vendredi 25 septembre 2009

Que mangerons-nous demain ?

Je poursuis la publication des billets parus dans l'Humanité. Voici le dernier publié, mais pas le dernier préparé.




Il y a un siècle, on prédisait que, en l’an 2000, on mangerait des « tablettes nutritives », que la « chimie » résoudrait le problème de l’alimentation du monde. En 2009, nous continuons à manger des poulets rôtis, comme au Moyen-Âge. Et demain ?
Nous mangerons ce que nous avons décidé de manger… si notre agriculture suffit à nourrir une humanité qui augmente encore… et il n’y aura jamais de chimie en cuisine. Oui, il n’y aura jamais de chimie en cuisine, parce que la chimie est une science, c’est-à-dire une activité de production de connaissances ! Cessons de confondre la science (qui cherche les mécanismes des phénomènes ; par exemple, pourquoi les steaks sautés brunissent-ils ?) et la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances en vue de « perfectionner » les techniques. Louis Pasteur s’est battu toute sa vie pour expliquer qu’il n’y a pas de « sciences appliquées », mais seulement des applications des sciences. D’ailleurs, les prétendues « technosciences » ne seraient-elles pas que de la technologie fautivement nommée ?
La science, dangereuse ? Non, mais ses applications peuvent l’être. Qui est responsable d’Hiroshima ? Pas Pierre et Marie Curie quand ils ont exploré la structure de l’atome, mais bien ceux qui ont fabriqué la bombe et qui l’ont lâchée sur une ville japonaise. Qui est responsable des gaz de combat ? Pas les chimistes, mais ceux qui les ont fabriqué et utilisé.
Le problème vient souvent des mots, et ici, je crois qu’il faut cesser de nommer « chimie » l’activité d’applications des résultats de la science chimique. D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que l’application des connaissances de la chimie n’est pas systématiquement mauvaise, et j’invite les lecteurs de l’Humanité au colloque « Chimie et alimentation » qu’organise la Maison de la chimie le 7 octobre, à Paris. N’ayons pas peur de discuter de la chimie, de ses relations avec la cuisine : pourquoi l’ancien serait-il toujours bon (le barbecue dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes) et le nouveau toujours mauvais (les pesticides…) ? Evidemment, le nouveau n’est pas toujours bon non plus.
Regardons y de plus près : la cuisine de demain peut être encore meilleure que celle d’aujourd’hui… si nous travaillons, réfléchissons, débattons, cherchons. Vive la connaissance !

jeudi 24 septembre 2009

Dans la série des textes publiés dans l'Humanité la semaine passée, voici le troisième.
A noter, pour les quelques uns qui croient que je suis communiste (commentaires reçus mais non publiés) que les Ateliers expérimentaux du goût avaient été introduits grâce au ministre de l'Education nationale, en 2001, quand le gouvernement était socialiste, et que l'Institut des hautes études de la gastronomie a été créé en 2004, quand Renaud Dutreil, de droite, était ministre des PME.
Alors...


Pourquoi sommes-nous si peu à nous inquiéter du gaspillage d’énergie dû à l’activité culinaire ? Il y a pourtant une grande déraison à rejeter dans l’atmosphère l’essentiel de cette énergie que nous devons produire, ce qui engendre des déchets, que nous devons transporter, ce qui multiplie les installations (avec rendement de 20 pour cent, on diminuerait le nombre de lignes par quatre !), que nous payons (à la fin du mois, la facture d’énergie est lourde)…
Comment nous y prendre mieux ? Les fours à micro-ondes sont bien plus efficaces que les plaques à gaz ou les classiques plaques chauffantes… mais, malgré les « plats brunisseurs » et autres gadgets jamais vraiment utilisés, on ne fait pas de poulet rôti avec des micro-ondes.
Reste l’induction, et je suis heureux d’avoir récemment vu, dans un supermarché de campagne, les premières plaques à induction à prix abordable. Ce sont des outils culinairement remarquables : à volonté, elles chauffent très doucement, régulièrement, ou, au contraire, très fort, passant instantanément de l’un à l’autre. Que les lecteurs de l’Humanité se rassurent : je n’ai aucun intérêt dans les sociétés qui les fabriquent ou qui les vendent, sauf l’intérêt collectif, le souci du gaspillage énergétique actuel.
Hélas, ces systèmes font peur : induction électromagnétique ! Ne vont-ils pas nous donner des cancers ? Nous avons sans doute raison de nous méfier de ce que nous comprenons mal, mais nous devons nous seulement nous méfier, et pas plus. Par exemple, mettons une main, paume vers la joue, le plus près possible sans que la main touche la joue : nous sentons de la chaleur… parce que des rayonnements infrarouges passent de la main à la joue. Avons-nous peur de ces rayons invisibles ?
De toute façon, les hésitations seront balayées par l’augmentation prochaine du prix de l’énergie. Avec la fin du pétrole, nous serons tous obligés de nous préoccuper de l’énergie gaspillée dans nos cuisines. Nous devrons parler à nouveau d’ « économie domestique », notion considérée comme ringarde, mais qui a l’avantage qu’elle nous fait la vie plus belle individuellement et collectivement… et c’est alors que nous comprendrons que des braisages bien conduits sont économiques : les viandes ainsi cuites ne se contractent pas à la cuisson (quand on cuit 100 grammes de viande, on sert presque 100 grammes de viande) ; les viandes dures s’attendrissent (or du collier de bœuf, à quatre euros le kilogramme, c’est quand même moins cher que du filet à vingt euros) ; les préparations ont plus de goût, pour des raisons un peu longues à expliquer ici.
Demain ? J’espère que l’on parlera à nouveau d’économie domestique dès l’Ecole !

mercredi 23 septembre 2009

Le naturel ? On nous ment !

