient pas : c'est comme si, en classe d'éduction physique, on notait les élèves en fonction de leur  résultat à la course ; les enseignants ne sont pas là pour constater des capacités que les élèves ont déjà, mais pour leur apprendre à faire, en l'occurrence à courir ! Et les élèves, en conséquences, doivent  être notés sur leur apprentissage, pas sur leurs capacités. 

Pour en revenir à mon fils, l'enseignant lui dit alors qu'il fallait lire la récitation suffisamment de fois pour  finir par la retenir. Cette méthode de mémorisation est-elle bonne ? Apparemment pas, si l'on en juge d’après les Grecs ou les univesitaires du Moyen Âge et de la Renaissance, qui, pour apprendre, se composaient une maison intérieure, avec des pièces très caractéristiques où ils déposaient mentalement des notions à retenir. Apparemment pas si l'on en juge  d'après ceux qui ont passé l'internat en médecine et qui, souvent, ont d'abord structuré le savoir qu'ils voulaient retenir. A propos de mémorisation, et puisque l'enseignement ne cesse de solliciter cette capacité (vous comme moi, nous avons eu des récitations à apprendre), il faut dire qu'il existe des méthodes de mémorisation variées, de sorte que l'on attend du corps enseignant qu'il collige ces méthodes, qu'il les compare quantitativement, et qu'il transmette ensuite les plus efficaces,  au lieu que chacun dise paresseusement « C'est comme cela que je fais ». Mieux, je propose que nous commencions par recueillir ces méthodes auprès  de ceux dont le succès montre qu'ils savent les mettre en œuvre. 

Ce qui vaut  pour la méorisation vaut évidemment pour d'autre capacités. Et on aura raison de ne pas s'arrêter à la mémorisation, car la mise en œuvre de compétences n'est pas la mémorisation de connaissances.  



Se doter de compétences ? La question est également notoirement difficile, et, là encore, il y a sans doute lieu de diviser le problème. Par exemple, c'est un fait que l'on peut disposer parfaitement de la théorie du frapper dans une balle de tennis (un exemple sans intérêt, mais les gestes de laboratoire relèvent du même ordre d'idées), et ne pas parvenir aussi bien qu'un champion à l'envoyer là où on voulait. Là,  il y a donc lieu  d'effectuer un apprentissage particulier, ce que l'on nomme parfois un entraînement. Toutefois, comme pour la mémorisation, l'entraînement peut se faire de différentes façons, et au lieu d'une simple répétition, il y a sans doute lieu d'analyser,  structurer, comparer quantitativement. 

Pour l'instant, on a souvent fait l'économie de ces comparaisons, de ces analyses, et cette économie s'est faite pour de nombreuses raisons, notamment parce que les étudiants ne sont pas des cobayes et qu'ils doivent apprendre avant de servir à des analyses utiles à la collectivité. En faisant cette remarque, on ne saurait éviter de la rapprocher de la recherche clinique en médecine où la  même question se pose et où,  pourtant,  des  études sont faites en vue d'évaluer l'efficacité des médicaments. Il y a dont lieu, semble-t-il, de faire le même type de travail, avec les mêmes règles déontologiques, de consentement éclairé, d'éthique en général. Car c'est ainsi seulement que l'ensemble de la collectivité pourra bénéficier de résultats fiables, et non pas de méthodes arbitraires ou idiosyncratiques. 

Une anecdote pour  terminer : récemment une étudiante en première année médecine m’interrogeait, et, lors de la discussion, je l'interrogeais moi-même sur sa propre méthodes d' apprentissage en lui demandant si cette méthode était efficace. La jeune fille répondit que oui,  cette méthode était efficace puisque c'était celle d'une de ses amis qui était meilleurs qu'elle. Meilleure, mais combien ? Et surtout bonne ? A l'analyse, il apparut que cette amie en était à sa deuxième première année de médecine, ce qui montre que la méthode n'avait pas prouvé son efficacité. 

La vraie question : quelles méthodes les meilleurs d'entre nous mettent-ils en œuvre ? 


jeudi 14 mai 2015

Je ne veux pas être responsable de la poussière du monde ; ou mieux, je veux (activement) beauté et intelligence





Ah, la poussière du monde ! Cette idée m'avait été donnée par le moine Citrouille Amère, surnom de Shitao, un peintre chinois qui produisit un remarquable traité de peinture, intitulé L'Unique Trait de Pinceau. 

