mardi 9 avril 2013

Savoirs profanes

En ces temps étranges, il traine l'idée très néfaste et très fausse que la science se confond avec les autres savoirs, notamment les empirismes. Par exemple, je lis :

"les savoirs profanes peuvent exister et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques. L'agriculteur qui constate le résultat de certaines pratiques, sans les expliquer biologiquement, peut utilement contribuer au référentiel du chercheur qui va utiliser ces données pour déboucher sur une loi"

Oui, les savoirs profanes peuvent exister (plus exactement, ils n'ont pas à exister, puisqu'ils existent) et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques, mais l'empirisme s'arrête précisément... à l'empirisme !

Oui, l'agriculteur constate souvent le résultat de pratiques, qu'il n'explique pas toujours, et oui, ces phénomènes peuvent être explorés par la rechercher scientifique. Et alors ? Cela s'est toujours fait, cela se fera toujours, mais l'empirisme technique restera toujours de l'empirisme technique, et les sciences de la nature sont autrement singulières !

Ce type de discussions renvoie aux critiques des "sciences studies" (disons en français : anthropologie des sciences, pour ne pas dire épistémologie, ce qui est autre chose), mais ces dernières ont beau faire : elles ne convaincront jamais personne du fait que les sciences de la nature, les sciences dites "dures", sont d'une autre nature que certaines sciences de l'homme et de la société (celles qui ne font pas usage de la méthode : observation d'un phénomène, quantification, synthèse des données en lois, recherche de mécanismes, prévision expérimental, tests expérimental de la prévision, en vue de réfuter cette dernière),  certains empirismes, sont des savoirs, mais pas des sciences au sens défini plus haut : pour les sciences de la nature (sciences exactes, sciences dures, philosophie naturelle),  les idées, les imaginations théoriques, les hypothèses sont "balisées" par le recours aux nombrex, au quantitatif, avec l'idée que les théories sont insuffisantes par nature et qu'il faut réfuter pour les améliorer.
C'est une différence essentielle, sans compter la différence d'intention : comprendre pour les sciences, et faire pour la technologie et les techniques.

On entend parler de "forteresse scientiste", mais c'est là penser que les sciences de la nature (sciences dures, philosophie naturelle...) seraient un bastion assiégé ; disons que cela serait le rêve de certains qu'il en soit ainsi, mais cela n'est pas : la philosophie naturelle fait son travail en se moquant des critiques, parce qu'elle n'est pas un être humain, mais une pratique.

Et, mieux, la philosophie naturelle est une pratique singulière, qui ne se confond pas avec les autres savoirs.

mardi 2 avril 2013

Prochain séminaire

Chers Amis

Notre prochain séminaire de gastronomie moléculaire se tiendra le lundi 15 avril 2013, de 16 à 18 heures, à l'Ecole supérieure de cuisine française, au centre Jean Ferrandi de la Chambre de commerce de Paris, 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris.
Le thème retenu sera :
L'écumage des bouillons de boeuf améliore-t-il la clarté ?

Au plaisir de vous y retrouver.

E 413

Les additifs, mauvais pour la santé ? En tout cas, ils sont traditionnels, et les amateurs de "bonne vieille cuisine française" doivent savoir que le E413, la gomme adragante, était non seulement utilisée au siècle passé pour stabiliser les crèmes fouettées (domestiques), mais... présente dès 1604 dans l'Ouverture de cuisine de Lancelot de Casteau  :


Pour faire paste de succre.
Prennez du fin succre bien tamizé par vn fin tamier, puis ayez gomme d'aragante bien trempee en eau de rose passée par vn estamine aussi espes que vous le pouuez passer, puis mettez vostre gomme dedans vn mortier de cuiure ou autre & estampez bien vostre gomme, y mettant tousiours vn peu de succre tant que vous faictes vne paste maniable. Notez tant plus est il battu tant plus blanc deuient il: de ceste paste vous pouués former ce que voulez, comme faire en formes cauees, ou des trenchoirs, ou plats, ou tasses ce que vous voulez, & le mettez suer dedans vn four qui ne soit pas trop chaud, vous le pouuez aussi dorer aussi fort que les voulez auoir: gardez bien que le four ne soit point si chaud qu'il face leuer la paste par bontons, cela ne vaudroit rien, car il faut que la paste demeure ferme.

dimanche 31 mars 2013

N'oublions pas le service à la française

Jadis les Français mangeaient... à la française : les diverses préparations étaient disposées sur la table, à des endroits particuliers, et ils étaient renouvelés d'une certaine façon, un peu comme un buffet que l'on regarnirait, mais avec la différence que l'on mangeait ce que l'on avait près de soi.
Ce fut un séisme quand le service à la russe s'imposa : c'est celui que nous connaissons aujourd'hui, où les mets sont apportés, puis servis aux convives. Certes, on mange chaud... mais mange-t-on socialement ?