La nature ? Je ne comprends pas pourquoi nous voulons à toute force qu’elle soit « bonne « ! Pourtant nature produit la cigüe, à côté de la carotte (sauvage), et la cigüe tue ! Il faut que l’humanité choisisse judicieusement la carotte pour ne pas périr empoisonnée. Mieux, même, il faut qu’une longue sélection conduise de la carotte sauvage, fibreuse, grosse comme un crayon, à nos grosses carottes orange et sucrées, pour que nous ayons le plaisir de manger de délicieuses « carotte à la Vichy »… qui sont donc artificielles.
Oui, nos aliments ne sont pas naturels, mais artificiels : est naturel ce que l’on trouve dans la nature ; or on n’a jamais trouvé de soufflé, de frites, de pot-au-feu… dans la nature. Ces mets délicieux (quand ils sont bien faits et quand nous les aimons) sont « artificiels », puisqu’ils sont le produit du travail, du soin, du savoir-faire !
Pourtant, nos produits alimentaires, aux étiquettes rédigées par des hommes et des femmes du « commerce », ne cessent de mentir, en nous faisant gober des « arômes naturels », des ingrédients « naturellement riches » (riches !) en vitamines… Regardons autour de nous : nous verrons ainsi mieux que tous ceux qui nous refilent du « naturel » veulent en réalité nous vendre des produits ou de l’idéologie. Résistons !
A ce point, on voit combien Cicéron avait raison de dire que « tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant » : en matière alimentaire, nous ignorons souvent que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité qui n’a pas souffert de famine (dans nos pays industrialisés !). Pour comprendre ce que nous mangeons, pour être libre, libre notamment de choisir ce que nous voulons mangeons, il nous faut de la connaissance.
Et, évidemment, me voici conduit à évoquer le rôle essentiel de l’Ecole. Il est normal que l’enseignement de la cuisine en ait disparu, parce que le rôle de l’Ecole n’est pas de « gaver des oies », mais d’allumer des brasiers, d’instiller l’esprit de recherche, qui nous fera passer du rôle de machine à celui de technicien éclairé, de technologue…L’Ecole faisait une erreur en enseignant la technique de préparation du pot-au-feu ; elle doit plutôt conduire les enfants à réfléchir sur la préparation. De tous les points de vue : historique, géographique, sociologique, scientifique, littéraire, artistique… C’est pour cette raison que les Ateliers expérimentaux du goût (on les trouve en ligne ; j’invite les professeurs d’école à les utiliser) ont été introduits, depuis 2001.
Vive la connaissance !

mardi 22 septembre 2009

Je rabache un peu... mais ce n'est pas inutile

Oui, je rabache, puisque je mets maintenant, dans les cinq jours qui viennent, des textes publiés dans le journal l'Humanité, qui m'avait invité à faire le quatrième de couverture, chaque jour de la semaine dernière.
Toutefois :
- les combats sont gagnés par l'opiniâtreté
- je ne suis pas certain que tout le monde lise l'Humanité.
- autres causes variées et secondaires

Voici donc le premier billet :