Je ne comprends pas bien pourquoi, mais les cultures chinoises ou japonaises m'ont longtemps ébloui (et j'utilise le terme à  bon escient), au point que j'ai "gobé" bien des idées que je récuse aujourd'hui. La question de l'unique trait de pinceau, par exemple, me semble aussi fausse que la critique des "cuisines d'assemblage" par les cuisiniers français classiques. 

Pour le cas de la cuisine, il s'agirait de produire le plat d'un coup, et de ne pas superposer des éléments cuits séparément. Par exemple, pour une tarte au citron meringuée, il faudrait cuire en une fois la pâte, avec sa garniture, et sa meringue... ce qui est sans doute impossible théoriquement si l'on veut une pâte bien croustillante, une garniture bien moelleuse et une meringue parfaite ; celui qui superposerait pâte cuite à part, garniture cuite à part et meringue cuite à part serait sanctionné, lors des épreuves des Meilleurs Ouvriers de France... alors que, paradoxalement, le résultat serait  supérieur. 

De même, selon Shitao, il faudrait peindre d'un trait, sans reprise, sans rature, parce qu'il serait impossible de corriger un trait erronné, ce qui imposerait une longue méditation avant de tracer les traits. Mais, là encore, en vertu de quelle loi ne pourrait-on pas corriger ? Après tout, les gommes ne sont pas faites pour les chiens !

C'est ce même Shitao, donc, qui m'avait communiqué cette idée de "poussière du monde" qu'il aurait fallu combattre, afin d'être capable de produire une oeuvre d'art. D'où la méditation, notamment. Il aurait fallu se vider l'esprit pour que seul l'unique trait de pinceau puisse advenir correctement.

Longtemps, j'ai propagé l'idée de la poussière du monde, en y voyant les imbécilités que le monde ne cesse de sécréter, les platitudes, les lieux communs, les clichés, les conversations insignifiantes faites pour "meubler", pour créer le lien social sans autre support que cette volonté implicite de socialité.
Mais il ne suffit pas d'énoncer un mot pour faire exister un concept : carré rond, père Noël... Et la poussière du  monde  existe-t-elle vraiment ?
Je crois, finalement, que c'est nous qui la sécrétons, et pas le monde ! C'est nous qui  admettons des discussions insignifiantes, qui y participons. C'est nous qui, souvent par timidité, acceptons cet avatar du Guide de la conversation et des bonnes manières, qui permettait, lors des dîners bourgeois, de ne parler ni de religion, ni d'armée, ni de politique. C'est nous qui nous vautrons dans  l'énoncé du dernier film ou roman à la mode, fut-il écrit par un petit marquis dont la prétention n'est égale qu'à l'incapacité à écrire des phrases correctement agencées (sans parler de rhétorique, bien sûr, dont ils ignorent tout). C'est nous, donc, qui sommes responsables de la poussière du monde, et non le monde qui voudrait nous empoussiérer. 

Dans la mythologie alsacienne, partie ensuite en Allemagne, puis dans les pays du nord de l'Europe, il y a ce concept du Ragnarok, ce moment où les Géants viendront combattre les dieux, raison pour laquelle ces derniers recrutent des guerriers qui occupent le Valhalla. Les Géants  ? Dans une certaine acception de la mythologie, ils seraient l'équivalent de cette poussière du monde engendrée par le monde... mais on se souvient que je propose plutôt que nous soyons les créateurs de la poussière. De même, les Géants sont dans les dieux, et pas des entités menaçantes extérieures. Nous portons en nous  la responsabilité de faire exister le monde, avec ses Géants, sa poussière. Une fois que l'idée est claire, il devient plus facile d'éviter poussière et Ragnarok, poussière du monde et fin du monde.