Manger socialement ? C'est cela qui est bon. C'est pour cette raison que les fondues au fromage ou bourguignonnes ont tant de succès. C'est pour cette raison que le couscous mangé à l'ancienne, avec un plat devant tous, que l'on prend à la main, a son succès. Rien de pire, en quelque sorte, que les mets mangés seuls.

Du coup, ne pourrions nous pas organiser nos repas pour retrouver l'intelligence du service à la française, en plus de l'intérêt du service à la russe ?
C'est un peu ce qui se fait dans le pot-au-feu à l'alsacienne, où des condiments sont répartis sur toute la table, échangés à la demande entre les convives. Tous mangent la même viande, partagée entre tous ; tous boivent le même bouillon corsé, brûlant ; et tous s'échangent les condiments, se parlant, échangeant.

Et c'est ainsi que le pot-au-feu devient un mets merveilleux !

samedi 30 mars 2013

Science fautivement dite participative

Après la science qui aurait été citoyenne, voici que me vient sous les yeux de la science qui serait participative. Etrange emploi de la langue française, qui, hélas, risque de conduire à des fautes de pensée.
La science est la science. Pour des raisons préalablement exposées, elle ne peut pas être citoyenne. Je n'y reviens pas, sauf à signaler que quelques personnes prises en flagrant délit de faute de pensée se sont "débattues", tels les poissons dans un filet, en disant que tout cela n'était que mots, et que les idées comptaient davantage. D'accord... mais quelles idées ?

Pour la science dite participative, là encore, il y a une faute de français. L'idée que l'on aurait voulu nommer (pauvre pensée que celle qui ne sait pas l'usage des mots) ? Une façon de faire la science, où des amateurs puissent venir participer au travail institutionnel. Par exemple, des astronomes amateurs participant au recensement des amas ouverts ; ou encore des botanistes amateurs signalant les aires de répartition des espèces.

Evidemment, ce type de collaboration est très bien ! Oui, il y a la participation de tous (disons moins pompeusement : de plusieurs). Oui, il faut encourager des telles initiatives, mais je propose de ne pas spécifier la science qui est ainsi faite : c'est de la science, un point c'est tout !

Et c'est ainsi que la science est belle : quand tout le monde est convié au grand banquet de la production de la connaissance !

(j'y pense : il faudra que j'évoque la question de l'enseignement ... dit "des sciences" : à ce stade, je ne critique pas la terminologie).

Vive la connaissance (bien) produite et (bien) partagée !

jeudi 28 mars 2013

Gavage ? Non, bonheur !

Ce matin, je lisais les déclarations d'un président d'université qui parlait de "gavage" pour les classes préparatoires aux grandes écoles.

C'est un terme très mauvais : sans verser dans l'ancien combattant, je me souviens avec bonheur de ce moment où je pouvais me consacrer entièrement aux mathématiques, physique et chimie !
Que de merveilleux théorèmes j'ai découvert, appris  !  Que de beaux phénomènes j'ai découvert !
D'ailleurs, il faut ajouter que les enseignants étaient merveilleux... et d'ailleurs certains sont restés des amis, parce qu'ils avaient un enthousiasme partagé.

Les classes préparatoires, du gavage ? Non, du bonheur... pour ceux qui aiment (ceux qui n'aiment pas, évidemment, seront malheureux... mais n'est ce pas le cas pour tout, dans la vie ?)

mardi 26 mars 2013

Science et cuisine à l'école

Ce matin, une correspondante qui voudrait mettre de la gastronomie moléculaire à l'école.
A laquelle il est répondu :

Sans attendre, laissez moi vous parler des "Ateliers expérimentaux du goût" (ils sont sur les sites académiques, mais aussi sur mon site, adresse ci dessous), pour le Premier Degré (introduits à l'échelon national par le ministre en 2001) et les "Ateliers science & cuisine", qui sont pour le second degré, en thème d'approfondissement, et en relation avec les programmes.
Il y a d'autres projets, comme "Dictons et plats patrimoniaux", que vous trouverez aussi.
L'idée était moins de focaliser spécifiquement sur la gastronomie moléculaire ou la cuisine moléculaire que de partir de cuisine, et de faire monter la nourriture à la tête, en renvoyant vers de la culture, au sens large.
N'hésitez pas à m'interroger.