En ces siècles de plomb où l’argent tient lieu de valeur morale, la connaissance est notre meilleur rempart contre l’intolérance ! Jamais autant qu’aujourd’hui il n’a été aussi nécessaire de combattre les confusions, qui, souvent, mènent à l’intolérance, servant les intérêts marchands, permettant la manipulation des peuples.
Tiens, un exemple : la « cuisine moléculaire », que l’on confond avec la « gastronomie moléculaire ». On croit fautivement que la gastronomie est une « cuisine pour riches », un cuisine d’apparat… alors que celui qui propagea le mot en français l’a bien dit : la gastronomie, c’est de la connaissance, pas de la cuisine ! Un historien qui étudie l’histoire du pot de terre fait de la gastronomie historique. Un géographe qui étudie les variations régionales du cassoulet fait de la gastronomie géographique. Un scientifique qui étudie les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires fait de la « gastronomie moléculaire ».
Puisque je dois me présenter aux lecteurs de l’Humanité, que j’accompagnerai cette semaine, il faut que je dise que c’est cette dernière entreprise qui me passionne : étudier pourquoi et comment les viandes rouges brunissent quand elles sont rôties, pourquoi et comment les soufflés gonflent, pourquoi et comment les légumes s’amollissent à la cuisson, pourquoi et comment les sauces se lient, la mayonnaise prend… Cette étude, quand elle est fait avec les méthodes de la science, c’est de la gastronomie moléculaire.
Ce n’est donc pas de la « cuisine moléculaire », qui, elle, est une mode culinaire, comme l’a été la nouvelle cuisine dans les années 1970, et comme le sera j’espère la « cuisine note à note » dans un futur proche. En 1980, avec un ami physicien anglais, nous avons observé que la pratique culinaire était quasi médiévale : mêmes casseroles, mêmes recettes, mêmes méthodes… Les casseroles étaient en acier inoxydable et non plus en terre, et quelques ustensiles avaient été mécanisés… mais ce n’était pas un bouleversement de principe ! Pis encore, nous avons observé –ce qui reste vrai- que la cuisson des aliments était un terrible gaspillage énergétique. Développant la gastronomie moléculaire, nous avons aussi voulu proposer d’en utiliser les résultats. Et c’est ainsi qu’est née la « cuisine moléculaire », une forme de cuisine qui fait état de « nouveaux » ingrédients, ustensiles, méthodes.
Elle a suscité une guerre des Anciens et des Modernes… mais vite, travaillons, passons à la suite : vive la connaissance !

jeudi 17 septembre 2009

Help!

Alors que je viens d'afficher des messages, je m'aperçois que je ne sais pas répondre de façon personnelle à mes correspondants/amis qui m'interrogent de façon personnelle. Quelqu'un sait-il comment récupérer les adresses de courriel des auteurs de commentaires?

Je profite du message pour répondre plus généralement, à propos de la chimie, et de ses beautés, d'autant que je sors d'une discussion avec une étudiante -disons une jeune scientifique- à laquelle j'expliquais que la science, c'est surtout du calcul.
Oui, la chimie n'est pas, je crois, la manipulation expérimentale, car celle-ci n'est que la matérialisation de l'idée. Bien sûr, l'expérience est essentielle, pour la chimie et les sciences expérimentales en général, mais l'idée formelle qui est derrière... devrait être devant.
Plus généralement, nous produisons des foules de données que nous ferions mieux d'exploiter mieux. C'est cela, la chimie. Et c'est pour cette raison que la chimie est belle, parce qu'elle est un mélange sensuel de production de données et d'interprétation de données, en vue de comprendre le monde atomique qui nous entoure... mais je m'aperçois que je paraphrase un peu mon livre sur la "Sagesse du chimiste".
Livre utile, puisqu'il permet de comprendre, je crois, que l'expression "produit chimique" est tout aussi galvaudée que le "démontré scientifiquement" qui a fait l'objet d'un précédent message.

mercredi 16 septembre 2009

Peut-on faire de la cuisine moléculaire quand on n'est pas chimiste?

Peut-on faire de la cuisine moléculaire quand on n'est pas chimiste? La réponse est un "oui" puissant.
La cuisine moléculaire, c'est la cuisine qui se fait avec de "nouveaux" ingrédients, ustensiles ou méthodes.
"Nouveaux" : tout est là. Est "nouveau" ce qui n'est pas ancien, c'est-à-dire ce qui n'était pas dans les cuisines avant les années 1980.
Autrement dit, la cuisine moléculaire commence à vieillir... raison pour laquelle je préconise que ceux qui travaillent s'essaient à la cuisine note à note.
Pour la cuisine moléculaire, rien de plus simple, et il y a même maintenant des kits pour les enfants.
Ah, un point : pas besoin de comprendre ce qui se passe pour faire de la cuisine moléculaire. Bien sûr, je ne cesserai d'engager tous mes amis à toujours chercher à comprendre... mais savons-nous comment marchent nos ordinateurs? Et qu'est-ce que "savoir comment ils marchent"?
Bref, la question est difficile, et, parfois, on veut le résultat dans le long détour par la compréhension. C'est légitime.

La chimie, elle, c'est une autre affaire, et la gastronomie moléculaire, notamment, c'est d'abord de la science, donc du calcul. Evidemment, loin de moi l'idée de refuser de nouveaux amis qui ont envie de faire cette activité, mais il faut qu'ils sachent que, en gros, c'est de la résonance magnétique nucléaire et des équations différentielles, choses passionnantes, pour lesquelles il faut de l' "entrainement". Ce n'est pas plus difficile qu'autre chose, mais pas accessible d'emblée, sans préparation.

Vive la connaissance

jeudi 10 septembre 2009

Blogs et commentaires

Les commentaires aux messages ne sont pas tous publiés, sur ce blog, notamment quand ils posent des questions personnelles, pour lesquelles il est préférable d'utiliser mon email : herve.this@paris.inra.fr (en laissant svp une adresse pour la réponse).
Je suis bien confus, mais, de ce fait, plusieurs messages n'ont pas été publiés.
Parfois, aussi, je ne réponds pas quand la question est difficile et que je n'ai pas la réponse!

Cela étant, l'objectif est surtout de s'émerveiller, non?