Mieux encore : jusque ici, ce billet est négatif ; il refuse la poussière du monde, il refuse l'existence de la poussière du monde. Plus positivement, la question n'est-elle pas de faire advenir beauté et intelligence. Elles sont en nous, mais comment les faire advenir ? Savoir qu'elles sont en nous nous fait un devoir de les en extraire, pour que, tel un soleil, elles  éclairent notre vie. Nous les obtiendrons à force de travail, de soin, de patient labeur... 


lundi 11 mai 2015

Enseigner ou apprendre ? Apprendre !



Je me repens amèrement, car je viens encore de voir une erreur terrible que j’avais faite, et à propos de cette activité essentielle qu’est l’enseignement.

Ceux qui me lisent se souviennent que, il y a quelques années, passionné par la difficile et importante question de l’enseignement (il y a la carrière de jeunes amis en jeu), j’avais proposé une réflexion : je partais d’ "attendus", et j’en tirai des conséquences, d’où j’avais extrait des propositions de rénovation de l’enseignement supérieur (mais la réflexion dépassait ce cadre).

Or si l’enseignement semble consister à enseigner, c’est aux étudiants seulement qu’il revient d’apprendre. Et c’est donc...


La suite à lire sur http://www.agroparistech.fr/Enseigner-ou-apprendre-Apprendre.html

dimanche 10 mai 2015

Se prendre au sérieux ?

Aristophane fustigeait ceux qui se prenaient au sérieux (pour faire des guerres qui les enrichissaient et leur donnaient du pouvoir). Le monde a-t-il changé ? Pas sûr : récemment, un ami directeur de laboratoire dans une grande école scientifique s'est demandé, avec son équipe, s'il ne ferait pas mieux de se prendre au sérieux. J'explique. 



Les élèves de cette école doivent choisir des laboratoires d'accueil pour faire des stages. Pour qu'ils puissent choisir en connaissance de cause, on leur organise une séance où des enseignants-chercheurs viennent présenter des travaux en cours, auxquels les élèves pourront participer, s'ils le souhaitent. 

Dans cette école, comme dans toutes les écoles, il y a  des individus de diverses sortes, notamment  à propos  du "sérieux". Examinons d'abord le mot : "Qui s'intéresse aux choses importantes; se montre réfléchi et soigneux dans ce qu'il fait.".  Montaigne, lui, donnait le sens suivant : " qui n'a pas pour objet l'amusement, la distraction. 

Dans cette affaire, il y a deux questions... importantes : (1) la première est l'importance ; qui décrète de l'importante des choses  ? ; (2) ensuite, il y a l'amusement, qui se distinguerait de l'important... mais ne peut-on pas faire par amusement des choses "importantes", en supposant que l'on a déterminé ce qui est important ? 

Décidément, tout tourne autour de l'importance : " Qui atteint un niveau dont on juge qu'il est grand". Un niveau ? Avec quel indice ? Et qui est ce "on" qui juge ? 

Enfin, il y a ce que disait Jorge Luis Borges : "Je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse". Tout est là ! 

Bref, dans une école, parmi les enseignants-chercheurs, il y a : 

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, et qui ne le font pas sentir aux autres

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, mais ne le font pas sentir aux autres

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, mais font sentir aux autres que  ce qu'ils font est important

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, et ne font pas sentir aux autres que ce qu'ils font est important

On aura compris que je mets la catégorie qui se prend au sérieux  (ceux qui cherchent à faire sentir aux autres que  ce  qu'ils font est important) avec les pisse-vinaigre de Rabelais. On se souvient que je ne mets pas dans cette catégorie ceux qui sont sérieux sans chercher à le faire sentir : après tout, n'était-ce pas ce que faisait Borgès ? 

Et on aura compris que je préfère par dessus tout ceux que leur activité passionne et qui,  joviaux, s'amusent de leurs travaux et cherchent à en partager le bonheur avec leur entourage. 



Le drame (si l'on peut dire), c'est que mon ami -qui fait de la très bonne recherche- ne voit pas les étudiants venir vers son laboratoire, mais se diriger plutôt vers les équipes qui se prennent au sérieux, qui sinalent à chaque phrase que ce qu'ils font est important, essentiel, fondamental... A vrai dire, c'était déjà ainsi quand j'étais élève à l'ESPCI : une bonne partie de la promotion était partie faire de la chimie analytique, captée par un professeur qui vendait bien sa salade. 

