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dimanche 10 mai 2015

Se prendre au sérieux ?

Aristophane fustigeait ceux qui se prenaient au sérieux (pour faire des guerres qui les enrichissaient et leur donnaient du pouvoir). Le monde a-t-il changé ? Pas sûr : récemment, un ami directeur de laboratoire dans une grande école scientifique s'est demandé, avec son équipe, s'il ne ferait pas mieux de se prendre au sérieux. J'explique. 



Les élèves de cette école doivent choisir des laboratoires d'accueil pour faire des stages. Pour qu'ils puissent choisir en connaissance de cause, on leur organise une séance où des enseignants-chercheurs viennent présenter des travaux en cours, auxquels les élèves pourront participer, s'ils le souhaitent. 

Dans cette école, comme dans toutes les écoles, il y a  des individus de diverses sortes, notamment  à propos  du "sérieux". Examinons d'abord le mot : "Qui s'intéresse aux choses importantes; se montre réfléchi et soigneux dans ce qu'il fait.".  Montaigne, lui, donnait le sens suivant : " qui n'a pas pour objet l'amusement, la distraction. 

Dans cette affaire, il y a deux questions... importantes : (1) la première est l'importance ; qui décrète de l'importante des choses  ? ; (2) ensuite, il y a l'amusement, qui se distinguerait de l'important... mais ne peut-on pas faire par amusement des choses "importantes", en supposant que l'on a déterminé ce qui est important ? 

Décidément, tout tourne autour de l'importance : " Qui atteint un niveau dont on juge qu'il est grand". Un niveau ? Avec quel indice ? Et qui est ce "on" qui juge ? 

Enfin, il y a ce que disait Jorge Luis Borges : "Je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse". Tout est là ! 

Bref, dans une école, parmi les enseignants-chercheurs, il y a : 

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, et qui ne le font pas sentir aux autres

- ceux  qui pensent que ce qu'ils font est important, mais ne le font pas sentir aux autres

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, mais font sentir aux autres que  ce qu'ils font est important

- ceux qui font ce qu'ils font sans penser que c'est important, et ne font pas sentir aux autres que ce qu'ils font est important

On aura compris que je mets la catégorie qui se prend au sérieux  (ceux qui cherchent à faire sentir aux autres que  ce  qu'ils font est important) avec les pisse-vinaigre de Rabelais. On se souvient que je ne mets pas dans cette catégorie ceux qui sont sérieux sans chercher à le faire sentir : après tout, n'était-ce pas ce que faisait Borgès ? 

Et on aura compris que je préfère par dessus tout ceux que leur activité passionne et qui,  joviaux, s'amusent de leurs travaux et cherchent à en partager le bonheur avec leur entourage. 



Le drame (si l'on peut dire), c'est que mon ami -qui fait de la très bonne recherche- ne voit pas les étudiants venir vers son laboratoire, mais se diriger plutôt vers les équipes qui se prennent au sérieux, qui sinalent à chaque phrase que ce qu'ils font est important, essentiel, fondamental... A vrai dire, c'était déjà ainsi quand j'étais élève à l'ESPCI : une bonne partie de la promotion était partie faire de la chimie analytique, captée par un professeur qui vendait bien sa salade. 

Toutefois le résultat, c'est que mon ami et son équipe ont organisé une réunion interne, pour se demander comment présenter leurs activités les prochaines années : devraient-ils jouer à ce jeu un peu malhonnête qui consiste à se taper sur la poitrine... afin de capter des esprits un peu faibles, puisque sensibles à des arguments idiots ? Je n'ai pas le résultat de leur réunion, mais, de même que l'on doit sans cesse combattre la pensée magique, je crois que nous devrions sans relâche dénoncer ceux  qui  font les importants, ceux qui se prennent au sérieux. 

Traquons ces deux mots ! 


samedi 17 janvier 2015

Important ;-)



Il y a des mots terribles. Par exemple, dans notre groupe de recherche, nous avons banni les "il faut" et les "on doit", parce qu'il ne faut qu'une seule chose, réfléchir ! Sapere  aude, disaient les hommes et femmes des Lumières ! 

Il faut ? Pourquoi ? On doit ? Pourquoi ? 

Ce questionnement n'est pas l'anarchie, comme des esprits simples pourraient le croire : il s'agit seulement de comprendre des "lois", des "règles", et se demander si elles sont légitimes, si elles sont bonnes, si elles doivent éventuellement être changées. 

Pour ces "il faut" et "on doit", nous sommes rodés. Jour après jour, nous nous entraînons à les entendre, nous les traquons, et, progressivement, nous avons une sorte de radar qui nous les fait entendre sans que nous faisions d'effort, de sorte que nous sommes aussitôt alertés, sur le qui vive. 

Bien sûr, le premier champ d'application de cette compétence que nous voulons avoir est la recherche scientifique, la description des phénomènes, du monde, car les théories (toutes insuffisantes par nature) doivent être corrigées, disons améliorées, voire perfectionnées (je fais des différences entre les trois participe passé, bien sûr, sans quoi je n'en aurais écrit qu'un seul). 

Dans la même veine que les "il faut" et "on doit", il y a un mot terrible, important. Un mot terrible, parce qu'il a progressivement pris la place de "grand", "élevé"... Une température importante, une distance importante... D'abord, c'est indu, car "grand" n'est pas important, mais, surtout, c'est une sorte d'argument d'autorité qui nous empêche de bien penser. Quand on dit "grand", on peut  facilement dire "grand par rapport à", et l'on corrige alors aussitôt. Mais important ! Important, c'est important, pas relativement, mais de façon absolue. 

Parfois le mot "important" est dit seulement par mégarde, par habitude (mauvaise), par manque de réflexion, mais il est bien pire quand il est utilisé volontairement ! On dit important ? Alors c'est que l'activité dont on parle est importante ! Et donc que l'on est important soi-même. Ah, les personnages "importants" ! Ils marchent de façon comptée, on sent bien qu'ils pensent, qu'ils jugent intérieurement de choses très  dignes, très au-dessus de nous, pauvres mortels sans importance.