Toutefois le résultat, c'est que mon ami et son équipe ont organisé une réunion interne, pour se demander comment présenter leurs activités les prochaines années : devraient-ils jouer à ce jeu un peu malhonnête qui consiste à se taper sur la poitrine... afin de capter des esprits un peu faibles, puisque sensibles à des arguments idiots ? Je n'ai pas le résultat de leur réunion, mais, de même que l'on doit sans cesse combattre la pensée magique, je crois que nous devrions sans relâche dénoncer ceux  qui  font les importants, ceux qui se prennent au sérieux. 

Traquons ces deux mots ! 


samedi 25 avril 2015

Je ne veux pas être responsable de la poussière du monde

Ah, la poussière du monde ! Cette idée m'avait été donnée par le moine Citrouille Amère, Shitao, un peintre chinois qui produisit un remarquable traité de peinture, intitulé L'Unique Trait de Pinceau. Je ne comprends pas bien pourquoi, mais les cultures chinoise ou japonaise m'ont longtemps ébloui (et j'utilise le terme à  bon escient), au point que j'ai "gobé" bien des idées que je récuse aujourd'hui. La question de l'unique trait de pinceau, par exemple, me semble aussi fausse que la critique des "cuisines d'assemblage" par les cuisiniers français classiques. Pour le cas de la cuisine, il s'agirait de produire le plat d'un coup, et de ne pas superposer des éléments cuits séparément. Par exemple, pour une tarte au citron meringuée, il faudrait cuire en une fois la pâte, avec sa garniture, et sa meringue... ce qui est sans doute impossible théoriquement si l'on veut une pâte bien croustillante, une garniture bien moelleuse et une meringue parfaite ; celui qui superposerait pâte cuite à part, garniture cuite à part et meringue cuite à part serait sanctionné, lors des épreuves des Meilleurs Ouvriers de France. De même, selon Shitao, il faudrait peindre d'un trait, sans reprise, sans rature, parce qu'il serait impossible de corriger un trait erronné, ce qui imposerait une longue méditation avant de tracer les traits. Mais, là encore, en vertu de quelle loi ne pourrait-on pas corriger ? 

C'est ce même Shitao, donc, qui introduit cette idée de "poussière du monde" qu'il faut combattre afin d'être capable de produire une oeuvre d'art. D'où la méditation, notamment. Il faudrait se vider l'esprit pour que seul l'unique trait de pinceau puisse advenir correctement. Longtemps, j'ai propagé l'idée de la poussière du monde, en y voyant les imbécillités que le monde ne cesse de sécréter, les platitudes, les lieux communs, les clichés, les conversations insignifiantes faites pour "meubler", pour créer le lien social sans autre support que cette volonté implicite de socialité. Mais il ne suffit pas d'énoncer un mot pour faire exister un concept : carré rond, père Noël... Ete la poussière du  monde  existe-t-elle vraiment ? Je crois finalement que c'est nous qui la sécrétons, et pas le monde ! C'est nous qui  admettons des discussions insignifiantes, qui y participons. C'est nous qui, souvent par timidité, acceptons cet avatar du Guide de la conversation et des bonnes manières, qui permettait, lors des dîners bourgeois, de ne parler ni de religion, ni d'armée, ni de politique. C'est nous qui nous vautrons dans le dernier film ou roman à la mode, fut-il écrit par un petit marquis dont la prétention n'est égale qu'à l'incapacité à écrire des phrases correctement agencées (sans parler de rhétorique, bien sûr, dont ils ignorent tout). C'est nous, donc, qui sommes responsables de la poussière du monde, et non le monde qui voudrait nous empoussiérer. 

Dans la mythologie alsacienne, partie ensuite en Allemagne, puis dans les pays du nord de l'Europe, il y a ce concept du Ragnarok, ce moment où les Géants viendront combattre les dieux, raison pour laquelle ces derniers recrutent des guerriers qui occupent le Valhalla. Les Géants  ? Dans une certaine acception de la mythologie, ils seraient l'équivalent de cette poussière du monde engendrée par le monde... mais on se souvient que je propose plutôt que nous soyons les créateurs de la poussière. De même, les Géants sont dans les dieux, et pas des entités menaçantes extérieures. Nous portons en nous  la responsabilité de faire exister le monde, avec ses Géants, sa poussière. Une fois que l'idée est claire, il devient plus facile d'éviter poussière et Ragnarok, fin du monde. 


jeudi 23 avril 2015

Deux podcasts pour présenter des plats note à note

La présentation de deux préparations note à note (le "dirac" et le "gibbs") est en podcast :
Sur le site AgroParisTech :

[http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html->http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html]
[http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html->http://www.agroparistech.fr/podcast/Un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs.html]

Et aussi sur Dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/x2mybw5_un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-dirac_tech
http://www.dailymotion.com/video/x2nkkju_un-plat-de-cuisine-note-a-note-le-gibbs_school

mardi 21 avril 2015

Didactique

Dans ces pages, nous avons déjà  considéré la question des bons étudiants, souvent pénalisés par les moins bons (on voit que je vieillis : je deviens politiquement correct). Voir par exemple http://hervethis.blogspot.fr/2014/10/promouvoir-les-meilleurs-etudiants-nest.html. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de faire état d'un article remarquable de mon ami Philippe Boulanger dans la revue Science & Pseudo-sciences.  Cet article s'intitule "Didactique ?".

Didactique ? Selon le Trésor de la langue française informatisé, le mot signifie "qui vise à instruire", mais il y a un substantif qui signifie "art d'enseigner, d'exposer méthodiquement et systématiquement les principes et les lois d'une science, ou les règles et préceptes d'un art". 

Muni de ce viatique, lisons Philippe Boulanger : 

" J’ai participé à une des ces commissions paragouvernementales où les participants, politiques ou fonctionnaires pour la plupart (« ou » non exclusif) argumentent pour délivrer un rapport sur un sujet de société. [...] J’ai osé prôner un enseignement de certaines disciplines scientifiques plus riche et plus exigeant afin de solliciter et aiguillonner les meilleurs. J’ai été aussitôt un objet d’opprobre de la part de petits marquis, dont on ne sait quelles circonstances improbables les ont propulsé au statut de penseurs, et je fus accusé de vouloir « faire du didactique ».  Le terme est aujourd’hui, une insulte."

Oui, une certaine pensée pour laquelle tout se vaut ne supporte pas qu'il y ait un "maître", et des "élèves". Certes, je suis de ceux qui veulent apprendre sans maître, mais on se souvient d'un billet précédent où je faisais l'éloge du livre de Nicolas  Piskounov (http://hervethis.blogspot.fr/2015/04/un-livre-remarquable.html), et c'est un fait que certains manuels de science sont meilleurs que d'autres. C'est un fait que certaines expositions des théories sont plus simples que d'autres. C'est un fait que certains professeurs sont plus captivants.
On n'oubliera pas, à ce sujet, de rappeler que Michael Faraday remplissait l'amphithéâtre de la Royal Institution pendant une semaine, avant Noël, en se concentrant sur les phénomènes qui ont lieu lors de la combustion d'une bougie : il savait, très élégamment, partir d'observations simples, anodines, pour conduire ses auditeurs à la pointe du savoir de l'époque, au point qu'il en fit une Histoire d'une chandelle, un livre qui enchanta quelques générations d'enfants. Vers la même époque, François Arago faisait courir tout Paris à ses conférences expérimentales. Et, en France encore, on sait que le Palais de la Découverte a suscité de nombreuses vocations scientifiques (et continue de le faire, raison pour laquelle il faut soutenir son action de muséologie expérimentale !). 

Bref, c'est un fait qu'il existe des manières d'enseigner meilleures que  d'autres, fussent-elles de laisser l'élève se faire son savoir, sans maître de chair et d'os, mais en lui donnant de bons livres... qui auront été faits par de bons... professeurs.  Revenons à Philippe Boulanger : 

"« On » m’a expliqué, avec un petit sourire sans indulgence, qu’il ne s’agissait pas de « se gaver de connaissances », mais de se les approprier par une démarche personnelle et innovante, garantie, je crois comprendre, par l’ignorance.L’innovation actuelle, du moins en mathématiques, a été de vider progressivement les programmes. J’ai dernièrement comparé les livres de mathématiques de la classe de troisième (Lebossé et Hémery) aux livres actuels. Si la qualité de la présentation des nouveaux livres est notable,  la diminution du contenu est flagrante."

Ici, il y a plusieurs choses. La question du "gavage de connaissances" doit être discutée, tout d'abord, à la lumière de mon expérience personnelle, de maître de stage d'étudiants.
Ainsi, je ne cesse de m'étonner, quand je discute avec nos jeunes amis, que nombre de ceux qui suivent des études universitaires de chimie ou de biochimie ne sachent pas de la physique élémentaire, telle l'expression de la poussée d'Archimède ou l'expression du potentiel chimique.  Interrogés sur leurs lacunes, ils me répondent qu'ils ont appris ces notions, mais qu'ils les ont oubliées. Et il y a cette idée selon laquelle il n'est pas nécessaire de s'encombrer l'esprit avec ce que l'on peut retrouver en un clic sur Internet. 

Je suis de ceux qui, dans leur enseignement, font bien la différence entre   :
(1) les informations  (que l'on trouve effectivement sur Internet, et qu'il n'est donc pas nécessaire de retenir) ;
(2) les notions et concepts, qu'il faut connaître, comprendre et retenir, mais, surtout, savoir mettre en oeuvre ;
(3) les méthodes, qui sont essentielles, centrales, des trésors que nous  devons collectionner, parce que, plus encore que les notions et concepts, elles nous portent, nous donnent l' "intelligence" (mot employé à dessein) du monde ;
(4) les anecdotes, qui sont de la chair autour de l'os, qui donnent aux matières intellectuelles ce "moelleux" qui leur manque souvent ; les anecdotes sont aussi ces sourires de la pensée qui font la vie encore plus  belle, ces respirations qui nous permettent d'avancer confortablement ;
(5) les valeurs, sur  lesquelles tout le reste s'édifie, et qui, je crois, méritent  d'être explicitées et discutées. 

Tout cela étant dit, il faut aussi considérer qu'il existe une différence entre des "connaissances" et des "compétences".  Dans la "vraie vie", la vie du laboratoire, par exemple, il FAUT être capable de faire une règle de trois sans se tromper, il FAUT savoir que la poussée d'Archimède existe (on voit que je prends un exemple simplissime, et que, en conséquence, je ne peux pas être considéré comme très élitiste), il FAUT savoir calculer le pH d'une solution d'un acide faible dans de l'eau, il FAUT... Il faut savoir mettre en oeuvre des connaissances que l'on a apprises... sans les avoir oubliées.
Tout cela ne s'obtient pas en claquant des doigts, mais à force d'entraînement. Certains diront que comparaison n'est pas raison, que l'esprit et le physique ne sont pas comparables, mais je maintiens que celui qui se lance dans une longue course à pied sans entraînement ne vas pas au bout. Celui qui ne s'est pas entraîné à soulever des poids ne les soulève pas. Celui qui n'a pas répété jusqu'à le savoir intimement que S = ln Ω ne sait pas le mettre en oeuvre le moment venu.
Bref, le mot "gavage" est compliqué, et je le déteste, parce qu'il jette un voile péjoratif sur la belle idée d'apprendre. D'ailleurs, on retrouve ici ma distinction entre "enseigner" et "apprendre". En réalité, je me moque de l'enseignement, et seul compte, pour l'étudiant, le fait d'apprendre ! Comme dit ailleurs, je propose que les diplômes soient toujours  attribués à ceux qui ont fait l'effort d'avoir les compétences bien décrites dans une sorte de contrat explicite.  Peu importe la manière dont l'étudiant obtient ces compétences ; seul compte le fait qu'il les ait. 

Reste la question de la différence (réelle) entre le contenu de l'enseignement d'avant et l'enseignement d'aujourd'hui. J'aurais tendance à être d'accord avec Philippe Boulanger, mais avec un peu d'hésitation : dans la mesure où le contenu des matières a changé, où de la technologie s'est introduite, par exemple, on pourrait imaginer que les élèves de Troisième sachent autre chose que ce qui était enseigné naguère. Par exemple,  les élèves qui ont connu la "réforme des mathématiques modernes", avec la théorie des ensembles, ont appris moins de géométrie, certes, mais ils ont finalement su autre chose : de la théorie des ensembles. Bref, il faut y voir de plus près. 

Le dernier paragraphe de Philippe Boulanger mérite également notre plus grande attentin : 

"Je me demande, attitude peu à la mode, si la volonté de ne pas faire de sélection ou de supprimer les notes dans l’enseignement pour ne pas disqualifier les moins favorisés, aboutit au but visé. Si l’enseignement public est bon et riche en contenu, les statuts individuels ont moins d’effets sur l’avenir des enfants. En revanche, si l’enseignement général est insuffisant ou ne sollicite pas assez les élèves, les attitudes individuelles ont plus de poids. Au contraire des enfants défavorisés par l’environnement et la fortune, les enfants qui vivent dans des familles aisés, ou celles où la culture à de l’importance, seront aiguillonnés et réussiront à acquérir dans l’ambiance familiale les connaissances nécessaires à leur épanouissement."

Là, on retrouve cette idée que j'évoquais en tout début de texte, à propos de sélection dans l'université. Je vais essayer, comme souvent, de ne pas être politiquement incorrect, en collant à idées consensuelles. On sait que : 

- il est louable de souhaiter que le plus grand nombre de citoyens aient une qualification aussi avancée que possible, car  le secteur tertiaire s'est considérablement développé,

- il est louable de souhaiter que le plus grand nombre de citoyens aient une qualification avancée, car cela leur évite d'être de la "chair à canon"

- le citoyen a un droit à l'éducation, puisqu'il le paye par ses impôts ; de sorte que l'université doit être ouverte à tous. On voit que je vais ici encore plus loin que nombre de mes amis que je dirais "progressistes", et je renvoie à un billet précédent que j'avais consacré à Pierre Duhem, homme remarquable bien que très raide, dont les leçons universitaires s'apparentaient à celles d'un François Arago ou d'un Michael Faraday, en cela qu'elles faisaient accourir les cityoens à l'université... pour de la vulgarisation. 

Mais après des décennies de mauvaise foi, où j'ai voulu ne pas voir de  différence entre la vulgarisation et l'enseignement scientifique, je m'aperçois que le maniement des outifs formels fait la différence. Dans un cas, il y a de la connaissance, et, dans l'autre, de la compétence. La compétence, elle, est "sanctionnée" (comme on dit) par un diplôme, lequel -et c'est là une idée à laquelle je tiens- ne doit pas être vidé de son sens, quand il est international, sans quoi nous vivons dans le rêve, la lubie. Je propose que nos universités comparent leurs diplômes à ceux des autres pays : d'Europe, mais aussi de Russie, des Etats-Unis, de Chine... 

La sélection, donc ? La sanction des diplômes s'impose, et l'on doit tout faire pour que seuls les étudiants capables les obtiennent. Changer les méthodes d'enseignement, par exemple : j'ai déjà largement discuté la possibilité d'éviter le gavage, par l'emploi de méthodes pédagogiques modernes, et, dans quelques enseignements que je fais, je multiplie les tests (projets, forum, travaux de groupe à responsabilité individuelle, projet pratique, lecture d'article scientifique...) afin de voir quelles méthodes sont plus efficaces que d'autres. 

Toutefois, c'est un fait que certains étudiants sont plus que d'autres, sur l'échelle finale des compétences données par les enseignements. Les notes ? J'hésite : soit on a une compétence demandée par le "référentiel" du diplôme, soit on ne l'a pas.  Et je vois très bien que chaque étudiant n'ait pas de notes, mais seulement des attestations de validation des compétences. A cela près que, quand, pour nos masters, nous évaluons les candidats (nous en retenons une vingtaine parmi des centaines), nous ne prenons que les "meilleurs", ce qui signifie ceux qui ont eu les meilleures notes dans leurs universités. C'est un fait, et j'attends des conseils pour faire différemment, si quelqu'un a une idée. 

Mais je me suis éloigné du paragraphe cité, du texte de Philippe Boulanger. On comprend que ce paragraphe m'intéresse beaucoup, et son "Je me demande" très rhétorique mérite que nous nous arrêtions. Cette fois, je ne vais pas commenter la phrase, mais inviter tous mes amis à y réfléchir. La chose est importante : il en va de la qualité de l'enseignement !